J'avoue que je ne comprends pas comment le Ministère a pu refuser le poste deux fois à Damocles. Je le connais, ou du moins, je le connaissais à l'époque. Ce refus me semble complètement injustifié, à moins d'avoir délibérément fait en sorte d'être refusé, mais encore une fois, ça ne ressemble pas au jeune Serdaigle que j'ai connu et qui était mon meilleur ami. Il me donne alors plus d'explications concernant ces refus. Apparemment, son caractère ne serait pas compatible. Je n'ai jamais vu qui que ce soit se voir refuser un poste à cause de son caractère, ou peut-être dans la vente, mais ça c'est un autre problème. Damocles a son petit caractère, mais pour moi ça ne justifie rien, et comme il le dit si bien, Fol-Oeil n'était pas l'homme le plus facile à supporter et a pourtant été un auror de génie. Il dit alors que d'après ses recherches, la véritable raison serait liée au fait que son père soutienne les Malefoy.
« T'es pas sérieux ? »
Je savais qu'il y avait des différends politiques dans la famille de mon meilleur ami, mais je ne pensais pas que ça aurait ce genre de répercussions sur son parcours professionnel. Je trouve ça vraiment incroyable de la part du Ministère de faire payer un fils pour les idées de son père. Et après ça, Potter se prétend pour le renouveau. Il faut croire que chaque jour il y a quelque chose de nouveau qui vient alimenter mon désaccord vis-à-vis de ce gouvernement.
« C'est n'importe quoi. Te faire payer tout simplement parce que ton père s'oppose à eux ?! Comment ils veulent être pris au sérieux s'ils continuent de mettre des étiquettes sur les noms de famille. »
Je ne le montre pas, mais intérieurement je bouillonne. Là est la faille du gouvernement de Potter. Là où il veut faire bouger les choses, il est incapable de le faire correctement sans laisser d'injustice. Je ne le répéterai jamais assez, mais ce jeune Potter ne réfléchit pas assez et ce sera sa perte.
Je raconte à Damocles mes fiançailles, l'une des grandes aventures de ma vie. Je n'ai jamais voulu décevoir ma famille, et pourtant, je n'ai jamais été ravi à l'idée d'épouser une inconnue simplement pour perpétrer le sang sorcier. Rien de tout cela n'était de ma volonté, mais j'ai accepté mon sort, parce que dès le jour où je suis né, j'ai su que l'on ne me laisserait pas vraiment le choix. Finalement, ironie du sort, cette alliance qu'ils pensaient si parfaite aurait pu entacher l'image de notre famille et aller à l'encontre des idéaux des Thornberry. Mon ami a raison, souvent les parents se trompent. Ils ont souvent raison, mais parfois, il leur faut admettre qu'ils ne peuvent tout décider pour leurs enfants. Je me contente d'un léger rire à la dernière phrase de Damocles. L'interdiction des mariages forcés est peut-être la seule chose de concrètement efficace parmi tout ce que Potter a pondu.
L'heure est à la détente et je n'ose aborder le sujet de la politique. Damocles travaille pour le Ministère et je ne voudrais pas qu'il méprenne mes idées vis-à-vis du gouvernement de Potter. J'ai bien vu comment les choses se sont passées à Poudlard. Cette école qui était pourtant un symbole fort de neutralité et de justice, je ne prendrai pas le risque d'exposer ce que je pense ouvertement. Si je suis loin de soutenir les actes du groupe Reissen et encore moins les idées de Narcissa Malefoy, mon avis vis-à-vis de Potter est bien clair et je me garderai de l'évoquer. Ce sont mes convictions propres. Est-ce ça, être adulte ? La politique est un sujet qui divise même les personnes les plus proches. Je me contente de boire mon whisky, car au final, seul la boisson préserve les amitiés avec le temps.
L'ancien Serdaigle fait signe à la serveuse de nous apporter deux nouveaux verres. Bien, au moins je sais que mon meilleur ami n'est pas devenu un petit joueur. Je lui demande s'il a revu des anciens de Poudlard. Nous n'étions pas de ceux qui ont tout un tas d'amis de l'école de sorcellerie, mais sait-on jamais. J'évoque ma collègue, Murphy, un visage familier retrouvé lors de mon arrivée à Poudlard, mais le nom ne dit rien à Damocles. Il admet ne pas avoir revu grand monde.
« Non, pas vraiment, Hekate est la seule et c'est parce que nous travaillons ensemble. Je ne me souviens pas beaucoup de nos camarades pour être honnête, t'es le seul qui était un véritable ami pour moi. »
Le chat tente de se faire la malle. Ça y est, maintenant qu'il sait que son maître va le garder, il commence à montrer son vrai côté taquin. C'est pour ça que je n'ai pas de chat, ils sont bien trop mesquins et vicieux. Je les trouve craquants et intelligents, mais je me méfie bien trop de ces viles créatures. Damocles lui donne une petite correction, il sait déjà y faire. Je savais que c'était une bonne idée de lui faire adopter l'animal. Il demande alors des nouvelles de l'un des professeurs de Poudlard, Camille Nott. Je fronce les sourcils, ce nom m'est bien entendu familier, comment ne pas connaître les Nott.
« Pour être tout à fait honnête, il ne fait pas partie des professeurs avec qui je me suis lié d'amitié. Et puis, les Arts Obscurs ? C'est vraiment le genre de cours qui ne m'intéresse pas. Je ne comprends même pas pourquoi c'est enseigné à Poudlard. Je sais que le Ministère n'a pas totalement son mot à dire sur le programme de l'école, mais sérieusement ? Après tout ce que le monde sorcier a vécu, Potter laisse passer ça ? »
Et encore un point de moins pour notre cher Harry Potter.
« Et puis... y a ces rumeurs... Je ne me souvenais pas que Poudlard était un nid de commères. »
Les rumeurs disent qu'il aurait été Mangemort. Info ? Intox ? Toujours est-il qu'il est toujours là à enseigner à Poudlard. J'ai choisi de ne plus m'inspirer seulement des rumeurs. Il y avait bien des rumeurs comme quoi, moi, fils de mon père, j'aurais été embarqué dans son idéologie. Même si prendre le nom de ma mère m'a sauvé les fesses à Poudlard, certains qui connaissaient mon paternel m'ont pas vraiment laissé de répit pendant un moment. Les rumeurs doivent être accompagnées de preuves, auquel cas elles ne demeurent que de simples rumeurs.
« Tu le connais d'où ce Nott ? »
Est-ce parce qu'il est de Sang Pur ? Peu importe, cet homme ne m'intéresse pas tant qu'il ne met en danger personne. Mais au rythme où on est, il faudrait se méfier de tous et de toutes. Nos deux nouveaux verres arrivent finalement. Je trinque une nouvelle fois avec mon meilleur ami avant de prendre une nouvelle gorgée.
« Hé mais t'as jamais eu l'occasion de rencontrer Roach, mon chien ! Heureusement qu'il est là, avec moi, à Poudlard. Je ne pensais pas qu'être professeur était aussi difficile. Même entre professeurs de différentes matières il y a comme une compétition, et puis les élèves... Ils parlent, ils savent tout ! Est-ce qu'on était comme ça à leur âge ? Est-ce qu'on connaissait tout de la vie privée de nos professeurs ? »
Hier encore cette élève, Ava, me posait des questions sur des choses que je pensais ne jamais avoir partagé avec qui que ce soit. Les gens parlent, m'a-t-elle dit. Mais qui ?
Même s’il a du mal à l’avouer, l’indignation d’Aedrian le rassure. Lorsqu’il avait commencé à s’intéresser à la profession d’Auror en quatrième année, la plupart des gens de son entourage avait pris cela pour une lubie d’adolescent, un rêve motivé par l’attrait que pouvait avoir la prestigieuse profession sur les jeunes élèves désireux de faire leurs preuves. Sa famille avait ri lorsqu’il avait annoncé son désir de s’orienter dans cette voie plutôt que dans celle des potions, son père s’était presque fâché. L’idée même que l’héritier actuel de la branche Slughorn, celui qui devrait un jour recevoir le titre de Lord puisse s’intéresser à autre chose qu’à des chaudrons bouillonnants était tout bonnement inconcevable. Le fait que Damocles soit bien moins bons en potions que dans d’autres matière n’y avait rien changé. S’il ne voulait pas travailler dans les boutiques familiales, pas de souci, son frère serait là pour ça et il n’aurait qu’à gérer la famille à distance depuis le château de Poudlard où il serait probablement devenu professeur, ou de Sainte-Mangouste où son nom serait pris au sérieux par tous et où il aurait son mot à dire dans toutes les décisions. Mais certainement pas depuis le Département de la Justice Magique du Ministère. Ils s’étaient un peu disputé au sein de la famille Slughorn, puis avaient changé de sujet, persuadés que cette idée saugrenue passerait rapidement à Damocles. Pourtant, lorsqu’une fois ses Aspics en poche il avait intégré le Ministère en tant qu’assistant au Département de la Justice, le sourire moqueur et désinvolte de son père s’était volatilisé. Il avait encore espérer le faire changer d’avis, le menaçant de la ruine, de le déshériter, et Damocles avait rapidement évacué le manoir pour laisser l’ire paternelle s’épuiser d’elle-même. Malheureusement, elle ne s’était jamais vraiment calmée.
Le discours d’Aedrian fait hausser les épaules à Damocles alors qu’il prend une gorgée de son nouveau verre. Malgré sa récente affiliation, Horace Slughorn a toujours le bras extrêmement long, et un quasi-centenaire à se créer des relations un peu partout dans le monde sorcier paye encore aujourd’hui. Quelqu’un, quelque part dans les hautes instances du Ministère doit probablement une faveur à Horace Slughorn ou à son père et la repaie en faisant son possible pour mettre des bâtons dans les roues de Damocles. Il a de la peine pour Potter et son nouveau gouvernement. Le pauvre est trop jeune, ça n’est qu’un gamin. La paix qu’il a instaurée est plus fragile qu’un morceau de parchemin trempé, et ne demande qu’à se déchirer. Quand Aedrian lui avoue qu’il était le seul véritable ami qu’il avait à Poudlard, Damocles sourit. Lui n’ont plus n’a jamais considéré quelqu’un d’autre comme un véritable ami depuis cette époque de Poudlard où ils traînaient ensemble. Une amitié de jeunesse, pourtant solide à l’époque. Il n’aurait jamais cru qu’elle s’effilocherait ainsi au cours des années, mais il est prêt à tout faire pour la reconstruire.
Il doit avouer qu’il est légèrement déçu quand Aedrian lui dit qu’il ne connait qu’à peine Nott. Dommage, il n’obtiendra pas d’informations intéressantes aujourd’hui. De toute façon, ça n’est pas pour ça qu’il est là aujourd’hui. Il ne veut pas non plus risquer d’entacher sa bonne humeur avec les sujets qui fâchent. Pourtant, Aedrian n’a pas l’air décidé à lâcher le sujet. La présence du cours d’Arts obscur à Poudlard a l’air de le mettre particulièrement en fureur, et Damocles le comprend. Lorsque l’annonce de l’ajout de ces nouveaux cours avait été donnée, il avait cru avaler son café de travers. Arts Obscurs et Alchimie, enseignés à Poudlard ? Au fond, il comprenait aussi la mesure. Identifier des élèves ayant des prédispositions malsaines pour ce genre de matières dès Poudlard, ça peut être une bonne idée. Mais en même temps, est-ce que cela ne leur donne pas des idées ? Mais laisser Nott enseigner pareil sujet, c’est un peu comme mettre le fusil dans les mains du chasseur. Damocles secoue la tête d’un air soucieux. « Je suis d’accord avec toi. Je ne suis pas sûr que ça soit une bonne idée d’enseigner un tel sujet à des élèves aussi jeunes. Mais tu sais, en ce moment, quoi que fasse le Ministère, il est critiqué. Ça nous donne beaucoup de boulot. Et pour les cours, je pense qu’il faudrait plutôt s’en prendre à Rogue, c’est lui qui choisit les matières. Mais on aurait aussi pu ne jamais le laisser revoir la lumière du jour, ça aurait évité pas mal de problèmes. » Apparemment, personne n’a de problème avec l’idée d’avoir un ancien mangemort à la tête de Poudlard. Damocles, si. Agent double ou non, Severus Rogue a commis des crimes terribles, et il ne devrait pas se trouver en charge de l’éducation de jeunes sorciers, point. Surtout lorsqu’on voit la vermine qu’il recrute. Pas Aedrian, bien entendu, mais Camille Nott ? Regulus Black ? Sérieusement ?
