Une douleur sourde lui envahit la nuque et les épaules depuis près d’une heure déjà, mais il l’ignore, trop concentré sur la petite boîte à musique posée devant lui. Il est si penché que ses lunettes ensorcelées glissent en permanence sur son nez et qu’il doit les remonter du bout des doigts, d’un geste rapide, répété tant de fois qu’il en est devenu parfait. Il a passé la journée à travailler sur cet objet, tentant de percer le secret du charme qui se déclenche à l’ouverture de la boîte, mais sans succès.
Quand la femme lui avait apporté ce jouet pour tenter d’en obtenir quelques gallions, il lui avait d’abord ri au nez. « Que voulez-vous que j’en fasse ? » avait-il demandé en agitant la boîte à musique d’un air agacé. La femme avait haussé les épaules d’un air confus, incapable de lui répondre, et il avait à peine réprimé la grimace qui lui déformait les lèvres. Elle n’avait pas été la première à se présenter avec une vieillerie sans intérêt en espérant la vendre. Depuis que la boutique avait revêtu sa sage façade d’antiquaire, les individus dans son genre se succédaient les uns après les autres. La plupart du temps, ils essuyaient un cuisant refus. Seuls les objets magiques insolites étaient négociés ici, le reste n’avait pas sa place sur les étagères poussiéreuses de chez Barjow et Beurk. Pourtant, les gens continuaient à leur amener leur mobilier cassé, les jouets de leur enfance et leurs vieux livres décrépis dans l’espoir de s’en voir délestés contre espèces sonnantes et trébuchantes. Cette femme par exemple, lui avait tendu cette boîte à musique avec un sourire, lui expliquant avec un air sérieux qu’elle l’avait trouvé chez sa grand-mère et que le mécanisme musical ne fonctionnait plus. Heureusement pour elle, Theodore avait été le seul à la boutique ce jour là. Si elle avait osé dire cela devant Barjow ou Beurk, ils auraient pris un malin plaisir à la jeter dehors à grands renforts d’insultes. Il avait ouvert le couvercle de la boîte à musique. A l’intérieur, une ballerine lui avait envoyé un baiser et s’était mise à danser, sautant et virevoltant sur le plateau recouvert de velours, mais aucune note ne s’était élevée du coffret. Alors qu’il s’apprêtait à rendre l’objet à la femme, il avait soudain senti son coeur s’accélérer et une étrange chaleur l’envahir. La femme lui était soudainement paru belle, aussi belle que la danseuse qui continuait ses arabesques, indifférente à l’absence de musique. Il avait refermé le couvercle d’un coup sec, brisant l’illusion, puis considéré la femme qui lui faisait face et qui n’avait pas bougé d’un pouce, ignorant manifestement ce qu’il venait de se passer. Son coeur à lui peinait à retrouver son rythme, et pourtant elle n’avait pas semblé perturbée le moins du monde. Pourquoi ? Elle avait alors tendu la main pour récupérer son bien, et il avait eu un mouvement de recul, finalement réticent à l’idée de s’en défaire. Il lui avait offert trois gallions, ce qu’elle avait accepté avec plaisir, et il avait emmené la boîte à musique dans l’arrière-boutique.
La petite danseuse lance un regard plein de reproches à Theodore, alors qu’un filament doré et brillant s’est enroulé autour d’elle pour l’immobiliser. Tant qu’elle ne remue pas, le charme n’opère pas et Theodore peut se concentrer. Les sortilèges qu’il avait lancés sur la boîte avaient révélés des symboles cachés, des runes anciennes, gravées dans le bois, cachées sous le velours. Il les a recopiées sur un parchemin et pendant plusieurs heures, il s’est acharné à tenter d’en découvrir le sens, plongeant son nez dans des livres aux pages jaunies et aux caractères parfois illisibles sans y parvenir, pour finalement les mettre de côté. Il devra trouver un spécialiste des runes pour aller plus loin. Alors il s’est plutôt penché sur d’autres sortilèges de détection, des charmes complexes pour lesquels il a besoin de toute sa concentration. L’effort et la lampe sous laquelle il se penche lui font couler la sueur sur le front, tandis qu’il marmonne encore et encore, s’appliquant sur les syllabes compliquées, butant, recommençant, ses doigts blanchis crispés sur sa baguette.
La clochette tinte, et il l’entend sans l’écouter. Avec quelques secondes de retard, il sursaute brutalement, brisant l’incantation. La clochette, la boutique. Il lève les yeux pour les poser sur l’horloge. Un juron soupiré, il remonte ses lunettes sur son front pour se frotter les yeux. Il aurait dû fermer la boutique depuis bientôt une heure, mais encore une fois, le temps s’était écoulé sans qu’il y prenne garde. Il étire ses bras, son cou, fait craquer ses épaules et se lève, le corps endolori. Il prend la boîte à musique, claque le couvercle et franchit la porte de l’arrière boutique. Il cligne des yeux pour s’habituer à la pénombre de la pièce, si sombre comparée à l’atelier. L’obscurité a toujours régné chez Barjow et Beurk. Les vitres poussiéreuses et les entassements d’objets donnent au lieu une impression d’écrasement et de confinement qui lui convient parfaitement, mais qui souvent rebute. Pourtant, quelqu’un a choisi d’entrer. Une chevelure noire qui lui tourne le dos. L’heure est passée depuis longtemps, elle ne devrait pas se trouver là, mais c’est sa faute, il s’est perdu encore. Mais si elle est intéressée par quelques chose, peut-il vraiment faire l’impasse sur une vente potentielle. Encore une fois, Barjow ou Beurk l’auraient expédié rapidement à l’extérieur. L’heure est passée, ce n’est qu’une femme, et ce n’est pas l’une de leurs clients particuliers. Il va lui vendre un collier pour son cou blanc, une bague pour ses doigts fins, et la faire sortir en douceur. « Bonsoir. Je peux vous aider ? »
« You can’t ask men to risk death if you’re not willing to risk it yourself. »
La Reine du Carnaval. Qui l'aurait cru ? A vrai dire, ce titre, aussi futile soit-il, m'a fait du bien. Je ne sais pas trop pour quelle raison j'ai mérité ce titre, mais je l'apprécie parce que cet événement aura au moins eu le mérite de me redonner le sourire et de me faire oublier tous les tracas qui me tourmentent en ce moment. Rien de bien méchant, il faut l'avouer, mais malgré tout, j'ai hâte de me débarrasser de ce poids. D'ici une semaine, tout le monde saura que je quitte officiellement les Crécerelles. Comment ne pas s'en douter ? Tout ce qu'ils attendent, c'est pour moi de dire les choses clairement et de tourner la page. La Reine est morte, vive le Roi.
Cette euphorie et cette joie n'aura été que de courte durée. Lundi matin, retour au boulot et retour à la réalité. Si l'on m'a félicité pour le titre obtenu, c'est simplement parce que ça aura fait de la publicité à la boutique de Quidditch. Comment oublier que si je suis là, c'est simplement pour faire grimper les ventes de mon cher patron. Je l'apprécie, mais je sais qu'au fond, la seule raison pour laquelle il tolère une employée aussi maladroite que moi et pas du tout faite pour la vente, c'est parce que je suis une bonne publicité. Mais pour combien de temps ? Quand mon annonce sera faite, quand je ne serai plus de l'équipe des Crécerelles, quelle garantie ai-je qu'il me gardera ?
« Qu'est-ce qu'il se passe, Mara ? On dirait que tu n'es pas dans ton assiette. Ce n'est pas digne d'une Reine. »
Le regard que je lui lance est noir. C'est la première fois que je me comporte ainsi, mais je suis en colère. Je suis en colère contre ce maudit cognard qui a ruiné ma vie. Je n'ai pas été formée pour faire autre chose que de voler sur un balai, et maintenant que je suis incapable de faire cette même chose pour laquelle j'ai été formée la moitié de ma vie, je me sens aveugle, sourde ou encore muette. C'est comme retirer sa couronne à une reine. Je me sens nue, et inutile.
La journée se déroule plutôt normalement si l'on retire mon humeur. En plus, c'est cette période du mois où il vaut mieux qu'aucun homme ne me contrarie. On a eu du monde grâce à ma petite publicité, mais rien de bien fou. Durant la dernière heure de la journée, après que mon patron soit parti, je n'ai pas fait grand chose, je ne me sens pas le courage de faire le moindre effort supplémentaire. J'ai besoin de parler, de me défouler, j'ai besoin d'aller voir quelqu'un qui ne me fera pas la leçon mais qui sera là pour m'écouter ou m'aider à juste oublier cette stupide journée. Aura.
« Est-ce que vous êtes fermée ? »
Une minute avant la fermeture, et je viens de faire le ménage dans toute la boutique. Les lumières sont éteintes, il ne me reste plus grand chose qui ne me sépare de la liberté, et il faut qu'une cliente vienne à la porte du magasin une minute avant que je ne ferme officiellement. Elle n'a pas l'air méchante, mais elle tombe au mauvais moment. Je garde mon calme et je lui souris.
« Oui, je suis fermée. Revenez demain. »
D'un coup de baguette, je ferme la porte à son nez. Et quelques minutes plus tard, je suis enfin dehors, les enchantements anti-vols soigneusement mis, je peux m'en aller. Je pourrais rentrer directement chez moi, mais j'ai vraiment besoin de vider mon sac. Alors je bifurque en direction de l'allée des embrumes. Qui aurait cru il y a quelques années que je me rendrais sur cette allée. Je n'y avais jamais mis les pieds avant de rencontrer Aura. Enfin, pas de la rencontrer mais de finalement devenir en quelque sorte amie avec elle. Je sais qu'on est pas samedi, mais j'espère l'y trouver et j'espère qu'elle pourra m'accorder de son temps. J'ai beau avoir fait une habitude de me rendre sur cette allée, j'y suis toujours autant mal à l'aise. Je file généralement droit vers la boutique d'Aura, comme un papillon de nuit attiré par la lumière, mais cette fois-ci, pas de lumière en vue.
« Aura ??! »
Je frappe à la porte de la boutique, mais aucun bruit, aucun signe de vie. De toute manière, quand Aura est là, les lampions au devant de la boutique sont allumés, et ce n'est pas le cas ce soir. Désespérée, je frappe de nouveau, mais en vain. Peut-être qu'elle va revenir ? Mes pas me mènent alors à la boutique située un peu plus loin, Barjow & Beurk. Avec un peu de chance, ils sauront me renseigner sur où est Aura, si l'on considère que les personnes travaillant sur cette allée puissent être un tant soit peu aimable. Je n'aime pas l'atmosphère de cet endroit, mais je suis désespérée. Je pénètre dans la boutique d'antiquités en tous genres, je crois bien que c'est la première fois que j'y mets les pieds. Une voix me salue et me demande si j'ai besoin d'aide. Je lève les yeux et ce visage m'est familier. Je fronce les sourcils, cherchant à me souvenir d'où je connais ce visage, mais dans l'immédiat, rien.
