« Mon coeur est un palais flétri par la cohue ; On s'y soûle, on s'y tue, on s'y prend aux cheveux ! - Un parfum nage autour de votre gorge nue !...»
Yolanda Yeabow était restée à la bibliothèque quelques instants de plus que Lemony. Après son long discours, il s’était en quelques sortes évaporé, et l’avait laissée seule avec la tornade qu’il avait déclenchée en elle. Quelque chose dans son cerveau s’était alors activé — elle n’avait pas eu le temps d’agir, enfin à peine — c’était comme une barrière de protection mentale, qui se dressait entre elle et les paroles agressives, faisant comme si elle ne les avait pas entendues. Presque instinctivement, elle avait glissé sur son visage le masque de marbre habituel, le masque glacé et indifférent qu’elle enfilait en de pareilles circonstances — ce masque si pratique qu’elle s’était forgée des années auparavant. Comme une main se glisse dans un gant de velours très cher et très confortable, qui d’un coup la protège et lui permet d’ignorer le froid mordant autour d’elle, le visage de Yolanda resta impassible au déferlement du né-Moldu sur elle. Si bien qu’après son départ spontané, elle avait esquissé un vague sourire méprisant pour le spectacle de lui-même qu’il avait donné — vraiment, ces Sang de Bourbe pouvaient être de tels clowns — mais s’était tenues quelques minutes sans rien faire, sans vraiment parvenir à faire quoi que ce soit. Les yeux dans le vide, elle contemplait comme une forme de béance en elle, autour d’elle, enfin quelque part. Et puis ses doigts refermèrent le livre, se refermèrent sur la couverture, et d’un coup de baguette sec, le renvoyèrent sur l’étagère.
Et puis, la tête toujours aussi vide, l’esprit toujours aussi étrange, le cœur toujours inconfortable, elle était rentrée dans ses appartements. Elle poussa un soupir de soulagement une fois qu’elle eut refermé la porte, comme si elle avait laissé une sorte de monstre derrière elle. Puis Yolanda prit une douche rapide, savourant la brûlure de l’eau chaude sur sa peau, dans son dos, contre son visage, et enfila une nouvelle robe en soie noire. Et puis elle s’installa dans son fauteuil préféré, dans le petit salon adjacent à sa chambre à coucher, et alluma une cigarette. Elle ne fumait que rarement — très rarement — mais il lui fallait quelque chose, n’importe quoi, qui l’aiderait à faire échapper sa nervosité, et ce soir le tabac seulement pourrait faire l’affaire. Elle avait déjà terminé ses réserves de Whisky Pur-Feu, ce Penderyn qui était le favori d’Owen d’ailleurs. Non, pas d’Owen, et pas de whisky, ce soir. Elle sentit la chaleur emplir sa gorge, soupira. C’était sous l’influence de Théodore qu’elle avait pris cette habitude, c’était vrai — fumer dans les moments de nervosité intense. Théodore, lui — comment l’oublier ? songea-t-elle avec un sourire furtif — s’enfilait, à l’époque où il encore vivait avec elle, cigare sur cigare. Son Manoir finissait par empester, ça la rendait folle, et lui n’avait pour excuse qu’un sourire élégant, ravageur, distingué. Tu es terrible, mon amour, lui rétorquait-elle, je n’arrive jamais à t’en vouloir plus de cinq secondes, et pourtant cette habitude est insupportable.
Lemony n’avait pas eu raison sur tout. C’était la première pensée en rapport avec son collègue qui lui traversait l’esprit, plus d’une heure après. Non, Lemony n’avait pas eu raison sur tout. Lemony — argh. Elle agita sa baguette et se versa un thé, de même qu’elle fit apparaître une pile de copies. Elle n’allait pas dormir, pas maintenant. Un monstre étrange creusait dans son ventre ; c’était d’une aigreur incomparable, de cette aigreur qui ne vous laissait pas tranquille, comme une honte de gosse dans une cour de récréation, un gosse qui se serait fait humilier, écrabouiller, devant tous les auteurs, au milieu de leurs regards accusateurs, goguenards et. Elle se souvint de ce cauchemar, fait quelques heures plus tôt — sa mère, Ariane — et regretta amèrement d’avoir fini tout l’alcool qui lui restait avec Nott, l’autre soir. Non, elle ne dormirait pas, pas tout de suite, c’était impossible. Yolanda agita sèchement sa baguette, encore une fois, et fit apparaître un tas de copies qui traînait, dans l’angle. Pendant une vingtaine de minutes, elle se mit à corriger les copies, alors, furtivement. Elle raturait avec rage, barrait avec violence, notait avec agacement. Elle essayait d’extérioriser quelque chose qui ne voulait pas sortir, que corriger les copies n’aiderait pas à évacuer, que se battre en duel, faire l’amour, ou faire exploser des meubles en fumée n’aiderait pas à évacuer. Mais c’était tout ce qu’elle pouvait faire, là, pour se garder occupée — corriger des copies, alors elle s’obstinait, en élève appliquée, à faire ce travail.
