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L'étincelle [Nasiya et Engel]
 :: Salon de Thé & Bar à chats :: SAISON 1 :: RP

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Engel Bauer

Engel Bauer
ADMINISTRATRICE & MJ
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Jeu 26 Mar - 0:57
L'étincelle

ft. @Nasiya Abasinde


fin janvier 2004

Aujourd’hui, je vais bien. Oh ! Ne faites pas cette tête ! Ça m’arrive à moi aussi et une fois n’est pas coutume : c’est avec Nasiya que je vais fêter ça. Le pauvre subit tellement mes humeurs de chien qu’il est quand même bon de temps en temps de lui donner des raisons de m’apprécier – autres que les fortunes que je dépense dans son échoppe.

La période n’est pourtant pas des plus apaisées. Le cirque engendré par notre concert du 18 janvier peine à se calmer. Les pressions s’accumulent de toute part : on attend toujours une réponse du gouvernement, certaines familles de sang pur ont bien grincé des dents devant notre prestation et les soutiens de Potter se font plus incisifs encore qu’à leur habitude chaque fois qu’ils me reconnaissent quelque part. Je patauge dans un océan d’incertitudes depuis des semaines, à attendre que la suite des événements se précise, que la politique de ce pays s’insurge, que les forces se répondent pour modeler le futur de notre combat. Mais rien ne se passe et l’attente a muté en une boule de stress permanente qui me pèse dans l’estomac et me vrille les nerfs. Pourtant, au milieu de toute cette cacophonie, elle a été là…

@Hekate R. Murphy est restée, comme une étincelle dans l’obscurité de mon quotidien, une petite lumière que j’ai attendue sans même m’en rendre vraiment compte, des journées entières. Il est étrange de voir comment l’Irlandaise est parvenue déjà à s’accaparer toute une part de mon quotidien, cette tranche d’imprévu qui a rythmé mes semaines et inspiré mes nuits les plus sombres. Je n’ai plus aussi bien composé depuis des mois et certains morceaux sur lesquelles je butais sans relâche me semblent désormais limpides. Les notes résonnent dans ma tête, fluides comme des évidences, et je noircit des pages entières, griffonne des partitions jusqu’à ne plus tenir debout et tomber de sommeil une heure ou deux. Le reste du temps ne doit son salut qu’au café que j’avale par litres et à la cocaïne que je m’enfile en renfort après mes insomnies les plus dures. Mais au milieu de tout cela, quelque chose a fini par manquer.

Parce que le corps a fini par craquer, que les signaux d’alarmes trop longtemps ignorés ont fini par hurler plus fort, jusqu’à devenir insupportables. Hekate a longtemps échappé à mes crises d’acouphènes. Elle n’a malheureusement pas pu éviter celle d’hier…

Il fallait sans doute qu’elle s’y confronte un jour, qu’elle finisse par déceler certaines failles parmi celles que je lui cache jalousement, parce que je ne veux pas lui infliger cela. Depuis que nous nous sommes rencontrés, le deal est clair : des échanges on ne peut plus simples, un plaisir cueilli dans son état le plus brut, des étreintes imprévues, rendues passionnelles par cette incertitude sur le fait que nous nous reverrons… Elle n’a pas à subir ces parties de moi que je maudis, tous ces démons que je ne laisse voir qu’à ceux qui ne peuvent les éviter. Mais à mesure que nos retrouvailles se sont succédées, les risques que Hekate se montre au pire moment se sont multipliés aussi. Alors elle m’a vu hier, épuisé, absent, rendu incisif par cette patience que les acouphènes ont rongée. Et elle n’a rien dit. Mieux encore : elle m’a écouté.

Je peine encore a bien expliquer ce qu’il s’est passé hier, comment les choses ont pu prendre un tel tournant sans que je n’y prenne gare. J’ai craint depuis le début que Hekate ne s’enfuie à la première once d’intimité, qu’elle s’échappe devant les affres d’une relation plus normée. Mais il n’en a rien été. Sans rien forcer, avec cette même douceur que celle dont elle m’a enveloppé lors de notre première nuit, elle m’a fait me confier, exorciser une partie du mal qui m’empoisonnait. Elle ne l’a pas ignoré. Elle n’a pas fui. Cette nuit qui devait n’être qu’un nouveau calvaire s’est miraculeusement éclaircie, apaisée par une simple présence, comme avec une amie… Est-ce ce qu’elle devient ? Cette seule idée m’effraie et pourtant, je ne peux m’empêcher de sourire en y pensant parfois.

La tête pleine de ces réflexions incessantes, j’ai décidé de m’assurer que Hekate me retrouve dans une meilleure forme que la dernière fois car elle m’a promis qu’elle reviendrait. Mais je ne veux pas qu’elle ait à me subir gavé de coke et de caféine. Non. Ce qu’il me faut c’est une nuit de sommeil, une vraie nuit de sommeil, un sommeil de plomb pendant huit heures, dix heures, peut-être douze. Et je sais où trouver un tel miracle.

Il pleut des cordes à Londres aujourd’hui, ce qui n’arrive pas à entamer mon humeur. Les souvenirs de la veille adoucissent la dureté de mon caractère et tout l’espoir que je viens mettre dans les mains d’Abasinde me laisse étonnamment optimiste. Le col de mon manteau levé jusqu’en haut du cou, j’avance au pas de course dans le Chemin de Traverse. L’avantage d’un temps pareil c’est que personne n’est près de me reconnaître, et encore moins de venir me chercher des noises en pleine rue.

Bondissant au-dessus d’une flaque, j’atterris face à la devanture du Marchand’Sable et en repousse la porte du plat de la main pour m’engouffrer à l’intérieur et me mettre enfin à l’abri. Craignant de faire entrer la pluie, je referme le battant derrière moi avant d’appeler d’une voix joyeuse :
- Abasinde ! T’es là ?

Je saute deux fois sur place pour débarrasser mon manteau de toute l’eau qui n’a pas encore imprégné le tissu et passe une main dans mes cheveux trempés qui dégoulinent dans ma nuque, m’arrachant un frisson. Je fais quelques pas à l’intérieur pour m’éloigner du froid dehors et réalise que je suis en train de dégoutter toute l’averse sur le plancher. J’étouffe un juron en allemand en essayant de limiter les dégâts mais c’est peine perdue. J’ai l’impression d’avoir plongé tout habillé dans la Tamise. Le Sud-Africain va sans doute beugler tout ce qu’il sait en me voyant débarquer dans cet état. Ça lui donnera sans doute une bonne raison de m’engueuler. Mais nous savons lui et moi qu’il m’a déjà vu bien pire.
HRP : ce RP se déroule au lendemain de celui-ci ! Nous sommes donc fin janvier, pile entre le concert et l'allocution de Harry Potter annonçant l'arrestation de Reißen.




roller coaster

(1030 mots)

Nasiya Abasinde

Nasiya Abasinde
Et j'ai crié, crié !
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Jeu 26 Mar - 13:31

L'Étincelle

Serait-ce un allemand heureux, qui pénètre dans le territoire ?


Un soupir de satisfaction m’échappe. Le moelleux de mon matelas rebondit avec douceur contre mes omoplates, la chaleur du corps de Josiah (@”A. Josiah N’Da”) vient réchauffer l’espace, autrement mal alimenté par mon chauffage vieillissant, et nos draps en lin reposent avec majesté sur nos jambes nues. Nous étions rentrés, épuisés mais épanouis, du fin fond du Mexique, la veille au soir. À peine nos portoloins nous avaient fait atterrir à Londres, que nos jambes s’étaient automatiquement activées à trouver le confort d’une maison, d’un toit sec, d’un matelas gonflé, d’un lit où s’étaler. Si Josiah avait pris quelques minutes supplémentaires, pour apporter les soins nécessaires à sa jambe, je m’étais rapidement faufilé sous les draps, une barre de fatigue monumentale me tailladant le crâne. Lorsqu’il m’avait rejoint - je ne saurais dire quand, finalement - je dormais déjà.

Je dormais, comme je n’avais plus dormi depuis des semaines. Un sommeil assisté de rien, un sommeil qui vous fait tomber le corps dans le fond du matelas, vous rend lourd, vous emporte loin. Pour une fois, le Marchand de Sable avait soufflé ses rêves au dessus de moi, et Morphée l’avait entendu : elle m’avait prise dans son étreinte, m’avait serrée contre elle, et mon corps semble encore se souvenir de cette étreinte, si rare, si précieuse, lorsque je m’éveille, enfin, dix heures plus tard.

Mon soupir se transforme en petite risette lorsque je tourne la tête vers Josiah qui, déjà éveillé, me couve du regard. Des rayons du soleil timides jouent avec le visage de mon amant, qui plisse un peu les yeux pour ne pas se les prendre de plein fouet. Je me penche, dépose un baiser - chaste, pour une fois - sur ses grosses lèvres, et passe une main sur son crâne. Déjà, la réalité nous rattrape. Ce soleil est preuve que le jour est avancé, et qu’il nous faut, rapidement, renouer avec nos métiers. Josiah se volatilise en quelques instants, attrapant affaires ci et là, récupérant son carnet de rendez-vous, dûment rempli par Noah, et filant vers son propre terrain de jeux. Enfilant une chemise de coton bariolée de couleurs vives, et un pantalon de lin blanc, j’observe avec délice ma peau bronzée, ma peau ayant repris tous ses pigments, contrastant encore plus joliment avec mes habits. Que j’aimais, grand Dieu, me sentir ainsi.

Dévalant les marches deux à deux, j’atterris dans l’arrière-salle, où Noah trie patiemment les derniers courriers arrivés. Il relève la tête vers moi, et les quelques rides qui commencent à pointer le bout de leur nez au coin de ses yeux s’étirent lorsque ses lèvres se relèvent en un sourire.

- Bon retour, mon garçon.

Mon sourire répond au sien, et je m’avance pour le prendre dans mes bras. Je fais peut-être une tête-et-demie de plus que lui, et son corps fin entre le mien, musclé, me fait toujours autant rire – c’est rare que nous nous autorisions des étreintes pareilles, mais aujourd’hui, le monde va bien, j’ai pioncé comme un loir, et il m’avait manqué. Je regrette pourtant cet élan d’amour lorsque, quelques minutes plus tard, il me plante mille et unes commandes sous le nez. De Lords affolés à d’illustres inconnus, tous semblaient avec la panique au cul de ne plus pouvoir rêver décemment, après les fabuleux événements d’il y a deux semaines. Je renifle, moqueur, et hausse les sourcils. Ces foutues guerres de clan, comme toujours, feront le bonheur de ma bourse.

- Nasiya ! Nas…. Eh, oh, Abasinde ! gronde Noah, agacé.

Je relève la tête en sursaut, une trace d’encre sur la joue gauche, les yeux rougis d’avoir passé trop de temps au dessus de mes chaudrons. Je hausse un sourcil, demandant ce qui me vaut d’être interrompu comme ça.

- Le Bauer, pour toi. Il a l’air en forme, pour une fois.

Mon sourcil retombe, rejoignant l’autre pour se froncer sur mon front. Comment ça, il a l’air en forme ? Depuis quand un Bauer en forme vient me rendre visite, ici ? Un Bauer en forme, ça se rejoint après un concert, au bar du coin, ou à l’autre bout de la ville, mais pas chez moi. Comme quoi, ce bougre parvient toujours à me surprendre. Je repose la louche que j’ai entre les mains, retire mes gants et, avec un bâillement - d’avoir trop dormi, sûrement -, remercie Noah de m’avoir prévenu.

Ma main se glisse entre les voiles ocres qui séparent les deux salles; je retrouve les étagères en vrille de ma boutique, son comptoir tout clean - merci, Noah - et, comme prévenu, l’allemand, à l’entrée de la boutique.

- Alors l’allemand, on reste coincé à l’entrée ? Pourquoi tu t’avances pa-- Bordel de Dieu, qu’est-ce que c’est que ce déluge ?

La dernière fois que j’ai levé les yeux vers le ciel, le soleil caressait la peau de mon amant. Bauer arrive et, forcément, il m’inonde l’entrée. Foutu garçon.

- Ils vous apprennent pas à vous sécher, dans vos écoles de blancs ?

Je grommelle en m’approchant, et secoue les doigts, qui claquent entre eux, pour sécher d’un coup les vêtements du nouvel arrivé. Un vent chaud l’entoure aussitôt, réduisant au sec toute trace humide du déluge qui prend les rues de Londres. Ma mine est toujours grincheuse, cela dit, en voyant le sol, et je dirige mes doigts vers l’entrée en mitraillant du regard le chanteur.