« Peut-être bien, oui. Je cherchais à voir Aura Wang, l'une de vos voisines, gérante de la boutique Arts Mystiques. Vous savez si elle va revenir ? »
Quand un commerçant sur le chemin de Traverse s'absente temporairement, il prévient généralement ses voisins, de cette manière, les clients savent qu'ils pourront revenir plus tard ou attendre le retour des propriétaires.
Je m'avance un peu dans la boutique, observant un peu ce que ces chers Barjow et Beurk ont à vendre. Il y a de tout, mais rien qui ne m'intéresse vraiment, tout semble vieux et inutile. Si j'étais l'homme qui se trouve au fond de la boutique, je serais probablement énervé de voir entrer quelqu'un qui ne compte pas acheter, alors par solidarité, je peux au moins faire semblant de m'y intéresser.
« Aussi, je me demandais ce que vous vendiez ici. Je passe régulièrement dans l'allée, et je n'ai jamais eu l'occasion de m'arrêter chez vous. »
Lorsque la jeune femme lève la tête, un désagréable impression de déjà-vu envahit Theodore. Ce visage n’est pas inconnu, et sans s’être imprimé dans sa mémoire, il y a laissé une légère trace de souvenir. Il cherche, réfléchit, se lasse. Cette menue ressemblance n’est qu’un effet de son imagination. Elles sont nombreuses ces femmes aux boucles brunes et aux traits fins, à venir dans la boutique en quête d’un futur trésor. Elles promènent leur regard de miel sur les pierres scintillantes de bijoux ouvragés, caressent du bout de leurs doigts agiles et connaisseurs les étoffes souples qui s’offrent à elles, sourient devant les écrits d’un ouvrage ou les pigments d’un tableau. Elles s’ébahissent en voyant ses créations, le questionnent et il prend plaisir à leur répondre, à raconter l’histoire de ces objets, à voir leur sourire devant ces merveilles, à sentir les pièces froides passer de leur main à la sienne dans un bref contact souligné d’un sourire.
Mais tout cela ne fonctionnera pas avec elle. Dans un froncement de sourcil, elle dissipe les espoirs de Theodore. Elle n’est pas là pour acheter, elle n’est pas là pour vendre, elle est là pour examiner. Ils sont nombreux à venir depuis la mascarade qui s’est déroulée l’avant-veille et qui a attiré la moitié du Londres sorcier sur le Chemin de Traverse. Toute la soirée durant, la musique s’était écoulée dans les rues environnantes, se faufilant sous la porte de la boutique pour arriver aux oreilles distraites de Theodore. Beurk avait pesté, maudissant la jeunesse, maudissant l’amusement, maudissant cet énergumène qui venait enlaidir le paysage avec sa magie exotique et répugnante. Barjow n’avait rien entendu. Il n’entend jamais rien, le nez courbé sur ses propres inventions, le dos tordu et les yeux cernés, perdu dans son monde. Parfois, Theodore le regarde et s’inquiète de finir un jour comme lui. Mais il s’était laissé intriguer par la mélodie, et l’espace de quelques minutes, il s’était aventuré au milieu des festivités, son costume sombre détonnant avec les couleurs vives qui avaient provisoirement envahi le Chemin de Traverse. Il n’avait touché à rien, ni aux mets qui répandaient dans l’air leur odeur sucrée, ni aux fioles colorées qui promettaient surprise et allégresse à ceux qui auraient le courage de les boire. Il s’était étonné de ce commerce qu’il n’avait jamais pris le temps de remarquer et qui proposait des rêves en bouteille, et il s’était promis de venir un jour en savoir plus. Puis la foule s’était densifiée et il avait promptement regagné son repaire, où il avait tenté en vain de partager avec Beurk l’enthousiasme de ce qu’il avait vu. Pourtant, même ce vieillard acerbe n’avait pu nier les faits. L’événement avait attisé la curiosité de nombreux passants, qui avaient profité de cette sortie pour explorer le Chemin de Traverse et ses rues alentours, flânant aux étals et aux vitrines des commerces qu’ils ne connaissaient pas avant. Le lendemain, il y avait eu deux fois plus de clients que d’habitude chez Barjow et Beurk, et d’une clientèle qu’ils n’avaient pas l’habitude de voir. Beurk s’était frotté les mains.
Alors qu’il détaille la jeune femme, Theodore se dit qu’elle fait probablement partie de ces curieux ayant attendu quelques jours pour venir explorer l’Allée des Embrumes pour éviter la foule créée par l’enthousiasme de la découverte. Habituellement, l’Allée n’attire pas grand monde, et Barjow et Beurk encore moins. Trop longtemps associés à la magie noire, bien que la boutique soit la plus grande de la rue, elle fait encore hésiter un bon nombre de sorciers. Il est d’ailleurs surpris que la jeune femme ait choisit de venir seule. Elles préfèrent d’habitude être accompagnées avant de s’aventurer dans l’Allée des Embrume. Malgré la disparition du Seigneur des Ténèbres, la rue souffre encore de sa réputation. Et heureusement, car sans cela, Barjow et Beurk ne pourraient garantir la discrétion qu’ils promettent à leurs clients. Mais il est toujours agréable de voir un nouveau visage passer la porte, même si, comme cette femme, ce n’est pas pour acheter, mais pour un simple renseignement.
Il hausse les sourcils en entendant la requête que la sorcière lui adresse, d’abord surpris. Le simple fait qu’elle imagine que quelqu’un, un autre commerçant de la rue de surcroît, puisse faire assez confiance au désagréable Beurk, au névrosé Barjow ou à leur silencieux employé pour leur confier un message à faire passer à d’éventuel client est saugrenu. Il faut croire que la transformation de Barjow et Beurk a particulièrement bien réussi. Néanmoins, il ne sait pas répondre à la question de la jeune femme. Le nom d’Aura Wang ne lui évoque rien, pas plus que celui de la boutique qu’elle est censée tenir. Néanmoins, les consonances étrangères du nom de Wang lui font penser qu’il s’agit probablement de cette petite boutique aux accents asiatiques qui prend place un peu bas sur la rue. Il est souvent passé devant, sans s’y arrêter néanmoins. Il connait ce genre d’endroits, ce sont de petits bazars proposant babioles en tous genre, dont le pouvoir est rarement avéré, mais dont l’exotisme attire les convoitises des moins connaisseurs. Aura Wang est probablement la propriétaire haute en couleur qu’il a parfois vue assise ou arranger sa marchandise à l’intérieur de la boutique. Il n’a pas souvenir lui avoir déjà adressé la parole, et encore moins qu’elle ait déjà fait appel à eux pour leur demander quoi que ce soit. Il lui adresse un sourire poli. « Je suis désolé, je n’en ai aucune idée. Ils seront peut-être plus à même de vous répondre en face. » Sur l’Allée des Embrumes, les commerçants sont moins prévenants que sur le Chemin de Traverse. Les rencontres entre boutiquiers sont plus rares, l’entente est purement professionnelle. Cette fraternité qui existe dans la rue voisine n’est pas vraiment à l’honneur ici, héritage de nombreuses années de commerces douteux où les informations n’étaient que peu divulguées. La concurrence était rude, la délation commune, et il fallait mieux cacher aux yeux de ses voisins la nature de son commerce et de sa marchandise. Bien entendu, cela ne favorisait pas les relations entre commerçant, et même aujourd’hui, malgré les nouvelles lois passées et le nouvel esprit plus rangé et plus modéré de l’Allée des Embrumes, la suspicion reste de mise.
Si elle n’est pas là pour acheter quoi que ce soit, Theodore n’a pas de temps à perdre avec elle. Pourtant, elle ne bouge pas, elle s’attarde, elle observe ce qui l’entoure, sans vraiment paraître convaincue par ce qu’elle voit. Theodore la suit des yeux, intrigué. N’a-t-elle pas eu le renseignement qu’elle voulait ? Elle semble s’intéresser et se désintéresser en même temps, et lorsqu’elle lui demande plus d’information sur leur marchandise, Theodore croit entendre dans sa voix un soupçon de fausse désinvolture. Néanmoins, il quitte son comptoir pour s’approcher. Il a beau détester ses patrons, il aime la plupart des objets qui sont entreposés ici. Evidemment, la camelote qu’ils présentent n’a pas trop d’intérêt à ses yeux, mais certains objets ont une histoire intéressante, et il aime parler de ceux qu’ils ont créé. Et si elle veut au final acheter quelque chose, tant mieux. Il fait un geste vague qui englobe les étagères proches, couvertes de bijoux en tous genre, de vieux livres cornés et d’autres babioles faussement précieuses. « Un peu de tout. Si vous aimez ce qui est beau, nous avons des parures, des pierreries. Si vous aimez ce qui est curieux, je peux vous montrer des reliques plus insolites. Plus de magie noire, en revanche. » Même s’il y a peu de chances qu’elle soit venue pour ça, cette phrase est devenue une habitude pour lui. Déclamée à chaque nouveau visage venu s’intéresser, elle assure à Barjow et Beurk que la réputation de la nouvelle boutique se fait correctement. Le commun des sorciers n’a pas besoin de savoir ce qu’il se trame dans l’arrière-boutique, et la jeune femme n’a pas l’air de faire partie de ceux qui s’intéressent aux formes de magie interdites ou singulières. « Vous cherchez quelque chose en particulier ? Si oui, nous l’avons peut-être, et si nous ne l’avons pas, je peux le créer. » Une lueur de défi brille dans ses yeux. Un projet, une idée, voilà ce dont il a besoin. Il désespère de voir ses inventions prendre la poussière sur les murs de Barjow et Beurk ou finir entre les mains de vieux sorciers incapables de les manipuler correctement ou d’apprécier la nouveauté. Ils veulent tous les même chose, les mêmes objets, ils n’aiment pas les innovations. Ils n’auraient même pas été capable de voir que la boîte à musique avait un secret.
« You can’t ask men to risk death if you’re not willing to risk it yourself. »
Une fois à l'intérieur de la boutique, je commence à me demander si c'est une bonne idée. Avant Décembre, je n'avais jamais mis les pieds dans aucune boutique de l'allée des Embrumes, et il y avait une raison. On dit que les personnes qui y travaillent et qui s'y rendent préparent toujours quelque chose de mauvais dont il faut fortement se méfier. J'ai pris l'habitude depuis de m'y rendre tous les samedi pour aller passer du temps avec Aura. Mais c'est Aura, à présent, c'est mon amie et mon trajet ne se limite qu'à une simple ligne droite entre le Chemin de Traverse et la boutique de mon amie. Elle n'est pas là, cette fois-ci. C'est peut-être un signe que j'aurais dû prendre en compte et me contenter de rebrousser chemin.
Trop tard. Je suis dans le magasin de Barjow et Beurk, je n'ai absolument aucune idée de ce qu'il s'y vend et de qui va m'accueillir. Pourtant, je ne recule pas et je reste déterminée à savoir où est mon amie. Elle est peut-être simplement rentrée, c'est même très probable, mais maintenant que je suis dans le magasin, est-ce que j'ai vraiment d'autre choix que de poser la question que je suis venue poser et prétendre un minimum m'intéresser à la boutique. Le fait de travailler à la boutique d'accessoires de Quidditch a radicalement changé mon comportement vis-à-vis des autres vendeurs. Avant, j'aurais été probablement désagréable à juste ignorer la personne qui s'adresse à moi, quittant même le magasin sans dire un mot, simplement offensé que quelqu'un ait osé faire son travail. Avec du recul, j'étais le genre de cliente bien insupportable, le genre qui me donne des boutons rien que d'y penser.