Au bout de vingt minute elle renonça, et s’empara plutôt d’un recueil de poèmes qui traînait sur l’étagère. Non, Lemony n’avait pas eu raison sur tout. Elle poussa un soupir déchirant avant de se plonger dans sa lecture.
Je suis la plaie et le couteau ! Je suis le soufflet et la joue ! Je suis les membres et la roue, Et la victime et le bourreau !
Je suis de mon cœur le vampire, - Un de ces grands abandonnés Au rire éternel condamnés, Et qui ne peuvent plus sourire !
Yolanda fut interrompue cependant par des coups contre sa porte. Nott ? Non, Camille et elle n’avaient convenu d’aucun rendez-vous, pourtant. Elle reconnut la voix de Lemony et se figea toute entière — incroyablement lasse, d’un coup. Puis se leva, en une fois, presque instinctivement. Elle n’allait pas ouvrir, non, seulement elle était très curieuse, vraiment, elle ne comprenait pas tout à fait ce qui se passait là ; il marmonnait quelque chose d’indistinct, ce n’étaient pas tout à fait des excuses, mais la tonalité de sa voix était apologétique, et il n’avait pas l’air de tenir parfaitement debout, ou en tout cas d’aller très bien. La seule chose qu’elle entendit clairement, c’était qu’il avait ramené avec lui de l’alcool, et puis un bruit de verres. Elle plissa les yeux. Mais quelle drôle d’idée ! Quel cirque, vraiment… Après avoir insulté ses supérieurs, on s’amusait à venir leur offrir un verre ? Car si elle ne se trompait pas, elle n’avait pas entendu d’excuse. Alors, que faisait-elle ? Laissait-elle entrer chez elle quelqu’un qui venait de l’insulter quelques heures auparavant, quelqu’un contre qui elle nourrissait désormais une forme de rancœur intense, mêlée de mépris, et qui vraisemblablement était passablement éméché ? Mais Lemony ne lui laissa pas le temps de réfléchir. Il glissa quelque chose sous sa porte, qu’elle était prête à ne même pas ramasser — qu’est-ce que c’étaient encore que ces jeux-là, que ces âneries ? — et puis en baissant les yeux, instinctivement, elle vit la photo, sentit son cœur bondir, et — « Accio ! » — la tira à elle.
C’était toujours une chose un peu étrange, un peu émouvante, de voir quelqu’un des années plus tard, après l’avoir, par exemple, perdu de vue pendant une longue période. C’était toujours une expérience singulière de voir les deux visages se mêler — le visage dont on se souvenait, qu’on accolait à une certaine période de la vie de la personne, lorsqu’on la voyait encore — et le visage nouveau, celui qu’on découvrait. Par exemple, reconnaître les traits de l’enfants dans le visage de l’adulte nouvellement devenu, c’est une expérience qui en tant que professeur qui recroisait parfois des anciens élèves, la touchait souvent. Mais là… Là c’était trop. Là c’était quelque chose sur lequel Yolanda ne parviendrait pas, elle le savait, à poser des mots.
Elle ne savait pas que c’était possible, mais Ariane était encore plus belle que dans son souvenir. Sur la photo, elle rayonnait, paraissait calme, sereine, et adressait un grand sourire à l’objectif. Carys n’avait pas menti, Ariane avait l’air profondément heureuse. Si le prix à payer pour cela était l’éloignement d’avec ses parents, alors… Yolanda sentit ses jambes trembler — peut-être qu’ils ne la soutiendraient pas plus longtemps que ça — c’était vraiment étrange. Elle reconnut ce geste d’Ariane, ce geste de replacer une mèche derrière ses oreilles, une belle mèche blonde, n’est-ce pas, ce blond si clair, si pur, hérité de Jonathan. Elle ne pouvait pas détacher ses yeux de la photographie, de ce sourire que lorsqu’elle vivait encore avec sa fille, elle aurait payé si cher pour obtenir, pour provoquer.
—J’ai encore du whisky, pour ce que ça vaut…
La voix de Lemony retentit derrière la porte. Ah, c’est vrai qu’il était encore là, lui. Elle se demanda ce qu’il voulait, s’il voulait vraiment quelque chose, mais ne réfléchit pas trop longtemps, se rassit, et ouvrit la porte d’un coup de baguette. Elle l’invita silencieusement à entrer, et disposa par magie la bouteille et les deux verres qu’il tenait sur la table basse en face de laquelle elle était, entre les deux fauteuils. Elle s’adressa finalement à lui, après un long silence, et sans avoir lâché la photographie ; sa voix était blanche, un peu tremblante, mais aussi presque sévère. Sous le coup de l’émotion, son visage s’était défait, comme un lit qu’après une nuit agitée, une nuit pleine de cauchemars à se rouler dans la couette, on n’avait pas trouvé le courage de réarranger.
—Est-ce que quelqu’un finira par me dire où se trouve cette enfant, ou du moins ce qu’elle fait ? murmura-t-elle presque, fantomatique, avec un soupir.