Quand Aedrian lui demande d’où il connait Camille Nott, Damocles réfléchit. Il est sûr et certain qu’il s’agit du mangemort en face duquel il s’est trouvé des années plus tôt et qu’il a vu assassiner de sang froid l’un de ses pairs. Personne ne l’a cru à l’époque. On lui a demandé de lâcher l’affaire, on l’a retiré du dossier, ses supérieurs ont décidé d’arrêter l’enquête du jour au lendemain, sans explication. On lui a demandé de ne plus en parler à qui que ce soit, on lui a dit que continuer à s’acharner sur le dossier de Nott lui coûterait sa place. Alors il a obéit à contre-coeur. Et malgré son envie de se confier à son ami, la pression du devoir est plus forte. « Oh, tu sais, c’est une ancienne connaissance, tu devais être à l’étranger lorsque je l’ai rencontré. On s’est perdus de vue depuis un moment, je me demandais ce qu’il devenait, c’est tout. » Heureusement, Aedrian change rapidement de sujet et il retient un soupir de soulagement.
Cela n’étonne pas Damocles de savoir qu’Aedrian n’a pas pu résister à l’envie d’emmener l’un de ses chiens à Poudlard. Il probablement dû insister pendant des jours sans lâcher l’affaire pour qu’on accepte enfin qu’il puisse avoir un animal tel qu’un chien au sein des murs du château. « C’est vrai ! Je pourrai venir me présenter un jour. Enfin, si on me laisse entrer. Depuis un moment, les mesures de sécurité ont été renforcées au château, on ne peut plus y rentrer comme dans un salon de thé. Ce n’est pas plus mal, si tu veux mon avis. Mais la prochaine fois qu’il y a une mission à Pré-Au-Lard ou à Poudlard, je me porterai volontaire. » Il ne comprend pas pourquoi ça n’était pas le cas dès le début, d’ailleurs. En dehors des mesures anti-transplanage et des dispositifs pour repousser les moldus, il était plutôt facile de se rendre à Poudlard, pour peu qu’on connaisse quelqu’un à l’intérieur du château. Mais il y a toujours Pré-Au-Lard, heureusement pour eux.
Il caresse distraitement le chaton, qui lui mordille la main sans qu’il y fasse attention. Il lui donne une serviette en papier, que l’animal commence immédiatement à déchiqueter minutieusement. Le monde de Poudlard lui paraît si lointain désormais, mais il n’est pas étonné par les propos de son ami. A l’époque déjà, les rumeurs allaient bon train entre élèves, il ne pouvait rien se passer sans que la moitié du château soit au courant. En revanche, les professeurs étaient bien plus secrets, il était rare d’obtenir de véritables détails sur leur vie privée. Bien sûr, il y avait toujours de nombreuses rumeurs plutôt amusantes qui circulaient à propos de tel ou tel professeur, mais il ne fallait pas obligatoirement sortir de Serdaigle pour comprendre qu’il n’y avait rien de véridique dedans. « Je ne sais pas, tu te rappelles cette rumeur sur Rusard et Madame Pince ? Ça avait l’air plutôt vrai. Mais je pense qu’il y a beaucoup de racontars, c’était surtout pour rire. Pourquoi, est-ce que tu fais l’objet d’une rumeur particulièrement bizarre ? Qu’est-ce qu’on inventés ces gentils élèves pour te ridiculiser ? » Il ne se voit pas du tout affronter le monde dans lequel Aedrian vit. La compétition entre professeurs dont il parle doit être particulièrement éprouvante. Déjà qu’il faut se sentir à la hauteur des élèves, si en plus les collègues se concertent pour ne pas se soutenir et pour s’enfoncer les uns et les autres à la place, ça ne doit pas être facile.
Maintenant que j'y pense, je ne connais pas vraiment de monde à Poudlard. Je vis ma petite vie tranquillement. On ne peut pas dire que je sois en mauvais termes avec les professeurs, mais on ne peut pas dire que je me sois fait de grands amis. Nous ne sommes pas là pour cette raison de toute manière. Je suis bien avec mon chien. J'ai toujours été assez content tout seul. Je ne me qualifierais pas de solitaire, mais ça ne me pose pas de problème d'être avec moi-même et mon chien. Du coup, lorsque Damocles me questionne sur mon collègue professeur Camille Nott, je ne sais pas trop quoi lui dire. On ne peut pas vraiment parler d'un ami ou d'un professeur avec qui je m'entend particulièrement bien, mais ce n'est pas non plus un professeur avec qui je ne m'entends pas. Parlons plutôt ici de totale indifférence. Je donne mon point de vue cependant vis-à-vis de la matière enseignée par ce professeur. Selon moi, les Arts Obscurs n'ont rien à faire à Poudlard. Le cours de Défense contre les Forces du Mal n'est-il pas suffisant pour se préparer à se protéger ?
« Il y a peut-être de bonnes raisons pour que le ministère soit critiqué. »
Il manquerait plus qu'ils se tournent en victime. Les Ministères ont toujours été longuement critiqués depuis des siècles. Potter a beaucoup de défaut et les sorciers critiquent son gouvernement, cela fait partie du travail de Ministre. Je comprendrais cependant qu'il ne soit pas assez mûr pour supporter ce genre de chose.
« Effectivement, le véritable fautif dans l'histoire est le directeur. Je suis assez mitigé vis-à-vis de lui. Il n'est pas un mauvais directeur en soi, je pense qu'il a ce sérieux qui est digne d'être le successeur de Dumbledore, mais effectivement, le choix est assez... Surprenant. »
Je crois que j'aurais préféré voir le professeur MacGonagall prendre cette place, cependant, elle semble être bien satisfaite dans son nouveau rôle. Quel dommage que les élèves d'aujourd'hui n'aient plus ce professeur pour la métamorphose, elle est si douée pour cela. Dure, stricte, mais juste. Je n'ai rien contre Rogue, à vrai dire, je n'ai pas à m'en plaindre personnellement, il ne m'a pas mis de bâtons dans les roux pour faire mon boulot. Seulement, ses décisions récentes... Ça a créé du grabuge au sein de l'école de sorcellerie.
Je suis curieux de savoir comment Nott et Damocles se sont connus. Il m'explique que c'est une vieille connaissance et que je devais déjà être en vadrouille quand ils se sont rencontrés. Apparemment, ils se sont perdu de vus depuis quelque temps.
« Désolé de ne pas pouvoir t'en dire plus. Je passe plus de temps avec Roach quand j'ai du temps libre qu'avec les professeurs de Poudlard. »
Damocles semble d'ailleurs ravi à l'idée de venir rendre visite à Roach un de ces jours. Après tout, ils sont tous les deux membres de ma famille. Je ne peux pas dire que je manque de frères, mais Damocles aura toujours cette place de frère pour moi, Christian et Brandon le savent parfaitement et ça ne leur a jamais posé de problème. Il a raison sur le fait que la sécurité à Poudlard a été renforcée. Cela dit, Poudlard a toujours été un endroit censé être assez sécurisé d'aussi loin que je m'en souvienne.
« Tu n'as pas besoin de venir jusqu'à Poudlard, je peux aller à Pré-au-Lard, c'est quand même plus pratique pour se voir et même Roach préfère les rues du village que les couloirs de l'école. En plus, on ne peut même pas boire de whisky pur feu à Poudlard ! »
Bon, ça, c'est normal, c'est un établissement scolaire. On sait que ces jeunes sorciers s'empresseront de boire de l'alcool dès qu'ils seront en âge de le faire, mais avant cela, inutile de leur agiter des bouteilles sous le nez dans un endroit où ils sont censés apprendre à devenir des sorciers accomplis. En tout cas l'idée que mon meilleur ami vienne me rendre visite un de ces jours me fait plaisir. Ce n'est pas que je n'aime pas Londres, mais ce n'est pas vraiment évident d'emmener mon chien avec moi dans ces conditions, il faudrait que je prenne le Poudlard Express pour ce faire.
Je fais part à mon ami de ce que les élèves racontent. Je me suis un peu calmé par rapport à la veille, mais je n'ai vraiment pas aimé le fait que ma vie privée soit l'objet de rumeurs et de bouche à oreilles. J'espère que mademoiselle Moore ne m'en voudra pas pour avoir un peu haussé le ton à ce moment là. Je suis juste assez susceptible et respectueux envers la vie privée de tout un chacun. Damocles évoque alors cette histoire entre Rusard et Madame Pince.
« Je crois que je m'en souviens, mais j'ai jamais trop aimé toutes ces rumeurs. Et puis Rusard me faisait un peu peur. »
Il me demande alors quelles sont les rumeurs qui courent à mon sujet et je hausse les épaules. A vrai dire, il n'y a rien de compromettant, je suis juste un peu fâché avec l'idée que l'on parle de moi.
« Rien de bien méchant, mais il semblerait que les élèves soient au courant de toute ma vie et que ça parle de ma petite vie entre deux cours. Je trouve ça vraiment mauvais, en fait. Je sais que peut-être une ou deux fois pour justifier certaines de mes expériences avec les animaux fantastiques, j'ai évoqué mon frère, mais je n'aime pas le fait que parce qu'un élève connaît un détail de ma vie, il se sente obligé de le crier sur tous les toits. Je trouve ça malsain. Je suis leur professeur, pas leur ami. »
Je commence à me demander si je ne devrais pas justement rehausser ce mur séparant l'élève du professeur. Je me suis toujours montré amical pour leur donner envie d'apprendre davantage, mais je crois que certains ont mal interprété le ton employé durant mes cours.
« Et puis, cette élève m'a dit quelque chose de bizarre, que les élèves parlent de moi parce qu'ils n'ont pas l'habitude d'avoir de nouveaux professeurs, surtout pas comme moi. Comment j'étais censé prendre ça moi ? »
Je me prends sûrement le chou pour pas grand chose. Tant que ce ne sont pas de mauvaises rumeurs, je ne devrais pas m'inquiéter. Mais quelle sera la prochaine étape ? Venir me voir sur mon domaine lors des vacances d'été ? C'est ce genre d'intrusions dans la vie privée qui me font peur.
« Enfin, ce ne sont que des gosses, j'imagine. En dehors de ça, j'aime beaucoup mon boulot, c'est génial de pouvoir transmettre tout ce savoir ! »
Je prends une nouvelle gorgée de whisky, ma gorge s'asséchant assez rapidement.
« Tu comptes retenter ta chance bientôt pour devenir Auror ? J'espère que tu ne vas pas les laisser gagner. J'ai dit à toutes les personnes que j'ai rencontrées au cours de mes voyages que mon meilleur ami s’apprêtait à devenir le meilleur auror de tous les temps, tu peux pas faire de moi un menteur, tu n'oserais pas ! »
Je le taquine. Je ne voudrais pas qu'il se voit essuyer un troisième échec juste parce que le ministère a des raisons complètement injustes de le recaler. Je ne comprends même pas qu'il continue de bosser pour eux après ces décisions qu'ils ont prises. J'admire Damocles, je crois que j'aurais baissé les bras il y a bien longtemps. C'est ce qui nous différencie, lui et moi.