Est-ce que je dois sourire quand je parle à quelqu'un sur l'allée des Embrumes ? Ça ne doit pas être si différent d'un autre endroit, si ? Peut-être que ce ne sont que des rumeurs et que les personnes qui travaillent ici sont tout à fait normales. Si j'avais su que je me retrouverais à devoir faire causette avec le voisin d'Aura, je lui aurais demandé quelques conseils pour savoir comment ne pas avoir l'air d'une touriste égarée.
Mon regard se perd parmi les nombreux objets exposés devant moi après avoir expliqué au jeune homme – qui n'est clairement pas bien plus âgé que moi – l'aide qu'il pourrait m'apporter, précisant que je ne connais pas du tout la boutique et qu'un éclaircissement ne serait pas de refus. Mes doigts parcourent les différentes étagèrent et se retrouvent bien vite enrobés de poussière. Soit ils n'aiment pas trop faire le ménage par ici, soit je suis malchanceuse et suis tombée comme par hasard sur l'étagère qui a malencontreusement été oubliée. Je frotte mes mains entre elles alors que le jeune homme me répond. Évidemment, il ne sait pas. Je ne sais pas si j'attendais vraiment une réponse positive en pénétrant dans cette échoppe, mais tant pis. Il me suggère d'aller demander en face, mais je dois avouer que l'envie me manque. Je n'aurai qu'à envoyer un hibou à mon amie et lui donner rendez-vous au Petit Ogre demain matin, avant de commencer nos journées respectives.
« Oh... Merci quand même. »
A croire qu'il faut vraiment parvenir à déconstruire ces clichés que l'on peut avoir sur les magasins de cette allée. Je m'attendais à un vieux sorcier mal luné qui m'aurait chassé à coup de balai en sachant que je ne venais pas dans le but de vider mon compte de chez Gringotts. Il ne sait pas et il a été poli, ce n'est ni plus ni moins ce que l'on peut espérer de n'importe quel employé. Cependant, malgré cette réponse prévisible, j'attends tout de même une réponse de sa part concernant le concept du magasin. Je constate qu'il n'y a pas de thème particulier, même si l'on peut aisément deviner qu'il ne s'agit pas d'une boutique d'apothicaire. Des couverts, des bijoux, des miroirs et des boîtes en tous genres, tous ces objets semblent incroyablement banaux. Je me mets à feuilleter brièvement un vieux grimoire posé devant moi alors que je m'avançais dans le magasin. La réponse, encore une fois, est prévisible. Ils vendent donc de tout – et peut-être aussi de rien par la même occasion. Il précise cependant que la maison ne fait plus de magie noire. Je relève la tête à cet aveux. C'est donc probablement pour cela que cette boutique semble pour l'heure dénuée d'intérêt. Je reste silencieuse, mes yeux analysant encore la pièce recoin par recoin, et le vendeur me demande si je cherche quelque chose en particulier.
« Le créer ? »
Voilà ma curiosité piquée. J'aime deviner que cet homme n'est pas un simple vendeur. Je me demande bien quel genre de chose il est capable de créer, j'ai toujours été fascinée par ces personnes capables de créer le monde de leur main, sans magie, juste avec leur imagination et l'habileté de leurs doigts.
« J'étais venue dans l'espoir de trouver mon amie Aura, mais je doute que vous ne soyez capable de la faire apparaître. Je me trompe ? »
Un sourire léger aux lèvres, je laisse même échapper un petit rire.
« Je ne cherche rien en particulier, mais vous avez piqué ma curiosité lorsque vous avez évoqué des reliques insolites. J'aimerais bien en voir quelques unes, si vous avez encore du temps devant vous, je ne voudrais pas vous retenir. »
J'ai vraiment l'impression d'être tout ce que je déteste, et pourtant, je suis encore là. J'aurais pu dire que je reviendrais une autre fois, mais non, j'y suis, j'y reste, c'est un peu le sentiment que j'ai.
« En tout cas, ça fait tout un tas de choses accumulées ici, et qui ont l'air d'être complètement inutiles, si je peux me permettre de parler en toute franchise. Est-ce que ces bouquins racontent des histoires intéressantes ? Est-ce que les bijoux que j'ai vu dans la devanture ont une autre fonction que d'être de simples bijoux pour faire joli ? »
J'ai tendance à être pragmatique. Je ne suis pas le genre de personne à cumuler des choses sans intérêt et sans usage concret, à moins que l'objet en question ait une valeur sentimentale, une histoire qui se cache derrière. J'aime les histoires, j'aime quand quelque chose me fait voyager. Mon regard s'arrête alors sur un tableau posé sur une étagère, décroché du mur et caché derrière un chandelier. Le tableau semble vide, comme si le sorcier ou la sorcière peinte avait décidé de s'absenter, mais à en juger l'amas de poussière sur les meubles représentés sur la peinture, la personne représentée a fui depuis un bon moment déjà.
« Qui était représenté sur cette peinture ? »
Ce n'est que de la simple curiosité, c'est probablement une personne dont je n'ai jamais entendu parler de toute ma vie. Ou peut-être est-ce un simple tableau dépeignant l'illusion de l'absence, auquel cas ce serait vachement intéressant et surtout efficace.
Les mains serrées dans son dos, Theodore observe le visage de la jeune femme se décomposer et l’espoir qui s’y lisait laisser place à la déconfiture lorsqu’il lui annonce ne pas savoir où se trouve son amie. Pourtant, malgré cette déconvenue, elle ne semble pas vouloir quitter les lieux. Elle continue à promener son regard sur les marchandises, son expression alternant entre curiosité et froncement de visage. Theodore observe sans broncher la traînée sombre que les doigts de la jeune femme ont laissée dans la poussière de l’une des étagères. Cette boutique le répugne. Il a parfois envie de lever le bras et d’agiter sa baguette pour mettre de l’ordre, geste pourtant si simple que Barjow et Beurk ne semblent pas vouloir se donner la peine d’effectuer. Ils avaient parfois eu la voix lourde sur certains mots lorsqu’ils parlaient du désordre et de la saleté qui pouvaient traîner dans l’échoppe, et ils adressaient alors à Theodore des oeillades entendues, sans jamais formuler à voix haute leur souhait de voir leur jeune employé s’occuper du ménage. Theodore avait ignoré ces regards et ces suggestion avec toute la froideur dont il pouvait faire preuve. Ce travail d’elfe de maison n’est pas fait pour lui. Pourtant, c’est une véritable métamorphose qui se tient juste à portée de sortilège. Ordonner le bric à brac pour présenter les objets sur leur meilleur jour, se débarrasser de la poussière qui jonche les moindres surfaces, faire disparaître la crasse qui empêche la lumière extérieure de filtrer correctement à travers les vitrines, et Barjow et Beurk aurait tout d’une boutique comme les autres, à défaut d’être particulièrement accueillante.
Le léger intérêt qu’il perçoit dans la voix de la visiteuse est encourageant. Même si elle n’est pas là pour acheter quoi que ce soit, sa présence a l’avantage de troubler la morne soirée qu’aurait dû passer Theodore. Il la regarde passer ses doigts sur la couverture usée d’un vieil ouvrage traitant des plantes médicinales d’Afrique du nord et en tourner les pages jaunies d’un air distrait. Elle a parfaitement deviné que comme ce livre, la plupart des choses qui sont exposées et vendues ici n’ont aucun intérêt, en dehors de celui de brouiller la curiosité des indésirables. En entrant pour la première fois dans la boutique, le désordre qui règne fait rapidement naître chez les visiteurs une sensation d’étouffement. Incapables de poser les yeux sur quoi que ce soit, ils bredouillent habituellement une excuse promptement inventée avant de s’en aller sans demander leur reste. Cela convient parfaitement aux deux vieillards propriétaires et à Theodore, qui peut alors retourner à l’arrière sans avoir à perdre de temps avec ces promeneurs qui bien souvent ne veulent de toute façon rien acheter. « Oui, si vous avez une idée précise en tête, un objet à enchanter ou à réparer, je peux le faire. » La jeune femme garde tout de même son air sceptique, allant même jusqu’à rire à la proposition de Theodore. La plaisanterie le fait sourire, et il se détend légèrement. D’ordinaire, les visiteuses de son genre sont emplies de dédain et tournent rapidement les talons sans même un au revoir en apercevant les employés de la boutique. Barjow et Beurk car ils sont laids et effrayants, Theodore parce qu’il semble trop jeune pour y connaître quoi que ce soit. Il hoche la tête d’un air amusé. « C’est un peu au delà de mes capacités, effectivement. » Pourtant, ce ne serait pas impossible. Il existe de nombreux moyens de faire apparaître une personne, des objets, des incantations. Les armoires à disparaître étaient particulièrement prisées à une époque pour se déplacer rapidement. Il songe avec un pincement de coeur à celle qui se trouvait auparavant à Poudlard et dont la jumelle avait séjourné pendant des années dans cette boutique. Il avait passé des heures et des nuits entière en compagnie de Drago Malefoy à tenter de la réparer et à essayer de créer un passage pour les mangemorts. Il n’avait fallu que quelques secondes à cet abruti de Crabbe pour la détruire avec son Feudeymon. Un de ses plus belles réussites, partie en fumée. Heureusement, Crabbe avait eu la décence de périr dans cette entreprise. Theodore l’aurait probablement tué de ses propres mains autrement. Quand à l’autre armoire, elle avait depuis longtemps été saisie par les équipes du Ministère. Ils ont bien tenté d’en créer de nouvelles, mais le processus est long, fastidieux et trop compliqué pour qu’ils s’y emploient trop souvent, et désormais, peu de gens sont prêts à prendre le risque de garder un tel objet chez eux. Il doute que cela soit le cas de cette fameuse Aura. « Je peux lui dire demain matin que son amie brune la cherchait, si vous voulez. » Ce serait une occasion d’en savoir plus sur cette boutique. Depuis plusieurs années qu’elle se trouve là, il n’a jamais pris le temps de s’y intéresser. Peut-être y a-t-il des trouvailles intéressantes à faire au milieu de tous ces gri-gri sans valeur.
En entendant la demande de la jeune femme, Theodore fronce légèrement les sourcils. Elle ne ressemble en rien à ceux qui s’intéressent d’ordinaire à leurs reliques. Elle est bien plus jeune et bien plus belle que les mégères au sang-pur qui viennent habituellement poser leurs doigts griffus sur les précieux artéfacts. Car elle ne vient pas d’une famille de sang-pur, Theodore en est certain. Ou tout du moins, pas d’une famille britannique, ce qui est à peu près la même chose. Il l’aurait su si cela avait été le cas, il l’aurait reconnue. Mais la désinvolture avec laquelle elle touche les objets présents indique qu’elle n’est pas non plus née-moldue. Les sang-de-bourbe ont cette espèce d’attitude craintive lorsqu’ils voient des objets inconnus du monde sorcier, comme si les choses allaient à tout moment leur exploser à la figure. Mais ça n’a pas l’air d’être son cas. Theodore hausse les épaules. « J’ai du temps. Ce sont principalement des artéfacts étrangers qui viennent de pays où la magie n’est pas pratiquée de la même manière qu’ici, c’est ce qui les rend spéciaux à nos yeux. » Il aurait dû fermer la boutique plus d’une heure plus tôt, mais pour dire la vérité, il préfère rester là à parler de la boutique plutôt que de retourner au manoir, devoir poser les yeux sur ces parasites installés sur ses terres, devoir feindre ce sourire charmant en croisant la Malefoy ou ses amis et constater qu’un jour de plus s’est écoulé sans que son père ait répondu à ses lettres.