- C’est une façon de fêter des retrouvailles, dis-moi ? Une tradition allemande, d’inonder les gens ? Grand Dieu, regarde-moi cette mare, je gronde, encore et encore, marmonnant dans ma barbe en épongeant ses bêtises.

Puis, enfin, je relève les yeux vers lui, mon agacement fondant comme neige au soleil. J’avais plongé dans un élan de superficialité, et ça me faisait caqueter de moi-même. Je claque des doigts, pour que le sortilège de chaleur s’arrête, et m’approche plutôt de l’allemand pour lui donner une claque de bienvenue dans le dos.

- Alors Bauer, on se balade tranquillement dans les rues, même après ce petit spectacle que tu nous as fait ? J’ai pas eu le bonheur de voir ton show, mais ça m’est vite fait remonter aux oreilles, que je lui lance, un sourire goguenard aux lèvres.

Josiah était rentré dans un état de colère comme je n’en avais plus vu depuis longtemps, pestant contre les autorités, contre ce foutu allemand, contre cette société de merde; et nous avions décollé le lendemain, ou presque. Pour le coup, si je ne m’implique jamais dans les histoires des pays, Dieu sait que je n’en finirai jamais, je devais au moins remercier Bauer pour ces vacances accélérées. Nos pas nous mènent jusqu’au fond de la boutique et, par habitude, je relève les voiles ocres :

- Il y a une cour à l’arrière, tu partageras bien une roulée ?


@Engel Bauer 1104 mots
Awful

Engel Bauer

Engel Bauer
ADMINISTRATRICE & MJ
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Sam 4 Avr - 19:41
L'étincelle

ft. @Nasiya Abasinde


fin janvier 2004

Toujours trempé, je jette un œil aux quatre coins de la pièce pour y trouver âme qui vive. La porte était ouverte. Il doit bien y avoir quelqu’un ici ! J’appelle une deuxième fois sans oser faire un pas de plus à l’intérieur de peur de tremper tout le rez-de-chaussée. Alors je me pèle le cul en silence, comme un gentil rockeur, jusqu’à ce qu’un homme passe la tête par le drap ocre qui mène à l’arrière-boutique.

Il n’est pas particulièrement grand, a la peau foncée, un regard marqué mais avenant. La quarantaine tout juste passée. Nous nous sommes déjà croisés plusieurs fois bien que nous ne nous soyons jamais donné l’occasion de discuter réellement. Il n’y a qu’avec Nasiya que je me permets de me confier. Je salue l’homme poliment et il me rend mon signe de tête avant de retourner de l’autre côté du rideau quand je lui demande si Abasinde est là.

Soudain, il apparaît : mon messie sud-africain, mon Morphée fait homme, mi-dealer, mi-sauveur, avec la peau toute bronzée d’être allé cuir sous le soleil mexicain ! Regardez comme il est beau, tout fringuant, fatigué d’avoir trop dormi ! Je l’accueille avec un large sourire alors qu’il commence déjà à m’enguirlander pour avoir trempé son entrée. Sa pique me tire un rire mesquin.
- Et on n’achète jamais de paillasson dans vos baraques de noirs ? T’as pas encore assez de ronds avec ce que tu m’extorques tous les mois ?
Il grommelle, puis fait claquer ses doigts et en un rien de temps, toute l’humidité de mes fringues et de mes cheveux d’évapore dans un courant d’air chaud. Je frissonne de plaisir, passe une main dans ma tignasse pour l’ébouriffer et secoue mes épaules pour réajuster mon manteau avant que ne cesse le sortilège. Enfin sec, j’offre un nouveau sourire au marchant de rêves alors qu’il continue de pester.
- Arrête donc de râler, je suis de bonne humeur ! T’es pas content de me voir ? dis-je en m’approchant et j’ouvre les bras pour lui donner la même claque amicale que celle qui m’atterrit dans le dos. Ca fait plaisir de te savoir de nouveau dans le coin. T’as bien profité de tes vacances ?

Le visage amical d’Abasinde me réchauffe le cœur et je me sens accueilli comme un vieux pote qui lui aurait presque manqué. Bien sûr, nos retrouvailles ne peuvent se faire sans une petite allusion au concert du 18 janvier et je réponds avec une taquinerie manifeste :
- Quand je pense que t’as raté le concert de l’année ! Comment peux-tu encore me regarder tout fier alors que tu devrais être couvert de honte ? Ne compte pas sur moi pour te faire une session de rattrapage ! Un truc pareil, on ne s’y risque une fois, puis on attend tranquillement que tout le monde se détende. Pourquoi tu crois que j’attends le déluge pour venir te voir ?
J’exagère à peine, mais un rire se faufile entre mes lèvres alors que Nasiya me guide jusqu’à l’arrière-boutique où nous avons déjà passé des heures tous les deux à tester de nouvelles potions pour en tirer les propriétés idéales. Il me propose toutefois de partager une cigarette aujourd’hui, un petit privilège qui me touche et me fait répondre avec enthousiasme :
- Je t’offre même une vraie clope si tu veux. Ca te changera !

Je lui emboîte le pas et traverse toute la pièce jusqu’à atteindre une petite porte qui donne sur l’extérieur. Nasiya sort le premier. Sur ses talons, je pénètre alors dans une petite cour extérieure qui a le charme d’un jardin secret au cœur du Marchand’Sable. Je lève les yeux pour observer les murs qui nous entourent, battus par la pluie qui continue de tomber sur les pavés. Nous restons à l’abri sous l’auvent. L’endroit dégage une quiétude surprenante, comme un refuge qu’on n’attend pas vraiment dans un lieu destiné à recevoir toutes les détresses du monde. Mais, à bien y réfléchir, je saisis combien il droit être précieux pour Nasiya. Après tout, le marchand de sable doit lui aussi avoir besoin de ses moments de calme, loin de la souffrance du monde.

Fouillant dans mes poches, je sors mon zippo et deux cigarettes dont l’une finit entre mes lèvres. Je donne l’autre à Abasinde, allume ma clope et lui tends le briquet pour qu’il tire sa première taffe. Savourant la caresse de la nicotine, je garde le silence un instant, écoute l’averse qui inonde la capitale. J’ai toujours adoré le bruit de la pluie. Il me distrait de mes acouphènes, couvre le sifflement incessant dans mes oreilles et me rappelle ces forces de la nature que toutes les magies du monde ne pourront jamais contrer. Il ne manque qu’un ou deux éclairs pour que l’instant soit parfait.

Après une deuxième taffe, je me retourne vers le marchand de rêves. Mon visage est toujours avenant alors que je me décide à lui décrire mes déboires des semaines passées.
- J’ai pas passé de super journées depuis le concert, tu sais ? J’ai du mal à pioncer depuis des années, mais on peut dire que ça a bien empiré. Y a pas mal de stress qui joue. Puis j’ai pas vraiment de rythme dans mes journées. Je grapille quelques heures de sommeil par ci par là quand mes acouphènes veulent bien me lâcher. Mais c’est rarement plus de deux ou trois heures de suite. En temps normal, j’en n’aurais pas grand-chose à foutre. Y a personne pour subir les conséquences de mon humeur de merde. Mais je sais que ça finit par impacter les rares personnes qui me rendent visite et faut que je fasse quelque chose.
Je plonge mon regard dans celui du Sud-africain, le laisse observer les signes de cette fatigue évidente ui marquent mon visage. Mais mon sourire demeure, aussi discret que rassurant.
- J’aurais besoin d’un coup de fouet, d’une vraie bonne nuit de sommeil, d’un black-out, sans rêve, sans rien. Juste dix bonnes heures de sommeil d’affilée pour rattraper ces nuits de merde que j’enchaîne. C’est…
Je me coupe soudain, comme si une partie de moi m’interdisait de finir cette phrase. Puis je finis par sourire, comme un gamin qui s’apprête à révéler un secret.
- C’est pour quelqu’un.



roller coaster

(1047 mots)

Nasiya Abasinde

Nasiya Abasinde
Et j'ai crié, crié !
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Lun 6 Avr - 23:12

L'Étincelle

Serait-ce un allemand heureux, qui pénètre dans le territoire ?


Mes doigts s’agitent encore, faisant se soulever brume chaude pour assécher la peau trempée de l’allemand, ma langue se déliant pour l’incendier du déluge qu’il amenait dans ma demeure, et déjà son rire résonne, sa répartie claquant. Je lève les yeux au ciel, trop plongé dans mon agacement superficiel pour accepter de rire à son bon retour. Mes joues se gonflent, et je termine de le sécher, grommelant à voix basse que son fric tenait pas toute la boutique, merci bien. Je grommelle, encore un peu - Josiah déteint sur moi, ce n’est pas possible. En face, l’autre est bien trop bienheureux, son sourire révèle ses dents, coupant court toutes mes nouvelles récriminations. Je me laisse aller, une fois enfin tout sec, et mes mains viennent claquer dans son dos. Il me renvoie la pareille, assumant à pleine voix sa bonne humeur. Sa bonne humeur, par tous les dieux !

- Un délice, mes vacances, je te raconterai ça. Le soleil mexicain, mon bon gars, ça te fait de suite regretter de passer ton quotidien dans cette misère londonien. Allez, entre donc, que j’enchaîne, avant de lui lancer, sourire aux lèvres, une douce taquinerie sur son concert qui avait fait la une des journaux.

Ses yeux pétillent lorsqu’il me répond, enchaînant taquineries sur taquineries, et je suis à deux doigts de prier la Sainte Vierge. Des années que je n’ai pas été à l’Église, que je n’ai pas réfléchi plus que cela au bon Dieu, mais cet allemand allait me faire renouer avec la foi comme même ma mère n’avait pas su le faire. J’éclate de rire, imaginant sans peine les manières dont Engel devait se faufiler d’un endroit à l’autre, aux tombées de pluie les plus odieuses, pour espérer vivre un tant soi peu normalement après ce désastre.

- Tu me déçois, moi qui m’attendais à un show privé dans ma boutique. Mon rire s’éteint, mes lèvres toujours relevées en un sourire en coin. Un jour, tu m’expliqueras ce qui t’as piqué le cul pour que tu nous fasses une scène pareille, Bauer.

En attendant, je le guide vers l’arrière, lui proposant d’aller se faufiler à l’arrière. Je n’ai aucunement l’envie de me replonger dans mes potions à l’instant, et compte tirer autant que possible sur cette pause légère que m’offre le rockeur. Pour qu’il se pointe en journée, sa venue n’est pas des plus désintéressées, et j’imagine que mon chaudron va se remettre à fumer d’ici quelques instants, alors autant prendre ma pause maintenant. Il ne semble pas pressé, et propose même de m’offrir une clope. Je lâche un sifflement, avant qu’un petit rire ne m’échappe :

- Bon sang, je n’en ai pas fumé depuis… une soirée avec ma belle, probablement, il n’y a qu’elle pour me faire fumer une vraie clope, j’ajoute à voix plus basse, mes pensées me guidant vers cette femme au teint pâle, aux lèvres charnues, qui malgré ses airs innocents me détournait aussi bien que je pouvais le faire du droit chemin. Tu la connais pas, faudra que je vous présente, un de ces jours, c’est une femme en or. Tu la regarderas de loin, par contre, celle-là, je gronde en relevant les lèvres, sur un clin d’oeil rieur.

On a traversé l’atelier, on s’est réfugiés sous l’auvent de ma cour, où les gouttes de pluies tombent avec fracas sur la vitre qui nous protège. Noah se plaint qu’il faudrait l’insonoriser, mais ça me plait bien, ce bruit incessant, ce rythme sans fin. Si on tend l’oreille, on y discerne presque une rythmique, une mélodie, et mon corps pourrait s’y fondre, s’y mouvoir, avec un frisson de plaisir. Un miaulement me tire de mon moment d’écoute, et un sourire niais se fond sur mes lèvres en observant le petit chat roux qui est venu, une fois encore, se faufiler entre mes jambes. Il traîne dans la cour, depuis quelques semaines, et des croquettes sont peu à peu venues s’offrir à lui, sur un bout de terrasse. Noah gronde qu’il ne faut pas le nourrir, qu’il ne nous lâchera pas – mais le bougre s’appelle déjà Ilanga, dans ma tête, c’est bien trop tard pour ne pas penser le nourrir.

