Étagères en bois de chêne, couvertures en cuir rouge, rayon de soleil qui traverse la fenêtre.
A la manière de Mathias Enard, célèbre écrivain français moldu à peine plus jeune que toi, tu remplis les pages de ton petit cahier au milieu de ta bibliothèque vide en ces heures de cours. Voilà cinq étés que tu as rejoins l’équipe pédagogique de Poudlard, cinq étés à arpenter de nouveau les murs de cette école que tu avais quitté une fois tes ASPICs en poche, douze ans auparavant. En apprenant que Mrs. Pince, cette vieille sorcière aigrie, refusait de retourner à Poudlard après cette année de fermeture et cette période de chaos, tu t’étais dit que reprendre le poste était un bon compromis entre avoir une situation stable avec un certain revenu pour vivre, et du temps pour mener à bien tes projets de recherche. Toi qui t’étais éloignée du sol anglais pendant quelques années, entre-autre à cause des tensions politiques, revenir pour la réouverture du collège était un moyen de repartir sur de nouvelles bases. Et l’idée d’être entourée de livres en permanence était quelque chose qui t’avait fortement plu. Malheureusement, tu t’es vite rendue compte que ton rôle faisait davantage office de Rapeltout qu’autre-chose, passant ton temps à faire venir à toi les élèves pensant que la bibliothèque n’était qu’un lieu sans règles où l’on pouvait prendre et garder à sa guise. Certains ont tes faveurs car ils s’en montrent dignes sans en abuser, mais aussi parce qu’ils ont un esprit aussi brillant que le tien. Cet endroit est devenu ta tanière en quelque sorte, même si l’envie de partir te rend souvent songeuse.

Nuage qui cache le soleil et qui repart, espérons que le vent n'amène pas la pluie.
Le drame qui vient d'arriver est absolument un scandale. Tu ne peux pas croire que des personnes revendiquant un attentat soient toujours en liberté dehors, bien que tu es persuadée que le Département de la Justice fait son possible. Mettre des enfants en danger ainsi... Tu n'as certes aucun positionnement politique, mais tu ne soutiens pas non plus de tels actes. C'est inacceptable. Décidément, toi qui ne voulais pas être mêlée à tout cela, tu te t'en retrouves en plein cœur, au sein même d'un établissement réputé comme un des plus sûrs.  Même après les épisodes de la Grande Guerre, les temps ne sont pas aussi sûrs que ce que la victoire promettait...

Pile de livres à ranger, poussière à nettoyer d’un petit coup de baguette.
Harry Potter est réapparu. Celui que tout le monde croyait mort et revenu bien vivant, et tu es là pour le voir. La porte de la Grande Salle s’est ouverte, laissant place à un corps maigrelet et titubant. Lord Voldemort a été vaincu. Le monde des sorciers peut enfin connaître la paix et le repos. Tu observes les réactions de joie, de soulagement, de surprise, sentant un certain mal-être s’immiscer en toi. Tu n’étais pas là pendant les épreuves auxquelles ont dû faire face la majorité des personnes présentes dans cette salle. Pas là par choix, pas là pour fuir une vérité, pas là par lâcheté. Cette guerre dont tout le monde souffre, tu ne l’as pas connue, tu en as simplement eu beaucoup d’échos, mais tu n’étais pas au nerf du combat. Tu as beaucoup de respect pour Harry Potter, tu es consciente de ce qu’il a fait. Héros national et mondial. Il a sauvé votre communauté et a fait preuve d’un courage sans failles. Mais jamais tu ne pourras ressentir ce soulagement qui habite le cœur de la population anglaise.