Il jette un regard triste sur les babioles exposées en vitrine. Elle a raison, toutes ces choses sont inutiles. Elles n’ont aucune histoire, aucun pouvoir, aucun intérêt. Il fut un temps où Barjow et Beurk exposaient fièrement des pièces ensorcelées débordant de magie noire, toutes plus fascinantes les unes que les autres. L’Allée des Embrumes souffrait alors d’une terrible réputation, et personne n’aurait osé pénétrer chez Barjow et Beurk pour demander son chemin, flâner entre les étagères ou interroger les vendeurs sur les occupations des commerçants voisins. Maintenant, seuls quelques élus ont accès à cette marchandise spéciale. Il caresse la couverture d’un livre couvert de poussière. « Comme tous les livres, cela dépend. Si les pérégrinations d’un sorcier au sein d’un groupe de pèlerins français du XIIIème siècle vous intéressent, alors c’est un livre intéressant. Sinon, il est parfaitement ennuyeux. Tout comme ces colliers, dont la seule et unique fonction est de décorer le cou de femmes voulant faire croire à leurs amis qu’elles sont riches, ou nobles. » Il pense avec un soupir aux bijoux de sa mère, dont certains sont encore dans cette boutique en attente d’un acheteur. Il ne se souvient pas beaucoup de sa mère, en dehors de quelques vagues souvenirs et de son visage expirant qui s’était gravé dans sa mémoire. Elle était passive, docile, sans intérêt, comme la plupart des femmes de sang-pur de son rang. Même la beauté l’avait dédaignée, et la seule chose qui la distinguait avaient bien été ses bijoux. Il avait vendu la plupart d’entre eux après la guerre, ne gardant que ceux dont l’argent ou l’or étaient frappés aux armoiries Nott. Plutôt se laisser mourir de faim que de voir des pauvresses au sang-mêlé arborer les armes de sa famille. Il fronce les sourcils en regardant la jeune femme. « Mais ce n’est pas parce qu’un objet n’a pas d’autre fonction que faire joli qu’ils n’ont pas de valeur. Certaines choses ici sont pleines de souvenirs. C’est important, ce ne sont pas que des vieilleries. » Il ne s’attend pas à ce qu’elle soit d’accord avec lui. Peu de gens le sont, beaucoup ont tourné en dérision son désir de s’accrocher à son passé et à celui de sa famille. Beurk lui a dit qu’il était fou de ne pas profiter de cette seconde chance qui lui avait été donné pour abandonner tout ce qui le reliait au lourd passé de sa famille et d’au contraire s’y accrocher désespérément comme il le faisait.
Il regarde avec curiosité le tableau qu’elle lui montre du doigt. C’est un vieux cadre de bois dont les détails sont noyés sous la poussière. On pourrait croire à un tableau moldu tant le décors est immobile. « Probablement un de mes ancêtres. Ce tableau était chez moi, mais je l’ai toujours vu vide. Un chat y passe parfois, alors peut-être que son occupant reviendra un jour. » Il en doute. Pour qu’un personnage quitte son tableau, il en faut beaucoup. Celui qui occupait celui-ci a dû être particulièrement vexé pour quitter les lieux et ne jamais y revenir. Il avait dû être témoin d’un événement particulièrement odieux à ses yeux. Pourquoi la jeune femme s’intéresse-t-elle donc à cette vieille toile vide ? Peut-être a-t-elle repéré quelque chose de spécial dedans. Plus il y pense, plus la présence de cette personne l’intrigue. Il ne peut pas s’agir d’un concurrent de l’Allée des Embrumes, il l’aurait reconnue, mais il y a d’autres boutiques du même genre sur le Chemin de Traverse et à Londres. « Vous vous y connaissez en objets magiques ? Vous êtes antiquaire ? » Elle n’a pas l’air plus âgée que lui, mais avec la guerre, de nombreuses boutiques vides avaient pu être achetées à des prix dérisoires, même par de tous jeunes sorciers. Ou peut-être qu’elle travaille pour de vieux patrons désagréables, comme lui, qui l’envoient faire du repérage chez la concurrence.
« You can’t ask men to risk death if you’re not willing to risk it yourself. »
Il n'y a que quelques dizaines de centimètres qui me séparent de la porte pour quitter Barjow & Beurk. Il faut croire que ma curiosité est bien plus puissante que ma volonté de rentrer chez moi pour dormir. Je ne me souvenais pas être de nature aussi curieuse, ça doit être l'ennui des dernières semaines, le manque d'adrénaline loin de mon balais me pousse à chercher de l'aventure et du plaisir à des endroits improbables. Car, oui, cette boutique à rien du genre d'endroit où j'aurais délibérément choisi de m'aventurer juste pour le plaisir. Ce qui me rend curieuse, c'est avant tout toutes ces choses, et la réputation qui précède les divers établissements de l'allée des Embrumes, mais également ce visage qui ne m'est pas totalement inconnu. D'où est-ce que je le connais ? Poudlard, probablement, si j'en déduis sa tranche d'âge. Mais Poudlard, c'est vaste. Est-ce que ça importe vraiment de savoir qui il est ? Peut-être que son nom est Barjow. Ou Beurk. Mais ça ne me parle encore moins...
Plutôt que de mettre fin rapidement à la conversation qui s'initie, je me surprend à lui poser des questions. Je veux en savoir plus sur les reliques dont il parle, je veux même les voir. Et qui sait, peut-être que je ne repartirai pas les mains vides, en tant que collègue commerçante, c'est la moindre des choses. Je ne sais pas où donner de la tête. J'ai l'impression d'être à la Tate Modern, le fameux musée d'Art Contemporain où ma mère m'a emmenée une fois. C'était lors de nos sorties spécialement moldues. Elle a tenu à ce que j'ai une éducation partiellement moldue, au cas où. Mon père semblait étrangement d'accord alors qu'ils ont toujours eu des avis différents sur mon éducation et qu'il a même fini par baisser les bras. Je n'ai jamais su à quoi correspondait ce 'au cas où', mais j'en ai quelques souvenirs. Seulement, il faut croire que l'artiste du jour a décidé de transformer des vieilleries inutiles en une œuvre d'art contemporain.
J'apprends donc que ce jeune homme peut non seulement réparer mais enchanter des objets, si je le souhaite. Soudainement, ça devient plus intéressant. Je n'ai rien qui n'ait besoin de réparation ou d'amélioration, mais c'est toujours bon de savoir où aller si besoin est. Malheureusement, ce que je chercher ce soir me semble difficile à obtenir. Faire apparaître quelqu'un en faisant fi de sa volonté, c'est quelque chose qui, à ma connaissance, n'est pas possible. Je m'attendais tout de même à ce qu'il me surprenne et me dise qu'il en est capable, mais non, même le monde magique a ses limites. S'il est se possible de se rendre d'un endroit à un autre en l'espace de quelques secondes grâce au transplanage, à un portoloin ou encore à la poudre de cheminette, forcer quelqu'un à se trouver quelque part, c'est un autre problème.
La vendeur propose alors de laisser un message à sa voisine, de lui dire que je suis passée.
« Mara. »
Dis-je sans trop réfléchir.
« Vous pourrez lui dire que Mara est passée. Ce serait adorable. »
Et peut-être qu'elle viendra ma voir durant sa pause. Evidemment, j'aurais préféré qu'elle soit là, ce soir, parce que demain ça ira sûrement mieux, mais je ne dis jamais non à l'idée de voir une amie. Si seulement elle n'était pas aussi mystérieuse et m'avait donné son adresse. Je pourrais m'y rendre en quittant la boutique pour mettre fin à ma frustration. Mais Aura, c'est Aura. J'apprécie en tout cas qu'il propose de passer le message. J'ai tendance à juger les personnes beaucoup trop vite. Lorsque je suis entrée, j'ai bien cru que j'allais tomber sur quelqu'un de complètement antipathique.
J'ai l'impression de faire pleuvoir des questions, comme s'il fallait que j'en pose le plus possible en un temps imparti. Pourtant, il admet avoir le temps. Est-ce sincère ou une simple manière d'être polie ? Je dois avouer que parfois, quand je ne suis pas de mauvaise humeur, je vais avoir tendance à dire aux clients de dernière minute que j'ai du temps, pour ne pas les brusquer et pour ne pas paraître désagréable. Mais au fond de moi, j'aimerais simplement que la personne s'en aille et me laisse rentrer chez moi. C'est drôle de s'amuser à imaginer ce que nos collègues de la même profession peuvent penser dans des situations similaires.
La réponse que j'obtiens alors m'intéresse particulièrement. Des artefacts qui renvoient à diverses manières de pratiquer la magie dans le monde, ça ne peut que m'intéresser et me rappeler mon père. Cela fait de bien trop nombreuses années que je n'ai pas utilisé mon set d'ogham, c'est même à se demander si je l'ai emmené avec moi à Londres ou s'il est resté en Irlande.
« Tout de suite, c'est plus intéressant. Est-ce que vous savez combien de différentes manières il y a de pratiquer la magie ? Mon père n'est pas de la même tradition que ma mère et moi. Il utilise les oghams, c'est un verbena. »
Je n'ai rencontré que très peu de personnes pratiquant cette tradition au cours de ma vie, celles-ci pouvant se compter plusieurs fois à l'aide de mes doigts. J'aimerais aujourd'hui approfondir le peu de connaissances que j'ai sur la tradition de mon père, mais j'ai honte de lui demander directement après tout ce temps. En tout cas, je me coucherai moins bête. Je savais qu'il existait au moins deux manières différentes de pratiquer la magie, mais je n'ai jamais pensé au delà de ce que je connais : le Royaume-Uni.
Le jeune homme fait bien son travail, et je me surprends même à sourire à ses explications. Ce qui semble être un simple grimoire délabré ou un bijou sans valeur prend tout de suite une toute autre dimension avec les mots du vendeur. Mon patron m'a expliqué qu'un bon vendeur pourrait vendre une paire de lunettes de vue à un aveugle.
« Je vois. Quand on sait ce que l'on vient chercher, j'imagine que tout prend un sens différent. J'ai déjà beaucoup trop de choses chez moi qui ont une valeur sentimentale et qui sont pleines de souvenirs pour venir m'encombrer avec tout cela. Mais je comprends à présent que l'on puisse s'y intéresser. »
Mon regard se porte finalement sur un tableau qui m'intrigue. Ce tableau semble vide, déserté par la personne qui y était peinte. Ça m'attriste, comme si le personnage s'était tellement ennuyé de ce magasin qu'il avait décidé d'élire domicile ailleurs. Ou peut-être que son histoire est bien plus tragique. Je me souviens encore des Gryffondor qui avaient paniqué le jour où la Grosse Dame avait été attaquée. La réponse est floue, mais il ne semble pas en savoir plus que moi.