J’attrape la cigarette que me tend Engel, inspirant profondément en déclenchant le zippo. Mes doigts font glisser l’appareil vers lui, et j’expire avec délice. Si je me tourne avec plus de facilité vers la mandragore, prenant plaisir à rouler l’herbe et la feuille, c’est tout de même toujours bon de replonger dans les bras de la nicotine facile, qui s’enrobe autour de ton cerveau. Le moment est paisible, tranquille, et je ne dis rien pour rompre cela, profitant simplement. J’ai la clope coincée entre les lèvres, penché pour attraper Ilanga et le câliner distraitement, quand Engel se retourne vers moi. Il me décrit sa vie difficile, des dernières journées, et j’ai la décence de lui offrir une grimace compatissante, rattrapant la cigarette de ma main libre, pour expirer une longue virevolte de fumées.

- T’as une sale gueule, c’est sûr, pour quelqu’un d’aussi enjoué, je me contente de déclarer, après un regard rapide aux cernes et traits fatigués qui ornent son visage.

Si j’ai la facilité de déchiffrer les gens, de sentir dans la tension de leurs corps, dans le pli de leur front, les tracas qu’ils essaient de me cacher, j’ai aussi l’habitude de cesser de détailler ainsi les gens qui m’entourent le plus souvent, ou qui me font confiance, pour ne pas tomber dans des retors dangereux. S’ils ne m’invitent pas à les observer, comme le fait Engel à l’instant, je me laisse aller à l’ignorance. Seulement, là, il m’est compliqué de ne pas remarquer tous les signaux de détresse et de fatigue qui pèsent tout entiers sur lui. La demande qui suit est d’une évidence toute simple, et je me contente d’hocher la tête, sans en dire plus. Rien de surprenant, a priori, à ce qu’il me demande une bonne nuit de sommeil.

On avait déterminé un usage de fioles pour des nuits plus courtes mais plus requinquantes, pour que ça marche sur la durée. Une fois de temps en temps, seulement, rien d’étonnant à ce qu’on veuille pioncer des heures. La phrase qui suit, pourtant, avec son petit sourire de môme, elle m’en fait presque éclater de rire tellement ça me paraît incongru. C’est pour quelqu’un. Non mais ! Sa tête, pourtant, et ce sourire bien trop heureux, ne me font pas croire au gag. Encore une fois, c’est un long sifflement qui m’échappe :

- C’est pour quelqu’un, hein. Aussitôt répété, mes lèvres se tordent, et mon rire m’échappe sans que je ne puisse le rattraper. C’est un gros rire, un esclaffement qui me secoue entier, qui fait bondir Ilanga hors de ma main. Bon sang, si je m’attendais à cette raison !

J’ai les yeux qui pétillent, comme si j’étais redevenu l’adolescent dans les dortoirs de Uagadou, qui murmurait mes premiers secrets amoureux à mes compagnons de chambre. Mes secrets, eux, concernaient probablement Josiah, et ses mains douces qui caressaient mes joues. Ceux d’Engel, j’imagine peu des mains d’hommes basanées s’y mêler.

- Dis m’en plus, tu ne peux pas juste me lâcher ça. C’est du sérieux, ce “quelqu’un” ? J’ajoute, mes lèvres frémissants toujours. Puis, yeux plissés, un peu plus sérieux : Et surtout, c’est qui, qu’elle côtoie ? Bauer qui me fait face, ou Bauer qui embrase les stades ?


@Engel Bauer 1220 mots
Awful

Engel Bauer

Engel Bauer
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Mer 22 Avr - 13:04
L'étincelle

ft. @Nasiya Abasinde


fin janvier 2004

J’inspire une grande bouffée de tabac, le regard-mi-clos, respirant à pleins poumons cette pause loin de mon quotidien agité. La musique enchanteresse de la pluie qui tombe sur la cour me fait oublier les battements trop secs de mon cœur et toutes ces questions qui se répètent dans ma tête, ne faisant que résonner plus fort le silence implacable qui leur répond. Ici, avec Nasiya, mes craintes s’évanouissent au moins quelques instants. Il y a longtemps que je n’ai plus peur de ses jugements. Le Sud-Africain connaît bien plus de ma vie que certaines connaissances qui me fréquentent depuis des années et pourtant il me laisse encore profiter de ces moments privilégiés avec lui, de ceux qu’on ne laisse qu’aux personnes qu’on apprécie. Alors il m’arrive de me débarrasser de mes masques en sa présence, d’abandonner mes mensonges sur le pas de sa porte pour ne plus lui offrir que les vérités qui se gravent sur les traits du visage, celles qu’il a appris à lire pour deviner les désirs enfouis derrière le mutisme de certains clients. Sans doute sait-il d’ailleurs plus de moi que ce que j’ai bien voulu lui dire…

Abasinde a toujours été une bonne oreille, un confident intéressé, certes, mais qui n’a toutefois jamais fait semblant de m’entendre. Tout ce que je lui ai dit reste immanquablement enregistré quelque part dans sa mémoire de sorte que je n’ai jamais eu besoin de me répéter, ce qui est toujours plus confortable pour les aveux les plus sombres. Mais si le marchand de rêves parle peu, préférant les épanchements des autres à sa propre introspection, il ne se départ jamais de sa franchise percutante, du goût de celle qu’il me balance encore quand il souligne cette fatigue criante qu’on peut lire sur mon visage. Un sourire complice étire le coin de mes lèvres alors que je tire encore sur ma cigarette.

Sans grande surprise, je lui demande alors de bien vouloir me faire profiter encore de ses talents. Une simple bonne nuit de sommeil, rien de plus. Nasiya acquiesce en silence, ce qui suffit déjà à me soulager. Mais je ne résiste pas cette fois à l’idée de lui dire un peu plus que ce qu’il a seulement besoin de savoir.

C’est pour quelqu’un.

Je souris moi-même à ma propre façon de me confier. Bien entendu, Abasinde ne peut s’empêcher de rebondir et son rire dévoile toutes ses dents alors que je détourne les yeux, l’accompagnant dans sa liesse malgré cette timidité qui me fait me cacher derrière ma cigarette. Ah ! Il est clair que m’entendre parler d’une relation autre que purement physique doit l’étonner au moins autant que de me voir rayonnant sur le pas de sa porte. Je le laisse à son amusement jusqu’à ce qu’il me pose les questions inévitables face à un tel aveu. Elles demeurent pourtant immensément respectueuses de cette intimité qu’il m’a toujours laissée intacte, ne demandant que ce dont il a besoin pour préparer mes potions et jamais plus que ce que je veux bien lui dire. Ainsi, il ne me demande pas le nom de ce « quelqu’un ». Juste ce que je ressens, moi, ce que je pense de tout cela.

Je recrache la fumée de cigarette et observe un instant les volutes qu’elle forme en heurtant l’auvent, gagnant quelques secondes pour réfléchir à sa question.
- Je ne sais pas, finis-je par murmurer. Disons qu’on apprécie apparemment assez le temps qu’on passe ensemble pour avoir envie de se revoir. C’est déjà un truc qui m’était pas arrivé depuis un moment…
Je croise de nouveau le regard du potionniste et sent le rouge me monter aux joues comme un gamin. Je souris encore en tirant une nouvelle taffe et baisse de nouveau les yeux, balançant la tête de droit à gauche tant j’ai l’impression d’avoir l’air con. Mais je ne crains pas le jugement de Nasiya. C’est une crapule, mais c’est quelqu’un de bien.

Soudain, sa deuxième question me percute, me bouscule par sa justesse aussi violemment que les sensations qui ont empoigné mon cœur quand Hekate m’a regardé dans la pénombre de ma chambre, que ses mains sur mes joues m’ont empêché de la fuir, forcé à me donner sans la moindre oppression. Je me souviens de son baiser et de la manière dont elle a soufflé mon prénom. Depuis cette nuit-là, je sais…
- Elle connaît le même que toi. C’est bien ce qui change tout.

Mon expression se fait plus grave. Je me perds dans mes pensées et ces réflexions sans fin qui se répètent depuis cette première nuit avec l’Irlandaise. La singularité de ce qu’elle me fait ressentir m’effraie depuis des semaines mais je n’ai jamais été de ceux qui résistent longtemps aux addictions et je sais que celle là s’est déjà imprégnée bien trop profondément dans mes chairs pour que je puisse espérer la combattre en ce moment.

Après quelques secondes, je recrache la fumée de ma cigarette en un soupir et poursuis :
- C’est pour ça que j’aimerais pas être trop claqué la prochaine fois qu’elle viendra. Je suis pas… super agréable quand je suis épuisé comme ça. Et c’est pas quelqu’un avec qui j’ai envie d’être désagréable. Tu comprends ?

J’offre un demi-sourire à Nasiya en revenant croiser son regard, puis tire une dernière fois sur la clope avant d’écraser le mégot dans un cendrier que je trouve dans un coin. Quelques secondes passent avant que je ne parvienne à chasser de mes pensées tous les questionnements qui m’obsèdent, mais je finis par me raccrocher à une remarque que le Sud-Africain a faite tout à l’heure. L’air curieux, je glisse mes deux mains dans les poches de mon manteau en m’adossant au mur derrière moi et je gronde alors, complice :
- En parlant de filles, depuis quand tu as des « belles », toi ?
Aucune nuance déplacée ne vient noircir mon regard. Nasiya et moi nous connaissons depuis assez longtemps maintenant pour que ce genre de secrets soit éventé depuis longtemps. Je crois d’ailleurs que peu de monde sur le Chemin de Traverse ignore encore la relation qui unit le marchand de sable au tatoueur qui a installé son salon un peu plus loin dans la rue.
- Et de quel droit tu m’empêches de les regarder de près, d’ailleurs ? C’est pas comme s’il pouvait y avoir une rivalité de ce genre entre nous, si ?
J’ai un petit rire en le regardant. Puis je continue, un peu plus sérieux.
- Si tu veux me la présenter en plus, c’est qu’elle doit avoir un peu de caractère, pas vrai ?
Ah, ça ! Je n'ai pas idée...




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(1110 mots)

Nasiya Abasinde

Nasiya Abasinde
Et j'ai crié, crié !
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Mer 29 Avr - 15:09

L'Étincelle

Serait-ce un allemand heureux, qui pénètre dans le territoire ?


Mon rire cogne encore contre les murs de la cour quand il se réfugie derrière une taffe de cigarette, son geste puant la gêne. Ilanga retombé à mes pieds, je viens croiser les bras d'un air toujours aussi amusé. Il n'y a peut-être pas si longtemps que cet allemand a croisé mon chemin, j'ai tout de même eu suffisamment le loisir d'apprendre à le connaître, à m'engouffrer dans ses rêves et ses besoins, pour savoir qu'il n'y avait pas quelqu'un. Pas juste quelqu'un. Je me mords les lèvres, pourtant, pour ne pas trop en demander. C'est une autre des choses qui fait que nous ayons, je le crois, tant de respect l'un pour l'autre, cette façon de savoir jusqu'où creuser. Jamais Engel ne m'a posé de questions déplacées, que ce soit sur ma magie, mes origines, mes amours, son intérêt toujours présent, amical, mais jamais plein d'outrecuidance. Je ne peux que lui rendre la pareille, faisant taire les éclats de rire dans mon coeur et l'envie mordante d'en savoir plus. Les questions qui m'échappent toutefois, révélant simplement l'intérêt que je lui porte, ne semblent pas l'agacer. Ses traits sont toujours relâchés, ses yeux suivant les volutes de fumée, et j'attends en silence qu'il me confie ce qu'il aura bien envie de me confier. Mes lèvres déjà renouent avec le filtre, tirant sur la cigarette entre mes doigts. J'expire profondément, alors qu'il m'avoue que c'est quelqu'un qu'il a envie de revoir, déjà. Non, excusez-moi : ils ont tous deux envie de se revoir. C'est un jeu mutuel. Mon sourire ne peut que trahir l'amusement qui me prend, et mes dents se révèlent entièrement quand son regard croise le mien, une rougeur adolescente parcourant ses joues. Je mesure mon amusement, pourtant, m'adossant plus confortablement au mur.

Tout ce qui m'interroge, face à cette révélation qui ferait se cancaner les bancs de journalistes rapaces, est cette notion de temps partagé, d'être si à l'aise. Qui a bien pu se faufiler ainsi dans l'intimité d'Engel, pour qu'il en redemande ? Sourcils froncés, je gronde d'une voix un peu plus sérieuse cette fois les premières craintes qui me sont tombées dessus. Ce bougre mérite quelqu'un qui le voit dans son entièreté, qui ne s'attache pas au strass et à la belle vie de rockeur assuré qu'il peut sembler mener. Ça ne le rendra pas heureux, de maintenir cette façade dans l'intimité. Ca ne rend jamais personne heureux.

