Dans mon malheur, je parle allemand.
Parce que c’est là bas que je me suis caché, quand la guerre a éclaté, avant qu’elle éclate même. Abandonnée Emma, abandonnés mes amis, abandonnée ma vie de sorcier, direction l’Allemagne, direction le continent, et côté moldu. Un endroit où l’on ne me retrouverait pas. Un endroit où je serais en sécurité. Et c’est pour cela que, alors que je suis revenu, malgré les sonorités rugueuses de la langue, entendre parler allemand est quelqu’un part en moi quelque chose de rassurant. C’est synonyme d’un lieu où l’on ne me tuera pas, ne me forcera pas à renoncer à ma baguette, ne m’emprisonnera pas. Normalement.

Je parle allemand pour comprendre ce que chante aujourd’hui ces musiciens de malheur.
Bestrafe mich, punis moi. Le Seigneur donne, seulement à lui. Je n’arrive pas à détourner les yeux de la scène depuis qu’ils se sont mis à chanter, et les chansons s’enchaînent, et mon cœur de brise, et ma colère revient. Il est beau, il est grand, il est impressionnant ce concert à la gloire d’un assassin, d’un collaborateur, d’un monstre. Et les lumières deviennent rouge sur scène. Et l’idiot se dessine un éclair de sang sur le visage. Et derrière lui, il entre à Poudlard, la caricature grotesque menace les enfants, les membres du groupe les défendent, et les paroles sont traduites. Je vais vomir. Je m’appuie sur Orion, les yeux écarquillés, mes organes se retournant à l’intérieur de mon ventre au rythme de la musique. Je les hais. Je les hais. Je. Les. Hais. Et puis, ils enfoncent un dernier clou dans le cercueil qu’est devenu ma peau pour moi-même. Avec la collaboration de la chorale de Poudlard. A nos enfants, les vrais défenseurs de notre avenir.

Je n’arrive simplement plus à bouger. Je ne comprends pas. Pourquoi personne ne fait rien ? Pourquoi les a-t-on laisser faire, encore ? Pourquoi sont-ils debout, triomphants, applaudis ? Est-ce que le monde est devenu fou ? Est-ce que je suis devenu fou ? Qu’est-ce qui se passe ? Les sons m’arrivent comme de très loin, déformés par ma colère. Il y a des cris de joie, mais d’indignation aussi. Et ils ont l’air heureux, ces connards sur scène, de nous déchirer. Une détonation, et le ciel change de couleur. La vérité ne sera pas oubliée. Les noms défilent, et les larmes me montent aux yeux. Je connais certains d’entre eux, et d’autre non. Ça n’a aucune importance. Ils sont morts. Ils sont morts parce qu’ils se battaient contre la haine, l’injustice. Et je sais d’expérience que ce sont seulement la partie visible des victimes, qu’il faut prendre en compte les familles déchirées, les aliénés, les vies détruites, les incompréhension des familles moldues mêlées à tout cela pour avoir eu un enfant sorcier. Tout va si vite. Des voix rejoignent celle qui a tout dominé un instant, et je crois reconnaître celle de Carys. La vérité ne sera pas oubliée. J’aimerais lever le poing aussi, j’aimerais crier, joindre ma voix à celles qui commencent à s’élever. Je n’y arrive juste pas. Je reste immobile, idiot, malade, je veux hurler et je n’y arrive pas, je veux frapper et je n’y arrive pas. Je crois que je veux même tuer, maintenant. On nous demande de quitter la place je crois, et petit à petit effectivement plusieurs personnes s’en vont. Plus de Narcissa en vue. Le groupe aussi bientôt disparaît. Et moi je reste, toujours figé dans ma rage et mon désespoir. Je crois qu’Orion me parle, mais je ne comprends pas. La vérité ne sera pas oubliée. Je me fais violence, mais ce n’est qu’un souffle qui s’échappe de mes lèvres, pas un cri, pas même une vraie voix. « La vérité ne sera pas oubliée. » J’en viens à me détester moi-même aussi, je ne voulais plus être juste un spectateur, je ne voulais pas rester cacher, mais je n’y arrive pas. Dans ma poche, je serre le papier que je suis allé récupérer chez mon père, Les Sang-de-Bourbe et les Dangers qu'ils représentent pour une société de Sang-Pur désireux de vivre en paix. Je ne veux pas partir. J’ai le droit d’être là. J’ai le droit d’exister. J’ai le droit d’exister, et leur haine n’y changera rien. J’ai le droit d’exister, et j’ai le devoir de me souvenir. « J'imagine qu'il conviendrait de nous laisser évacuer. Allons un peu plus loin. » Je me tourne vers Orion, sans le suivre. « La vérité ne sera pas oubliée. » Ma voix est blanche, déformée par toutes ces émotions qui me traversent, mais ce n’est toujours pas un cri, et je ne crois pas que quiconque en dehors de mon ami puisse m’entendre. Je ne veux pas partir tant qu’il restera encore une personne sur cette place pour saluer la prestation du groupe.

Quelque chose me frappe, tout d’un coup. Avec la collaboration de la chorale de Poudlard. La chorale. La chorale tenue par cet américain à la tête de Serdaigle, MA maison. Oh, je vais le tuer. Je vais le tuer !