« Oui, peut-être. J'espère seulement qu'il ne lui est rien arrivé. »
Je ne sais pas trop pourquoi le sort du personnage de ce tableau m'intrigue tant. Ce n'est qu'un tableau après tout, et il semble complètement effacé par le temps, livide et – à l'instar de toute la boutique – sans intérêt.
Le jeune homme me tire de mes pensées lorsqu'il cherche à savoir si je suis experte dans le domaine des objets magiques, ou si je suis antiquaire. Cette présomption m'amuse plus qu'autre chose, je ne pensais pas avoir l'air d'une antiquaire crédible. Est-ce ma manière de m'habiller qui semble tout droit sortie d'une autre époque ?
« Non, non, je suis juste vendeuse à la boutique d'accessoires de Quidditch, sur le Chemin de Traverse. Je suis juste intriguée par ce magasin. Je viens régulièrement rendre visite à Aura, mais comme je le disais, c'est la première fois que j'entre ici, et je suis juste vraiment curieuse. »
La curiosité est un vilain défaut, dit-on. Et à ce propos...
« Je reviens à ce que avez dit juste avant, à propos de ces objets étrangers. Est-ce que par hasard vous auriez des artefacts liés à la tradition verbenae ? Peut-être un set d'ogham, par exemple, ou des bouquins qui sont liés à leur histoire. »
Tout ce que je sais à propos de mon père et de ce qu'il fait, ça semble enfoui loin dans mon esprit. Je sais qu'en lui posant une question à laquelle je suis censée avoir une réponse, il le prendrait assez mal. Je préfère faire mes recherches de mon côté et pouvoir le rendre fier lorsque je viendrai lui rendre visite cet été.
« Au fait, puisque nous sommes presque collègues, est-ce que je peux vous demander votre nom ? Votre visage m'est familier, j'ai l'impression de vous avoir déjà croisé quelque part. »
Je déteste échanger plus de trois mots avec quelqu'un sans pouvoir mettre un nom dessus. J'ai l'impression, autrement, de parler à quelqu'un qui n'existe pas. C'est une drôle de sensation...
L’intérêt qui pétille dans le regard de la jeune femme captive Theodore. Il ne croit pas vraiment au hasard, mais il remercie la chance d’avoir pour une fois mis sur sa route quelqu’un d’éveillé. Certes, la raison pour laquelle elle a décidé de pousser la porte de la boutique est bien loin de ce qu’il attendait, mais elle n’est pas partie. Au contraire, elle reste, elle s’intéresse. Elle aurait pu partir à la seconde même où il lui avait dit qu’il était incapable de l’aider, mais elle était restée. Elle est restée, elle lui parle et elle lui donne son nom avec désinvolture, comme elle le ferait avec une connaissance nouvellement rencontrée, pas comme s’il était le vendeur et elle la cliente. Mara, le nom lui évoque le goût sucré et écarlate de ces petites fraises françaises qu’il avait mangées chez Pansy, car elle répondait toujours au nom de Pansy à l’époque, des années plus tôt. Plaisir d’une saveur dans un fleuve d’angoisse. Il est surpris de retrouver le goût du fruit sur ses papilles aussi nettement que s’il l’avait sur les lèvres, et non pas seulement en souvenir. Tressaillement. Il range dans un coin de sa mémoire le nom de la jeune femme pour ne pas l’oublier, et se promet d’aller à la première heure transmettre son message. Il en profitera pour examiner avec un peu plus d’attention cette petite échoppe orientale. Il offre un sourire à la jeune femme. « Mara, alors. Je lui dirai. » Les occasions de passer pour un bon voisin ne sont pas nombreuses lorsqu’on travaille chez Barjow et Beurk. Les deux patrons n’auraient pas hésité à éconduire la jeune femme en entendant sa requête, tous comme ils n’hésitent jamais à mettre dehors un client, si celui-ci prend trop de temps à se décider, pose des questions idiotes ou ne semble venir que dans le but de regarder, et non d’acheter. Mais pas Theodore. Parce que sur chaque vente qu’il réussit, une partie des gallions qui passent de main en main bifurque pour atterrir dans sa poche. Et Salazar sait qu’il en a besoin, de ces quelques pièces. Somme dérisoire pour certains, cruciale pour lui. Il avait cru qu’en rejoignant les Terres de Feu, il se serait trouvé à l’abri de ces dépenses superflues. Pourtant, ces vampires viennent régulièrement le sommer de mettre la main à la bourse et de se délester de quelques pécules pour entretenir telle terre, rénover telle bâtisse, monter telle école. Ils appellent cela « participer à l’effort de guerre ». Pour Theodore, le simple fait de laisser ces parasites camper sur ses domaines devrait à son avis suffire. Des sang-de-bourbe, des traîtres à leur sang et autres vermines circulant librement sur ses terres, massacrant ses prairies pour faire pousser leur maigre pitance, osant réclamer l’accès à son manoir pour en utiliser les pièces comme salles de classes, salles de repos, salles de jeu. Ils se révoltaient, parfois. Pourquoi lui vivait-il confortablement au sein de murs solides, quand eux s’entassaient sous des tentes en proie aux éléments. Pourquoi vivait-il seul, déambulant dans ces pièces vides et inutilisées qui pourrait être mises à la disposition de la communauté ? Mais il avait été clair et intraitable sur ce point. Personne ne poserait ne serait-ce qu’un pied à l’intérieur de sa demeure. Alors, en échange de ce privilège qui aurait dû lui être dû, il se sépare d’une part de sa maigre fortune, certes bien plus moindre que celle qu’il devrait verser en impôt au Ministère s’il était toujours sous leur juridiction, mais qu’il aurait préféré garder plutôt que la donner à toutes ces pauvres âmes.
Alors il sourit souvent, il se montre aimable, poli. Il peut se le permettre car il est jeune et malgré lui attachant. Et lorsqu’il parle sur le bon sujet, il sait parfois devenir captivant. Et plus la conversation s’éloigne de ces objets sans intérêts qui tentent vainement de se mettre en valeur dans les vitrines de Barjow et Beurk pour s’orienter vers ceux qui eux sont remarquables. Et lorsque la jeune femme évoque les oghams, il se tend, brusquement à l’écoute. Les Verbenae sont rares en Angleterre, il ne croit pas en avoir déjà rencontré. Bien sûr, il y a de nombreux spécialistes de runes et des oghams qui se font un plaisir d’étaler leurs études et leur savoir lorsqu’on le leur demande, mais de véritables pratiquants de cette tradition… L’enthousiasme fourmille en Theodore, alors qu’il répond un peu vite. « Des oghams ? Vraiment ? Vous savez les utiliser ? » Patience, Theodore. Il n’ose pas demander s’il peut rencontrer son père, cela lui semble bien trop présomptueux. Pourtant, s’il pouvait seulement parler avec un véritable maître de cette tradition, quelle chance ce serait. Il pourrait alors comprendre la boîte à musique, et bon nombre d’autres objets gravés de runes qui pour lui n’ont aucun sens. Et les traditions sont si nombreuses. Il pense à la douce Daphné et sa mère, à leurs voix envoûtantes, il pense à cette étrangère et à son collier brisé, il pense à cet odieux cracmol et à ses tatouages. « Je pense qu’il y a une infinité de manières de pratiquer la magie, au sein même des grandes traditions. Lorsque j’ai voyagé, j’ai pu en voir plusieurs, et jamais deux fois la même. Mais le principe reste le même, malgré les différents moyens employés. Si je veux faire léviter un objet, je pointerai ma baguette dessus et je prononcerai la formule. Si votre père veut faire léviter ce même objet, il emploiera une autre technique. Pourtant, le résultat sera identique : l’objet lévitera. » Même si à son avis, la tradition hermétique reste loin devant les autres, et les baguettes sont bien plus élégantes que le reste. Mais il se garde bien de l’évoquer devant la jeune femme. Il ne voudrait pas la faire fuir alors qu’elle commence à s’intéresser à ce qu’il lui dit.
Theodore sourit aux mots de Mara. Il aimerait pouvoir lui dire qu’il ne porte aucun intérêt à la plupart des objets de la boutique, et qu’en toute honnêteté, certains n’ont même pas d’histoire assez intéressante pour qu’il mérite de s’arrêter dessus, mais cela ne serait pas vraiment professionnel. Même lorsqu’elle annonce d’une traite qu’elle n’achètera rien pour pourrait encombrer encore plus son chez-elle, ce qui serait malheureusement le cas de la plupart des choses qui sont présentées chez Barjow et Beurk et qu’elle serait en mesure de s’offrir. Si ses vêtements sont de bonne facture, ils ne semblent pas exceptionnels, et malgré ses mains soignées, il peut voir quelques cals orner ses paumes, tandis que celles des femmes riches sont aussi lisses et douces que les joues d’un enfant. Peut-être est-elle bricoleuse, comme lui, ou bien artiste, ce qui expliquerait pourquoi elle accorde tant d’intérêt à ce tableau. Il n’a absolument rien d’extraordinaire pourtant. Peut-être est-elle tout simplement curieuse, ou peut-être est-ce une rêveuse, en train d’imaginer bon nombre de scénarios sur le personnage qui habitait autrefois la toile. « Je ne sais pas. Je pense qu’il a été vexé par quelque chose, et qu’il est parti. On oublie trop souvent que les tableaux sont les témoins involontaires de tout ce qu’il se passe chez nous. ou peut-être que quelqu’un ou quelque chose dans un autre tableau l’empêche de revenir. » Il ne peut s’empêcher d’être à son tour curieux du sort de l’occupant du tableau. Peut-être devrait-il essayer de s’en enquérir. Après tout, il avait toujours vu ce tableau vide accroché dans le salon de sa mère. Son sujet devait être important pour qu’on le laisse là malgré son absence. Et qui sait de quelles horreurs il avait bien pu être spectateur dans la demeure des Nott. Peut-être du coup de trop infligé à une femme ou un enfant, ou de la présence odieuse d’un mage noir en ces murs. Des choses bien trop terribles pour qu’il les évoque devant la belle Mara et sa curiosité enjouée. Alors il se contente de hausser les épaules pour chasser cette discussion.