Elle connaît la même personne que lui.

Soufflé, je garde le silence quelques instants. Il a le visage grave, comme s'il prenait lui-même tout juste conscience de cette déclaration. Je déglutis, laissant ma main retomber sur le côté, mes yeux voguant dans le vide. Il est rare, de trouver quelqu'un qui accepte nos failles. Si cette femme connaît celui que je connais, elle sait beaucoup, à défaut de tout, de ce qui le fragilise ainsi, de ce qui le laisse parfois bête de douleur. Je ne sais ce qui l'a poussé à se confier ainsi, dans quel état elle a dû le trouver pour que ce cap soit passé, mais un poid me serre le ventre. Je ne sais pas si Engel réalise ce que cela signifie, pour lui. Je ne peux qu'espérer que cette femme saura supporter cela, saura être le contrepoids nécessaire. Qu'il n'ira pas s'abîmer dans un désespoir de plus.

Je ne peux que hocher la tête devant la suite de ses paroles. Évidemment, que je comprends. Combien de fois ai-je regretté les drogues qui m'affolaient le corps, la colère qui déchaînait mes gestes, et ne trouvait que repos sur le corps de Josiah, que dans les mots que je lui lançais ? Il n'a jamais mérité ces moments, ces douleurs qu'on s'infligeait, et pourtant il était là, toujours là, même si de temps à autre des plus grognon. D'un geste, j'écrase mon mégot au sol, repoussant doucement Ilanga du pied qui vient tourner autour, curieux. Cœur gonflé, je me tourne vers Engel, croisant son regard et son sourire. Je hoche la tête, une fois encore, pour m'assurer qu'il ait vu mon geste, et souffle :

- Ne t'en fais pas, mon vieux, je suis là pour ça.

L'instant semble flotter, perdus chacun dans un silence contemplatif, sourires doux aux lèvres d'hommes qui se comprennent. Je tends ma nuque, passant une main lasse sur mes muscles, réfléchissant déjà à ce que j'allais pouvoir lui proposer. S'il veut être en forme pour sa belle, être d'humeur acceptable, une nuit pleine de sommeil ne suffira pas. Il faudra une nuit assourdissante, une nuit qui le tire hors de la bulle de bruit qui le hante chaque heure. Un sourire se glisse sur mes lèvres, et je vais lui proposer d'aller fouiller dans mon carnet à effets, pour ajouter un tant soit peu de joie personnalisée à ce que je lui réserve, quand sa question me tire de mes réflexions. Mes yeux glissent sur son visage, lisant l'humour dénué de jugement qui s'y trace. Je secoue la tête, rieur de ce qu'Engel croit avoir compris.

Oh, évidemment, la belle dont je fais mention n'est pas des femmes que j'ai croqué. Pas totalement. De là, seulement, à ce que j'en ai dévoré aucune… comme il se leurre, son doux ami. Difficile de m'imaginer autrement, toutefois, quand je ne fais que tourner autour de Josiah ces derniers temps. Mon feu s'est assagi, mes doigts ne trouvent plus que de repos contre la peau de mon aimé et Engel, finalement, ne m'a vraiment vu que comme cela. Un sourire répond à son rire, toutefois, quand j'avoue :

- Il n'a pas toujours été le seul et l'unique, et ses rivaux n'ont pas toujours été des beaux. Il n'y en a qu'une qui m'a gardé suffisamment intéressé pour que j'y passe davantage que quelques nuits, je t'avoue, mais je ne me refusais aucune sorte de plaisir, j'ajoute sur un clin d'oeil, me tournant pour l'observer plus franchement.

J'apprécie la facilité avec laquelle il me parle de Josiah, parce qu'il ne peut parler que de lui, évidemment. Aucun jugement, aucun dégoût, aucune interrogation. Ils ne sont pas la norme dans le monde, pourtant, qu'il soit magique ou non, et la simplicité dans ses mots m'allège plus encore l'esprit, en cet après-midi de confidences. Je ne rebondis pas sur cela, seulement, savourant dans l'intimité de mes pensées les égards que je lui porte.

C'est un rire franc qui m'échappe alors - comment m'en empêcher ? Un peu de caractère, par tous les dieux. J'imagine déjà l'air pincé, les lèvres railleuses de ma douce reine devant ces termes. Un peu. Elle a un caractère de feu, une langue qui claque, une répartie qui renverse. La femme de ma vie, bien plus qu'une simple donzelle à présenter à Engel.

- Tu ne réalises pas ce qui t'attend, je t'assure. C'est une femme exceptionnelle - et mon amie depuis bien trop longtemps pour qu'il y ait une quelconque rivalité, ce n'est pas faux. Mais cela veut aussi dire que je la couve, ma belle, et qu'elle ne sera pas une de tes conquêtes, je gronde en levant le doigt, rieur. Enfin, Kate ne s'y laissera pas prendre… peut-être n'aurais-je pas dû te prévenir, ça aurait été bien plus drôle de te voir déconfit.

Je fais craquer mes doigts, soufflant dans un reste de rire :

- Elle me délaisse, de toutes façons, ces derniers temps, alors si je l'attrape, je la partage encore moins. Viens, plutôt, dis-moi si tu as des envies particulières pour cette fois, j'ajoute en l'invitant d'un geste à regagner le confort de l'intérieur. Je te le rappelle, pas de réel. Ne viens pas me glisser ta belle dans l'équation.

@Engel Bauer 1280 mots
Awful

Engel Bauer

Engel Bauer
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Ven 29 Mai - 12:35
L'étincelle

ft. @Nasiya Abasinde


fin janvier 2004

Il me faut un moment pour réaliser que je me confie sur cette relation pour la première fois avec autant de franchise. Même les gars ne savent finalement rien de ce qui m’arrive réellement. Je leur ai dit qu’une fille venait de temps en temps, qu’on passait du bon temps, sans rien ajouter d’extraordinaire. Savoir que je revois plusieurs fois la même femme a suffi pour les intriguer, mais ils n’ont pas cherché à en savoir davantage, convaincus, je crois, que c’est bien le maximum que je peux donner dans une relation et que celle-ci cessera bientôt, quand j’aurai fini par me lasser. Après tout, cela fait plus de dix ans qu’aucune n’a su se faire une place dans ma vie plus de quelques semaines.

Quelques semaines… C’est tout ce que nous avons vécu avec Hekate, quand j’y pense. Certaines filles avant elle sont déjà restées quelque temps comme ça. Mais je ne peux pas m’empêcher de croire qu’il y a quelque chose de différent cette fois. Parce qu’aucune de ces filles n’a eu le regard qu’elle m’a donné hier soir. Chaque nuance de ses iris s’est gravée dans ma rétine pour garder le souvenir impérissable dans ma tête. Elle m’a regardé avec une inquiétude viscérale, une peur violente, de celles qu’on ne ressent que lorsqu’on craint avoir blessé un être cher, et son angoisse m’a pourfendu. Allongé sous elle, perdu dans mes ombres, je n’ai plus vu dans ses yeux que la terreur de m’avoir perdu, l’horreur de penser qu’elle m’ait meurtri, et pour la première fois depuis des années trop longues, je me suis senti compter dans le cœur d’une femme qui ne devait être qu’une amante comme toutes les autres. Et je n’arrive pas à m’ôter cette idée de la tête depuis.

Toutes ses attentions qui ont suivi n’ont fait que noyer mes doutes, les submergeant de sa douceur pour que je cesse définitivement de craindre de me fourvoyer. Je sens encore la chaleur de sa main sur ma nuque quand tous mes muscles menaçaient de rompre sous la tension que je leur infligeais. Et alors que cette nuit aurait dû être notre dernière, celle qui la convaincrait définitivement que je ne suis pas un homme fréquentable, elle n’est partie qu’après m’avoir assuré qu’elle reviendrait. Ô Merlin, Ogun, Morrigan… Que l’un de vous me réveille avant que je ne m’accroche trop à ce rêve !

Car je ne peux que tout faire pour qu’il perdure et les dernières craintes de mon cœur ne tremblent que de la peur qu’on me l’arrache un jour. L’expérience m’a appris à attendre les chutes plutôt qu’à me répéter qu’elles ne viendront pas. J’ai trop de fois trébuché pour accepter de me prendre les déceptions de plein fouet. Alors je me prépare, j’essaye de calmer mes nerfs, de museler mon optimisme pour éviter qu’il ne me poignarde trop violemment dans quelques jours, quelques semaines, quelques mois… que sais-je ? La déception viendra. Elle vient toujours.

Mais pas encore.

Pas encore.

Car je la repousse encore. Je fais tout pour l’éloigner et cette potion de sommeil est une des armes qui me permettra de la maintenir au loin encore un peu, j’en suis certain. Le visage de Josiah a pris des airs plus graves depuis quelques minutes. Je suis soulagé de le voir acquiescer, comprendre ce que je lui dis et l’importance de cette potion de sommeil pour que mon rêve éveillé refuse de mourir. Nasiya accepte et je crois ne jamais lui avoir offert de regard aussi reconnaissant qu’en cet instant.

La pesanteur de l’air semble alors s’apaiser et nous laisser nous perdre dans des badineries que nous n’avons que rarement l’occasion d’échanger, plus souvent confrontés aux affres de mes humeurs qu’à mes plaisanteries. Le regard posé sur le marchand de rêves, attentif, je l’écoute parler de ses amours et réalise que je n’ai que trop rarement eu l’occasion de l’entendre se confier à son tour. Le moment est précieux. Je le chéris et j’accompagne le clin d’œil d’Abasinde d’un rire quand il m’avoue avoir goûté à des plaisirs bien plus divers que moi.
- Je dirais bien que tu es chanceux si cela ne t’attirait pas les foudres des esprits fermés de ce siècle. Je reconnais que tu dois avoir connu des plaisirs qui me sont totalement étrangers. Mais je n’ai pas assez de curiosité pour me perdre loin des courbes féminines, j’en ai peur.
Je souris comme un con, plus amusé que timide à parler de choses aussi intimes. Discuter avec Nasiya semble si simple aujourd’hui que je me demande pourquoi nous ne nous sommes pas parlé ainsi plus souvent depuis que nous nous connaissons.

Mais c’est rapidement le caractère de feu de cette « belle » qui nous occupe et les menaces à peine voilées du potionniste me font éclater de rire sous l’auvent. M’interdire de nouvelles conquêtes, je n’ai jamais vu pareille cruauté sortir de sa bouche, surtout après avoir couvert cette femme d’éloges !
- Et est-ce que tu lui as demandé ce qu’elle en pensait, « Kate » ? dis-je avec un sourire défiant. Peut-être que je serais tout à fait son genre ! Ne me dis pas que tu lui interdirais de m’approcher de peur que ce soit le cas !
Je souris largement.
- Tu me rends curieux. Il faudra définitivement que tu me la présentes. Et je te promets de ne pas faire exprès de la séduire, même si l’idée de te fermer ton clapet est très tentante…

Je le suis alors à l’intérieur alors qu’il me demande ce que je veux pour ma nouvelle potion. Je réfléchis quelques secondes avant de sortir la première idée qui me vient une fois à l’intérieur.
- La mer. J’habitais au Nord de l’Allemagne quand j’étais gamin, à Lübeck, au bord de la mer baltique. Je passais des heures au port et dans la baie pour aller écouter les vagues. J’aimais la solitude là-bas. Ça me détendait. Le bruit, le vent… Ouais. J’aimerais bien ça. N’importe où. Juste là mer.
Puis, je me coupe un instant et ajoute en m’asseyant sur un tabouret.
- Ca, ou le noir complet.
J’attends de capter de nouveau le regard de Nasiya avant de reprendre.
- Un black-out. Une nuit sans rêve. Une extinction des feux complète pour que mon esprit s’arrête vraiment, d’un coup, et pendant toute une nuit. Je ne sais pas si c’est possible. Je ne sais pas si c’est mieux. Je veux juste ce qui m’assommera le plus, ce qui me permettra de pioncer le plus profondément et le plus longtemps possible.