Depuis qu’il a commencé à travailler au Ministère, ce dernier n’a jamais été aussi impopulaire, en dehors de l’année où Vous-Savez-Qui et ses partisans en avaient pris le contrôle, bien entendu. Mais malgré de nombreuses erreurs et des décisions parfois hâtives, les sorciers n’avaient jamais été aussi opposés à la politique mise en place sous Potter. La façon dont s’était déroulée la prise de poste de Potter, déjà, après ce meurtre violent de l’ancien ministre, avait beaucoup fait parler. Puis toutes ces décisions saugrenues. Certaines avaient été de bonnes mesures, bien entendu, réduire le pouvoir démesuré des Lord au Magemagot et empêcher les mariages arrangés, entre autre, mais pour le reste… Mais après tout, on ne fait pas d’omelette sans casser des oeufs. Potter est quand même courageux de s’attaquer aux sang-pur. Même si ça n’est plus le cas de tous actuellement, la plupart sont toujours riches et influents. Ce sont des ennemis de taille pour un si jeune Ministre.
Aedrian a l’air de faire partie de ceux qui sont plutôt énervés contre le Ministère, apparemment, et Damocles pense savoir pourquoi. Les lois sur les êtres magiques avaient beaucoup fait réagir. Tous ceux qui étaient propriétaires -pardon, avaient engagé un elfe de maison se retrouvaient à devoir s’en séparer, où à lui payer des gages s’ils voulaient continuer à utiliser leur services. Ridicule d’ailleurs, les elfes de maisons sont nés pour servir, ils l’ont toujours fait avec un grand enthousiasme, et certains préféreraient mourir plutôt que de devoir quitter la famille à laquelle ils sont reliés ou recevoir un salaire. Il se demande ce qu’est devenue l’elfe du manoir où il habitait étant petit. Comment s’appelait-elle, déjà ? Mounty ? Matty ? Curieux qu’il ne parvienne pas à s’en souvenir, alors qu’il l’a croisée tous les jours pendant une grande partie de sa vie. Pour être honnête, il n’avait jamais vraiment fait attention à cette elfe. Elle était là, discrète, ils la voyaient à peine lorsqu’elle travaillait. Mais Léonard avait une fâcheuse tendance à l’ennuyer. Mindy ? En tous cas, ils n’y a pas que les elfes que le monde sorcier ne veulent pas voir armés de baguettes. Les gobelins sont déjà assez agressifs comme ça, sans parler des êtres de l’eau. De nombreux spécialistes des créatures et des êtres magiques avaient défilé au Ministère pour faire part de leur opposition, et certains n’avaient pas hésité à passer par la presse pour se faire entendre sur le sujet. Peut-être Aedrian en faisait-il partie ? Damocles ne s’était pas vraiment intéressé au sujet.
Cependant, il fronce les sourcils. On peut voir de nombreux défauts au gouvernement en place, ce n’est pas lui qui dira le contraire, en revanche les décisions prises à Poudlard ne regardent que l’actuel Directeur, et personne d’autre. Depuis des siècles, il est bien clair que l’école se détache complètement de la politique en place, ne prend pas position et reste neutre en toutes circonstances. Même lorsque le Ministère était tombé aux mains des Mangemorts, ils ont continué à assurer les cours du mieux qu’ils pouvaient, jusqu’à la bataille finale. Evidemment, il y a toujours cette histoire du renvoi de deux élèves. Certes, c’est assez exceptionnel, mais la situation ne l’est-elle pas ? Il continue de penser que ce renvoi est une punition bien trop sévère, complètement disproportionnée, mais après tout, il ne connait pas tous les détails de l’histoire. Peut-être existe-t-il une autre raison à leur renvoi, totalement légitime. Il en doute cependant. Il n’a jamais apprécié Rogue. C’est pourquoi les mots d’Aedrian lui font hausser les sourcils, légèrement étonné. « Tu plaisantes ? C’était quand même un Mangemort ! Le comparer à Dumbledore, c’est… » Il fait un geste agacé, ne trouvant pas ses mots. Le deuxième verre de whisky commence à faire son effet. Il préfère ne pas poursuivre sur le sujet. Il ne voudrait pas trouver un sujet sur lequel être en désaccord et se disputer avec Aedrian alors que c’est la première fois qu’ils se voient depuis tant d’années. Et après tout, s’il travaille avec Rogue tous les jours, il en sait probablement beaucoup plus que lui sur l’homme. Et Dumbledore n’était pas parfait non plus, quand on y pense. Mais quand même, le fait qu’il engage Nott, ce n’est pas à prendre à la légère. Au final, il est plutôt rassuré que Aedrian ne le connaisse pas plus que ça.
Le chat s’est de nouveau endormi sur ses genoux, apparemment incapable de rester éveillé très longtemps. C’est normal, il est si petit, il ne doit avoir que quelques semaines. Damocles aurait préféré qu’il choisisse quelqu’un d’autre comme nouvelle mère, mais si le sort en a décidé autrement, qui est-il pour s’y opposer… Quand Aedrian évoque Pré-Au-Lard, il réfléchit. Il n’y est plus allé depuis des années. Il est probable que le village n’ait pas vraiment changé au final. De nombreuses boutiques avaient fermé avant la guerre, mais peut-être sont-elles de nouveau ouvertes maintenant que la paix est revenue. Et Aedrian a raison, à choisir, il préfère aller à Pré-Au-Lard plutôt qu’au château, où il risquerait de croiser Camille Nott et de s’énerver. « Je n’ai pas vu Pré-Au-Lard depuis longtemps ! Ça me plairait d’y faire un tour un de ces jours. Tu n’auras qu’à me dire quand, et on préviendra les Trois Balais pour qu’ils refasse leur stock de whisky pur feu en ton honneur ! » Gare à eux s’ils ne parviennent pas à satisfaire la soif insatiable d’Aedrian. Contrairement à Damocles d’ailleurs, il ne semble pas du tout ressentir les effets de l’alcool. Il a vraiment été à bonne école.
Quand Aedrian lui parle des soucis qu’il rencontre avec les discussions à son sujet, Damocles hausse les sourcils. Les élèves sont bavards, ça n’est pas nouveau, et l’arrivée d’un nouveau professeur à Poudlard est toujours l’occasion de laisser les langues se délier et de donner libre cours à toutes les anecdotes possibles et inimaginables. Et puis, en tant qu’élève, on en sait si peu sur les professeurs que le moindre détail devient passionnant et peut même se retrouver à être le sujet de conversation numéro un autour des tables de la grande salle. Il n’est pas étonné d’apprendre que c’est le cas avec Aedrian. Malgré cela, il peut comprendre que cela mette son ami mal à l’aise. Lui même déteste parler de lui et entendre les autres parler d’eux, et lorsqu’il entend des rumeurs à son sujet, cela le met hors de lui. De plus, il y a quand même un mur qui existe entre les élèves et leurs professeurs. Aedrian a beau être jeune et sympa, il ne faudrait pas que les élèves oublient leur place et deviennent trop familiers. « Effectivement, s’ils commence à oublier où ils se trouvent, c’est un problème. Ils sont là pour apprendre, et même si un professeur sympa et à l’écoute est bien meilleur qu’un professeur trop stricte, il ne faudrait pas non plus qu’ils pensent qu’ils peuvent se permettre de raconter n’importe quoi… » Quand Aedrian lui parle de cette élève qui l’a mis mal à l’aise, Damocles ouvre grand les yeux et éclate de rire. Pour lui, c’est plutôt clair. Entre Rogue et Flitwick, les professeurs de Poudlard n’avaient pas été très intéressants pour les adolescents. Alors l’arrivée de quelqu’un comme Aedrian, jeune et charismatique, avait dû provoquer pas mal de discussions chez les élèves, en particulier les jeunes filles. « Mais ! C’est évident, non ? C’est parce que… Enfin, je pense qu’elle t’aime bien, c’est tout. » Ce n’est pas la première fois qu’une élève a un coup de foudre pour un professeur, ça doit certainement arriver tous les ans, même. Mais Aedrian doit se sentir particulièrement gêné, puisqu’il change de sujet pour reparler de l’examen d’Auror.
Même si les mots de Aedrian le font rire, il ne peut s’empêcher de se sentir un peu blasé en repensant à l’examen. A chaque refus, il s’était senti un peu plus aigri et amer. Pourtant, au fond de lui, il n’avait jamais perdu espoir, malgré ce que les autres disaient. Pourtant, il sait qu’un jour, il n’aura plus la force de se relever d’un autre échec, et qu’il laissera probablement tomber. Il soupire, et vide d’une traite son verre avant de répondre. « Bientôt, je ne sais pas. Tout le monde m’a conseillé de laisser tomber, à vrai dire, ou au moins d’attendre quelques temps que la situation s’arrange. Mais je ne suis même pas sûr qu’elle s’arrange un jour. Tu te rends compte, ça fait plus de dix ans que je travaille au Ministère, et j’ai parfois l’impression qu’ils ne me font toujours pas confiance. Il faudrait vraiment que je frappe un grand coup pour pouvoir avancer malgré tout. » Faire tomber Camille Nott, par exemple. Encore quelque chose à laquelle il a cru dur comme fer pendant un moment, et qui se retrouve maintenant hors de sa portée. « Et toi, tu es revenu pour de bon au final ? Tu comptes rester professeur à Poudlard ou repartir ? »
Je suis d'accord avec Damocles sur le fait que Severus Rogue est responsable pour certaines choses qui ne vont pas à Poudlard. En premier lieu, l'apprentissage des Arts Obscurs. Certains y verront seulement un fils d'ancien mangemort tenter de se protéger et de se racheter, mais j'ai l'intime conviction que cette matière ne devrait pas être enseignée, à moins de vouloir réitérer les erreurs du passé. Il faut croire que nous n'apprenons jamais et sommes bloqués dans une roue qui ne s'arrêtera de tourner que si elle est brisée. Cependant, mon ami ne semble pas entièrement d'accord sur ce que je dis au sujet de Rogue.
« Il est un ancien mangemort, je ne l'oublie pas. Et je ne le compare pas à Dumbledore, je dis juste qu'il sait tenir un rôle de directeur. J'ai détesté Rogue pendant longtemps, mais travailler sous sa coupe a légèrement changé ma vision, tout simplement. Il fait son boulot, c'est tout ce que je lui demande en tant que professeur. »
Je ne veux pas me lancer dans une conversation politique. Je ne suis pas venu pour ça. En fait, je suis venu pour une potion pour Roach, rien de plus, et je repartirai avec un meilleur ami retrouvé et quelques verres de Whisky pur feu engloutis. Je ne veux pas tout gâcher, je ne veux pas le perdre à peine retrouvé. Je me doute que lui comme moi avons changé, je suppose que nos idées divergent sur certains points, c'est ce qui arrive généralement lorsque l'on devient adulte, mais pas aujourd'hui, je ne veux pas que l'on se prenne la tête pour des personnes qui n'ont pas d'intérêt dans ma vie.
Damocles semble emballé par l'idée de venir me voir à Pré-au-Lard. Il faudra que je vérifie mon emploi du temps, et ce sera l'occasion de vraiment rattraper le temps perdu. Cette soirée ne suffira pas à rattraper les quinze ans qui nous ont été volés.