Il s’était trompé sur toute la ligne. Elle n’est ni antiquaire, ni bricoleuse, ni peintre. Mais c’est une voisine du Chemin de Traverse. Theodore comprend mieux sa démarche à présent, et pourquoi elle avait tenté sa chance chez Barjow et Beurk pour savoir où pouvait se trouver son amie. Les deux rues ont beau se croiser, les ambiances qui y règnent sont aussi différentes que les mondes sorciers et moldus. Il connaît cette boutique de Quidditch -qui ne la connaît pas ?-, et pourtant, il n’a pas souvenir y avoir déjà mis les pieds. Il n’a jamais pris la peine de s’intéresser à ce sport, malgré les insistances de son père. Après tout, les enfants de sang-pur ne montraient-ils tous pas des aptitudes particulières pour le Quidditch ? Mais ça n’avait pas été le cas de Theodore, terrifié à l’idée de s’élever plus de quelques dizaines de centimètres au dessus du sol et de s’envoler vers le ciel infini et son absence de barrières. Il avait laissé ce sport aux autres brutes de Serpentard et à Malefoy, toujours en quête d’une nouvelle manière de montrer son talent, ou plutôt l’argent de son père. Il adresse un sourire désolé à la vendeuse. « Je vois très bien, mais je regrette, je ne connais absolument rien au Quidditch. Je n’assistais même pas aux matchs à Poudlard. » Il aimait ces moments où le château se retrouvait entièrement vidé de ses occupants, où il pouvait déambuler à sa guise et profiter du calme inédit de la salle commune. Tandis que les matchs de Quidditch n’étaient que hurlements et bousculades. « Mais vous avez raison de suivre votre curiosité. C’est toujours agréable d’avoir de la visite autre que celle des vieux bonhommes désagréables habituels. » Surtout lorsqu’ils ne savent pas ce qu’ils cherchent, contrairement à elle. Il écoute sa requête, réfléchissant. « Je ne pense pas que nous ayons de set d’oghams complets. Ils sont assez rares, mais j’imagine que vous le savez. Cependant, je ne m’y connais pas assez dans cette tradition pour l’affirmer avec certitude. Quant à des livres… » Il lui fait signe de la suivre et s’enfonce dans la boutique, circulant sans hésitation entre les amas d’objets qu’il connaît désormais par coeur. Il s’arrête près d’une étagère et lance à Mara un regard curieux. Ainsi donc, il n’est pas le seul à avoir une impression de déjà-vu. Pourtant, il est sûr et certain de n’avoir jamais croisé de Mara au cours de sa vie, mais elle a l’air d’avoir à peu près le même âge que lui, et si elle utilise une baguette, et non les oghams comme son père, il y a des chances pour qu’ils se soient croisés à Poudlard. Il hésite quelques secondes. Après tout, il ne lui doit rien, il ne la connaît pas, elle ne le connaît pas, et c’est très bien ainsi. Mais si elle travaille sur le Chemin de Traverse, il est fort probable qu’ils soient amenés à se revoir un jour, que ce soit dans un cadre professionnel, lors d’une réunion de l’ALCOOL, ou non. Ne rien dire ou mentir ne ferait que créer des problèmes parfaitement évitables. « Je m’appelle Theodore Nott. Enchanté. » Tant pis pour le Lord. Ils sont peu à s’adresser à lui sous son titre, de toute façon, ils le trouvent tous trop jeune pour le mériter, il n’imaginent pas que lui puisse être à la tête d’une telle famille. Dans l’esprit de chacun, Balthazar Nott reste le Lord, même recroquevillé au fond de sa cellule, et son fils n’est qu’un enfant, sans le sou désormais, un Lord mendiant. Il ravale une grimace et prend un coffret sur l’une des étagères, qu’il ouvre et dans lequel se trouvent plusieurs petites baguettes de bois gravées. « Voilà, c’est un set d’oghams. Enfin, partiellement. Vous pouvez le voir, il y a des symboles en double, et j’imagine que certains sont manquants. » Il la laisse examiner les bâtonnets, et lève les yeux vers les piles de livre qui les surplombent. « Il y a un dictionnaire qui permet de traduire les oghams, mais je ne crois pas qu’ils soient véritablement traduisibles littéralement. Il y a aussi ce livre, c’est l’histoire d’un anglais qui se rend en Irlande pour rencontrer des clans Verbenae, et qui tient un journal sur son voyage. Je crains que ça ne soit tout. Comme je vous l’ai dit, ça n’est pas une tradition très habituelle, et nous n’avons pas beaucoup d’informations dessus, ici. » Il aimerait pouvoir lui en dire plus, mais ces deux butors de Barjow et Beurk refusent toujours d’acquérir plus d’ouvrages sur ces traditions qu’ils qualifient de farces. Pourtant, lui ne considère pas le savoir comme une farce, mais malheureusement, les traditions verbenae ne sont pas celles qui rapporte le plus. Pourquoi s’intéresser à de simples brindilles ou galets, lorsque l’on peut faire l’acquisition d’un fétiche ou d’un talisman gorgé de pouvoir ? Il attrape les livres pour les tendre à la jeune femme. « Simple curiosité, pourquoi avez-vous choisi la tradition de votre mère, et pas celle de votre père ? » Elle se dit curieuse, mais elle n’est certainement pas la seule.
« You can’t ask men to risk death if you’re not willing to risk it yourself. »
J'ai l'impression d'être une enfant dans un musée. Je peux paraître hautaine et dédaigneuse avec mes remarques sur l'inutilité de certains de ces objets, peut-être parce que dans un monde de magie on s'attend toujours à être émerveillé, mais en réalité, je suis en admiration complète. Je crois que j'aime bien ce genre d'endroits avec des choses qui sortent de nulle part ou qui ne paient pas de mine. Je ne serais pas étonnée qu'il y a quelque chose qui ait appartenu à la Couronne britannique. Ma mère m'a toujours assurée qu'ils n'avaient aucun lien avec le monde magique, mais rien ne nous dit que les divers monarques n'ont pas été un jour entourés ou conseillés par l'un d'entre nous. Certains des bijoux exposés dans ce magasins ont perdu de leur éclat. J'imagine qu'il fut un temps où ces pierres précieuses brillaient de mille feux et aurait rendu complètement folle n'importe quelle personne amatrice de tout ce qui brille. Une pie, par exemple. Les pies ont toujours eu des goûts de luxe. Ce n'est pas mon cas, ça, c'est certain.
Je suis surprise lorsque le jeune vendeur propose de laisser un message à Aura, de lui dire dès demain que je suis passée aujourd'hui. Même si ça n'aurait pas grand intérêt, j'apprécie le geste. A sa proposition, je ne peux m'empêcher de lui signifier mon nom. Ce sera bien plus parlant que de simplement parler d'une amie brune. Je sais qu'elle n'a pas énormément d'amis, mais autant être précis d'entrée de jeu pour éviter les confusions.
« Merci beaucoup. »
Rien ne l'y oblige, et pourtant. Je lui adresse un sourire chaleureux. Il faut croire que ce dont j'ai besoin en ce moment, ce sont de nouveaux visages, de nouveaux lieux, de nouvelles choses. Peut-être qu'un voyage loin d'ici serait l'occasion de souffler un bon coup et repartir sur de bonnes bases. Je gère très mal ma vie en ce moment, je gère surtout très mal mon stress. C'est frustrant et ça ne fait de moi qu'une personne que je déteste de plus en plus. Et plus je me déteste, moins ça va. Alors, un sourire chaleureux, c'est quelque chose de positif, même le temps de quelques secondes seulement.
Je crois qu'il m'a eue lorsqu'il a commencé à parler de différentes traditions représentées par bon nombre de ces objets. Les différentes traditions et cultures, c'est quelque chose qui m'a toujours intéressées, pour la simple et bonne raison que je suis un mélange de tant de choses. Je suis un exemple typique de ce que certains appellent un melting pot. Je suis issue d'une famille de moldu du côté de ma mère et d'une famille de sorciers du côté de mon père ; ma mère a des origines indiennes et mon père est un descendant direct des peuples celtes d'Irlande ; ma mère est de tradition hermétique tandis que mon père est de tradition verbenae. J'ai hérité de tant de choses que je suis moi-même parfois un peu perdue quant à mon identité, mais je suis fière. Je suis fière de ce qu'ils m'ont légué, même si parfois j'ai le sentiment d'avoir surtout suivi les traces de ma mère. Si seulement ce n'était qu'une impression. Je raconte un peu ma vie et je parle au jeune homme de la tradition de mon père. J'en suis fière, en réalité, mais il ne le sait pas, parce que je ne l'ai jamais montré. Il semble surpris quand je lui parle d'oghams.
« J'ai su, il y a longtemps. J'ai oublié beaucoup de choses à ce sujet. »
Je ne rentre pas dans les détails. Je pense que j'en ai dit assez au sujet de ma vie privée. Au delà du fait de ne pas vouloir l'embêter avec mes histoires familiales, je pense que ça ne le regarde pas vraiment de savoir que ma relation avec mon père est assez tendue. J'aimerais qu'il en soit autrement. En plus d'essayer de me remettre d'aplomb, j'essaye d'arranger les choses avec mon père, lui faire plaisir et m'intéresser davantage à cette tradition qui est également la mienne. Enfin, j'obtiens une réponse à ma question concernant les différentes manières d'utiliser la magie. J'aimerais savoir combien il y en a et quelles sont-elles, mais je sais qu'une vie normale ne suffirait pas pour tout savoir, et il le confirme en disant qu'il existe une infinité de manières de pratiquer la magie, même au sein d'une même tradition. Pourquoi Poudlard ne nous éduque pas sur ce sujet ? Evidemment que c'est une école qui forme à la tradition hermétique, mais des connaissances ne serait-ce que sur l'existence des autres traditions ne serait pas un mal. Si j'ai connu les verbenae, c'est grâce à mon père, mais aucun de mes camarades ne savaient de quoi il s'agissait et je me trouvais bien stupide à ne pas vraiment savoir comment leur expliquer.
« Tant de choses que l'on ignore. Le monde est si vaste et on nous ferait presque croire que nous sommes seuls au monde. »
C'est le sentiment que j'ai toujours eu. Même si je suis consciente de l'existence de tout un tas d'autres pays et d'autres cultures, je n'ai jamais quitté la Grande Bretagne. Je ne connais que ces quelques îles et tout le reste du monde semble être sorti tout droit d'un livre de fiction. J'aimerais voir le monde, maintenant que j'y songe.
Pour l'heure, je suis bloquée dans cette ville qu'est Londres, et même plus précisément dans ce magasin appelé Barjow et Beurk. Et mon attention se porte finalement sur ce tableau qui n'a pourtant pas l'air si intéressant que cela à première vue. Il est vide, et c'est justement cette vacuité qui m'intrigue. Je n'ai pas toujours l'occasion de me poser autant de question sur des choses futiles. Sortir de ce quotidien qui consiste simplement à encaisser des clients qui souhaitent acheter un balai ou autre accessoire de Quidditch, ça fait du bien, et même s'il s'agit de s'intéresser à un tableau qui semble avoir pris la poussière depuis des décennies si ce ne sont des siècles. Me voilà à m'inquiéter du sort d'un personnage issu d'un tableau. La supposition du vendeur, c'est qu'il se serait peut-être vexé ou bien peut-être est-il retenu quelque part. Je serais bien curieuse de retrouver le tableau dans lequel le personnage se trouve à présent. Mais ce serait impossible, à moins de fouiller tous les tableaux magiques du monde.
« Ça demeurera un mystère. »
Parfois, ce n'est pas plus mal. La réponse est probablement décevante, de toute manière. Peut-être est-il simplement en train de dormir dans la petite cabane au fond du tableau, et peut-être qu'il n'a plus envie de sortir, fatigué de voir tous ces clients aller et venir dans l'échoppe. Mais à quoi bon faire toutes ces théories. Ce tableau est vide.
