Que serait devenue cette jeune femme si ses parents avaient décidé de la garder dans la tradition Verbenae, plutôt que de l’envoyer à Poudlard ? Elle n’aurait certainement pas terminé vendeuse dans une boutique de Quidditch. Que font donc les Verbenae qui choisissent de ne pas se mêler aux sorciers de tradition hermétique ? Restent-ils en groupe, en villages, à l’écart ? Sont-ils sous la juridiction du Ministère de la Magie ? Il devra se renseigner sur la question, ne serait-ce que pour satisfaire sa curiosité personnelle. Dans tous les cas, il ne peut que secrètement approuver la décision des parents de Mara Lochlainn. Il avait suffisamment souffert de l’éducation à domicile qui lui avait été délivré pendant son enfance pour réaliser à quel point Poudlard avait été une libération. Mais il ne doute pas une seconde que les parents de la jeune femme aient été moins sévères que l’austère précepteur qu’on lui avait infligé pendant des années. Il peut encore aujourd’hui entendre distinctement le son sec de la baguette s’abattant sur le bois dur du bureau, et l’écho des pas de l’homme alors qu’il faisait les cent pas devant lui, attendant qu’il termine de restituer sans faute, et dans une parfaite calligraphie les noms des Lords de sang-pur siégeant au Magenmagot. Son père, attaché aux valeurs et aux traditions, avait fait en sorte qu’il sache sur le bout des ongles l’histoire sorcière d’Angleterre, quitte à passer des heures assis devant les mêmes livres, postérieur douloureux et yeux plissés, autorisé à prendre une pause uniquement lorsqu’il était capable de réciter d’une traite les arbres généalogiques de la famille. Pourtant, de ce qu’il comprend, malgré son lignage, les connaissances de Mara Lochlainn en matière de tradition Verbenae sont minces. Quel dommage, elle aurait pu lui apporter de précieuses informations concernant les usages de la magie chez ces peuples, et son rapport avec la tradition hermétique. Les sorciers maîtrisant les deux traditions et donc capable de transposer l’une à l’autre sont rares. La plupart du temps, les Verbenae purs gardent jalousement leur savoir, et les hermétiques spécialisés dans l’étude de cette tradition, bien qu’érudits et forts en théorie, ne seront jamais capable de connaître réellement ce que cette tradition signifie. Connaître quelqu’un qui baigne à la fois dans chacune des traditions, quelle chance cela aurait été ! Mais la jeune femme semble déterminée à en apprendre plus sur sa tradition d’origine, ce qu’il ne peut qu’encourager. Et puis, cela permet de désencombrer un peu les étagères. « C’est vrai que peu de gens s’intéressent aux autres traditions par ici. Et lorsqu’ils le font, ce n’est certainement pas chez nous qu’il pensent pouvoir trouver des objets en lien avec ce qu’ils cherchent. » Il réarrange distraitement quelques objets laissés tristement en vrac sur le comptoir. La boutique avait été glorieuse, un temps. Les principaux clients étaient nobles et riches, ils savaient qu’ils trouveraient leur bonheur chez Barjow et Beurk, et les enfants se faisaient un défi d’entrer et d’affronter l’humeur exécrable et les remontrances des patrons sans se défiler. A l’époque, Mara Lochlainn n’aurait jamais mis les pieds dans la boutique pour un simple renseignement, il en mettrait sa main à couper. Comme les temps avaient changé !
Lorsqu’elle évoque l’idée de repartir avec une babiole si elle le pouvait, Theodore s’imagine lui offrant l’un des bibelots qui n’intéressent personne, juste comme ça, pour le plaisir d’être agréable à quelqu’un, pour une fois. Barjow et Beurk ne se rendraient probablement pas compte de sa disparition, et même si c’était le cas, il inventerait un bobard qu’il leur servirait d’un ton voilé, désolé, soumis, comme il sait si bien le faire. Mais alors, ils exigeraient réparation, et il devrait le payer de sa poche. Un tel geste lui assurerait certainement la sympathie de la jeune femme, mais après tout, qu’à-t-elle à lui apporter ? Elle l’a dit elle même, elle n’a pas d’argent, elle n’est certainement pas noble, et pour être franc, il n’a aucun besoin et aucune envie d’accessoires de Quidditch. Mais c’est une Verbenae, ce pourrait être utile, un jour. Mais cela vaut-il vraiment le coup de s’attirer les foudres des vieillards ? Une autre fois, peut-être. « Un objet n’a pas forcément à être nécessaire, et parfois, son seul usage est de combler celui qui l’a acheté, que ce soit par son utilité, sa beauté, où le simple fait de l’avoir en sa possession si on le désire. Pour cette raison, si quelque chose vous fait vraiment envie, je suis sûr que l’on peut trouver une solution. » Il faut savoir se montrer vendeur, parfois, céder un peu de terrain pour en récupérer plus tard. Et il est sûr et certains qu’en fouillant un peu, Mara Lochlainn pourrait trouver quelque chose d’intéressant à ses yeux, que ce soit un bijou, un coffret, un livre, ou un portrait comme celui dont elle ne semble pas pouvoir détacher les yeux.