« Autant demander à mon frère de nous régaler directement, ça nous reviendra moins cher ! »
J'expose l'histoire des rumeurs et des paroles qui circulent à mon sujet au sein de l'école. Même si ce n'est pas négatif dans le fond, ça ne me plaît pas du tout. Ma mère me dirait sûrement que ce n'est rien et que je devrais être fier que le nom Thornberry fasse parler. Mais faire circuler notre nom pour la réputation de notre Whisky est une toute autre chose que franchir une barrière pour un étudiant. Peut-être est-ce juste l'enfant paranoïaque qui faisait son entrée à Poudlard vingt-quatre ans plus tôt qui a peur. Je me souviens qu'à l'époque, le moindre regard, le moindre rire, ça me mettait mal à l'aise. Je suis de ceux qui ne supportent pas d'être moqués ou d'être le centre d'une conversation. Je préfère être une ombre, observer, être oublié. Evidemment que je veux être apprécié par mes élèves, je veux qu'ils m'écoutent, mais je préférerais être un simple troll qu'être le sujet numéro un des jeunes sorciers de l'école écossaise.
Mon meilleur ami exprime exactement le fond de ma pensée. Ils doivent se souvenir où est leur place. Je ne suis pas leur ami, je suis là pour leur enseigner mon savoir, pour les aider à progresser et à accomplir leurs projets professionnels, reliés ou non à ma matière. Je veux bien être à l'écoute, je veux bien leur ouvrir des portes que d'autres professeurs n'ouvriraient pas pour qu'ils en sachent plus au sujet des créatures magiques, comme je l'ai fait en emmenant Ava Moore aux écuries, mais ça ne va pas plus loin.
« Qu'elle m'aime bien ? »
Je laisse échapper un rire nerveux.
« Mais si c'est le cas, c'est encore pire, Damo. »
Je ne voudrais pas être accusés de choses ignobles, je ne voudrais pas qu'on me prenne pour ce que je suis pas, car il est facile pour une jeune sorcière d'attaquer un professeur à la moindre contrariété. C'est bien ce qui me fait peur, que ma gentillesse et que mes petites échappées spéciales pour élèves méritants se retournent contre moi. A présent, il n'y aura plus de virée avec les élèves, si ça peut me protéger. J'essaye de ne pas perdre la face. Je pense que je suis juste un peu secoué par le fait que ma vie privée ne soit plus un secret pour personne, mais ça passera. D'ici quelques semaines, tout sera oublié et à la fin de l'année, quand les BUSE et les ASPIC seront passés, les élèves se rappelleront que je suis avant tout un prof et que je ne suis pas là pour faire joli.
Je reviens au sujet du concours d'auror. Je n'aurais peut-être pas dû remettre le sujet sur la table, c'est juste une manière pour moi de contourner ma gêne. En cela, je n'ai pas changé en quinze ans. Lorsque je me sens mal, c'est comme si je me forçais à entraîner Damocles dans mon malaise. Je ne sais pas comment il a pu me supporter autant d'années alors que je suis comme ça. Il ne semble pas parti pour retenter sa chance de si tôt. Je peux le comprendre, enfin je crois. Je ne sais pas ce que c'est que d'échouer pour des raisons aussi injustes. Je suis heureux de la décision de ma mère et de mon grand-père de nous avoir forcés à porter le nom Thornberry. Si j'étais Aedrian Campbell, peut-être que les choses auraient été différentes. Ce qu'il dit m'agace, dix ans et le Ministère n'est pas fichu de reconnaître la loyauté de Damocles. C'est de l'acharnement et c'est intolérable.
« Je ne sais même pas comment tu fais pour encore travailler pour eux. S'ils ne sont pas capable de voir l'individu mais seulement le nom de famille, ils ne méritent même pas de t'avoir comme employé. »
Comme si les enfants étaient responsables pour les actes de leurs parents. Parfois, ils les suivent aveuglément, parfois ils commettent des atrocités forcés par ces derniers, mais bien souvent, ils sont suffisamment intelligents pour savoir choisir le bon chemin à emprunter. Je n'ai pas fait ce que ma famille attendait de moi, on me l'a souvent reproché. J'ai suivi un chemin bien plus similaire à celui de mon père, j'ai toujours ressemblé à mon père, mais je n'ai jamais pensé une seule seconde à rejoindre les mangemorts.
« Je crois en toi, je sais que tu parviendras à obtenir ce que tu veux, même si je reste d'avis qu'ils ne méritent pas d'avoir un auror qui s'appelle Damocles Slughorn. »
Et je ne dis pas ça parce que je reproche de nombreuses choses au Ministère actuelle, mais je dis ça parce que mon meilleur ami est clairement victime d'une injustice.
Il me demande finalement ce que je compte faire, si je suis de retour pour de bon. Quel est mon avenir ? Je l'ignore moi-même, à vrai dire. Je reprends une gorgée de whisky avant de lui répondre.
« Quand je suis parti, c'était pour pouvoir mener à bien des recherches et pour me tenir loin de ma famille à une période où ça n'allait pas trop entre nous. Mais je suis de retour pour de bon. Ça fait douze ans maintenant, tu sais. »
Et en douze ans je n'ai pas été fichu de donner des nouvelles une seule fois à mon meilleur ami. Je crois que j'avais peur qu'il m'ait rayé de sa vie. J'avais peur de ne plus faire partie de sa vie, tout simplement, alors j'ai continué la mienne de mon côté.
« Ma famille est ici, donc je ne compte pas partir. Pour ce qui est de Poudlard... Pour le moment, j'y suis bien, je n'ai pas l'intention de partir, mais tout dépendra du directeur, évidemment. Si je perds ce job, j'aurai toujours les écuries du domaine familial, ou bien je trouverai autre chose. Je ne me fais pas trop de souci pour mon avenir, je suis heureux où je suis. »
Et je serais d'autant plus heureux si le Ministère pouvait réviser le code des êtres magiques de Granger. C'est un miracle qu'en presque un an il n'y ait pas eu de véritable débordement causés par les gobelins ou autres êtres dangereux avec une baguette entre les mains. Ce n'est qu'une question de temps, je le sais. S'ils méritent d'être considérés d'une bien meilleure manière qu'ils ne l'ont été pendant longtemps, il ne faut pas ignorer le danger et le risque de dévoiler le secret magique. Quel intérêt ont les gobelins à préserver ce secret ? C'est ce qui me fait peur, et ça doit changer avant qu'il ne soit trop tard.
« Et peut-être, qui sait, d'ici quelques années, j'aurai une femme. Quand j'étais gosse, je pensais que je serai forcément marié à une femme non choisie, juste pour le maintien du sang, mais le Aedrian d'aujourd'hui voudrait une femme à aimer. Je sais pas, j'ai l'impression que c'est la véritable pièce manquante à mon puzzle. »
Si seulement Elle avait pu rester. Si seulement je n'avais pas eu à la renvoyer pour un mariage qui n'a pas eu lieu. Je me demande même si elle pense encore à moi comme je pense encore à elle.
Il était persuadé que Aedrian détestait Rogue presque autant que lui à l’époque. Si lui devait travailler sous les ordres d’un ancien mangemort, il aurait probablement démissionné depuis longtemps. Il a toujours eu du mal à donner une seconde chance aux gens, alors faire confiance à Rogue après qu’il a commis tant de crimes lui paraît presque impossible. Il est d’ailleurs étonné que tant de gens aient accepté sa nouvelle position à la tête de Poudlard sans faire trop d’histoire, surtout les parents des élèves, qui sont habituellement plutôt du genre à s’insurger pour la moindre chose. Rogue a beau savoir parfaitement tenir le rôle de directeur, cela n’excuse rien. Et puis, un bon directeur n’aurait pas renvoyé d’élèves comme ça. Mais il est curieux de savoir comment est-ce que les événements vont évoluer à Poudlard. Cette décision va certainement avoir des répercussions, sur les élèves comme les professeurs. En tout cas, il espère qu’Aedrian ne sera pas trop impacté. Apparemment, il a déjà beaucoup de problèmes à gérer avec ses élèves sans devoir avoir en plus à s’occuper de politique. Surtout avec celle élève qui semble s’intéresser particulièrement à lui.
Aedrian a l’air particulièrement gêné par la situation. Damocles a confiance en lui, il sait très bien qu’Aedrian n’aurait jamais de comportement déplacé ou répréhensible avec ses élèves, mais il comprend quand même ses inquiétudes. Peut-être que certain pourraient interpréter sa gentillesse et son envie d’aider ses élèves d’une mauvaise façon, ou chercher à profiter de lui. Aedrian a toujours été généreux, et certains ont peut-être pu abuser de sa prévenance par le passé. « Tant que les élèves comprennent bien que tu es leur professeur et que tu n’es pas là pour faire ami-ami avec eux, il n’y aura pas de problèmes. Et s’il y a un souci, je suis sûr que le reste de tes collègues et Rogue te soutiendront. » Après tout, si Rogue a engagé Aedrian, c’est qu’il n’est pas complètement idiot, qu’il lui fait confiance et qu’il a su reconnaitre les capacités de l’écossais à leur juste valeur. Pas comme le Ministère l’a fait avec lui, comme le fait justement remarquer Aedrian. Décidément, il ne semble pas porter le Ministère dans son coeur. Effectivement, vu de l’extérieur, sa situation paraît particulièrement injuste, et elle l’est. Son nom ne devrait pas prévaloir sur ses capacités, mais après en avoir parlé avec Moira Oaks, il a commencé à prendre de la distance pour considérer la situation sous un angle plus large. Il sait qu’il en est capable, et il sait qu’un jour, l’influence de son oncle s’amenuisera et qu’alors il pourra atteindre ce qu’il attend depuis si longtemps. Le poste d’auror est certes son but final, mais s’il a rejoint les forces de l’ordre, ce n’est pas uniquement pour ça. Il croit en la justice pour tous, en l’égalité et en la volonté du Ministère de vouloir faire durer la paix. « Ce n’est pas seulement un rêve de gosse, tu sais. Je ne me suis jamais vu faire autre chose. J’aurais pu choisir la facilité et suivre le chemin qu’on avait déjà tout tracé pour moi. J’aurais sûrement été beaucoup plus influent, beaucoup plus riche, et beaucoup plus malheureux. » Toute son enfance, il avait été l’enfant-roi de la famille, le petit héritier qu’il fallait préparer pour le futur. La pression que sa famille lui mettait sur les épaules était justifiée, car il serait un jour le Lord de la famille Slughorn. Tout ce qu’il avait à faire, c’était de marcher tranquillement dans les pas de son grand oncle. Mais il n’avait jamais vraiment aimé les potions, malgré ce qu’il disait à ses parents. Au final, s’il avait été honnête avec eux dès le début, peut-être que rien de tout cela ne serait arrivé. Pourtant, il ne regrette pour rien au monde sa décision. Au final, le travail de brigadier lui plaît beaucoup. Après tout, s’occuper de la paperasse ne lui fait pas peur, au contraire, et depuis qu’il est duelliste, il se retrouve bien plus souvent sur le terrain. Bien sûr, ce n’est pas toujours rose et il y a beaucoup d’aspects de la Brigade qui peuvent décourager, mais de manière générale, il ne changerait pas de place pour tout l’or du monde. « J’y arriverai un jour ou l’autre. Je n’ai pas persévéré pendant si longtemps pour abandonner maintenant. Et tu pourras dire à tes rencontres de voyages que tu n’as pas menti. »
Au moins, lui est sûr de ce qu’il veut faire plus tard. Mais est-ce le cas d’Aedrian ? Quand Damocles entend que cela fait plus de douze ans qu’il est de retour sur le territoire, il hausse légèrement les sourcils. Il savait qu’il était revenu de ses premiers voyages douze ans plus tôt, mais il pensait vraiment qu’il était reparti régulièrement pour continuer ses recherches entre temps. Savoir que tout ce temps, il était en Angleterre et qu’ils n’ont jamais pris le temps de reprendre contact le désole un peu. Il avait vraiment fait n’importe quoi ces dernières années. Il s’était isolé de tout le monde, famille, amis, trop concentré sur sa carrière stagnante. Il s’était noyé avec plaisir dans son travail, oubliant tout le reste, aveugle au monde qui l’entourait. Il avait croisé Aedrian par hasard, mais combien d’autres anciennes connaissances avait-il définitivement perdues, victimes de son propre égocentrisme ? Mais il est rassuré de savoir qu’Aedrian a décidé de rester dans les parages. Au moins, ils auraient de multiples occasions de rattraper le temps perdu.