Je lui laisse quelques secondes de réflexion pendant que je me perds dans mes propres pensées. Je sais que j’ai une autre question à lui poser, depuis longtemps, mais qu’elle se bloque chaque fois dans ma gorge, comme si la honte qu’elle comportait m’empêchait de la prononcer. Pourtant, les semaines passent et les angoisses perdurent. Il faut que je lui parle de ce qui me tracasse et, alors que la discussion semble si simple aujourd’hui, j’ai l’impression que je n’aurai jamais de meilleure occasion de lui demander.
- Nasiya… Il y a une chose que je voulais te demander.
Je déglutis et mon regard s’abaisse sur les aspérités de la table, incapable de dissimuler ma gêne.
- Je vais pas te mentir sur les problèmes que j’ai. Tu les as déjà devinés depuis longtemps de toute façon. Alors tu sais que j’ai mes tendances et que les addictions sont des choses que j’ai souvent du mal à gérer…
J’inspire pour me laisser le temps de trouver mes mots.
- Je me souviens de la nuit que j’ai passé chez toi y a quelque temps, en novembre. La magie extatique… Tu m’avais dit que ça devait rester exceptionnel et je t’ai écouté. Je ne suis pas revenu en chercher depuis. Mais tu sais que j’achète tes potions depuis un moment et que mes problèmes de sommeil vont pas s’envoler tout de suite.
J’arrive enfin à relever le regard et le plante dans le sien.
- Je ne suis pas idiot. Je sais que s’endormir aussi facilement chaque nuit est terriblement attirant. Je fais gaffe à pas tomber là-dedans. J’essaye d’en prendre le moins possible, quand j’atteins vraiment mes limites. Pour le moment, j’arrive à gérer. Mais il y a une chose qui m’inquiète peut-être encore plus que l’addiction : c’est l’accoutumance.
Quelques secondes passent, lourdes comme des coups en pleine poitrine. Je regarde toujours Abasinde et continue pour ne surtout pas prendre le risque de m’arrêter en chemin.
- Je me suis enfilé tellement de trucs depuis que je suis môme, Nasiya… Je sais comment marchent ces choses-là. Il n’y a pas de produit miracle. J’ai arrêté d’y croire. Alors il faut que je te demande : est-ce que je finirai par m’habituer à tes potions aussi ? Est-ce qu’il faudra augmenter les doses ? Et est-ce que je finirai par atteindre une limite au-delà de laquelle ça deviendra dangereux ?
Mon coeur tambourine sous mes côtes. J'ai peur de ce qu'il va me dire alors qu'une voix dans ma tête me répète que je sais déjà la réponse. Car il n'y a pas de produit miracle, n'est-ce pas ? Il n'y en a jamais eu...



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Nasiya Abasinde

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Ven 5 Juin - 21:37

L'Étincelle

Serait-ce un allemand heureux, qui pénètre dans le territoire ?


Est-ce la curiosité, qui m'a d'abord poussé à découvrir les corps masculins ? Quand Wassim est arrivé, sous les exclamations enthousiastes de Noah, je n'avais que tout juste quatorze ans : déjà son regard vert m'avait captivé, et je m'étais demandé quel goût auraient ses lèvres. C'était le premier à m'avoir poussé à m'interroger, passion bien vite oubliée, dévolue toute entière à Josiah, dont les sourires en coin me promettaient bien meilleurs moments. Il n'y avait eu personne d'autre, avant, pour m'intéresser aux galbes féminines. Longtemps, je n'avais touché qu'aux torses velus, aux muscles marqués, aux lèvres trop agressives. Longtemps, même, malgré mes élans provocateurs, ma bouche n'avait embrassé que celle de Josiah. Il y avait eu quelques baisers, lors des voyages, quelques mains aventureuses, en Corée, peut-être, et comme jamais nous ne nous disions ensemble, vraiment ensemble, j'avais cultivé ce besoin de picorer ça et là. La première femme, les premières aventures passionnées, où je m'oubliais dans le corps des autres, ça avait été lors des voyages solitaires. Il n'était pas là, alors il y en aurait d'autres. J'adorais cela, il n'y a rien de plus grisant que la période de danse autour d'un nouveau recueil de passion, où les cœurs se cherchent et les corps se rentrent dedans, enfin, pour trouver jouissance. Ce n'était jamais aussi bon qu'avec lui, c'était différent. Il était le premier, donc - sûrement cela m'expliquait la nuance de ressenti, avant. Qu'est-ce qui m'avait poussé, alors, à tendre vers son corps plutôt que vers celui d'une femme ?

La passion m'était tombée dessus avec évidence, et si nous nous cachions, certaines de nos caresses et de nos regards étaient trop évidents. L'Abasinde et le N'Da traînaient trop ensemble, il se passait des choses. Je n'avais pas questionné cette attirance, cette envie de faire de lui l'homme qui se tordait sous mon corps, nos sexes ne m'avaient fait aucune différence. Elle était, pourtant, de celle qui faisait se détourner des gens, nous haïssant parfois. Il y a eu des gestes violents, quand un baiser nous échappait, là où il n'était pas bon qu'il nous échappe, rendant compliqué l'ignorance dans laquelle j'aurais parfois aimé tomber. Le monde était laid, de toutes les façons, ce n'était pas une connaissance qui m'échappait. Le monde se tapait dessus, coréen crachant sur japonais, rwandais tournant le dos aux blancs de mon pays, qu'était-ce qu'une violence supplémentaire ajoutée au panel ?

La curiosité, alors, qui m'avait poussé hors du droit chemin ? Je soupire, sourire las au visage, n'ayant pas le cœur de lui dire que la vie aurait peut-être été plus facile, sans cette curiosité. J'avais beau lui avoir soufflé comme tous les corps avaient trouvé plaisir sous mes doigts, mon cœur n'avait battu entier que pour des hommes. Qu'est-ce que cela faisait de moi ? Un homme trop curieux. Drôle de façon de se décrire, mais finalement, elle correspondait du mieux qu'il soit. Il faudra que je le souffle à Josiah, quand il arrêtera de grogner.

Que je lui souffle qu'Engel sait, d'ailleurs, et que ce n'est pas un con. Pas un de ceux qui nous regardent de travers, comme il y en a sur le chemin de traverse, comme il y en a eu dans toutes les villes. Non, un de ceux qui blaguent qu'il ne s'est pas encore laissé tenter, un de ceux qui ne tiquent même pas quand il y fait référence.

Un de ceux qui vaut la peine de garder près de soi, finalement - mais suffisamment loin pour qu'il ne puisse pas tourner autour de mes trésors. Sourcils froncés, air faussement grognon au visage, je l'écoute me dire que ma Kate aimerait peut-être le rencontrer, elle, malgré mes interdictions. Je claque la langue, le guidant à l'intérieur. Son surnom entre les lèvres d'Engel me fait grincer, il aurait mieux valu lui dire son nom, finalement. Je suis bien obligé d'admettre, à contre cœur :

- Le pire, sacré Bauer, c'est que je suis sûr que tu lui plairais bien, à ma belle. Un blanc, brun, une vie un peu tumultueuse, une répartie comme il faut... Dieu m'entende, il ne faut pas que vous vous rencontriez, mon confort en dépend, j'ajoute dans un rire.

Ilanga nous passe entre les jambes, bondissant à l'intérieur de la pièce pour retrouver l'air chaud et sa gamelle de croquettes, dans un coin, glissée là au plus grand désespoir de Noah. Je le suis distraitement du regard, refermant derrière nous la porte, laissant à la cour tout le plaisir de garder son vent froid et ses gouttelettes trop bruyantes. L'intérieur est insonorisé, les vapes des chaudrons réchauffant plaisamment l'endroit quand on vient de s'en griller une sous la pluie. D'ici quelques heures, on étouffera là-dedans, mais c'est toute la joie d'un atelier. M'adossant au plan de travail, je lui demande ce dont il aurait envie. Sa réponse me tire un sourire et je hoche la tête, visuels déjà plein la tête. La mer, évidemment. Il n'y a rien de plus apaisant pour l'homme qui connaît la mer que le bruit des vagues, le souffle du vent qui claque sur les côtes, la douceur ou la rugosité des sables et galets qui peuplent les littoraux. Oh, la tête que j'avais fait, le jour où j'avais rencontré des gens de tout le continent, à Ouagadou, qui m'annonçaient n'avoir jamais vu l'océan, n'avoir jamais mis les pieds dans l'eau. Ils ne savaient pas nager, ne connaissaient pas le plaisir de bondir dans les baies, de se retrouver submergés par une vague toute puissante, les éléments reprenant le contrôle. Sa mer devait être plus froide que la mienne, sûrement, son port plus gris, plus organisé que les miens, mais le sentiment était le même. Avec ces lieux venaient une solitude, comme il me le disait, mais une de celle qui ne pèse pas sur l'âme. Elle l'enrobe, plutôt, et sait lui apporter salut.

Il s'assoie sur un des tabourets libres, où carnets en vrac ne s'entassent pas, et cherche mon regard. La mer, ou le néant. Non - l'absence de rêves. Je fronce les sourcils, prêt à gronder, mais il explique déjà. Faire s'arrêter l'esprit, extinction des feux complète. Une moue m'échappe, mais je hoche la tête.

- Les deux sont faisables, et ça ne prendra pas trop de temps, il faudra simplement que j'adapte la base de celles que je propose en prêt à consommer.

J'attrape un carnet, un gros carré à la couverture de cuir noir, aux feuilles barbouillées de schémas, de calculs d'ingrédients, des morceaux de parchemin dépassant ça et là. Je tapote dessus avec ma chevalière, pouce tourné, et les pages s'ouvrent aussitôt, défilant à une vitesse monstre, jusqu'à retomber sur ce qui nous intéresse. Mes yeux défilent sur les notes prises, et une grimace m'échappe encore devant l'écriture désastreuse qu'il me faut déchiffrer. J'entends sans mal la voix railleuse d'Hekate se mêler aux soupirs désespérés de Noah, m'incitant à mieux écrire. Pas le temps, par tous les saints, de prendre le temps de faire des belles boucles à mes lettres quand l'inspiration ou l'éclair de génie frappent, enfin !

- Les deux options t'apporteront une nuit durable et reposante, c'est le cas même avec les rêves les plus endiablés. Certains fatiguent volontairement, à la demande du client : mais tu te doutes bien que je ne te filerai pas cela. Le black out me paraît être une moins bonne idée, cela dit : le décalage est peut-être trop puissant, pour toi. Tu te retrouvais au matin avec le cerveau à mille à l'heure, tentant de te bourrer l'esprit de tout ce que tu lui as fait mettre en pause. Si on part sur la mer, je peux contrôler plus facilement la dernière phase du cycle de sommeil, pour que tu te réveilles même de bon poil. Prévois un petit-déjeuner avec la belle, tu seras de la meilleure humeur qui soit. Je retrouve son regard, sourire narquois aux lèvres, avant de reposer le carnet sur la table, décidant d'improviser un nouvel espace de mer, ça sera plus agréable pour lui. On part sur ça ?

J'attends sa réponse, faisant déjà un peu de place sur le plan de travail. La base des potions de rêves est déjà prête, le reste sera question d'y associer les ingrédients propres à son univers et d'y mêler la magie tel qu'il le faut. Les boucles possibles me viennent déjà en tête, prévoyant sans mal les quelques ébauches permettant de lancer l'inconscient d'Engel pour qu'il renoue avec ses souvenirs d'enfance, assi à même les quais du port, pieds balançant au dessus de l'eau. L'image me fait sourire et, trop perdu à mes réflexions, il me faut quelques instants pour réaliser qu'il a repris la parole.

Il évite mon regard, pourtant, yeux plantés sur le bois du plan de travail. Je hausse un sourcil, posant les mains à plat sur le bureau, la voix un peu trop impérieuse quand je l'enjoins à poursuivre :

- Je t'écoute ?

Hésitant, il parle alors franchement, pour la première fois, des problèmes qui l'assaillent. Il n'a jamais trop dit clairement ce qui le mine, n'a jamais révélé, même après cette nuit extatique, les raisons de ses insomnies, de ces addictions qu'il se traîne, de cette brisure qui le scinde en deux. Il y a cet acouphène, qui lui ruine la vie, cet acouphène dont il a été libéré au moins quelques jours, mais c'est la seule chose qui m'a été révélée honnêtement. Le reste, il ne peut me le cacher, cela se devine en surface. Je ne saurais jamais vraiment, sans qu'il ne me le dise, sans que je n'aille chercher l'origine du mal dans son esprit, ce qui l'a rendu ainsi. Il en a vu, Bauer, pour croire au cinéma des puristes, il en a vécu, pour qu'il se rattache à des idéaux pareils. Ces tendances, dit-il. Le terme me fait sourire, intérieurement, alors que mon visage demeure impassible, écoutant avec sérieux ce qu'il a tant de peine à me dire.