En entendant son exclamation, Theodore suit son regard et tombe bouche bée devant l’image de la femme apparue. Ses prunelles passent du tableau à Mara, puis de nouveau au tableau. Il passe devant le comptoir pour s’approché, éberlué. Indifférente à son trouble, la jeune femme du tableau, d’une grande beauté, passe dans ses cheveux un peigne ouvragé, se cachant parfois derrière une main mutine pour toussoter discrètement. Sa chevelure est d’un noir corbeau, comme les siens, pourtant il ne la reconnait pas. Mais beaucoup de gens ont les cheveux noirs. Il se tourne vers Mara Lochlainn, légèrement déconcerté. « Cela fait vingt-quatre ans que je connais ce tableau, et je l’ai toujours vu vide. Vous avez dit ou fait quelque chose ? » Peut-être est-ce un mot ou un geste de la jeune femme qui a interpelé l’occupante. Mais alors, quelle patience, avoir attendu tout ce temps avant de chercher une raison de se montrer. Il repasse les dernières minutes dans sa mémoire, cherchant quelque chose qui serait sorti de l’ordinaire, mais en dehors du fait que c’est la première fois que quelqu’un s’est intéressé à ce tableau vide, rien ne lui vient à l’esprit. Fébrilement, il passe ses doigts sur la toile pour en ôter la poussière, contemplant la femme et son chat d’un air songeur. « Elle vous ressemble un peu, c’est amusant. » Il adresse un sourire à Mara en se redressant. Sans pouvoir l’expliquer, le retour du personnage de ce tableau a éveillé en lui un sentiment de joie, comme lorsqu’on croise par hasard un vieil ami qu’on croyait oublié, à la différence près qu’il s’agit là d’un tableau, non d’une personne et qu’il est certain de n’avoir jamais croisé la femme auparavant.
« You can’t ask men to risk death if you’re not willing to risk it yourself. »
Il ne faudrait pas que je tarde trop. Si Aura était là, j'aurais probablement passé la soirée avec elle, mais malgré la courtoisie de ce cher Theodore, j'ai très envie de rentrer chez moi, de m'affaler dans mon lit et de discuter avec Jack. Je veux lui parler de ma longue journée, je veux râler, et puis finalement lui raconter mes dernières trouvailles, ma découverte de cette boutique à la fois effrayante et intrigante. Je ne sais pas si je dois à présent me dire que l'allée des embrumes est finalement un endroit comme un autre. Si l'on m'a souvent mise en garde contre cet endroit, c'est qu'il vaut peut-être mieux que je m'en tienne éloignée lorsque je ne viens pas voir mon amie. C'est juste qu'en l'espace de deux mois, deux personnes travaillant dans cette allée auront réussi à me faire voir les choses différemment.
Je paye finalement les bouquins que je me décide à acheter. Il ne me faut jamais bien longtemps pour prendre une décision dans le genre, et souvent la réponse est oui. C'est pourquoi je me tiens généralement éloignée des magasins – ce qui est assez ironique étant donné que je travaille moi-même dans la vente. Seul mon compte en banque chez Gringotts est ma limite. Une nouvelle robe, une écharpe, un jouet pour Jack, un bouquin, un accessoire de Quidditch, une plante, de la nourriture... Toutes ces choses me font succomber. Je suis une personne à l'esprit faible, mais je le sais, je le reconnais. Au moins, quand je passais le plus clair de mon temps sur mon balai, j'étais loin de toutes ces tentations. Rien que pour cette raison, j'aimerais parvenir à remonter sur un balai au plus vite. Rien que pour cela... Je gagnais plus et dépensais moins, c'était bien plus bénéfique pour moi.