Aedrian est probablement du genre à se satisfaire des petites choses de la vie. Tant qu’il est entouré d’animaux, à faire ce travail qu’il aime, peu importe ce qu’il peut bien se passer. C’est amusant qu’il soit parti pour échapper quelques temps à sa famille, et que finalement ce soit pour la même raison qu’il décide de rester, pour rester proche d’eux. Pour certains, les liens familiaux sont plus forts que tout, et si la guerre avait été pour beaucoup un motif de fracture pour beaucoup de familles, pour d’autres, elle avait au contraire été catalyseur de la guérisons d’anciennes querelles. Ça avait sûrement été le cas pour la famille d’Aedrian. Il se souvient des disputes que lui racontait son ami, alors qu’il lui racontait celles qui avaient lieu au sein de son propre foyer. Pour lui en revanche, elles n’avaient fait que s’empirer au fil des années, pour finir par briser définitivement ce lien familial. « Je suis content que tout se soit arrangé pour toi. Tu retrouves ta famille, tu fais le métier que tu aimes… On peut dire que tu t’en es bien sorti. »
Pourtant, il manque apparemment quelque chose à Aedrian. Damocles est d’ailleurs étonné par son discours. Lorsqu’ils étaient à l’école, il avaient parfois parlé de la possibilité de mariages arrangés par leurs parents, surtout Aedrian dont la famille voulait acquérir le statut de famille de sang-pur. Ils avaient catégoriquement assuré qu’ils refuseraient une telle union si elle devait un jour leur être imposée. Et effectivement, ils avaient apparemment tous les deux fait en sorte d’y échapper. Pourtant, si Damocles avait totalement abandonné l’idée de se marier un jour, ou du moins pas avant un moment, ça n’est manifestement pas le cas d’Aedrian. « Je n’aurais jamais cru t’entendre dire ça un jour ! J’imagine que j’ai toujours eu l’impression que pour toi, les animaux comptaient plus que les gens. » Il oublie encore que le Aedrian qu’il retrouve n’est certainement plus le même que celui qu’il avait vu pour la dernière fois quinze ans plus tôt. Il avait voyagé, fais des expériences, rencontré des gens. Son esprit et sa façon de penser sont probablement bien différentes de lorsqu’ils étaient à Poudlard. Lui même avait énormément changé, alors il n’y a aucune raison qu’il n’en soit pas de même pour Aedrian. Pourtant, il a du mal à se faire à cette idée. « Je te comprends. J’ai pensé pareil pendant un moment après la guerre, mais à chaque fois, je n’ai rien fait pour que ça réussisse. J’ai fini par passer à autre chose. » Il sait très bien que si la plupart de ses relations n’ont pas fonctionné, c’est entièrement de sa faute. Il n’était pas prêt à faire les efforts nécessaires pour que ça marche, encore une fois trop égoïste, trop centré sur lui-même, probablement. Mais Aedrian n’est pas comme ça, au contraire. Il ne devrait avoir aucun mal à trouver quelqu’un qui lui correspond. « Tu n’as rencontré personne depuis que ton mariage a été annulé ? Une amie, ou une collègue ? » Vu le caractère d’Aedrian, les gens doivent graviter autour de lui, surtout si il est moins réservé aujourd’hui qu’il l’était des années plus tôt.
Deuxième verre déjà vide, une grimace se dessine sur mon visage. Mon grand-père m'a toujours dit qu'il fallait boire plus lentement pour apprécier davantage, mais j'apprécie tout autant en buvant à cette allure, ce n'est pas ma faute si j'ai une telle descente. Je ne dis rien pour le moment, j'attends de voir si mon ami veut un troisième verre ou s'il préfère s'arrêter là. Malgré ma capacité à descendre toute une bouteille s'il le faut, je n'ai jamais obligé qui que ce soit à boire et encore moins à suivre mon rythme, bien que ce soit toujours plaisant d'avoir quelqu'un qui parvient à tenir le coup face à moi.
Damocles a raison. Si les élèves sont conscient que je suis leur professeur et que je ne suis pas là pour être leur ami, alors il n'y aura aucun problème. Je suis fautif. J'ai voulu être le professeur qu'on a tous rêvé d'avoir un jour, laissant tomber la sévérité pour être celui qui est cool, sympa et proche de ses étudiants. C'était une erreur, peut-être. Pourtant, j'ai envie de croire que l'on peut être un professeur sympathique et qui partage des choses avec les étudiants tout en gardant cette distance qu'il doit y avoir et tout en respectant la vie privée de tout un chacun. Lorsqu'un élève se confie à moi à propos de ses problèmes personnels, de sa famille, de ses inquiétudes, je ne m'amuse pas à le crier sur tous les toits, à moins que la confession annonce un danger certain. J'imagine que c'est ce qui fait la différence entre un sorcier mineur et un adulte.
« J'imagine que tu as raison. Enfin, il ne devrait pas y avoir de problèmes, tu sais comment je suis, j'ai tendance à faire des montagnes de pas grand chose. Tant que l'histoire de mon père ne parvient pas jusqu'à eux, je pense que je peux dormir sur mes deux oreilles. »
Relativiser, voilà ce qu'il faut que je fasse pour ne pas faire foirer tous les efforts investis pour être un bon professeur au sein de l'école de sorcellerie. Je me plais à ce poste et pour le moment, tant qu'on voudra bien de moi, je ne compte pas quitter Poudlard. J'y suis vien, Roach commence à bien aimer être là-bas également. Je n'ai aucune raison qui me pousse à mettre un terme à mon contrat à la fin de l'année scolaire. Lorsque j'ai accepté ce poste, je ne l'ai pas pris comme un jeu, c'est parce que j'étais prêt, pas comme lors de la première proposition.
Le sujet du ministère était inévitable étant donné la position de Damocles vis-à-vis de cette institution. Qu'il ait été accepté en tant qu'Auror ou qu'il soit brigadier comme aujourd'hui, il est lié au ministère étroitement. Je ne voulais pas aborder ce sujet, parce que je ne porte pas leurs idées dans mon cœur et ce n'était pas vraiment de politique dont je voulais parler avec mon meilleur ami après ces quinze années. Selon moi, ils ne méritent pas quelqu'un d'aussi talentueux que Damocles après l'avoir rejeté plusieurs fois pour des raisons qui ne tiennent pas la route. Je suis vraiment triste qu'il n'ait pas pu réaliser cette ambition, je comprends ce que ça fait de se voir faire quelque chose et rien d'autre, en revanche, je dois avouer que je ne sais pas ce que cela fait de se voir refuser l'accès à cette ambition.
« Ah ça... La voie de la facilité, c'est bien quelque chose qu'on aurait pu avoir en commun toi et moi. »
Si j'avais accepté de reprendre les rennes de notre distillerie, ma vie serait toute tracée. Et même si mon frère n'avait pas chipoté, j'aurais probablement occupé une place à ses côtés, histoire de travailler en famille. Aujourd'hui, je suis heureux, et j'ai plein de possibilités quant à mon emploi, mais ce n'est pas toujours évident de ne pas savoir où l'on va. Seulement, c'est la vie que j'ai choisie et je ne regrette absolument pas.
« A quoi bon l'influence et la richesse si c'est pour être malheureux ? Ça convient peut-être à certaines personnes, mais pas à nous. Avec la volonté que tu as, je sais que tu te feras une place en tant qu'auror un jour. »
Je souris lorsqu'il confirme qu'il ne baissera pas les bras. Ce n'est pas pour rien que je suis devenu ami avec lui, après tout. Une personne aussi bornée que Damocles, je ne connais pas – à part peut-être mon grand-père et moi. Une chose est certaine, s'il a besoin de moi pour l'aider à réaliser son rêve, peu importe la raison, je serai là pour l'aider.
J'explique finalement à mon meilleur ami ce que je compte faire pour mon avenir. Je lui fais comprendre que je ne compte aller nulle part, ce n'est pas prévu. La vie est pleine de surprise, je le sais bien, mais dans l'immédiat, ma place est ici, au Royaume-Uni, entre Londres, Poudlard et le domaine des Thornberry.
« C'est vrai que je m'en suis bien sorti. Je crois que c'était vraiment nécessaire de partir pendant quelques années. J'avais besoin de réfléchir, et puis comme on dit, parfois il faut savoir partir pour mieux revenir. Mais ne t'en fais pas, je suis certain que ton tour viendra, que tout s'arrangera pour toi. Il faut savoir être patient, j'imagine. »
Facile à dire quand pour moi c'est arrivé assez tôt dans ma vie. Tout aurait pu être différent si j'avais épousé la femme à qui j'étais promis. Qui sait ce que je ferais aujourd'hui, qui sait si elle ne m'aurait pas poussé à faire autre chose ? Qui sait si je serais toujours en vie ou peut-être en train de croupir à Azkaban ? Jusque là, la vie m'a sourit et je n'ai vraiment pas à me plaindre. Je souhaite que mon meilleur ami puisse jouir de cette même chance.
J'admets finalement peut-être avoir envie d'une femme dans ma vie. Je suis même assez certain que c'est la seule chose qui me manque vraiment pour être complètement heureux. Si ça pouvait être celle que mon cœur a choisi il y a plus de dix ans, tout serait parfait, mais cela fait bien longtemps qu'elle a quitté le continent européen et pour une raison totalement valable. Je ne sais pas ce que j'imaginais en l'amenant en Ecosse... Damocles semble surpris de cette déclaration et ce qu'il dit n'est pas totalement faux. Je laisse échapper un rire, un peu gêné.
« C'est vrai, les animaux ont tendance à avoir plus de valeur que les humains, mais malgré tout, je tiens à quelques humains dans ce monde. Alors je me dis qu'il doit bien y avoir une femme faite pour moi à qui je tiendrai plus que les créatures de mes cours. »
Après tout, quand on réalise ses rêves et ses objectifs, il vaut mieux s'en trouver de nouveau pour que jamais la vie ne semble monotone. Mon meilleur ami, lui, explique qu'il a pensé pareil à un moment donné, pensant qu'il avait besoin d'une femme pour compléter son puzzle mais qu'il n'a jamais fait suffisamment d'effort pour que ça fonctionne.
« Peut-être que je suis voué à la même chose, hein. C'est pas comme si j'étais connu pour être doué avec les femmes ! Deux femmes dans ma vie, et aucune d'elles n'est restée. Tu sais à quel point je suis maladroit... »
Je me souviens encore de la première fille dont je suis tombé amoureux. C'était en troisième ou quatrième année, une serpentard il me semble. Elle était si jolie, mais aussi très fière et proche de mon frère. J'ai été amoureux d'elle secrètement pendant des mois, voire plusieurs années, sans jamais lui parler une seule fois. Et la seule fois où j'aurais eu la chance de lui parler, un bavboule lui a explosé en pleine tête, par ma faute. Damo me demande alors si j'ai rencontré quelqu'un depuis l'annulation de mes fiançailles.