Pourquoi me révéler cela, me l'avouer de vive voix, après tout ce temps ? La démarche est surprenante, et je ne peux que penser à cette femme, encore, qui semble l'avoir secoué. Pour qu'il me parle d'elle, avec cette timidité d'homme à peine mis face à ses sentiments, pour qu'il vienne à révéler ses failles, ne plus chercher à paraître, qu'a-t-elle dit, qu'a-t-elle fait ? Qui est-elle ?

La question s'échappe de mes pensées, pourtant, lorsqu'il en vient à la nuit extatique. Je gronde un assentiment, ayant toujours apprécié sa retenue. C'était trop facile, après avoir goûté à cette nuit de rêve, de venir en redemander, de se mettre à mes pieds en me promettant trésors et richesses si j'accordai encore un peu de ce répit. Il n'en avait rien fait, pourtant, et mon respect n'avait fait que gonfler pour cet allemand. Il respectait mes demandes, respectait ma magie - comment ne pas apprécier ? Ce discours, seulement, n'éclaire toujours pas sa demande. Je m'impatiente presque, mais garde silence, yeux vrillés sur lui.

Les siens retrouvent enfin les miens, son honnêteté aussi apparente que sa vulnérabilité. Je me tends, l'oreille attentive. Enfin, les mots tombent. Plus terrible encore que l'addiction, l'accoutumance. Je frémis. La question honnie, à laquelle tous les clients les plus risqués finissent par venir. Ils avaient tenté mille et uns artifices, avant cela : en quoi mes potions seraient-elles différentes ? Comment feront-ils, quand elles ne leur apporteront plus aucun réconfort, quand les rêves ne sauront plus les bercer ?

Mes lèvres se retroussent déjà, révélant mes dents éclatantes. Je le laisse terminer, seulement, enregistrant sans peine ses mots et la peur implicite qui pouvait s'entendre entre les lettres. Une limite, un danger - peut-être. L'accoutumance ? J'expire profondément, ne le quittant pas du regard. Ma voix se fait un peu plus grave, ondulant parfaitement au rythme du conte que je lui tisse. De la main droite, distraitement, mon pouce vient taper sur mon majeur, replié, donnant un tempo quasiment inaudible. Il serait facile de basculer dans une forme de magie, alors que je lui raconte ces premiers secrets, pour qu’il en soit passionné sur l’instant, et les oublie tout à fait lorsque ses souliers franchiront la porte d’entrée. Il serait si facile, oui, d’appliquer sur lui ce que je sais si bien appliquer à tous ceux qui tournent autour de moi. Ce serait plus sûr, pour ma boutique, pour mon professionnalisme – pourtant, ce serait trop facile. Je n’aime pas cette facilité, et je ne peux pas la rechercher dans cette relation. Cette amitié balbutiante, pourtant bizarrement très ancrée, où le respect et la confiance ont toujours su nous guider. Je lève un pan alors, un pan sur mon passé, sur mes élans plus odieux, comme il a décidé d’être honnête cet après-midi, en divulguant la vérité sur ses failles, ses addictions, et cette femme qui le pousse à se révéler. Advienne que pourra.

- Je vais te répondre, Engel, et j'aurais dû te prévenir bien avant - mais ça aurait été compliqué sans bien te connaitre, j'avoue avec un sourire contrit. J'ai testé le plus longuement cette magie sur Wassim, d'une part - mais il consommait un amalgame de conneries affolantes, de drogues en tous genres, des choses bien plus dangereuses que ce que je vous fais consommer. J’inspire, et lâche dans une grimace : Ça ne s’est pas terminé de manière heureuse, pour Wassim.

Regard vide, je me perds quelques instants dans le souvenir de ce regard vert, qui m'avait captivé adolescent, et qui s'était miné dans l'illicite, la vie filant. Il était mort jeune, trop jeune pour un sorcier, mais ce n'était pas de ma faute. Ça ne pouvait pas être de ma faute. J'avais déjà une mort certaine sur la conscience, je ne pouvais accepter celle de Wassim, pas lui. Un frisson me remonte le dos, et je me reconcentre sur Engel, forçant ma voix :

- D'autre part, ceux que j'ai suivi le plus longtemps, c'est à Kyoto. J'y suis resté des mois, presque un an et demi - je n'étais jamais resté quelque part aussi longtemps. Je travaillais avec Kyoko, là-bas ; elle tenait un bordel. À nous deux, l'institution était magique. Tu imagines, pour ceux qui venaient chercher réconfort, qui tombaient dans des rêves affriolants, dans des rêves apaisants, et trouvaient ensuite jouissance entre les mains expertes de ses employés ? Notre alliance était des plus rentables, Bauer, et deux esprits qui se passionnent pour ce qu'ils arrivent à créer, ensemble, perdent parfois tout bon sens. Je n'étais pas aussi regardant, alors, sur la manière dont on consommait mes créations. J'avais trouvé le moyen de jouer avec les hommes, de contrôler leurs rêves, les moments même où ils s'abandonnaient. Parfois, je m'infiltrais en eux, j'attrapais la boucle de leur inconscient, pile quand leur corps basculait dans la jouissance, que le cerveau se déconnectait, et j'y balançais une extase plus forte encore, je les habituais à ces sensations extrêmes. Rends-toi compte de ce qu'ils vivaient, et de combien c'était bon. Ils en raffolaient. C'était un moyen inespéré de fidéliser la clientèle : ils venaient, oubliaient leurs compagnes ou compagnons qu'ils n'aimaient pas, qu'ils épousaient par devoir, ils oubliaient le travail qui leur cassait le dos, l'esprit, ils oubliaient tout cela, et chaque fois qu'ils venaient, on leur assurait une alliance des plus trépidantes. Le plus important, Bauer, quand on crée des promesses pareilles, c'est de s'assurer qu'on ne s'en lasse pas. Qu'on ne s'y habitue pas. Des hommes venaient tous les soirs, s'abandonnant sur les tatamis, plongeant tout entier dans les sphères oniriques que je leur créais. Tous les soirs, et je leur donnais, encore et encore. Les rendre addicts, finalement, c'est exactement ce que nous cherchions. C'est ce que j'ai longtemps cherché, Engel, pour ce frisson d'adrénaline qui te secoue quand tu réalises que tu leur deviens indispensable, qu'ils ne restent à flot que grâce à toi.

Un rire désabusé m'échappe, et mes traits sont tirés quand je reprends, mes yeux cherchant les siens, cherchant à voir qu'il comprend, qu'il ne pense pas moins de moi.

- Les rendre addicts, en m'assurant qu'ils ne s'habitueront pas. Le plus terrible, tu sais, c'est que c'est impossible. On ne peut pas s'habituer à rêver, on ne peut pas s'habituer à basculer dans cette zone contrôlée. On en a de plus en plus besoin, peut-être, mais notre cerveau est toujours là, notre inconscient toujours différent, et mes boucles ne font que raccrocher ensemble ce qu'il faut raccrocher. C'est un plaisir à vie, et c'est ce qui le rend aussi grandiose. Autant que tu en auras besoin, aussi longtemps qu'il le faudra.

Je m'arrête, de longues secondes, reprenant mon souffle, et mon pouce cesse enfin de taper incessamment sur mon majeur. Je me dégourdis les bras, passant une main lasse sur mon crâne.

- Ça m'a jamais autant emmerdé de pouvoir promettre cela à un client, pourtant, Engel.

Ma main retombe sur le bureau et je souffle :

- Il faudrait qu'on trouve un moyen de faire l'effet inverse. De te soigner par les rêves, plutôt que de t'offrir des moments d'absence. Utiliser tes rêves pour que tu t'habitues à ce qui te mine la journée, pour que ça ne pèse plus...

Mes yeux pétillent, mais il me faut m'arrêter là : difficile de m'engager, de m'enthousiasmer sur quoique ce soit avec lui, quand je viens juste de lui avouer que c'est cet enthousiasme même qui m'a fait briser la vie d'hommes et femmes, tout dévoués à mes potions. J'inspire profondément, attrapant distraitement une feuille et mon paquet de tabac, pour m'en rouler une. J'en roule une autre, s'il la veut. Mes mains attrapent mon zippo, et un sourire m'échappe en remarquant le logo de Reissen. Je ne sais plus d'où il sort, celui-là. La volute de fumée s'échappe déjà, alors que je tends le matériel vers Engel.

- Tant que tu consommes sérieusement, sans t'abandonner trop souvent au plaisir que ça donne, tu ne risques rien. L'addiction est le seul travers que je ne peux empêcher - tout le reste sera là pour toi. Les mots restent en suspens, quelques secondes, alors que je tire une nouvelle taffe, un peu plus nerveuse. Et j'admets alors, voix plus tranquille que je ne le suis : Je serai là pour toi.

En tant qu'ami, plus que marchand de sable. Il mérite bien cela.

@Engel Bauer 3011 mots
Awful

Engel Bauer

Engel Bauer
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Mer 1 Juil - 14:11
L'étincelle

ft. @Nasiya Abasinde


fin janvier 2004

Je sursaute en sentant le chat me passer dans les jambes et dois m’agripper au plan de travail pour éviter de lui marcher dessus sans perdre l’équilibre. Depuis quand est-ce qu’Abasinde l’a recueilli, celui-là ? Connaissant le Sud-Africain, il doit être trop nourri et déjà se faufiler partout comme si c’était son fief. Je hausse un instant les sourcils en le regardant faire son tour, un sourire amusé au coin des lèvres, avant de revenir à Abasinde pour lui décrire ma commande.

Le potionniste sourit dès que j’évoque la mer, comme si c’était une évidence. Mais je propose aussi une autre solution qui me trotte dans la tête depuis des semaines. Le noir total. Sans rien. Cette fois, les sourcils de Nasiya se froncent bien qu’il hoche à nouveau la tête.

Il sort un gros carnet barbouillé de notes illisibles et se met à parcourir une page que je tente vainement de déchiffrer à côté de lui. Etant bien incapable de comprendre ni ce qu’il cherche ni ce qu’il trouve dans son bazar, je choisis de redresser la tête et de l’écouter avec cette attention minutieuse que j’ai chaque fois qu’il me parle de son art. Mes yeux s’accrochent aux siens qui restent rivés sur les pages. J’acquiesce plusieurs fois, puis d’une façon plus appuyée quand il me conseille de garder l’idée de la mer. Son regard trouve le mien. Je réponds à son sourire.
- Tu sais bien que je te fais confiance. On fait ce que tu penses être le mieux.

Mais mon expression se ternit quand une autre inquiétude me revient à l’esprit, une angoisse que je ne peux garder pour moi plus longtemps vu l’emprise qu’elle renforce à chaque nouvelle potion que j’avale. Car je sais que tout miracle a son revers et celui d’Abasinde est trop beau pour indéfiniment perdurer, n’est-ce pas ?

Je sens le sourire de Nasiya se faner à mesure que je lui confie mes craintes. Il ne me coupe pas, pourtant, attend la fin de mon cheminement pour que je nomme enfin ma hantise : l’accoutumance.

Que se passera-t-il si ses potions ne devaient plus fonctionner aussi bien un jour, si, à force de prendre les mêmes ingrédients , mois après mois, mon corps finissait par ne plus en sentir les effets ? La question me tourne dans le crâne depuis trop longtemps pour que je la garde encore sous silence. Nasiya avons une confiance qui repose sur une honnêteté que, je crois, nous avons l’un envers l’autre depuis le départ. Je ne veux pas lui cacher cette hantise qui me tourmente depuis que je suis tombé dans mes premières addictions.

Pendant quelques instants, Nasiya garde le silence, comme s’il réfléchissait. Puis, son ton se fait plus calme, plus grave, et il me raconte enfin cette longue histoire qui l’a mené jusqu’ici.