Lemony était en face d’elle. Elle planta son regard dans le sien ; ses yeux étaient féroces, mais son visage, paradoxalement, refléta une forme de calme, de détachement véritable. Elle prit une gorgée de whisky, ferma les yeux un moment, et puis en les rouvrant, regarda Lemony de nouveau. Oui, ses yeux étaient féroces, comme dans une dernière tentative de défense de son intimité, cette intimité qu’elle ne pouvait plus, ne voulait plus cacher, cette fragilité qui ce soir, gisait à ces pieds, offerte, que n’importe qui pouvait contempler. Alors, ce n’était que naturel que ses yeux seuls demeurent féroces, comme deux chiens de garde qui tentaient de défendre, dans un dernier geste désespéré et courageux, plein d’honneur, une maîtresse qui avait perdu les armes, et qui le savait.
—Je sais que j’ai une grande responsabilité dans le fait qu’Ariane soit partie. Je sais le mal que je lui ai fait, aussi ; je le regrette chaque jour de ma vie, et je sais que ce n’est même pas assez, que cela ne changera rien. Et je respecte aussi sincèrement sa décision d’être partie, même si elle me fait souffrir. C’est sa vie, et je n’ai plus mon mot à dire.
Bien sûr, Jonathan avait fait des erreurs aussi, des erreurs qui avaient entraînées celle de Yolanda ; bien sûr, Ariane ne leur avait pas rendu la tâche facile, mais au final elle n’avait été qu’une enfant, prise dans des querelles qui la dépassaient, dégoûtée par des parents qui n’avaient pas su se débattre avec les débris d’une histoire trop intense.
—Avec ceci, néanmoins, tu calmes un petit peu l’inquiétude que je n’ai pas pu m’empêcher d’avoir tout ce temps, glissa-t-elle doucement en désignant la photo, ses yeux brillant beaucoup trop. Alors merci, Lemony.
Il n'y avait plus de sourires, plus de faux-semblants avec lui, tout à coup. Elle n'était pas le fauve de tout à l'heure, qui cherchait à s'amuser avec la souris. Quelque chose aux tréfonds d'elle était trop ébranlé pour faire semblant. Pour la première fois depuis qu’il était entré, elle s’autorisa à se servir un verre, et en termina la première moitié beaucoup trop rapidement. Un léger brouillard, presque apaisant, et glaçant aussi, s’était emparé de son esprit. Son regard n’avait pas quitté celui de Lemony, toujours plongé dans le sien, accroché au sien.
« Mon coeur est un palais flétri par la cohue ; On s'y soûle, on s'y tue, on s'y prend aux cheveux ! - Un parfum nage autour de votre gorge nue !...»
La chaleur du whisky lui était vite montée à la gorge, à la tête ; Yolanda Yeabow sentait une torpeur l’envahir, qui, mêlée à l’émotion ravivée par la photo d’Ariane, l’avait rapidement grisée. La discussion de tout à l’heure en était presque oubliée, vraiment. Qu’est-ce que c’était, des mots durs, à côté d’une photo d’Ariane, de nouvelles d’Ariane ? Elle sentit que Lemony avait du mal à soutenir son regard, son regard à la fois dur et brisé ; elle sentait qu’il avait du mal à admettre que ce qu’il croyait être un monstre, en face de lui, pouvait dévoiler sa fragilité avec autant de pudeur, encore. Mais à quoi cela servait-il de faire semblant ? En ce qui concernait Ariane, elle ne voulait plus faire semblant devant personne, cela ne l’avançait plus à rien…
« Elle est aux États Unis, ou peut-être est-elle arrivée au Canada maintenant ? Elle était au Mexique cet été, elle remonte tout le nouveau continent... Et pour ce qu'elle y fait... Je ne sais pas trop, elle vit. On ne parle pas vraiment de ça. »
C’était trop d’un coup, trop de nouvelles, plus que ce qu’on avait jamais daigné lui donner — Carys, Théodore, ces gens étaient supposés être des proches, de la famille — Théodore qui était supposé l’avoir aimée au moins un peu, n’est-ce pas ? — eux n’avaient pas bougé le petit doigt et voilà que les mots tombaient, ronds, doux, pleins de vie, de la bouche de Lemony, cet étranger, cet inconnu presque, cet ami d’Ariane, et son ancien élève, son collègue maintenant. Lemony, ce né-Moldu qu’elle avait méprisé d’abord pour désir de s’attacher au monde magique si fort, et puis qu’elle n’avait pas pu s’empêcher d’admirer, sans se l’avouer. Sans se l’avouer…
Il dit qu’elle serait partie quand même, qu’elle avait trop besoin de voyager quand même, certes. Yolanda avait toujours apprécié, admiré cette faim d’ailleurs dans les yeux de sa fille ; elle était heureuse de voir que les drames familiaux, le manque de stabilité, ne l’avaient pas empêchée de nourrir une grande et belle curiosité. Yolanda, en tant qu’intellectuelle et mère, avait beaucoup apprécié cela, mais Ariane était comme un étalon sauvage, qui, une fois sorti de l’enclos, ne se tenait plus. Si elle voulait partir, qu’elle parte, mais sans laisser une note, en plusieurs années… Ce comportement-là était terrible, ce comportement-là lui avait brisé le cœur, et elle se doutait bien qu’Ariane savait ce qu’elle faisait, en refusant jusqu’à lui laisser la moindre petite note. Elle se rappelait de ces quelques visites à Jonathan, qu’elle se permettait encore jusqu’il y a quelques années, quand cette absence devenait trop dure ; ils buvaient tous les deux du thé en silence, au Manoir Crewe, et puis elle posait doucement sa tête sur son épaule, il mettait sa main sur la sienne, et cela les apaisait un peu. Ils avaient essayé de se rassurer mutuellement, d’apaiser l’autre en lui disant que sans doute elle allait bien, sans doute elle était heureuse ; et pour cela, malgré leurs différents, elle en demeurait un peu reconnaissante à Jonathan, car dans les premiers temps elle ne se tenait plus. C’était comme si une force géante l’avait tenue, accrochée par le nombril, et entraînée violemment vers des abysses terribles.