Oiseau qui vole pour se poser sur un arbre, vent léger qui lui caresse les plumes, chat qui attend caché dans le feuillage, à l’affût.
Feuilletant ton nouvel achat, tu t’installes à ton bureau dont la table est remplie d’autres cahiers, de schémas, de croquis, de notes écrites à toute vitesse. Quatre années que tu es partie d’Angleterre, quatre années passées à découvrir le monde. Les nouvelles de tes terres d’origines ne sont pas au beau fixe, et tu éprouves un certain soulagement à être loin de cette guerre. Tes parents assez positionnés politiquement aimeraient que tu le sois aussi, mais tu n’as pas envie de te prendre le chaudron avec eux. Vos correspondances sont brèves, de quoi avoir suffisamment de nouvelles pour ne pas trop s’inquiéter l’un de l’autre. Tu évites de trop leur en dire, et tu fais en sorte d’être sans cesse occupée pour ne pas culpabiliser.
Après avoir commencé par la France, fais un tour par l'Espagne, et visité de manière très approfondie le Brésil, tu te trouves actuellement en Afrique, et plus précisément, en Ouganda. Tu avais entendu parler de leur pratique magique depuis quelques temps et voulais le voir de tes propres yeux. Tu n'es pas déçue. La manière de pratiquer la magie ici est impressionnante et tu n’as cesse de remettre en question celle enseignée en Occident. Ici, les sorciers sont beaucoup moins dépendants de la baguette et la considèrent juste comme un outil “bonus”. Tu as encore beaucoup à apprendre car cela ne fait pas longtemps que tu es ici, mais tu as entendu dire que tous les enfants à partir du collège apprenaient à devenir des Animagi. Une telle maîtrise du corps… L’Angleterre et le reste du monde a beaucoup à apprendre. C'est ici que tu perfectionnes ton pouvoir d'Occlumens.
Quelque part au fond de ton esprit, des traits commence à s’estomper.

Jeune pousse au coin de la fenêtre, briques en pierre, registre des emprunts.
Ca y est, tu ressors diplômée de l’Ecole de Magie et de Sorcellerie de Poudlard. Un ASPICs digne des meilleurs. Tu as tellement travaillé pour avoir ce bout de papier que tu brandis, à tel point que tu te demandes maintenant ce que tu vas faire. Pendant ta scolarité, tu n’as pas arrêté de te renseigner, te poser des questions, de lire milles et un ouvrage sur des sujet divers - notamment l’anthropomagie dont tu t’es passionnée, mais aussi l'Occlumancie que tu as découvert et que tu expérimentes. Tu as tous les outils pour entreprendre un sujet de recherche - tu hésites encore lequel, ils sont si nombreux. A 17 ans, le monde est plein de possibilités, et pourtant tu veux partir loin d’ici. Te changer les idées, prendre des distances. Prendre un nouveau départ. Car il y a un visage que tu n’oublies pas. Ta décision est prise assez rapidement, il est temps pour toi de partir pour un grand voyage. Tes parents ne sont pas vraiment d’accord, ils préféreraient garder un oeil sur toi, mais ils savent bien qu’ils ne pourront pas te retenir trop longtemps. Après tout, tu as toujours un peu rêvé d’ailleurs, pourquoi t’en empêcher ? Quoi de mieux que de découvrir d’autres civilisations, d’autres sociétés et d’autres modes de fonctionnement pour mieux comprendre la magie ? Tes valises sont prêtes, te voilà devant le Portoloin qui s’apprête à t’envoyer quelque part dans le monde. Attache ta ceinture dans 3, 2, 1…