Finalement, il me demande si je suis antiquaire. J'imagine que ça doit être le genre de clients habitués dans cette boutique, ou du moins, le genre de clients qui posent autant de question. Peut-être que finalement je suis faite pour être antiquaire, qui sait, le Quidditch n'est peut-être pas fait pour moi. Je lui réponds finalement qui je suis, où je travaille et la raison pour laquelle je suis là. La curiosité, ce si vilain défaut. Il m'explique qu'il ne connaît rien au Quidditch, ce qui me fait sourire, avant d'ajouter qu'il ne regardait même pas les matchs à Poudlard. Il est donc bien de la même école, c'est sûrement là que je l'ai croisé auparavant.
« Mh, je comprends mieux pourquoi je n'ai pas eu droit à la question habituelle... »
Je souris. Ce n'est pas plus mal ainsi, je commence à en avoir marre de ceux qui ne se mêlent pas de ce qui les regarde en ce qui concerne mon choix vis-à-vis de ma carrière. Il n'est pas le premier à ne pas s'intéresser au Quidditch, mais dans mes souvenirs, ils étaient quand même nombreux ceux à tout de même aller voir les matchs, juste pour l'ambiance, juste pour être avec leurs camarades en dehors des murs du château.
Étonnamment, il semble approuver ma curiosité. C'est peut-être quelque chose de nécessaire pour venir dans ce genre d'endroit, au moins la première fois. Sans curiosité, on ne prendrait même pas le temps de s'arrêter, je suppose. Dans ma boutique, les gens savent généralement ce qu'ils veulent, ou du moins, ils connaissent ce qu'ils voient en rayon.
« Des vieux bonshommes désagréables ? Eh bah... Ça ne doit pas être évident de travailler ici. »
Malgré des cas assez insupportables, notamment les Karen, de manière générale, les clients sont agréables, parce qu'ils sont heureux de venir acheter de l'équipement de Quidditch ou de faire un cadeau pour quelqu'un de proche. Ce n'est pas comme payer des taxes, par exemple. Et je suis la première à vouloir faire de mes achats un plaisir, alors c'est pour cela que j'interroge le vendeur à propos d'artefacts liés à la tradition de mon père. Je suis vraiment déterminée depuis quelque temps à rattraper le temps perdu. Il faudra peut-être que je retourne à Howth pour récupérer mon set d'oghams qui doit prendre la poussière depuis au moins dix ans, mais si je peux avoir des ressources pour en apprendre davantage, je ne dirais pas non, et au moins, je ne serais pas venue ici pour rien. Il m'explique qu'il n'est pas certain que je puisse trouver un set complet d'oghams, mais il me fait signe de le suivre, peut-être que pour les livres, j'aurai un peu plus de chance.
Alors que j'emboîte son pas, je me permets de lui demander son nom. J'ai tendance à considérer les commerçants du Chemin de Traverse comme une grande famille, mais pourquoi pas faire de même avec les commerçants de l'allée des embrumes ? Même s'il est question d'une certaine rivalité pour des raisons littéralement obscures, nous sommes tous dans le même bateau. Un temps de silence, puis finalement il se présente. Theodore Nott. Nott... Ce nom est loin de m'être inconnu, même si maintenant qu'il dit son nom, je ne me souviens pas avoir eu l'occasion de lui parler. Je dois simplement le connaître de vue de Poudlard, je ne vois pas d'autres explications. Je ne fais pas de remarque quant à son nom de famille, je préfère ne pas faire de vagues auprès des Sangs-Purs, je suis bien mal placée pour ça, et ma mère en a fait les frais.
« Enchantée. Mara Lochlainn, c'est mon nom complet. »
Je ne veux pas non plus franchir cette limite. Il est en poste, et je suis une cliente. Demander le nom est une chose, mais aller plus loin pour savoir s'il était à Poudlard, et d'autres questions indiscrètes, ça ne me regarde pas. Il y a cette relation étrange dans un commerce. Souvent, le commerçant apprend à connaître son client pour mieux le guider, ou parce que ce dernier va délibérément raconter sa vie, mais le commerçant va souvent rester mystérieux – sauf à des occasions rares – et seul le prénom est donné, histoire de donner l'impression au client qu'ils se connaissent. C'est toujours plus simple de vendre à quelqu'un qui a l'impression de nous connaître, c'est ce que mon patron me répète toujours. En ce qui me concerne, environ neuf clients sur dix savent qui je suis. Et rien que pour ça, certains vont aller jusqu'à acheter une babiole, histoire de dire qu'ils ont acheté quelque chose à Mara Lochlainn.
Il me présente finalement une boîte dans laquelle se trouvent des oghams. J'ai l'impression d'être de nouveau la petite fille que j'étais autrefois lorsque mon père m'a offert mon set.
« C'est exactement comme ceux que j'ai. Mon père me racontait qu'il y en avait plusieurs sortes, mais que les plus courants étaient sous cette forme. Seuls les verbenae avancés utilisent des oghams gravés sur pierres. »
Ça, je m'en souviens bien. Il m'avait même promis qu'un jour j'en aurai un comme le sien. Sauf que les choses se sont passées différemment, je n'ai jamais vraiment été initiée à la tradition de mon père. Theodore mentionne finalement deux ouvrages qui sont liés aux oghams, et semble désolé de ne pas avoir davantage à proposer.
« Je ne cherche rien de précis, mais je pense que je vais prendre les deux ouvrages. C'est toujours ça de gagné. »
Et ça occupera mes soirées avec Jack. Un peu de lecture productive ne me fera pas de mal. J'examine les deux livres qui semblent dater de plusieurs décennies, mais la tradition verbenae est ancestrale, et je ne pense pas qu'il y ait grand chose de nouveau à ajouter. Enfin, ça, je pourrai plus tard le demander à mon père. J'ose espérer que cette démarche nous rapprochera finalement. Je m'en veux tellement de notre relation actuelle.
Nott me pose alors une question assez pertinente. Je ne m'étais jamais posé la question puisque le choix ne s'est pas véritablement offert à moi.
« Mon père n'a pas été beaucoup présent durant mon enfance, il était souvent occupé justement à assister à des séminaires avec ses confrères et consœurs verbenae. Il m'a offert mon set d'oghams vers mes dix ans, comme la tradition le veut, il m'a parlé vaguement du principe de cette tradition, me promettant de me former plus tard, mais ma mère a insisté pour que j'aille à Poudlard. Selon elle, il valait mieux que j'ai une éducation complète là-bas et que je me rabatte sur une autre tradition plus tard que l'inverse. »
Il est compliqué pour un sorcier adulte d'apprendre la magie hermétique. Poudlard n'accepte que des élèves de onze à dix-sept ans, alors un adulte qui voudrait s'initier aurait bien plus de mal à le faire. En ce qui concerne l'initiation verbenae, je sais qu'il n'est pas trop tard si je le souhaitais vraiment.
« Après avoir commencé à étudier à Poudlard, je ne me suis plus vraiment posé de question, et mon père n'a jamais vraiment insisté. »
Il était surtout déçu, comme si j'avais vraiment eu le choix. Mes parents se sont disputé à cause de ça, et pourtant, ils ne se sont jamais vraiment déchirés. Mon père était aimant à sa façon, mais il savait qu'il était trop détaché pour vraiment avoir son mot à dire. Il espérait juste qu'à onze ans je sois capable d'avoir ma propre volonté. Je n'étais pourtant qu'une enfant.
« Il n'est pas trop tard. J'imagine que j'ai encore toute la vie devant moi pour m'y intéresser. »
Pourquoi ne pas simplement demander à mon père ? Je n'ai moi-même pas la réponse à cette question. Peut-être la honte ?
S’il avait croisé la jeune femme par hasard dans la rue ou ailleurs, il n’aurait pas une seconde imaginé qu’elle puisse être apparentée à la tradition verbenae, pour de simples raisons. D’une part, il n’aurait jamais pensé croiser un jour à Londres un fervent de cette tradition, et d’autre part, car il avait en tête une image bien différente que celle de la personne se tenant en face de lui. Les verbenae utilisent des végétaux, des pierres, des symboles incompréhensibles, s’adonnent à des rites étranges, vivent reclus loin de toute civilisation, entre clans, s’habillant de fourrures, se peignant le visage, incapable d’évoluer aux coeurs de villes et de village comme avaient su le faire les hermétiques. Du moins, c’est ce que lui avait raconté son père, appuyé avec sérieux par le discours des précepteurs qui s’étaient succédés devant lui. Ils avaient insisté encore et encore, la tradition hermétique était la seule digne d’avoir sa place en Angleterre, les autres traditions n’étaient que des reliquats d’une époque terminée. Dès la première fois où il avait tenu sa baguette entre ses mains, il y avait cru dur comme fer, et ce pendant des années. Pourtant, il y avait eu des élèves d’autres traditions à Poudlard, mais il n’avait jamais pris la peine de leur adresser la parole, et la plupart du temps, ils n’aimaient pas vraiment afficher cette particularité, se contentant de s’en tenir à leur baguette. Le sujet des autres traditions n’avait de toute façon pas été une seule fois évoqué lors des cours, et il était resté tranquillement avec ses opinions. Puis il avait fait ses propres recherches, voyagé, réfléchi, s’était rendu compte de l’étendue des choses qu’il ignorait alors. Il hoche la tête avec gravité en entendant les justes mots de Mara. Peu peuvent effectivement de vanter d’avoir vu la totalité de ce que le monde magique a a offrir.
Lorsqu’il avoue ne rien connaître à ce sport normalement si populaire qu’est le Quidditch, la jeune femme n’a pas la réaction que Theodore attendait. Il connaît les regards étonnés de ceux qui avaient, et ont encore l’habitude de porter fièrement les couleurs de leur maison ou de leur équipe préférée pour aller crier leurs encouragements sur le terrain. Ils avaient eux aussi leurs questions habituelles. Qui donc n’aime pas le Quidditch ? A-t-il au moins déjà entendu parler de tel ou tel joueur ? Peut-être devrait-il essayer de monter sur un balai, il finirait probablement par y prendre goût, non ? Il doit bien avoir une équipe préférée, non, même lorsqu’il était enfant ? Et l’incrédulité se faisait plus grande au fur et à mesure que les réponses négatives tombaient placidement les unes après les autres. Pourtant cette fois, c’est un air amusé qu’affiche Mara, accompagné de cette phrase énigmatique. Il lève un sourcil et penche légèrement la tête en la fixant. De quoi parle-t-elle ? S’attendait-elle à ce qu’il lui demande quelle équipe de Quidditch elle supporte ? Existe-t-il un code entre les amateurs de Quidditch dont il n’est pas au courant ? Mais la jeune femme semble déterminée à ne pas en dire plus, alors il abandonne le sujet, sans trop de regrets. Il ne tient pas à s’aventurer sur le terrain du Quidditch et se ridiculiser en montrant toute son ignorance.