Mais elle aurait tant aimé être cette mère-là : celle qui échangeait autour d’une tasse de thé avec sa fille sur les projets, les voyages de celle-ci, qui l’aidait à faire sa valise en riant, qui recevait avec fierté ses cartes postales. Cela aurait dû être elle qui avait reçu cette photo, pas Lemony… La photo ferait figure de ce qu’elle n’avait pas, de ce qu’elle n’avait jamais reçu, comme un triste remplacement…
Seulement elle ne pouvait pas rester trop plongée dans ces pensées ; Lemony était là, en face d’elle. Lui non plus ne semblait pas d’accord avec le comportement d’Ariane : partir, oui bien sûr, mais ne plus écrire ? Yolanda respectait ce choix — c’était sa croix, n’est-ce pas ? — mais entendre un autre trouver ce comportement extrême, cela la rassurait un peu. Elle n’avait jamais eu l’occasion d’en parler directement avec Carys, par exemple. Mais Lemony aussi trouvait qu’Ariane n’avait pas la bonne façon d’agir… Yolanda s’en serait remise, au moins un peu, si elle pensait que cette attitude faisait du bien à sa fille ; mais elle voyait également que Lemony avait raison, que c’était la première personne à clairement formuler qu’Ariane se faisait plus de mal que de bien avec cette attitude. Elle lui répondit par un sourire amer.
« Ma mère passe ses journées à regarder dans le vide, partie, ailleurs... Je ne pourrais jamais lui dire que... Je ne pourrais jamais... Et vous, et votre famille... »
Oui, nous, notre famille, c’est un beau gâchis, n’est-ce pas ? Et je ne t’en veux même pas de le souligner Lemony, car je sais combien c’est vrai. Si je passais mes journées à regarder dans le vide, si moi aussi j’étais ailleurs, comment réagirait Ariane ?
Cependant fut proprement surprise, et à vrai dire réellement émue par la proposition de Lemony. Transmettre une lettre à Ariane ? Les traits de son visage se modifièrent, soudain plus ouverts, plus intéressés ; ses yeux-mêmes étaient plus tournés vers Lemony. Se contenir, il faut se contenir Yolanda ; évite de répandre ton émotion et ta gratitude partout ; ce serait ridicule, gênant, comme si tu venais de renverser tout le whisky sur la table en une seconde. Non, au lieu de répondre tout de suite, elle le regarda plutôt très intensément, et puis leur servi tous les deux à boire de nouveau d’un coup de baguette. Elle eut envie de céder à un réflexe violent en posant sa main sur la sienne pour lui témoigner sa reconnaissance, mais se retint. Finalement, elle but plutôt encore un peu de whisky, puis, sans cesser de le fixer intensément, articula avec une grande douceur : « Je… Ce serait vraiment très aimable de votre part, Lemony. Je vous en serai vraiment… sincèrement reconnaissante. Je… devrais un peu y réfléchir, mais je vous tiendrai au courant si je lui écris quelque chose… » Elle avait néanmoins rapproché ses mains des siennes, plus détendue, et pleine de reconnaissance aussi. L’émotion passée, l’alcool avait tout de même déridé sa curiosité, et elle lui demanda d’une voix plus posée, plus solide, mais néanmoins un peu méfiante même si toujours vaguement cordiale : « Qu’est-ce que c’est exactement des mails sur un ordinateur… ? Ariane utilise cela, tu dis… ? » Si Ariane utilisait cela — ce ne pouvait être une ruse de Lemony pour la faire s’y intéresser, n’est-ce pas ? — si Ariane utilisait cela, ça l’intriguait. Bien sûr, elle n’allait pas se mettre à la technologie moldue — loin d’elle tout cela ; mais si Ariane l’utilisait, cela l’intriguait. Déjà, pour quelles raisons est-ce qu’elle le ferait ? Etait-ce par volonté de s’opposer radicalement à ses parents ? — Jonathan était plus ouvert que Yolanda, mais pas non plus de là à installer chez lui un ordinateur, ou à avoir des amis moldus. Ou alors, simplement par curiosité… Sans doute avait-elle hérité de la curiosité de sa mère, mais sans son éducation extrême, sans les mêmes valeurs du Sang à défendre… Et étrangement, Yolanda sentait qu’elle ne pouvait pas lui en vouloir. Cette enfant faisait son chemin, et quand bien même son chemin était différent du sien, que pouvait-elle dire encore ? « Oui, merci… Je crois que tu as raison et qu’il faudrait que je lui écrive quelque chose ».