Selon les mots du vendeur, peu de gens s'intéressaient aux différentes traditions, ce qui est bien dommage. Seulement, je dois avouer que je ne connais que la tradition hermétique ainsi que celle des verbenae, simplement parce que mes parents y sont mêlés et que j'ai officiellement suivi la tradition de ma mère. Je suis pourtant mal placée pour en vouloir à qui que ce soit de ne pas s'intéresser au reste des traditions. Je ne connais rien dehors de ces deux-là.
« C'est vrai que je n'aurais pas nécessairement pensé à venir ici pour cela, mais bon, comme vous le savez, je n'étais pas venue dans l'idée d'acheter quoique ce soit. Comme quoi la curiosité a parfois du bon. Qui sait, peut-être que la prochaine fois que je me questionne sur une tradition qui n'est pas la mienne, je viendrais ici. »
Mais pour l'instant, j'ai tout ce qu'il me faut et pas suffisamment de temps pour me consacrer à l'étude de toutes les différentes manières de pratiquer la magie dans le monde. Si j'avais décidé de faire de longues recherches dans un domaine spécifique, je l'aurais fait depuis longtemps, je n'aurais pas perdu mon temps sur un balai, j'imagine. Pourtant le Quidditch c'est ma passion. Difficile d'y croire aujourd'hui, difficile de se dire que je ne vivais que pour les sensations que me procurait le fait de voler.
J'admets ma faiblesse, que je pourrais repartir avec bien plus de choses si je m'écoutais. En tant que bon commerçant, Theodore me fait savoir que s'il y a quelque chose qui m'intéresse vraiment, il y a moyen de s'arranger. J'imagine bien que dans ce genre d'endroit, tout est négociable. J'imagine d'ailleurs que les prix sont à la tête du client puisqu'ils ne sont pas affichés. Dans ma boutique, tout est fixe et en dehors des périodes de promotions, il est hors de question de vendre un balai moitié prix, à moins qu'il ne soit d'occasion.
« Pour aujourd'hui, je pense que j'ai ce qu'il faut, mais j'y songerai la prochaine fois. »
Parce que j'envisage éventuellement de revenir, de prendre le temps de regarder plus en détails, de fouiller, de trouver, et de craquer. Pas ce soir, tout simplement. J'étais prête finalement à partir, lorsque mon regard se pose une dernière fois sur le tableau qui m'a tant rendue curieuse. Ce tableau n'est plus vide, comme par miracle, cette femme à la chevelure somptueuse est revenue. Elle est belle, et tout de suite, ce tableau est bien plus beau. Après tant de questions, même si nous n'avons pas les réponses, ont sait alors qui l'occupe. Theodore me demande alors si j'ai fait ou dit quelque chose, avouant qu'en vingt-quatre années, le tableau a toujours été vide.
« Je n'ai absolument rien fait, je vous promets ! Je suis toute aussi surprise, même si j'ai découvert ce tableau aujourd'hui. Si vous ne m'aviez pas dit que ce tableau avait toujours été vide tout au long de votre vie, je n'aurais pas été surprise, mais là... »
Pourquoi revenir maintenant. Elle ne dit rien, se brosse la chevelure sans broncher, fière malgré son regard dirigé vers le sol. Peut-être est-ce un pur hasard. Peut-être était-elle partie toutes ces années pour habiter un autre tableau et s'est décidée finalement à revenir. Le jeune homme semble bien plus intrigué et déboussolé que moi, comme s'il était heureux de voir cette femme finalement. Il dit alors qu'elle me ressemble. Il est vrai qu'il y a un air, au delà de la chevelure, mais je pense qu'il ne s'agit là que d'une coïncidence.
« Elle a des airs de ma mère, mais... Mais ça ne peut pas être quelqu'un de ma famille, je ne vois pas comment. »
La famille de sa mère est moldue depuis des générations. Ma mère aurait su si elle avait des ancêtres sorciers et surtout ayant eu l'air d'avoir vécu en Europe, si l'on en croit l'accoutrement de la jeune femme à la brosse. A vrai dire, j'ignore tout de mon arbre généalogique, mais je doute qu'il y ait un lien. A mon avis, c'est un pur hasard.
« A présent, vous vous sentirez-moins seul quand il n'y aura pas de client ! »
Avoir de la compagnie, même au travers d'un tableau, c'est toujours plus agréable et je sais de quoi je parle.