« Malheureusement non. Bien trop content de ma liberté, et bien trop occupés par d'autres choses, je n'ai pas pris le temps de rencontrer qui que ce soit. Ce n'est que depuis récemment que je me dis que j'aimerais rencontrer quelqu'un et partager ma vie avec quelqu'un d'autre que Roach. »
J'aime Roach plus que tout, que l'on s'entende, mais je ne compte pas épouser un chien, je n'en suis pas encore là. Le chaton de mon meilleur ami se roule sur la table, visiblement en quête d'attention. Cette boule de poil a le don de me faire sourire niaisement. La serveuse revient alors vers nous, toujours un peu méfiante à l'égard du chat, mais remarquant mon verre vide, elle me demande si je veux quelque chose d'autre.
« Euh, je ne sais pas trop. Tu comptes prendre un autre verre, Damo ? »
Je ne voudrais pas être le seul à boire et encore une fois, je n'ai aucune envie de forcer mon ami à suivre ma descente. La serveuse indique qu'elle reviendra vers nous quand nous serons décidés.
« Quand l'année scolaire sera terminée, il faudra que tu viennes passer quelques jours au domaine. Je suis sûre que ma mère et mes frères seront contents de te voir ! Je me répète, mais tu fais partie de la famille. »
Parce que dans ma tête, je n'arrive pas à envisager le pire. Je suis pourtant conscient que le monde magique est en train de prendre un tournant violent, que tout peut changer en un claquement de doigt, mais c'est en me projetant dans le futur que je suis arrivé où je suis.
L’angoisse d’Aedrian semble réelle. A trop vouloir bien faire, il risque de se retrouver au coeur des problèmes. Damocles ne connaît que trop bien l’excès de zèle que peut entraîner la volonté de vouloir être parfait lorsque l’on commence un nouveau travail, et qui finit parfois par se retourner contre soi. Mais il est confiant. Rogue n’est peut-être pas l’homme le plus compréhensif au monde, mais malgré tout ce qu’on peut en dire, il est loin d’être stupide. Si Aedrian se retrouve dans les ennuis, Damocles est sûr que le directeur de Poudlard saura l’appuyer. Aedrian a quand même raison de décider de faire attention. Les choses échappent parfois à tout contrôle sans que l’on s’en rende compte, alors mieux vaut être prévenant. Même quand Aedrian évoque l’histoire de son père, Damocles ne s’inquiète pas. Il sait ce que le paternel Campbell a fait, les actes qu’il a commis lorsque que Vous-Savez-Qui était au summum de sa puissance. Il sait également qu’Aedrian et sa famille en ont tellement honte qu’ils ont préféré prendre le nom de la branche maternelle plutôt que de continuer à être associés à cet homme. Cependant, il n’est pas certain qu’Aedrian l’ait crié sur tous les toits. A l’époque, il avait fallu attendre beaucoup de temps avant que son ami ne se décide à lui en parler, et même là il restait assez peu loquace sur le sujet. Et même lors de la traque des mangemorts après la guerre, Damocles n’avait croisé le nom de Campbell qu’une seule fois sur un ancien dossier. L’homme était mort depuis trop longtemps pour que l’on s’intéresse à quoi que ce soit. « Je ne pense pas qu’ils l'apprendront un jour. Et même s’ils l’apprennent, tu n’as rien avoir avec ton père. En tout cas, pour moi tu es un Thornberry, rien d’autre, et ça devrait être le cas pour tout le monde. Et vu certains autres membres de l’équipe pédagogique au passé douteux, ce serait vraiment malvenu de te faire des réflexions là-dessus. » Sans parler de Camille Nott, Severus Rogue lui-même a de nombreuses casseroles à son actif. Aedrian est probablement le professeur qui a le moins à se reprocher. Et ce serait vraiment une honte qu’il lui arrive quoi que ce soit pour ça, alors qu’il aime et qu’il est passionné par son métier.
Quand il y pense, Aedrian et lui se ressemblent sur de nombreux points, pas seulement au niveau de leur caractère. Damocles se souvient de l’époque où le frère d’Aedrian avait refusé de reprendre les rênes de la distillerie pour devenir auror. Malgré les conflits que cela avait engendré dans la famille de son ami, il n’avait pu s’empêcher d’approuver secrètement le choix de l’aîné, puisqu’il se trouvait à ce moment là dans la même situation. Cependant, quand Aedrian lui avait dit que si Christian refusait de prendre la tête de la distillerie, ce serait à lui d’abandonner ses rêves pour s’en occuper. Il avait alors été tiraillé, et même s’il comprenait Christian, il avait alors souhaité que ce dernier finisse par changer d’avis pour qu’Aedrian puisse faire ce qu’il voulait faire. Il s’était senti bien hypocrite alors. Mais tout avait fini par s’arranger pour le mieux pour le cadet Thornberry. Heureusement qu’Aedrian avait le même esprit buté que lui. « Tu me connais. Si je dis que je ne laisserai pas tomber, alors je ne laisserai pas tomber. » Il est trop tard pour reculer maintenant. Même s’il change d’avis un jour sur le fait de continuer à travailler au Ministère, il ne pourrait pas retourner vers sa famille. Pas après tout cela, pas après les discours de son père, pas après la lâcheté de Léonard. Il préfèrerait encore aller s’enfermer à Poudlard avec Aedrian, même si cela voudrait dire côtoyer Rogue, plutôt que de faire un pas vers les Slughorn.
Damocles soupire lorsque Aedrian lui suggère d’être patient. Il a toujours été d’une grande patience. Petit déjà, il avait expliqué encore et encore les mêmes choses à Léonard, qui posait tout le temps les mêmes questions jour après jour. A Poudlard il supportait les interventions du jeune Lemony, lui donnant l’attention dont il avait besoin, l’écoutant discourir sur les technologies moldues pendant parfois plusieurs heures alors qu’il n’y connaissait rien et qu’il n’avait pour la plupart du temps aucune idée de ce dont il parlait. En retour, il prenait le temps de le guider patiemment à travers les méandres du monde sorcier, s’appliquant à répéter des choses qui pour lui étaient l’évidence même, mais qui paraissaient complètement insolites au jeune né-moldu. Il endurait sans broncher ses rires moqueurs sur le manque de logique des sorciers et les critiques sur certains aspects de son monde. Puis il avait patiemment subit les remontrances du seigneur Fawley lorsqu’il l’assistait aux archives. Il avait supporté ses sermons sur son futur rôle de Lord qui n’était pas à prendre la légère, il avait obéit sans se plaindre et s’était acharné à effectuer le travail compliqué et épuisant qu’on lui demandait sans se rebeller. Il avait fait grimpé doucement les échelons, effectué sa formation avec diligence pendant de nombreuses années, encaissé le choc du premier refus sans rien dire. Il avait pris son temps pour retenter, prenant le soin de se préparer suffisamment, il avait enduré les critiques sur son nom et sur sa famille pendant des années. Et même maintenant, il est l’un de ceux qui tient le plus longtemps face aux bavardages incessants de Carol-Ann. Si on devait un jour lui demander qui est la personne la plus patiente qu’il connaît, il pourrait probablement répondre lui-même sans vraiment mentir. A vrai dire, il n’y a qu’avec sa famille qu’il n’arrive pas à garder son calme. La patience, il l’a, et pourtant il a l’impression que cette fois, elle finira par ne plus être suffisante. « J’espère vraiment que tu as raison. Sinon, peut-être que j’irai faire un tour aux États-Unis moi aussi. Qui sait, j’aurai peut-être des surprises en rentrant. » Peut-être qu’en disparaissant pendant un moment, tout le monde finirait par l’oublier. Et qui sait, peut-être qu’il se plairait là-bas. Après tout, de l’autre côté de l’Atlantique, qu’il soit Slughorn ou pas ne change rien, et il n’y aura pas de grand-oncle moralisateur ou de père acariâtre pour le gêner.
Damocles rit sous cape lorsque Aedrian lui parle de la valeur des animaux. C’est vrai que lorsque l’on voit certains individus, on est en droit de se poser la question. Si on pouvait faire disparaître quelques personnes pour les remplacer par des boules de poils comme le petit chat qui se promène sur la table en reniflant les verres, le monde se porterait probablement bien mieux. Pourtant, malgré tous ses amis à poils, à plume, et à Rowena sait quoi d’autre, Aedrian a l’air de manquer de quelque chose. Et malgré sa maladresse, Damocles ne voit pas comment Aedrian ne pourrait trouver personne. Certes, il n’avait pas été le plus aventureux avec les filles lorsqu’il était à l’école, bien trop timide, mais cela doit certainement avoir changé. Après tout, Damocles n’était pas mieux, et il se retrouve aujourd’hui dans le même cas qu’Aedrian, seul. Sauf que pour lui, ce n’est pas la maladresse qui a fait fuir les femmes qui avaient été assez patientes pour le supporter plus de quelques mois. Il avait été soit trop occupé, soit trop demandeur, soit trop aigri pour entretenir les véritables relations qu’il avait eues. S’il est seul aujourd’hui, il l’a bien mérité, et il refuse de croire que c’est le cas d’Aedrian. « Il y doit bien avoir une femme quelque part à qui cela plaira que tu sois maladroit… et qui acceptera de partager un peu de ton affection avec ton chien. » Damocles voit mal Aedrian faire passer qui que ce soit avant ses chiens. Il est même sûr que s’il devait un jour choisir, son ami préférerait sauver son fameux Roach plutôt que lui dans un naufrage. Mais il ne peut pas lui en vouloir. Si on lui demandais de choisir entre son frère et ce chat qu’il connaît depuis seulement quelques heures, il choisirait probablement le chat. Damocles en profite pour gratter le ventre doux du chaton, qui ronronne immédiatement. Au moins un qui l’apprécie sans rien demander de plus, à part une caresse occasionnelle. La serveuse profite de ce moment pour se montrer enfin et lorsqu’Aedrian lui demande s’il est prêt pour un verre de plus, Damocles lui lance un regard de défi. « Je ne travaille pas demain de toute façon, alors si tu m’accompagnes, ce sera avec plaisir. J’ai fait beaucoup de progrès en terme de résistance à l’alcool, tu seras surpris, même si je pense que tu es toujours meilleur que moi. En tous cas, maintenant j’arrive à rentrer chez moi avant de sombrer. » Il fait un signe à la serveuse, qui revient immédiatement avec un sourire pour remplir leurs verres. Elle a probablement vu en eux un bon potentiel de pourboire, étant donné la vitesse à laquelle elle est arrivée. Et même une fois les verres servis, elle continue à les surveiller du coin de l’oeil, jetant de temps en temps un regard dans leur direction, comme guettant quelque chose. Damocles hausse les sourcils, amusé, et se penche vers Aedrian pour chuchoter. « Je pense que la serveuse t’aime bien. Elle te regarde depuis tout à l’heure. Si tu voulais rencontrer quelqu’un, c’est l’occasion ! Ou peut-être qu’elle en a après mon chat. Mais moi je pense que tu lui plais. Si tu lui parles, je te paie tous les verres. » Voilà bien une promesse qu’il n’aurait pas dû faire. Mais il ne peut pas résister à l’envie de voir la tête gênée qu’Aedrian faisait à chaque fois qu’il parlait à une fille, à l’époque, et de s’assurer qu’il la fait toujours. Il récupère le petit chat pour le ramener vers lui avant qu’il ne s’aventure trop loin. Il commence à bien l’aimer finalement, il a l’air plutôt sage malgré le fait qu’il n’ait pas l’air de vouloir rester en place. Mais il n’y connait pas grand chose en chats. Peut-être que tous les chats sont comme ça, que le sien n’a rien de spécial, après tout. Rien de spécial, sauf un très mauvais instinct, apparemment, puisque c’était lui que la petite bête avait décidé de suivre dans la rue, et pas n’importe quelle autre personne qui aurait été bien plus capable de s’en occuper.