Comme si je pressentais la longueur de ses confidences, je me réinstalle sur le tabouret à côté de lui, posant les coudes sur le plan de travail et le regard sur son visage pensif. C’est la première fois que j’entends parler de Wassim. Je sens un peu de nostalgie dans la voix de Nasiya et une profonde tristesse que les années n’ont pas réussi à étancher complètement. Je respire doucement, attentif, et murmure quand j’apprends la mort de son ami :
- Je suis désolé.
Des condoléances très sobres, très simples, assez pudiques face à l’histoire de cet homme qui semble avoir été important dans la vie du potionniste. Cette seule confidence me rappelle déjà les dangers que comportent les talents de Nasiya, des dangers qu’on peut si facilement oublier, pris dans l’extase de nuits trop profondes où chaque rêve devient une occasion de réaliser un fantasme différent. Que certains se perdent dans les boucles que crée Abasinde ne m’étonne pas. Tous ceux vivant dans des milieux où les excès sont légions ont connu des gens morts d’en avoir trop abusé. Je suis peiné d’apprendre que Nasiya ait eu à subir une telle perte parmi ses proches et qu’il ait eu le malheur, d’une certaine façon, d’avoir poussé Wassim sur le chemin où il s’est perdu.

Un instant, son regard change, se fige. Abasinde réfléchit, frissonne, comme remis face à des souvenirs qu’il aimerait oublier. Je ne connais que trop bien la sensation et lui laisse dont le temps de reprendre son récit de lui-même, sans le presser ni l’interrompre. Puis, il poursuit enfin et me raconte Kyoto.

Sans dire un mot, j’écoute comment il a perfectionné son art jusqu’à en faire un commerce très juteux. Utiliser le pouvoir addictif des rêves pour s’assurer une clientèle entièrement assujettie… La méthode manque bien d’éthique mais certainement pas d’efficacité. Dans mes yeux, pourtant, aucun dégoût ni aucun jugement. Je suis trop conscient du peu de morale que je peux parfois conserver lorsque la réussite de mes projets prend le pas sur tout autre considération. Certaines fièvres font faire de terribles choses…

Je n’ose imaginer ce que Nasiya a pu offrir à ces gens, les sensations qu’ils ont trouvées sous ses mains. Pas un seul instant je ne remets en question les affirmations du Sud-Africain. Je me souviens trop de la nuit où il m’a fait goûter cette magie, la puissance qu’elle a sur les esprits. Je n’ai passé que six heures entre ses mains, six heures d’un abandon absolu que j’ai voulu retrouver dès l’instant où je me suis réveillé. Il m’a fallu lutter de nombreux soirs pour ne pas venir demander à Nasiya de reprendre le contrôle de mes songes. Alors une extase comme celle qu’il me décrit…

Ma nuque se hérisse rien qu’à m’imaginer sentir cela. Les battements de mon cœur accélèrent, prêts à lui demander de me faire essayer, juste une fois… Et je lâche un discret soupir, dégoûté par ces déviances si profondément incrustées dans ma chair qu’elles roulent sur mes muscles même dans un moment pareil. Je passe la main sur un de mes avant-bras pour effacer le frisson qui le parcourt et me force à reprendre le contrôle. Je me reconcentre sur ce qu’il dit, me promets intérieurement de ne jamais lui demander de me faire goûter les plaisirs qu’il a prodigués au Japon car je sais au plus profond de moi que je tomberais dans les mêmes gouffres qu’eux et plus rapidement encore. Je me connais…

Je reporte mon attention sur Abasinde alors que son rire perce le silence imparfait de l’atelier et je l’écoute tenter de me rassurer. Le potionniste est catégorique : aucun risque ne me menace car on ne peut s’habituer aux rêves. A cet instant, je comprends que lui et moi ne parlons pas de la même chose et mes paupières dissimulent mon regard un temps un peu plus long. J’inspire plus profondément, hésite à l’arrêter tout de suite pour lui indiquer sa méprise. Mais la voix de Nasiya se pare d’une excitation que je n’ai pas le cœur à étouffer tout de suite quand il évoque une idée complètement folle : me soigner par les rêves.

Mes sourcils se haussent assez franchement alors que je reviens planter mon regard dans le sien. M’habituer la nuit à ce qui me hante le jour… L’idée ressemble à de la folie pure. Une seconde passe à peine avant que je ne réponde, déboussolé :
- Et qu’est-ce que tu comptes faire, hein ? Transformer mes rêves en cauchemars pour que j’aie bien l’occasion de m’y habituer ? Je t’avoue que c’est pas vraiment pour ça que te paye…
Je tente de sourire, mais l’idée de me confronter à tous ces démons qui me poursuivent m’effraie plus que je ne veux bien l’avouer. Tout ce que j’affronte me paraît déjà bien assez présent en journée pour que j’évite de les subir volontairement la nuit. Les cauchemars me trouvent déjà bien assez souvent sans l’aide d’Abasinde.

J’attrape la roulée avec empressement dès qu’il me la propose, pressé de ravaler cette lâcheté qui me laisse un goût âcre dans la bouche. Le logo sur le briquet du Sud-Africain attire un instant mon attention et me fait sourire, amusé. Je ne dis pourtant rien et allume seulement le bout de ma cigarette. J’inspire profondément et laisse les vapeurs de tabac me calmer les nerfs.

Nasiya se veut rassurant, encore une fois, et m’assure que l’addiction est le seul risque auquel je m’expose avec ses potions. Une voix me répète que ça ne peut pas être vrai mais, alors que je voulais enfin lui confier ce que je crains vraiment, la dernière phrase du potionniste m’enlève tous mes mots.

« Je serai là pour toi. »

Mon regard vient capter les reflets bruns de ses yeux de longues secondes. L’émotion fait quelque peu trembler mon souffle et brouille mes pensées. Jamais lui et moi n’avons formulé ainsi cet attachement qui nous lie, cette loyauté inexplicable que nous avons l’un envers l’autre. L’entendre me l’affirmer avec une telle simplicité a quelque chose de désarmant, presque troublant. Il me faut forcer sur ma voix pour être capable de lui répondre :
- Tu sais que la réciproque est vraie.
Et je maintiens mon regard sur lui de longues secondes, un échange silencieux plus capable d’exprimer ma gratitude que tous ces mots qui me restent dans la gorge.

Après quelques instants, la nécessité de rectifier ce qu’il a cru comprendre de mes peurs revient tourner dans mon esprit. Ramenant la roulée à mes lèvres, je cherche de nouveau comment exprimer cette trouille qui me tient au ventre depuis des mois. Mon esprit bouillonne. Je recrache nerveusement la fumée et finis par souffler :
- Tu sais, ce ne sont pas les rêves qui me font peur…
D’un geste, je désigne alors la mixture qui bout dans la marmite à côté de nous.
- C’est ce que tu mets là-dedans.

L’aveu me coûte, étrangement, mais pas autant que ce que je me décide enfin à lui confier.
- Je prends de la coke.
Un silence.
- J’en prends depuis des années. Ca pallie la fatigue. Ca me donne les coups de fouet dont j’ai besoin quand je n’arrive même plus à composer ou que je me sens naze avant un concert. C’est pas resté occasionnel très longtemps, je ne vais pas te mentir. J’ai abusé de l’alcool. J’ai pris de l’héro quand j’étais dans la vingtaine. J’ai avalé des somnifères par plaquettes entières il y a deux ou trois ans… Je connais toutes ces saloperies. Je sais comment elles fonctionnent. Au début, tu n’en prends qu’un peu. L’effet vient tout de suite. Il est puissant. Puis, il s’affaiblit. Alors il faut augmenter les doses, encore, et encore, jusqu’à ce que ça dépasse la limite et que ça manque de te flinguer. Ca aussi, je l’ai connu.
Je me force à inspirer alors que les souvenirs troubles de ces périodes très sombres de ma vie tentent de se frayer un chemin dans les méandres de ma mémoire. Je ne me souviens que des nausées, des crampes et de la voix lointaine de Zven dont les tremblements résonnaient trop fort pour cacher sa peur quand il tentait de m’apaiser. Je sais pertinemment que je ne serais pas ici pour parler de tout ça s’il ne m’avait pas trouvé les jours où mon corps n’est plus parvenu à endurer les substances que je lui imposais.
- Je ne sais pas ce que tu mets dans tes potions. Mais je sais qu’il y a là-dedans quelque chose d’assez puissant pour me faire m’écrouler en quelques minutes à peine alors que je n’arrive pas à dormir depuis des jours. Que tu ajoutes ta magie dans le processus ou non, il y a forcément quelque chose. Je ne m’habituerai jamais aux rêves, mais je peux finir par m’habituer à ça.
Ma voix reste étonnamment calme malgré l’inquiétude qui résonne dans le fond de ma gorge. Je poursuis :
- Qu’est-ce qu’il se passera si je finis par ne plus répondre aussi bien à tes potions ? Tu augmenteras les doses au début. Ce ne sera pas grave. Mais après ? C’est cette accoutumance-là que je crains. C’est elle qui me fait freiner ma conso pour retarder au maximum le moment où mon corps pourrait s’habituer à la drogue. Parce que je ne sais pas encore ce que je ferais si je n’avais plus tes potions pour tenir le coup et je ne peux pas rêver si je ne dors pas.
Mon regard reste sur lui, plein de cette appréhension qui ne me lâche pas depuis que j’ai découvert les miracles de Nasiya. J’ai l’impression de lui en demander un autre qu’il sera cette fois incapable de me donner. Mais je ne veux pas qu’il me mente. Juste qu’il m’aide à me préparer.



roller coaster

(2115 mots)

Nasiya Abasinde

Nasiya Abasinde
Et j'ai crié, crié !
hiboux : 467
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Dim 13 Sep - 19:04

L'Étincelle

Serait-ce un allemand heureux, qui pénètre dans le territoire ?


La pluie cogne toujours aussi fort contre la porte-fenêtre, s’écrasant sur le toit de tuile, résonnant sans répit entre les quatre murs de l’atelier. L’attention d’Engel semble pourtant toute tournée vers moi alors que ma langue se délie et que des secrets que je n’avais révélé qu’à si peu de monde trouvent leur chemin vers ses oreilles. Il est curieux, il est attentionné, aussi, ses condoléances tombant avec sérieux entre nous, et mon sourire doux vient répondre à cette phrase que je sais sincère. Peut-être est-ce par la vulnérabilité qu’il m’a montrée, quelques minutes plus tôt, ou par cet air attentif qu’il sait si bien porter, qu’en sais-je – quelque chose pourtant me fait lui parler bien plus que je ne l’aurais escompté. Je lui raconte l’origine des limites que je me suis imposé en arrivant ici, pour ne plus revivre Kyoto, pour ne plus sentir le contrôle m’échapper devant tout ce que j’étais en mesure de créer. Je vois dans ses yeux le même frisson qui prenait Kyoko quand je lui racontais tout ce qui était possible, cette même lueur qui secouait Wassim et que Noah appréciait si peu. Elle disparaît vite, pourtant, et son corps s’active, comme pour reléguer au loin, par ses mouvements, toute pensée insidieuse, sournoise, d’une envie de plus. C’est cela, aussi, chez lui, qui me fait me confier ainsi.

Je ne lui ai pas tout raconté, évidemment. Il ne sait pas, pour l’Italie, les expérimentations qui tournent mal. Il doit s’en douter, toutefois. On ne joue pas avec quelque chose d’aussi intime à l’homme sans quelques coups durs. Je préfère le rassurer, plutôt. On ne s’habitue pas à ce que je crée, il n’y a aucun risque. Je ne lui mens pas : ça m’emmerde sincèrement de pouvoir lui promettre cela. Bien encadré, ce sacré Bauer s’en sortirait, de ce gouffre d’insomnies et de mal-être. Cette bonne femme, qu’il a rencontré, et qui l’accepte comme il est, lui, Engel Bauer, et pas le rockeur sur scène, rien que celle-là, si elle restait, cela ferait la différence. Alors il fallait qu’il se déshabitue des rêves que je pouvais lui proposer, et ce toute sa vie, sans aucun impact. À moins qu’il n’y ait un soucis plus technique, une réaction imprévisible. Des usages excessifs d’autres composants qui rentreraient en jeu avec les préparations de potions. Je l’avais prévenu, pourtant, il fallait être clean pour consommer, et plus encore pour faire des nuits extatiques. Il n’y a pas de risque de ce côté là.