Livre au fond qui ne cesse de faire du bruit, sûrement un des anciens sortilèges d’Irma Pince…
Tu viens de passer tes BUSES. Tu devrais être contente, toutes tes épreuves se sont bien passées - est-ce étonnant finalement - le Choixpeau ne t’a pas envoyé à Serdaigle pour rien. Oui mais voilà, depuis quelques mois ton esprit broie du noir. Les questions que tu te poses sont nombreuses, et tu sais que cela est normal à ton âge. Pourtant, les questions ne devraient-elle pas avoir des réponses ? Alors pourquoi est-ce que tu n’en trouves pas ? Depuis toujours, tu as l’impression de ne pas être comme les autres, et cela s’intensifie de plus en plus avec le temps, surtout cette année. De toute façon les vacances arrivent dans peu de temps, l’occasion pour toi de prendre de l’air et partir loin du château. Car c’est bien à l’intérieur de l’école qu’il y a un problème. Après quelques minutes de réflexion, tu te dis que le problème en question ne sera plus à Poudlard l’an prochain car il vient de passer ses ASPICs. Et cela devrait te soulager, t’apporter de l’oxygène. Mais tu as l’impression que c’est tout l’inverse. Que ton coeur se serre, que tes capacités respiratoires diminuent, que tu tombes d’un falaise pour ne jamais atterrir. Comme lâchée dans le vide. Et ce n’est pas normal de ressentir ça. Non, ce n’est pas normal de ressentir ça pour une fille…
Il faut que tu te protèges. Que tu protèges ton esprit. Si quelqu'un en venait à tomber sur ce que tu ressens, c'en était fini de toi. Si seulement quelque chose ou quelqu'un pouvait t'aider, te renseigner, t'aiguiller... Tu as entendu parler d'une capacité magique très utile, mais tu aimerais savoir si elle fonctionne bien et comment elle marche. L'Occlumancie...

Du bruit dans les couloirs, des élèves qui descendent manger, une journée presque terminée.
Tout le monde en parle depuis une semaine : Harry Potter a vaincu Celui-Dont-On-Ne-Doit-Pas-Prononcer-Le-Nom. Un poupon a vaincu le plus grand mage noir de tous les temps. Tes parents sont comme des adolescents surexcités depuis, et du haut de tes dix ans, à un mois de ta rentrée à Poudlard, tu as tout de suite saisi les enjeux. Mais maintenant que le côté du Mal est battu, tout ira bien non ? De toute façon, toi tu n’as qu’une idée en tête : l’école de Magie. Tu rêves d’y entrer depuis que tes parents t’en ont parlée et depuis que tes pouvoirs se sont manifestés, un soir de Noël, trois ans auparavant. Tu t’en souviendras toute ta vie. Ton cousin avait eu la mauvaise idée de te faire peur, et tous les cadeaux s’étaient ouverts en même temps que ton cri de frayeur. Un événement qui avait été fêté en bonne et dûe forme. Depuis, tu penses à Poudlard tous les jours, à ce moment où ta baguette te choisira, à ce livre sur l’Histoire de la Magie que tu as prévu de t’offrir avec tes économies. Pour toi, aller dans cette école c’est un petit peu faire partie des grands. Quel jeune sorcier n’a jamais rêvé de sa Répartition ? Toi tu seras à Serdaigle, c’est sûr.

Un soleil qui se couche, des lumières qui s’allument, des reflets orangés sur les murs.
3 Novembre 1970, Edinburgh.
Un cri déchire un frêle poumon, des bras et des jambes potelés s’agitent dans les airs comme combattant un monstre invisible. Ce bébé, c’est toi.
Né de l’union d’une infirmière moldue et d’un guérisseur sorcier, tu nais pourtant dans l’amour d’un mélange hors-normes. Tu ne le sais pas encore, mais tu seras fille unique avec quelques petits cousins du côté paternel. Ton père espère que tu seras sorcière, ta mère espère que tu seras juste heureuse, peu importe ce que tu seras. Tous deux voulaient une fille, c’est bien tombé. Tu n’aurais pu rêver de parents plus aimants qui allaient t’apporter une éducation des plus idéales, entre l’amour et le respect du prochain, l’importance de la culture et de l’autonomie, le côté essentiel du contact avec les autres. Ils n’auraient pu se douter que tu allais devenir une personne de sang-froid, eux si extravertis. Et pourtant, ils t’aiment quand-même, encore aujourd’hui.


Tu soupires un instant, regardes par la fenêtre, referme ton cahier que tu ranges précieusement dans ton sac. Après un rapide tour dans ta bibliothèque pour t’assurer que tout est en place et bien rangé pour le lendemain, tu fermes la porte d’un coup de baguette et regardes ta montre. Huit heures du soir. Il était temps de te retirer dans tes appartement.