Et enfin, les excuses vinrent. Yolanda ne les attendait plus, à vrai dire elle n’avait plus pu repenser à ce que Lemony lui avait dit, elle l’avait en quelques sortes évacué, évacué ces paroles-là… A partir du moment où il était venu frapper à sa porte, avec l’alcool et la photo, elle l’avait pris pour des excuses et avait choisi de ne plus repenser à ces paroles… Mais elles revenaient à son souvenir… Sans qu’elle ne veuille y repenser véritablement… Elle agita la main, signifiant qu’il n’y avait plus rien à dire de cela, qu’elle ne souhaitait plus en reparler. « Oh… Cela… oui… Ce n’est pas la peine d’en reparler » Elle eut un sourire bref, un peu carnassier, un peu malicieux : « Vous n’aviez pas raison sur tout, oui, en tout cas ».
Elle les resservit encore d’un coup de baguette, but encore silencieusement en le fixant. Sa tête était d’un coup plus légère, elle sentait quelque chose de flottant s’emparer d’elle, un doux vertige la gagner. Elle demanda, en penchant la tête sur le côté, légèrement encore — puisque le sujet Ariane était à proscrire, et qu’elle en avait assez entendu : « Ça ne te fait pas trop étrange d’être revenu à Poudlard ? Est-ce que tu as l’intention d’y rester, ou ce n’est qu’un passage pour toi, et tu as d’autres ambitions ? »
Yolanda marqua une pause, le temps de sa réponse, puis demanda, plus douce, presque gentille, et sincèrement curieuse des paroles qu’il avait prononcées plus tôt : « Et qu’est-ce qui est arrivé à votre mère exactement, Lemony, si je peux me permettre cette question ? » Elle ne savait pas si elle avait le droit de lui poser la question, mais l'alcool la déridait au fur et à mesure que la soirée avançait.
« Mon coeur est un palais flétri par la cohue ; On s'y soûle, on s'y tue, on s'y prend aux cheveux ! - Un parfum nage autour de votre gorge nue !...»
La conversation se détournait peu à peu d’Ariane, ce qui contre toute attente, fit quand même du bien à Yolanda. Ce sujet était excessivement pesant, même pour elle, surtout pour elle d’ailleurs, et elle pouvait voir qu’il mettait Lemony mal à l’aise. Etrange tout de même de constater comment les langues se déliaient — il suffisait d’une situation inhabituelle, d’alcool, d’être à une heure du matin, d’un changement de quelques paramètres en soi, pour avoir une discussion radicalement différente. Yolanda se demanda si jamais, sobres et en pleins jour, ils pourraient avoir une conversation de la sorte. Sans doute pas non, sans doute pas — ou alors, à très long terme, songea-t-elle.
Elle ne put s’empêcher d’éclater de rire lorsqu’elle entendit Lemony insulter Arthur Weasley, un rire un poil méprisant bien sûr vis-à-vis de Weasley — Yolanda était méprisante, comme d’habitude. « Pardonne-moi, mais ça me fait beaucoup trop plaisir que quelqu’un dise enfin les quatre vérités sur cet homme qui est beaucoup trop estimé, et qui se prend beaucoup trop au sérieux lui-même, par rapport au travail qu’il fait » Et tout cela était dit sans la moindre considération par rapport à la discipline de Lemony ou de Weasley — l’étude des Moldus — mais juste en considérant leurs personnages respectifs. On ne pouvait nier que Lemony était rigoureux, semblait savoir de quoi il parlait, et possédait une culture véritable d’un univers comme de l’autre, alors que Weasley nageait dans une forme d’enthousiasme de larve, sans curiosité véritable mais avec beaucoup d’enthousiasme oui, sans discipline mais avec beaucoup de fantasmes. Et il était à la tête d’un département, et personne ne se moquait plus ouvertement de lui — c’était un peu frustrant. « Oui, j’imagine bien que Poudlard doit paraître plus épanouissant dans ces conditions. Tu devrais vraiment t’y plaire, tu es assez intelligent et rigoureux pour être un professeur à la fois intéressant et épanoui dans ce qu’il fait. Et puis c’est une vie assez agréable, bien que la vie avec ses collègues ne soit pas toujours évidente. » Elle lui lança un regard amusé et un sourire malicieux derrière son verre. « Il paraît que la professeur d’Histoire de la Magie est une peste, mais les autres sont assez sympathiques je crois. » L’alcool la déridait, lui faisait faire de l’humour, ce qu’elle se serait plus rarement permis autrement ; les distances qu’elle mettait dans la vie de tous les jours étaient des barrières qu’elle pensait nécessaire pour la protéger. « Tu t’entends bien avec eux pour l’instant ? »