« Je ne vais pas vous retenir plus longtemps, j'ai déjà bien abusé de votre patience... Je sais à quel point c'est embêtant d'avoir un client de dernière minute lorsque l'on est censé fermer. Moi la première, ça me rend folle. Merci encore pour les bouquins. »
Et merci pour m'avoir redonné un peu le sourire alors que j'avais simplement envie de tout casser avant de rentrer dans le magasin. Même sans Aura, j'aurais finalement réussi à me changer les idées d'une autre manière.
Mara Lochlainn se défend avec véhémence. Elle n’est pas à l’origine de l’apparition de la jeune femme du tableau. Pourtant, Theodore en est sûr. Cela ne peut pas être une coïncidence. Un tableau resté vide au mur pendant des années et que l’occupant réintégrerait par hasard, seulement quelques minutes après qu’une inconnue s’y soit intéressée ? Et dire que pendant des années, il avait essayé d’en savoir plus sur cette toile, la manipulant avec l’aide de Barjow, tentant de révéler ses secrets à l’aide de sortilèges complexes et de recherches acharnées. Mais rien. Et soudainement, voilà qu’il contemple cette femme, absente depuis si longtemps. Elle ne fait pas attention à eux, concentrée sur sa chevelure, mais Theodore jurerait qu’elle a un petit sourire aux lèvres, comme si elle était heureuse d’avoir réussi son effet. Une comédienne.
Il doute cependant qu’elle fasse partie de la famille de Mara Lochlainn. La ressemblance est présente, mais Lochlainn n’est pas un nom de sang-pur, et à moins que la mère de la jeune femme ne fasse partie de l’aristocratie sorcière et que pour une raison inconcevable il ne soit pas au courant, il est improbable qu’un tableau représentant une ancêtre de cette dernière se soit retrouvé chez lui, d’une manière ou d’une autre. Non, il s’agit probablement de quelqu’un de la famille de son père, avec ces cheveux et ces yeux sombres. Il n’arrive pas à en détacher les yeux. « J’ai quand même du mal à me dire qu’il s’agit d’une simple coïncidence. » Est-ce que la femme du tableau patientait là depuis tout ce temps, attendant que la bonne personne se présente ou que les bons mots soient prononcés ? Est-ce vraiment possible pour un tableau de faire ça ? La réapparition de cette femme soulève un nombre impressionnant de questions dans son esprit, et il doute pouvoir y répondre un jour. Mais comme le dit Mara, cela aura au moins eu du bon : le tableau sera toujours de meilleure compagnie que Barjow et Beurk au cours des longues heures de la journée.
Mara Lochlainn annonce son départ, et c’est presque avec réflexe qu’il lui répond. « Vous ne m’avez pas dérangé du tout. » Même si un coup d’œil à l’extérieur lui indique que la soirée est déjà bien avancée. Il aurait dû être chez lui depuis longtemps. Pourtant, il est sincère. La visite de la jeune femme aura été plus intéressante qu’il l’avait prévu, et elle même se sera révélée plus intrigante qu’il ne l’aurait cru. Il n’arrive toujours pas à croire qu’il se trouve face à une véritable Verbenae, et que depuis tout ce temps, elle travaillait à quelques rues d’ici. Il faudrait qu’il se souvienne de Mara Lochlainn, la Verbenae de la boutique de Quidditch. Et il faudra qu’il pense demain matin à annoncer à la propriétaire de la boutique chinoise que son amie la cherchait la veille. Il adresse un dernier sourire à la jeune femme. « Merci d’être venue, ce n’est pas souvent qu’on a des clients comme vous alors n’hésitez pas à revenir un jour ! Si je trouve de nouveaux livres sur la tradition Verbenae, je vous les mettrai de côté. » Autant qu’ils aillent à quelqu’un qui s’y intéresse. Il raccompagne Mara Lochlainn à la porte de la boutique, avec une curieuse impression alors qu’elle disparaît dans la nuit. Cela aura été une étrange soirée. Il ferme la porte, qu’il verrouille à l’aide de sa baguette, arrange un objet dans la vitrine et époussette du plat de la main un coffret exposé. Il se retourne pour se diriger vers l’arrière-boutique, et s’arrête soudainement avec un pincement au coeur. La jeune femme du tableau a à nouveau disparu. Tant pis pour la compagnie.
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C'est court, mais c'était juste pour faire une petite conclusion