Aucune accoutumance, alors. Et l’idée un peu folle, qui me tombe dessus, de le faire aller mieux. Ça me renverse un peu, cette idée qui me tombe dessus comme cela, parce que c’est la première fois que j’envisage les choses sous cette angle. Guérir quelqu’un, de par mes nuits factices. Oh, je les crée dans l’objectif de soulager les gens de leur mal-être, finalement : mais elles ne peuvent exister que si l’homme est malheureux. C’est la source même de mon métier, le coeur même de ces potions. Elles se nourrissent de ce gouffre en l’homme, des trous noirs qui les minent, pour les remplir de figures de sable éphémères. Elles disparaissent, au jour levé, et replongent l’homme dans leur quotidien bien trop gris, trop obscur, avec pour seule envie le désir de replonger dans cette bulle échappatoire. Détourner la formule, transformer l’usage, pour qu’elles deviennent utiles, vraiment, que le sable se tasse dans ce trou noir et ne s’en déloge pas… C’est une toute autre optique. Pour lui, seulement pour lui – étions-nous de si proches amis ? M’impacte-t-il déjà autant, sans que je ne le réalise ? J’ai presque envie d’en rire, et il me tient à coeur de le lui faire savoir. L’idée semble le déboussoler, pourtant, alors qu’il partage son incompréhension face à ce que je viens de lâcher. Je hausse les épaules, tendant le paquet en sa direction.

- Tu te doutes bien que je ne ferais pas quelque chose d’aussi grossier. On pourrait incorporer des détails, ça et là, pour que tu t’en accommodes, au fur et à mesure. Pour détourner le trauma qu’ils portent, créer de nouvelles significations à leurs apparitions. Tu me paierais plus cher encore, je te rassure, on parle d’expérimentation, je moque gentiment en prenant une longue inspiration de nicotine, regard pesant sur lui.

Il renoue avec la cigarette avec précipitation, et je comprends vite que l’idée le dérange plus qu’elle ne le déboussole. Je secoue la main pour repousser l’idée au loin, tentant d’être rassurant :

- Oublie ça, tu veux. Ce n’est pas le plus urgent.

Je reviens au vif du sujet, plutôt, et le rassure une énième fois sur les effets des potions créées. Il n’y a pas de soucis, il est couvert. Dans toutes les situations, de toute façon, je réalise soudainement, je serais tout de même là pour chercher une solution à ses misères. Ça me souffle presque moi-même, de réaliser ça, et les mots culbutent dans le monde réel presque aussitôt que je le réalise. Je serais là pour lui, que je lui avoue alors, sans hésitation, si ce n’est une taffe un peu trop longue inspirée avant. Juste pour bien formuler les mots, qu’ils tombent sans heurts entre nous. Qu’il saisisse leur sincérité, et non le bagage bon client que l’on peut sortir à certains de ceux qui viennent. Je ne doute pas qu’il passe à côté, toutefois. Trop de coeurs ouverts, cet après-midi, pour que le poids de mes mots ne pèse pas de toute leur sincérité sur lui.

Mes lèvres se relèvent aussitôt en un sourire éblouissant alors qu’il répond à ces quelques mots trop francs. Ses prunelles cherchent les miennes, comme pour appuyer plus encore cette nouvelle loyauté que nous mettions enfin en mots ; il ne peut être aveugle à la félicité réelle qui me prend. Il n’y a rien de plus précieux, à mes yeux, que l’honnêteté de l’instant, que d’avouer dans le présent ce qui prend au coeur de chacun. Savoir que nous partageons, en cet instant précis, cette même onde de fidélité et d’amitié fait gronder ma magie de plaisir. Ma cigarette s’écrase au fond du cendrier entre nous deux, et je fais pianoter mes doigts sur le bois du plan de travail, pour contenir cette envie de mouvements qui me prend dans ces instants si vrais. J’aurais aimé le murmurer à Josiah, ce soir, lui glisser comme enfin, sur ces terres anglaises, j’avais trouvé un véritable allié, seulement mon lit était froid de sa présence, et deviendrait sans peine glacial si le nom d’Engel était celui que j’utilisais pour nous réunir.

Cela ne suffit pas à ternir mon élan de joie, pourtant, et je m’active en silence pour préparer ce que le musicien m’a demandé. Je réunis ça et là ingrédients nécessaires, attrape mon carnet pour vérifier les bases liquides utilisées pour l’Ailleurs, mais m’immobilise tout à fait lorsqu’Engel reprend la parole. Le sérieux dans sa voix me demande toute mon attention, et mes mains s’arrêtent, se posent à plat sur l’atelier, mes yeux retrouvant immédiatement les siens. Je fronce les sourcils alors qu’il me confie que j’ai fait fausse route sur sa question. Ce n’est pas l’accoutumance aux rêves, qui l’effraie ?

Alors, c’est à cause de… ? Mes yeux retombent sur les ingrédients à l’instant même où il me fait sa confession. Ce que je mets dedans, évident. J’ai presque envie de me taper le crâne de mon idiotie. Pour quoi d’autres une personne comme Engel m’aurait posé cette question ? Je savais, rapidement, ses abus, et s’interroger sur une accoutumance aux substances était bien plus logique que de questionner tout le processus addictif aux rêves eux-même. J’avais réfléchi, encore, bien trop ancré dans mon monde créateur, mon espace onirique, et la réalité des consommations me retombe dessus.

Si je savais qu’Engel était loin d’être clean, je ne m’attendais pourtant pas à ce qu’il me révèle, le ton lourd. Cocaïne, alors ? Usage fréquent, qui plus est. Il y en a eu d’autre, dit-il aussi. Héroïne, somnifère, un parfait cocktail. Je ferme les yeux, quelques secondes, le temps d’assimiler tout cela. Cela posait soucis, évidemment. C’était une source de danger. Qui ne savait pas que mélanger des drogues n’était pas recommandé ? J’osais espérer que l’usage était dans le passé, limité peut-être à ses moments de scène. Il me faudra en savoir plus. Je ne savais que trop bien combien le mélange de drogues et de ma magie ne fait pas un bon ménage. C’est une des raisons, finalement, pour lesquelles j’ai arrêté. Je n’ai jamais consommé de drogues moldues, toutefois, pas vraiment. De l’ecsta, ça et là, en Espagne, surtout. Maria, qui me la glissait sur ma langue, qui nouait la sienne à la mienne. D’autres, sorcières, plus obscures, inconnues d’Engel, trouvées dans des ruelles chinoises, découvertes au fond de la poche de Wassim, goûtées à deux, souvent. La mandragore avait été la seule constante, toutefois. Celle au moins d’effet. Une dépendance certaine, un effet apaisant qui m’était nécessaire, un esprit qui flottait un peu trop sous consommation excessive, mais aucun impact sur ma magie et ce que je créais. C’est la seule que j’avais pu continuer. Peut-être la seule que je m’autorisais, aussi, après avoir vu la dépouille de Wassim, le visage émincé, le corps détruit par ces merdes.

Que dire à Engel, toutefois ? Je ne peux pas tout arrêter. Il faut simplement que je prenne tout cela en compte. Qu’on soit attentif à ce qu’il n’utilise pas les deux en même temps. Il le sait, je pense. N’a probablement pas besoin de mes rêves, quand la cocaïne l’emporte. L’emporte-t-elle souvent ? Va-t-il me clamser entre les doigts, lui aussi ? Est-ce que je devrais en porter le poids, une fois encore ? Noah ne m’a jamais rien reproché : il s’est haï lui-même d’avoir laissé Wassim m’embarquer là-dedans, de nous avoir embarqués dans ces plaisirs absurdes, s’est haï de n’avoir su y mettre un stop à temps. La mandragore ne suffit toutefois pas à effacer les reproches que je m’adresse à moi-même. Un ami disparu suffit – je ne pouvais porter ses peines en plus.

Je vais pour ouvrir la bouche, le prévenir, déjà, mais ce n’est même pas là le coeur de son discours. Ma bouche s’assèche, alors que je comprends où il veut en venir. J’en avais oublié que c’était le sujet, à me retrouver catapulté dans ces souvenirs hallucinés. J’inspire profondément alors qu’il me fait part de toutes ces craintes, alors que la réalité de ce que je lui propose pèse concrètement entre nous. D’un geste, je fais venir un tabouret à moi et me laisse tomber dessus. Cette fois-ci, c’est la pochette de mandragore que j’attrape. J’aimerai pouvoir lui offrir un visage tranquille, le même que j’abordais précédemment, quand l’histoire n’était que celle d’une accoutumance aux rêves, mais je ne peux pas lui mentir. Il verrait bien trop mes traits se crisper, ma langue fourcher. Pour un peu, des mots xhosa se mêleront à mon anglais, dont l’accent sud-africain ressortait avec d’autant plus de force quand le trouble me frappait. Je soupire, et claque des doigts, allumant mon joint de la flamme qui émane de mon pouce. Je tire dessus tandis que son regard cherche le mien, et qu’il m’avoue qu’il ne saura comment faire, sans mes potions. Je secoue la tête, de suite, brisant immédiatement tous rêves pieux qui auraient pu se fondre une place au fond de son crâne.

- Je suis désolé, Engel, même les dieux de Josiah ne pourraient t’accorder ce repos divin que tu cherches. Évidemment qu’il y a des risques que tu t’habitues à un composant, évidemment qu’il nous faudra augmenter peu à peu les doses. Je l’ai déjà fait, légèrement, ces derniers mois, après la nuit qu’on a passé. Tu n’aurais pas pu dormir aussi bien avec les dosages habituels, après avoir vécu ça. C’était tout léger, je t’assure – mais tu consommes à côté, Engel, et rien que ça… Je devrais déjà arrêter. Je ne devrais pas t’en filer, pas plus, pas quand je ne sais pas ce que tu peux renifler à côté. Pas quand ton nom peut s’ajouter à celui de Wassim, encore, par ma faute.

Ma voix s’étrangle, et je préfère reprendre une longue inspiration, l’odeur prenante de la mandragore se diffusant peu à peu dans l’atelier. Noah allait faire la gueule. Il faut que je me reprenne, que je me concentre. Soyons rigoureux. A + B, consommation + contenance, quel résultat ?

- Mes potions sont établies en trois temps – j’ai une variante des potions de sommeil classiques, que vous utilisez couramment, comme base de mes inventions. Elle est adaptée, évidemment, et à elle j’ajoute divers ingrédients selon la durée souhaitée, le stade d’inconscient à atteindre, les spécificités des univers à explorer. Le plus gros du processus qui les transforme en potions de rêves, toutefois, c’est ma magie. Je ne sais pas si tu peux t’accoutumer à elle, Bauer, le cas ne s’est jamais présenté. Des années passées au Japon, où j’ai pu tester le plus longuement sur les mêmes clients, ce sont généralement deux ingrédients de la potion de sommeil qui peuvent poser problème. Une accoutumance est possible, et il faut renforcer les effets pour que le sommeil de base ne se déclenche. Au stade où je vous les vends, on est loin des expérimentations que j’ai tenté au Japon, qui t’assurent encore pas mal de temps à pouvoir te reposer sur mes potions, si c’est cela qui t’inquiète. Je ne saurais pas te le quantifier, tu t’imagines bien que cela dépend du client. Tu consommes, ton corps est habitué aux nouvelles substances, et les assimile peut-être plus rapidement que d’autres. De l’autre, il peut aussi s’être créé une forme de résistance, qui fait que tu t’y habitues moins aisément. Il n’y a pas mille variante à ces ingrédients, seulement – quand tu auras atteint le stade maximal, je n’aurais pas d’autres solutions.

Je m’interromps, hésite, soupire.

- Il n’y aura que les nuits extatiques. C’est un mélange autre, qui assomme plus qu’il n’endort, ce ne sont pas les mêmes composants ou les mêmes effet que les potions de rêve. Le plus gros se joue avec ma magie… mais on en a déjà parlé, c’est à un tout autre niveau. Tu ne peux absolument pas consommer, quand on fait ça. Tu ne peux pas consommer non plus quand tu prends mes potions, tu le sais bien, ça ?

Je tire, pressé, sur ma mandragore, et me relève.

- Bauer, j’ai pas eu les mêmes emmerdes que toi avec la drogue, je suis loin de les avoir qui me colle encore à la peau. Cette pauvre mandragore, c’est la seule chose qui rythme ma vie, en ce moment. Je ne suis pas là pour te dire comment faire ta vie, je ne veux juste pas que tu me claques entre les doigts. Tant qu’on respecte les dosages, les utilisations régulées, on est bon, tu comprends ? Tu t’y habitueras, un jour – mais sans rechute… ça ira.

Ça ira. Je ne sais plus, toutefois, qui de nous deux je cherche à convaincre. Il y a le spectre de Wassim, qui ne semble plus vouloir me quitter, et qui glousse au loin. Ça ira. Ça va toujours, quand il est question de camés. On se contrôle toujours. Évidemment. La mandragore m’assèche la gorge, encore. Elle n’est pas assez forte, cet après-midi.


@Engel Bauer 2546 mots
Awful

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