Quand Aedrian lui propose de venir au domaine l’été prochain, Damocles sourit. Il y était déjà allé plusieurs fois, et la famille d’Aedrian avait toujours été très accueillante avec lui. Il avait un peu vexé d’apprendre que c’était en partie parce qu’il faisait partie d’une très ancienne famille de sang-pur, mais il était vite passé à autre chose pour profiter de ces moments. Les quelques semaines de vacances qu’il avait passées au domaine Thornberry lui avaient laissé plus d’heureux souvenirs que les vacances qu’il passait sur les terres Slughorn, que ce soit dans le Stirling ou à Londres. Malgré le lien qui l’unissait à Léonard, et qui s’était peu à peu effacé au fil des années alors qu’ils grandissaient loin de l’autre, il avait rapidement préféré ses années à Poudlard à ses congés en famille. Et aujourd’hui, lorsqu’il doit avoir recours au sortilège du Patronus, il se surprend parfois à se remémorer des moments passés chez les Thornberry, plutôt que chez lui. Pourquoi pas retrouver un peu de cela en allant passer quelques jours là-bas ? Il n’était plus retourné en Écosse que très occasionnellement depuis qu’il avait quitté le manoir quelques années plus tôt, et cela lui plairait bien de revoir un peu ces paysages parmi lesquels il avait grandi. Malgré toutes les difficultés qui s’étaient immiscées entre lui et sa famille, il garde de bons souvenirs de son enfance là-bas, et il repense parfois avec nostalgie aux plaines écossaises où il courait à perdre haleine pour tenter de semer son frère. Cela lui semble si lointain, désormais, il se demande parfois si tout cela est véritablement arrivé. Il prend un première gorgée de whisky. Ou peut-être est-ce la deuxième ? Il ne compte plus vraiment et se contente de savourer le goût du liquide ambré. « J’adorerais venir, je suis sérieux. Tu sais qu’avant, j’avais toujours été un peu jaloux de ta famille ? Elle avait l’air tellement plus sympa que la mienne. Ils n’aimaient pas beaucoup que j’aille chez toi d’ailleurs, tu sais. Je pense qu’ils disaient que c’était à cause de ton père, mais au fond, je crois qu’ils auraient préféré que mon meilleur ami soit un bon et vrai sang-pur… Enfin, tu es comme mon frère, tu fais partie de ma famille à moi, c’est l’important. Eux, ils ne comptent plus.» Insupportables. Damocles ne sait pas si c’est de revoir Aedrian, ou si c’est tout simplement le whisky qui est en cause, mais il se trouve particulièrement expansif sur sa famille ce soir. Après avoir passé des années à essayer d’en parler le moins possible, voilà qu’il se prend à penser à son enfance, à ce que cela aurait pu être s’il n’avait pas coupé les ponts et s’il parlait toujours à son père, sa mère, son frère, et à quoi sa vie ressemblerait s’il était né dans une famille qui ressemblait plus à celle d’Aedrian. « Et ta mère et tes frères, comment vont-ils ? Christian a repris la distillerie, non ? Et Brandon, qu’est-ce qu’il fait ? » Il a toujours apprécié le jeune frère d’Aedrian, qui lui rappelait un peu le sien. En moins pénible, probablement. Encore une fois, il ne peut pas s’empêcher de se dire qu’Aedrian et lui partagent vraiment un grand nombre de choses. Un caractère si semblable, tous les deux envoyés à Serdaigle malgré une famille qui voulait les voir à Serpentard, un petit frère Serpentard du même âge. Au final, leurs familles n’habitaient pas si loin l’une de l’autre. Il avait évidemment fallu que Damocles déteste les créatures magiques et qu’Aedrian les adore, pour confirmer la règle.
Les rumeurs, les secrets. Toutes ces petites choses qui peuvent paraître anodines, détruisent parfois des vies entières. Je crois que depuis le jour où j'ai appris que mon père était un traître, je n'ai jamais cessé d'angoisser à l'idée que l'on remette sur mon dos, les erreurs de mon père. Le simple fait de me comparer à lui, de me dire à quel point je lui ressemble, ça ne m'a jamais vraiment aidé, et j'ai toujours senti que mon grand père me le reprochait. Mes deux frères sont bruns, comme ma mère, comme autrefois mon grand-père. Je suis le seul à avoir hérité de la rousseur de mon père, de cet homme que je préférerais n'avoir jamais connu. Je suis pourtant condamner à porter ses traits jusqu'à la fin de mes jours. Damocles est bien au courant de cette histoire et des mes inquiétudes. Il est le seul ami à qui j'en ai fait part à l'époque. Parce qu'il est mon meilleur ami, celui à qui je me confiais, celui avec qui je faisais les pires conneries du monde – façon Serdaigle, faut pas déconner.
« C'est vrai. Il n'y a aucune raison que les élèves l'apprennent. »
Mes yeux sont rivés sur mon verre vide.
« Je ne suis pas censé payer pour les erreurs de mon père, n'est-ce pas ? »
Ni Damocles pour celles de sa famille. La différence, c'est que je ne compte pas obtenir un poste au ministère de la magie, que je ne suis pas Sang-Pur et que de toute manière, je porte le nom de ma mère. Il a raison, je dois me persuader que ce secret ne risque pas d'éclater et que même si ça arrivait, ça ne devrait pas m'atteindre outre mesure. Ce qu'il ajoute me fait doucement sourire. Il est vrai que l'équipe pédagogique de Poudlard n'est pas irréprochable. Pour certain, je ne suis sûr de rien, mais malgré tout, il faut croire que Severus Rogue ne cherche pas particulièrement à surveiller ses arrières. Il faut voir ce que ça a donné avec cette chorale organisée. Deux élèves ont été renvoyés, mais ils n'étaient pas seuls derrière tout cela. Ce ne sont que des élèves après tout, et il est facile de leur implémenter des idées dans leur crâne.
« Oui, je te connais bien. C'est pour ça que je ne me fais pas trop de souci à ce propos. Allez, qui sait, peut-être qu'il faudrait se donner rendez-vous dans quinze nouvelles années ! »
Il me semble que l'entêtement et l'acharnement sont deux traits qui sont typiques chez les Serdaigles. On n'obtient pas ce que l'on veut du premier coup ? Aucun problème, on recommence. Et si ça ne fonctionne toujours pas, ce n'est pas un problème, il y aura bien une nouvelle technique permettant de parvenir à nos fins. Je n'ai jamais lâché, j'ai toujours tout fait pour obtenir ce que je veux – ou presque – et aujourd'hui j'en suis là. C'est pour ça que, même si j'insiste, je sais que Damocles n'a pas besoin qu'on le lui répète deux fois, il finira par avoir ce qu'il mérite. Un encouragement de la part d'un ami est, cependant, toujours le bienvenu, selon moi. J'ai toujours eu davantage confiance en moi lorsque quelqu'un que j'apprécie vraiment me soutenait. Je veux être cet ami qui soutient coûte que coûte.
Selon moi, la patience est de rigueur, mais à voir mon meilleur ami soupirer, il faut croire que ce n'est pas vraiment ce qu'il veut entendre. Ce n'est pas facile la patience, mais c'est pour cela que ça finit généralement par payer. Enfin, cela dit, quinze ans, c'est déjà très long, et on ne peut pas nier le fait qu'il ait été patient. Bien des sorciers auraient jeté l'éponge il y a bien longtemps. Il dit espérer que j'ai raison. Je ne prétend malheureusement pas tout savoir et avoir toujours raison – même si j'aimerais bien. Et son idée ne semble pas tout à fait absurde, un voyage m'a permis d'ouvrir des portes, de me recentrer sur moi même, de voir les choses sous un angle différent.
« Ce n'est pas une idée stupide, tu sais. Peut-être pas forcément les Etats-Unis, mais partir loin d'ici, tu ne l'as jamais envisagé ? C'est assez risqué, cela dit, le monde peut changer à toute vitesse lorsque l'on s'en éloigne, mais ça pourrait te faire du bien. C'est toujours un plaisir de rentrer après un long voyage loin de ce qui nous tient à cœur. »
Je parle par expérience, et pourtant, j'étais vraiment paniqué à l'idée de partir à l'époque. Ça m'est venu parce que je voulais fuir ce que l'on cherchait à m'imposer : reprendre la distillerie. S'ils voulaient me mettre des bâtons dans les roues pour réaliser mes rêves, il fallait que je les devance. Pour moi, ça a marché, à voir si ça fonctionnerait pour mon meilleur ami. Le fait est que j'ai tellement pris goût au voyage que je serais tenté de le suivre.
« Je t'imagine bien en pleine Forêt Amazonienne, entouré d'une horde d'acromantules et d'une armée de botrucs se faisant la guerre. T'aurais l'air malin, tiens ! »
Rien que l'image, ça me rappelle vaguement un film moldu dont on m'avait raconté l'histoire une fois. Une histoire à propos d'un anneau, je crois, je n'ai pas trop compris, après tout... Les moldus, hein. Toujours est-il que cette idée, il faut qu'il la garde dans un coin de son esprit. Ça ne peut que lui faire du bien. Et même s'il ne part pas trois ans – ce qui est une durée assez hors norme je dois l'avouer – rien qu'un mois pourrait déjà lui permettre de réfléchir.
Mon amour pour les animaux amuse Damocles. Inchangeable, lui. Il ne comprendra jamais ce que je ressens pour ces bêtes, du moins pour celles que l'on qualifie de 'non-intelligente'. Il y a une façon si simple de vivre pour ces créatures. Survivre, manger, protéger sa progéniture. Jamais une de ces créatures n'attaquera pour le simple plaisir d'attaquer. La douleur, la peur et la faim. Ce sont des motifs nobles et valables. Il y a un ordre de la nature simple que personne ne discute et ça semble tellement plus simple de vivre comme un simple Fléreur que comme un humain, sorcier ou moldu. Mais bon, rien à faire, je reste humain il faut croire. J'aimerais trouver cette pièce de puzzle qui me manque pour être complet. Une pièce bonus qui ferait de moi un sorcier comblé.
Damocles semble confiant à l'idée que je trouverai une femme pour qui ma maladresse ne sera pas un motif de départ et qui sera préparée à l'idée que mon chien, Roach, prendra une place cruciale au sein du couple.
« Certains disent jamais deux sans trois. On verra bien. Ça me travaille plus que d'habitude en ce moment, mais ça ne reste pas ma priorité. Je ne suis pas non plus en train de chercher activement comme si je n'avais que ça en tête. C'est juste que je me sens prêt, contrairement à l'époque où j'étais fiancé. »
J'avais vingt-trois ans quand j'ai été fiancé. Je n'avais même pas été capable de faire comprendre à la jeune femme qui m'avait accompagné pendant trois ans ce que je ressentais pour elle, et il aurait fallu que je devienne un époux parfait. C'était totalement ridicule, mais c'était la volonté familiale. Que puis-je faire face à la volonté familiale ? Je me surprends encore d'avoir été aussi patient avec celle que j'aurais dû épouser. Au début, dans ma tête, il en était hors de question. Elle n'aimais pas du tout les chiens, et encore moins les abraxans. J'ai même cru que c'était un complot de la part de mon grand-père pour bien me faire comprendre que dans la vie, on n'a pas toujours le luxe de faire ses propres choix. J'ai fini par l'accepter, petit à petit, quand elle a commencé à devenir moins réticente à l'idée d'être entourée d'animaux. Puis finalement, tous ces efforts pour rien. Fiançailles annulées et encore une jeune sorcière victime des erreurs de ses parents.