Elle sentit quelque chose en elle se figer lorsque Lemony évoqua sa mère. Sans doute là aussi l’alcool la rendait plus compatissante, plus empathique, et quelque chose en elle se raidit, oui. Elle n’aurait pas dû lui demander ça. Elle n’aurait vraiment pas dû lui demander ça. « C’est terrible, je suis vraiment désolée pour toi… » articula-t-elle sincèrement, les yeux baissés, n’osant pas pendant quelques secondes le regarder dans les yeux. Elle se rappela le début de la prise du pouvoir du Seigneur des Ténèbres, elle se revit en train de rassurer Owen : oui mon chéri, nous sommes violents parfois c’est vrai, mais cela n’est qu’une phase, une phase nécessaire et qui sera ridiculement courte par rapport à la période de plénitude, de stabilité politique, qu’ils endureraient après… C’était tout ce qu’ils avaient toujours voulu, n’est-ce pas ? — Un monde où les sorciers, les Sang-Pur règneraient enfin en paix, sans plus être menacés ! Mais Owen n’était pas convaincu, et Yolanda, si elle défendait dans les premiers temps de la nécessité de cette violence provisoire, le fit de moins en moins au fur et à mesure que l’année avançait. « Vous n’avez jamais essayé de la faire examiner par un Médicomage, ou de l’emmener à Sainte-Mangouste ? Si le traumatisme est dû à un maléfice, ou à de la magie, peut-être que cela pourrait aider à le lever… » Elle leva les yeux vers lui de nouveau. « Mais vous n’êtes pas coupable. J’imagine que le dire ne change pas grand-chose mais j’ai quand même l’impression qu’on ne dit jamais assez, qu’on ne peut jamais se convaincre assez de notre absence de culpabilité. Les coupables, les seuls coupables, étaient les gens qui ont fait ça, pas vous qui essayiez de survivre comme vous pouviez. » Elle se laissa aller contre son fauteuil et reprit doucement, les yeux pensifs, un peu dans le vague : « Bien sûr, un mari n’est pas une mère, je le sais. Mais depuis que j’ai découvert Owen mort dans son Manoir, il y a quelques années, je n’ai jamais arrêté de me sentir coupable. Je crois que ceux qui l’ont tué en avaient après moi, et je n’ai jamais arrêté de me sentir coupable de cela. Me dire que j’aurais pu être là pour éviter que cela se produise, que j’aurais dû faire plus attention, prévoir cela. Que cet homme est mort pour moi, à cause de moi, et que je n’ai pas su l’éviter. Et je n’ose pas regarder Carys parfois, j’ai trop honte. Mais les seuls coupables, les seuls vrais coupables, sont ceux qui ont fait cela. Ceux qui ont eu l’indécence, l’inhumanité, de venir l’assassiner chez lui. C’est ce que je me dis pour ne pas devenir folle. Et je m’imagine les étrangler parfois le soir. » Yolanda marqua une pause. « Certes, un mari n’est pas une mère » Quoique, son mari avait eu un rôle bien plus maternel auprès d’elle que la femme qui l’avait mis au monde — mais tout de même, ce n’était pas le cas de la plupart des gens. « Et j'imagine bien que vous avez traversé une épreuve atroce... — Mais vous n’êtes pas coupable une seconde. »
« Mon coeur est un palais flétri par la cohue ; On s'y soûle, on s'y tue, on s'y prend aux cheveux ! - Un parfum nage autour de votre gorge nue !...»
Lemony rétorqua, à la suggestion un peu timide de Yolanda, que sa mère ne pouvait fréquenter Sainte-Mangouste, du fait de la haine de certains sorciers pour les Moldus, mais aussi l’inquiétude vis-à-vis des sorciers que nourrissait le père de Lemony. Yolanda ne répondit rien. Elle enchaîna ensuite sur la culpabilité, mentionna Owen, et Lemony l’écouta. C’était étrange ce que faisait l’alcool, elle se sentait en quelques sortes lavée de toute censure, animée seulement par le besoin de partager ça. Comme si le ressentiment avait fondu, dévoré par l’effet du whisky sur elle, et qu’elle ne se retrouvait plus qu’avec des émotions qu’elle montrait rarement : la sollicitude, une forme d’empathie, un dernier ersatz de bienveillance. Etrange, étrange non ? Discuter comme cela avec Lemony dans ses appartements, Lemony qui en plus d’être né-moldu avait été son ancien élève… Mais et alors, quoi ? La discussion l’intéressait. Elle était trop fatiguée pour lancer des quelconques piques, trop fatiguée pour se prendre la tête avec. L’échange avec Lemony, à cœur ouvert, l’intéressait.
Elle sourit lorsqu’il évoqua le livre qu’elle était en train de lire à la bibliothèque.
—Ah oui, l’ouvrage dont je te parlais tout à l’heure, n’est-ce pas ? demanda-t-elle avec un sourire malicieux, comme pour lui rappeler sa hargne du début de soirée, et la lui mettre en perspective avec l’échange qu’ils avaient actuellement, le whisky qu’il venait partager et leur échange jusqu’ici sans heurts.