Lorsqu’elle évoque les conditions de travail, il ne répond rien. Pourquoi mentir ? Ce n’est effectivement pas évident. La paie n’est pas la meilleure, et sans les commissions qu’il récupère régulièrement, il serait probablement à la rue. Les patrons sont antipathiques au possible, et travailler sous leurs ordres est un véritable supplice, une humiliation. Il n’ose imaginer ce que son père dirait en le voyant aux ordres de Barjow, dont la pureté du sang n’est même pas certaine. Et ces clients qui parfois viennent, ne le reconnaissent même pas et lui parle avec une désinvolture totalement déplacée, lançant leurs exigences à la volée comme à un elfe de maison. Il les mets dehors, ceux-là. Barjow et Beurk reste un établissement avec un minimum de principes, tout de même. Et même si son nom n’a pas l’air non plus d’évoquer énormément de choses à la jeune femme, elle a au moins la décence de lui parler correctement. En tant que commerçante elle-même, elle doit savoir comme certains clients sont irrespectueux. Elle se présente à son tour, et Theodore cherche dans sa mémoire. Lochlainn, il s’en souviendrait s’il l’avait déjà rencontrée.
Lorsqu’il lui présente les oghams, il est heureux de voir qu’ils évoquent quelque chose à Mara. Il écoute attentivement son intervention, prenant note des nouvelles informations qu’elle lui apporte. « Je ne savais pas qu’il existait des sets d’oghams en pierre. Vous voyez, vous avez bien fait d’être curieuse, ça vous a permis de m’apprendre quelque chose. » Il la laisse examiner les livres tranquillement. En y repensant, le journal du sorcier hermétique porte un regard assez fermé sur la tradition verbenae. Un sorcier voyageant pour observer les anciennes tribus, il n’est pas certain que cela plaise vraiment à la jeune femme. Pourtant, elle se décide finalement à acheter les livres. Il reste quelques secondes surpris. Décidément, il n’est pas au bout de ses surprises. Il lui adresse un sourire en récupérant les ouvrages. « Excellent choix. J’espère qu’ils vous seront utiles. » Theodore retourne vers le comptoir, livres en main. Barjow et Beurk seront content de voir que ces bouquins ont quitté la boutique.
Mara Lochlainn lui explique rapidement son choix de tradition et il l’écoute attentivement, pensif. Peut-on véritablement maîtriser deux traditions ? Cela devient-il plus difficile de se former à une nouvelle utilisation de la magie avec le temps, comme il devient plus difficile d’apprendre une nouvelle langue ou à jouer d’un instrument ? Pourrait-il lui apprendre à maîtriser une autre forme de magie, sans avoir baigné dedans étant petit ? En tout cas, la mère de la jeune femme a fait un bon choix en l’envoyant à Poudlard. Cela n’aurait servi à rien, en Angleterre, les oghams. Et comme elle le dit si bien, elle a toute la vie pour s’y intéresser. Même s’il ne voit pas vraiment l’intérêt d’apprendre une tradition si tard. L’hermétisme est largement suffisant, et Poudlard est la meilleure école. « J’imagine qu’il n’y pas d’école pour la tradition Verbenae. C’est sûrement plus simple comme cela. Ça fera cinq gallions pour les livres. » Il emballe soigneusement les ouvrages avant de les tendre à la jeune femme. Cinq gallions, ce n’est pas beaucoup, mais c’est déjà ça. Barjow et Beurk veulent absolument se débarrasser de ces objets, ils seront ravis. « Voilà pour vous. Ces livres seront probablement bien mieux chez une véritable verbenae que sur les étagères de cette boutique. Est-ce que je peux faire autre chose ? »
« You can’t ask men to risk death if you’re not willing to risk it yourself. »
Je n'avais pas imaginé une seule seconde qu'en entrant dans cette boutique ce soir, je repartirais finalement les mains pleines. Peut être qu'au final, la seule solution pour faire passer la mauvaise humeur et les mauvaises périodes de notre vie, c'est de faire du shopping. Certaines moldues semblent penser que c'est vrai, il faut croire que ça s'applique aussi, parfois, au monde des sorciers. Cette boutique qui, au premier regard, semblait si vide d'intérêt, a su attiser ma curiosité. Il y a finalement pas mal de choses assez intéressantes à trouver, notamment concernant différentes traditions et différentes contrées. Peut-être que si je n'avais pas été joueuse de Quidditch, j'aurais aimé voyager pour découvrir les différentes traditions.
La chose rassurante dans cette échoppe, c'est que ce jeune homme ne me connaît pas vraiment, et qu'en plus de ça, il ne s'intéresse pas au Quidditch. J'aurais été bien embêtée si, en essayant de me changer les idées, j'étais tombée sur un supporter, ou au contraire, un détracteur. Il est vrai que ça me surprend toujours quand quelqu'un prétend ne pas du tout s'intéresser au Quidditch, même pas de loin. Surtout pour quelqu'un qui serait allé à Poudlard. C'est une idée que l'on se fait. J'ai baigné dans l'univers du Quidditch depuis toute petite, et pourtant, mon père étant un Verbena, avec le recul, je me rends compte qu'il était une exception sans sa communauté. Il y a des exceptions partout. Tout les joueurs et passionnés de Quidditch ne comprennent pas que l'on ne s'intéresse pas à ce sport, mais c'est une chose que j'ai accepté il y a plusieurs mois, bien avant mon accident, mais d'autant plus depuis. Ces personnes me permettent d'être Mara Lochlainn, la jeune sorcière anciennement Poufsouffle, fille de née moldue et de verbena ; non pas seulement la batteuse des Crécerelles de Kenmare.
Parler de la tradition de mon père me rend à la fois fière et angoissée. Je n'ai jamais su faire honneur à ses traditions. Ce n'est pas que ma mère ne voulait pas que j'apprenne plus en profondeur les bases de cette forme de magie, c'est juste qu'elle voulait faire en sorte que ma vie soit plus adaptée à l'époque dans laquelle j'ai grandi. J'étais un peu têtue, alors par fierté, j'ai fais de mauvais choix. A l'adolescence, on dit parfois des choses à nos parents, des choses qu'on ne pense pas vraiment. Je m'en veux tellement. Est-ce qu'en parler avec un parfait inconnu fera de moi une fille un peu plus digne ? Je ne pense pas. Mais c'est toujours plaisant de pouvoir faire part de ce que l'on sait. Lorsque l'on m'écoute, on pourrait croire que j'ai toujours été fière de lui. Je le suis, aujourd'hui, et je me sens coupable, mais je me sens hypocrite de réagir ainsi. Pourtant je déballe ma vie, je parle de mon père, de pourquoi je n'ai pas suivi sa tradition plutôt que la tradition hermétique. Je profite donc d'être là pour acheter ces deux ouvrages qui ne pourront que m'être utile si je décide sérieusement de rattraper mon retard dans ma formation.
Je souris lorsque Theodore admet que je lui ai appris quelque chose concernant les oghams en pierre. Ils sont rares, et pour qu'un verbena s'en débarrasse, il faut un miracle. Ils sont bien plus puissants, de ce que mon père me disait, alors aucun d'eux n'aurait la négligence de les abandonner dans une échoppe du genre. Qui sait entre quelles mains ça tomberait... Non pas que certaines personnes mal intentionnées n'aient pas d'autres moyens de faire des dégâts, ou encore, tous les verbenae n'ont pas que des intentions bonnes. S'ils ont toujours était neutres d'une certaine manière, comme partout, il y a des personnes plus avides de pouvoirs et d'autres vices. Le vendeur semble en tout cas ravi de voir que je me décide à acheter ces vieux bouquins. On est toujours heureux lorsqu'une personne entre dans une boutique sans l'intention d'acheter, et finit par craquer finalement. On ne peut pas dire que je sois difficile à convaincre, mais ces livres ont attisé ma curiosité. Peut-être qu'ils finiront au fond de ma bibliothèque, ou peut-être que Jack se fera une joie de les abîmer, mais au moins, j'aurais essayé d'approfondir mes connaissances.
« J'espère aussi qu'ils me seront utiles. On n'a jamais assez de livres, paraît-il. »
Ce n'est pas une critique, mais il y a tant de choses dans cette boutique qu'à moins de spécifiquement chercher quelque chose sur cette tradition, jamais personne n'aurait dégoté ces deux ouvrages. Ou alors, il faut bien aimer chercher des choses que l'on ne connaît pas.
« Non, il n'y a pas d'école. »
Et c'est bien pour ça que Poudlard a été le premier choix de ma mère. Autrement, elle aurait peut-être envisagé de m'envoyer dans une école pour jeunes verbenae. Elle ne m'a pas envoyée à Poudlard par élitisme, mais juste pour m'assurer une bonne éducation et me donner plus d'options.
« Les parents éduquent généralement leurs enfants. Du moins, c'est ce que mon père aurait fait si je n'étais pas allée à Poudlard. »
C'est une tradition qui se perd malheureusement. Mais de ce que l'on m'a dit, il y a maintenant une professeur à Poudlard qui enseigne les runes et les oghams, ce qui est une bonne chose. Il y avait bien des cours de runes à l'époque où j'étais encore à Poudlard, mais mon père n'aurait jamais apprécié que j'étudie les runes et non les oghams. Je tends les cinq gallions qu'il me demande pour les deux bouquins. Ce n'est pas grand chose, mais ces livres ont déjà bien vécu.
« Effectivement, ils seraient probablement restés enfouis sous d'autres objets pendant des décennies, jusqu'à ce qu'une autre personne s'intéresse à la tradition de mon père. »
Véritable verbena n'est pas vraiment un terme que j'emploierais pour me décrire, mais ça me fait plaisir d'être considérée ainsi. Je lui souris tout en récupérant les livres soigneusement emballés. Je les mets dans mon sac tout de suite, me connaissant, je serais capable de les poser et de les oublier.
« Je ne pense pas, non. Je venais pour essayer de trouver Aura, initialement, et me voilà repartie les mains pleines. Il faut croire que vous connaissez bien votre métier ! »
Je jette un coup d'oeil dehors, le ciel est sombre. Je ne me souvenais plus qu'il faisait déjà nuit quand je suis rentrée dans l'échoppe.
« Si je m'écoutais, et si j'en avais les moyens, je repartirais sûrement avec deux ou trois autres babioles, sans grand intérêt, sûrement, mais c'est justement ce qui fait le charme de ces objets, non ? »
Je parle, je parle, et je parle encore. J'espère ne pas l'avoir ennuyé avec l'histoire de mon père. Et avec l'histoire de ce tableau vide. Je jette d'ailleurs un dernier coup d’œil à ce tableau, juste pour m'assurer que rien n'a bouger. Et à ma grande surprise, apparaît alors une femme assise sur la chaise qui, jusque là était vide, un chat sur les genoux et se coiffant sa longue chevelure ébène.
« Oh ! Vous avez vu ça ? Il semblerait qu'elle soit revenue ! »
La jeune femme du tableau se met à tousser assez fort, faisant voler la poussière du tableau. S'il ne m'avait pas dit que la personne du tableau était partie depuis longtemps, je n'aurais pas été surprise, mais en l'occurrence, il semblerait que son retour soit assez exceptionnel.