Yolanda s’était néanmoins adoucie, et repris :
—C’est un traité d’Histoire antique en runes. Ça parle des premiers grands sorciers, du début de leur rapport à la magie. Comme toujours il est difficile de démêler fiction, réécritures, et faits, mais c’est aussi cette frontière souvent floue, souvent brouillée, entre l’Histoire et la littérature qui me plaît. Et puis les runes ont un rythme incroyable, ça se rapproche de la poésie, ça aussi ça me plaît beaucoup, c’est un peu ce qui m’a toujours stimulée à essayer de lire ces traités dans leur langue originale.
Elle avait bu — quand elle avait bu elle commençait toujours à parler beaucoup, c’était inévitable. Elle n’arrivait pas à se rendre compte de si ses paroles intéressaient ou ennuyaient Lemony, mais c’était en quelques sortes comme si le flot s’échappait d’elle-même, sans contrôle ou censure. Elle reporta son attention vers son interlocuteur et esquissa un nouveau sourire — c’était vraiment étrange de penser qu’il était devenu son collègue ! La professeur revoyait encore le petit Lemony dans sa salle de classe, la harceler de questions et tenter de rendre les meilleurs devoirs possibles.
—Mais tu sais, entre nous, j’ai toujours lu aussi de la littérature moldue. J’adore certaines œuvres. Baudelaire ou Tolstoï. J’adore tout simplement ceux-là, glissa-telle nonchalamment, derrière le verre qu’elle était en train de terminer.
Peut-être qu’elle n’aurait pas dû dire ça. Peut-être que Lemony s’en servira contre elle plus tard, pour lui montrer que moldus et sorciers étaient égaux, et que si même elle les lisait, elle pouvait bien accepter qu’ils fréquentent leurs écoles au même titre que les sorciers, ou qu’ils occupent des positions importantes au sein de leur Ministère… Mais pour le moment, elle se fichait bien de cela. Quelque chose en elle avait simplement envie de partager avec Lemony, même si elle le regretterait par la suite. Ces moments où elle retirait son masque, ses sarcasmes, son venin, étaient si précieux et la déchargeaient tant qu’elle souhaitait en profiter sans les enfiler de nouveau de si tôt…
L’alcool avait indéniablement et définitivement un effet positif là-dessus. Elle jeta un œil à la bouteille, et se rendit compte que Lemony venait de la terminer, et que lui aussi semblait le regretter.
—Tiens, il n’en reste plus ?
Elle eut un soupir.
—Je gardais dans mes appartements des réserves d’un superbe whisky qu’Owen appréciait beaucoup, d’ailleurs. Cet homme avait des goûts excellents… Mais Nott a tout terminé l’autre soir. C’est un vrai alcoolique lui pour le coup, tu sais ça ?
Yolanda reprit, regardant son verre parlant plus à elle-même qu’à lui, et même un peu plus sombre et amère en laissant échapper :
—Mais maintenant qu’il a l’air de plus s’intéresser à Rogue qu’à moi, peut-être qu’il viendra moins, et l’avantage, c’est qu’il arrêtera enfin de finir toutes mes réserves… Même si je ne sais pas trop ce qu’il peut trouver de plus à Severus — je me le demande encore... — mais enfin, ça le regarde, n’est-ce pas ?
Elle leva les yeux vers Lemony, comme s’étant rappelé soudain qu’il était là. Elle eut comme un bref rire, un rire d’elle-même, un peu confuse.
—Je ne devrais pas te raconter tout ça, souffla-t-elle en haussant les sourcils, toujours un peu amusée d’elle-ne-savait-pas-trop-quoi. Tous ces ragots de professeurs, ça ne doit pas être très intéressant, désolée. Elle sourit un peu plus, s’approcha davantage et son collègue posa sa main sur la sienne, brièvement, en le regardant dans les yeux, suggérant : Mais peut-être qu’une bonne connaissance des commérages au sein du corps professoral est nécessaire pour y être intégré : c’est comme un rite de passage ! Elle retira sa main.
—Heureusement, il me reste un vin excellent. Un tout dernier verre ? demanda-t-elle en remplissant simultanément, d’un geste de baguette, leurs deux verres, sans avoir attendu sa réponse.
La tête commençait à tourner un peu à Yolanda Yeabow.
La question de Lemony déclencha une petite tempête dans l’esprit de Yolanda. Keats, bien sûr qu’elle connaissait Keats. L’alcool embrumait son esprit ; mais tandis que sa raison se tarissait, son émotivité prenait plus, de place, à vif, libérée. Elle regardait dans le vif, mélancolique, un sourire triste et amoureux au bord des lèvres, lorsqu’elle murmura doucement : « Bien sûr que je connais Keats. », murmura-t-elle. « Tu éclipses Avec ton souvenir toutes les autres délices, Et mélanges de chagrin mes plaisirs les plus chers. » La poésie anglaise la ramenait à son adolescence, où elle se nourrissait avec avidité de poètes jusqu’au petites heures, grisée par la manière dont les vers faisaient vibrer et son âme et son corps. Et Keats en particulier la ramenait à sa jeunesse, lors de son idylle avec Jonathan qui avait sonné comme la concrétisation de toutes ces années de fantasmes. L’amour de la littérature et de la poésie n’avait été que le prélude de l’amour en général, ou du moins de l’amour avec Jonathan, avait-elle cru. Ils se récitaient des vers. Elle lui récitait des vers — plutôt que de lui faire des déclarations d’amour. Elle se revoyait à son oreille, leurs deux corps enlacer, lui murmurer cette phrase-là : « Tu éclipses Avec ton souvenir toutes les autres délices, Et mélanges de chagrin mes plaisirs les plus chers. »
Elle secoua doucement la tête pour revenir à la réalité, et réussit à regarder Lemony dans les yeux. Mon Dieu, elle ne s’arrêtait plus de parler, c’était terrible. Elle disait des choses qu’elle ne devait pas dire, sans doute gênait-elle Lemony, mais elle n’en avait cure, elle trouvait ça tellement amusant, et puis la façon dont l’alcool libérait son discours la fascinait toujours. Elle rit. « Et je me ferais virer avec toi ! En plus de perdre l’amitié de Nott, ce qui serait un peu dommage, je l’avoue. S’il te plaît, épargne-moi, Lemony », s’exclama-t-elle, en lui souriant de bon coeur. Indéniablement, elle se sentait plus détendue, vraiment plus détendue. Elle agita sa baguette et lui servit à boire.
Elle sourit à la question de Lemony, et soupira doucement. C’était incroyable, elle n’aurait pas cru quelques heures plutôt qu’ils finiraient par discuter de choses pareilles, et surtout qu’ils auraient une conversation si légère, si détendue, et qu’ils pourraient vraiment laisser libre cours à leur bonne entente. « Tu sais, j’ai grandi dans un milieu où, étant une femme, il y avait peu d’autre choix que le mariage avec un riche Sang-Pur, avec comme unique perspective le fait de régner toute sa vie sur un immense Manoir et une armée de gosses imbus d’eux-mêmes. Ca me réjouissait peu. Je voulais absolument fuir le mariage, je voulais absolument mon indépendance. Alors, j’ai fait les études que j’ai faites. » Et accessoirement, elle avait rejoint les Mangemorts ; mais ce soir, ce n’était qu’un détail, n’est-ce pas ? — « Je me suis dit que quitte à déplaire à mon milieu, autant encore une fois choisir d’étudier ce qui me plaisait vraiment, et ne pas choisir une branche juste pour la gloire qu’elle m’apporterait. Donc, l’Histoire de la Magie, qui m’a toujours passionnée ». Elle sourit, attendrie en y repensant. Vraiment, sans cela, sans cette passion-là, elle aurait été privée d’un réconfort précieux dans sa vie. « Et puis… Je n’ai pas eu le temps de songer à mes perspectives de carrière. Aurais-je été attirée par le journalisme, la critique, l’écriture, la magistrature peut-être ? J’ai passé ma vie à avoir des liaisons avec des hommes qui travaillaient au Département de la Justice Magique, peut-être que ça veut dire quelque chose… » plaisanta-t-elle. « Mais je n’ai pas eu le temps d’y penser, vraiment. Quand je suis tombée enceinte d’Ariane, bien sûr ce n’était pas prévu, enfin tu connais sans doute un peu l’histoire… » Un père membre de l’Ordre du Phénix, une mère aux opinions politiques radicalement opposées… Cela ne faisait pas bon ménage. Même si elle devait peu avoir parlé à ses amis de ses parents, au temps de Poudlard, la lignée paradoxale d’Ariane n’était un secret pour personne. « J’ai été tellement humiliée en revenant chez ma mère. Dans ce milieu, tomber enceinte avant le mariage était impardonnable. Et puis Ariane est née, je me suis retrouvée seule avec elle. Il fallait absolument choisir quelque chose. J’ai choisi cela. J’ai eu la chance que cela m’ait plu. Voilà. » Elle lui sourit de nouveau. « Mais depuis peu, j’ai commencé à écrire des livres d’Histoire. Ca m’exalte beaucoup. Ca me permet de tenir. Je crois qu’il a fallu que je me lance dans un projet bien à moi pour tenir le coup après la mort d’Owen — quelque chose qui me motive. »
Yolanda lança finalement un regard en biais à l’horloge dans le coin de la pièce. « Mon Dieu Lemony, il est trois heures du matin ! Je me demande comment je vais réussir à faire cours avec tout cet alcool dans le sang et aussi peu de sommeil. Mais enfin, ce n’est pas comme si c’était la première fois que cela arrivait, et j’imagine que ça ne s’est jamais remarqué — enfin j’espère ? » demanda-t-elle en lui adressant un sourire taquin. « Je crois que je vais tout de même devoir me coucher… En tout cas, merci d’être venu. » Son sourire était plus sincère.