La serveuse revient vers nous. Si ça ne tenait qu'à moi, on aurait déjà commandé une bouteille complète plutôt que de simples verres. Je ne veux juste pas le forcer. Dans mes souvenirs, il n'était pas très doué pour tenir l'alcool. Je suis d'ailleurs surpris de voir qu'après deux verres, il est toujours lui-même. Il y a quinze ans, il aurait probablement déjà été en train de danser sur la table. Il me fait savoir qu'il ne travaille pas le lendemain. Ce genre de précision, ça veut tout dire. Un sourire joueur se dessine sur mes lèvres alors qu'il essaye de me convaincre qu'il s'est amélioré.
« Mh, oui, c'est vrai que tu as fait des progrès, regarde, tu tiens toujours droit sur ta chaise même après deux verres. Bon bah dans ce cas, deux autres verres s'il vous plaît. »
La serveuse m'adresse un très large sourire. Est-ce que c'est parce qu'elle se dit qu'avec toutes ces consommations elle aura un pourboire plutôt intéressant ? Très probablement.
« Si tu arrives à rentrer chez toi avant de sombrer, alors j'ai pas trop de souci à me faire, mais par pitié, ne commence pas à faire tomber la chemise après le troisième verre. Je te connais, Damo. »
Ou, je le connaissais ? Bah. Il ne peut pas avoir tant changé que ça, si ? Mon ami se penche vers moi avec ce genre de regard dont je me souviens parfaitement. Le genre qui veut dire qu'il a une idée derrière la tête. Ohla. Il avance que la serveuse m'aime bien. Je fronce les sourcils, intrigué par cette déclaration qui me semble assez improbable, puis je tourne la tête vers la jeune femme. Celle-ci détourne la tête pile à ce moment-là. Mh. Voilà qui est intéressant. Puis voilà le Slughorn que je me souviens avoir fréquenté par le passé, celui-ci me promettant de payer tous les verres si je lui parle.
« Ouh, un défi ! J'aime ça ! Bon, je vais essayer de ne pas te décevoir. C'est vrai qu'elle est mignonne. »
Dis-je d'une voix basse pour ne pas qu'elle m'entende.
« Un peu jeune, cela dit. »
Toujours moins jeune que les gamines de Poudlard. Avec elle, je pense ne pas avoir de problème si jamais il s'avère qu'elle est vraiment intéressée par moi. Je le déteste, Damocles. Maintenant qu'il a mis cette idée dans ma tête, je ne peux que y croire, et si ça se trouve, je vais tomber dans son piège. Je gratouille rapidement la petite boule de poils de mon ami et je lève pour la troisième fois mon verre.
« Allez, comme on dit chez moi, Slàinte ! »
Je compte bien relever son défi, mais pas tout de suite. Ce serait trop évident, je préfère attendre que la jeune femme retourne à ses occupations et que l'on continue notre conversation. A commencer par une proposition qu'il ne peut pas refuser : venir passer quelques jours de repos au domaine. Alors oui, l'Ecosse, c'est peut-être pas le rêve de tout le monde parce qu'il pleut souvent, mais l'été, on ne s'en sort pas trop mal ! Mon grand père a fait installer un sortilège autour du domaine pour que le ratio pluie soleil soit équilibré pour les plants d'orge. Il dit que l'idée lui plaît et avoue même qu'il était autrefois jaloux de ma famille.
« Ma famille est loin d'être parfaite, pourtant, et je ne parle même pas de la branche paternelle. C'est juste qu'ils t'aimaient bien parce que tu avais apparemment une bonne influence sur moi. Apparemment, je dis bien, hein ! »
Je le connais, il va avoir les chevilles qui enflent à tous les coups. Ce qu'il dit m'amuse, à vrai dire, que ses parents auraient espéré que je sois un vrai bon sang-pur parce que je soupçonne que mon grand-père avait un faible pour Damocles justement parce que lui était un sang-pur.
« Ma mère et mon grand-père ont toujours été cool avec toi justement parce que t'es sang-pur. Bon, je pense qu'à force, ils ont fini par vraiment t'apprécier hein, mais pour eux, t'étais le fils qu'ils auraient aimé avoir. Christian et Brandon n'aimaient pas quand ils disaient ça, moi ça me faisait rire, parce que t'es aussi le frère que j'aurais aimé avoir. »
Enfin, frère de sang ou de cœur, je comprends aujourd'hui que ça ne change pas grand chose. On choisit sa famille, ça, je l'ai bien compris. Un père dont on approuve pas les idées ? Bien, on peut le renier et changer de nom. Tout est aussi simple que ça, contrairement à ce que l'on veut nous faire croire. De mon côté, je ne me souviens pas avoir trop rencontré la famille de Damocles, à part son oncle, que j'ai eu qu'une année en tant que professeur à Poudlard, et puis Léonard qui est un ami de Brandon. Il faut croire que nos familles étaient destinées à être liées d'une manière ou d'une autre. A ce propos, Damocles me demande comment va ma famille.
« Ma mère ne fait pas grand chose. Elle s'est trouvé une passion pour le jardinage. Aux dernières nouvelles, en plus d'aider à faire pousser de l'orge malté, elle a tout une plantation de mandragores. Je suis bien heureux de ne pas être au domaine, t'imagine le boucan ! Christian, il gère la distillerie comme un chef. Comme quoi, il râlait, mais il y prend vraiment plaisir. Brandon, lui... Il est bien mystérieux, il ne dit pas trop ce qu'il fait. Il est là, pas là, je ne sais pas trop, mais il va plutôt bien. Je crois qu'il est toujours ami avec ton frère, mais je n'en suis pas sûr. Faut croire que ces deux-là n'ont pas pu s'empêcher de faire comme nous ! »
En même temps, on est un véritable exemple. Mais bon, ils ont échoué là où on a réussi. Nous, on est Serdaigle, tandis qu'ils ne sont que Serpentard. Rien que d'y penser, ça m'amuse. Il faudrait que j'écrive à Brandon un de ces jours, histoire que j'éclaircisse un peu tout ça. C'est toujours frustrant quand on ne sait pas vraiment dire ce que l'un de nos proches fait dans sa vie.
La serveuse continue de passer auprès de notre table, jetant des petits coups d'oeils que je perçois et qui semblent se faire de moins en moins discrets. Bon, et ce défi... Je suis si nul pour parler aux femmes, et encore plus quand je suis accompagné, parce que j'ai l'impression que ça ne fait pas naturel. Je regarde Damocles, puis la serveuse, puis le chaton qui lâche un petit miaulement approbateur à ce moment-là. Je souffle un coup, et je me lève de la table. Allez, je peux le faire. Sous les regards de mon ami et de sa boule de poils, je me dirige vers la serveuse qui se met à rougir soudainement. Je me cogne contre l'un des lustres qui descend bien trop bas pour quelqu'un de ma taille. Ça commence bien, et ça la fait sourire.
« Je, euh... »
Je me retourne vers Damocles, cherchant de l'aide, mais il est trop tard.
« Je me demandais, j'étais habitué à venir ici il y a quelques années... Ça fait longtemps que vous travaillez ici ? »
« Trois ans, pourquoi ? »
Pourquoi ? Par Merlin. Si elle me demande pourquoi, c'est que je m'y prends vraiment comme un manche de Brossdur.
« Oh, non, je... C'est juste que l'ancienne-serveuse-savait-d'emblée-que-je-commandais-directement-une-bouteille-pleine-de-Whisky. »
Et un dégueulis de mots, un ! Oh, par la barbe de Merlin. C'est atroce. Avortez mission. Je crois que je suis en train de rougir, et sans lui laisser la possibilité de répondre quoique ce soit, je retourne à la table, fixant droit dans les yeux mon meilleur ami.
« Plus jamais ça. »
Je pointe le chat du doigt.
« C'est de ta faute, ça, le chat ! »
Bon, ça confirme bien que je suis nul pour la drague. Toujours aussi coincé et maladroit. Ça promet pour l'avenir. Finalement, une fiancée ou une amie qui deviendrait ma petite amie, c'est plus probable. Y a pas besoin de prouver quoique ce soit et de savoir quoi dire pour justifier d'aller parler à la jeune femme. Je n'ose même pas regarder dans sa direction tellement j'ai honte. Mais j'ai essayé. Est-ce qu'on peut dire que c'est un exploit ? Je ne pense pas. J'ai intérêt à laisser un sacré pourboire à la serveuse, c'est le moins que je puisse faire pour lui présenter mes excuses. Mais quelle idée de dire que l'ancienne serveuse savait d'emblée ce qu'il me fallait ? Je passe pour ce genre de client snob. Je pose mes bras sur la table pour y venir enfoncer ma tête, comme si j'allais pouvoir me cacher.
« Pourquoi moi ??! »
Je suis certain que Damocles aurait fait mieux que moi. Mais en même temps, qu'est-ce que j'étais censé lui dire, hein ? Je n'allais quand même pas être honnête et lui dire que je la trouve jolie et que j'aimerais qu'elle m'envoie un hibou un de ces quatre. Non mais, franchement. Le chaton vient tapoter sa petite patte sur ma tête, comme s'il avait pitié de moi. Je prends une franche gorgée de mon whisky. Dans ces cas-là, je rêverais de pouvoir oublier en buvant ou de ressentir au moins un effet secondaire comme la désinhibition, par exemple.
En voyant le regard soucieux d’Aedrian, Damocles aimerait pouvoir lui assurer à cent pour cent qu’il n’y a aucun risque. Pourtant, il sait que c’est faux. Avec les tensions actuelles entre le gouvernement de Potter et les insurgés, il est fort possible que certaines personnes se décident à aller retourner les feuilles mortes pour en extraire les casseroles des familles qui les dérangent. Mais la probabilité que cela arrive pour la famille d’Aedrian est extrêmement faible. D’un part, parce que personne n’irait s’intéresser à eux. Ils ont une vie bien rangée, en dehors de cette ancienne histoire, ils sont à la tête d’un empire commercial influent et conséquent dans le monde sorcier et ils ne portent même plus le nom de leur père. Et d’autre part, parce que les familles qui ont eu parmi leur membre des parents dissidents qui ont soutenu plus ouvertement les mangemorts sont nombreuses, et qu’il y a de la marge avant que qui que ce soit ne s’attaque aux Thornberry. Et même si c’est le cas, il croit encore en la justice du Ministère. Certes, certaines erreurs ont été faites, et il y a des décisions qu’il ne comprend pas toujours, mais aller faire du tort à des innocents n’en fait pas partie. Et au pire si cela arrive, un dossier, ça s’égare facilement. C’est bien ce qui s’est passé avec le dossier de Camille Nott, il a été « perdu », et pourtant il y avait bon nombre de choses incriminantes dedans. Bien plus incriminante que d’avoir un père mort depuis des années qui a commis des erreurs dans une ancienne vie. « Bien sûr que non. Ça s’est passé il y a très longtemps, et je peux t’assurer que personne ne s’y intéresse au Ministère. La dernière fois que j’ai vu le dossier Campbell, il prenait la poussière au fond d’un casier des archives, et personne n’est assez courageux pour aller braver Lord Fawley et le déterrer. » Ce qui voudraient tenter vont au devant d’une sacré surprise. Il a du mal à imaginer le seigneur des lieux autoriser quelqu’un à perturber l’organisation de ses précieuses archives uniquement dans le but d’aller satisfaire une curiosité déplacée. Même lorsque Damocles travaillait à ses côtés aux archive, s’il avait le malheur de déranger quoi que ce soit, il était bon pour subir les foudres de l’archiviste pendant plusieurs jours.
Il plaisantait en parlant d’un voyage aux États-Unis, pourtant Aedrian semble considérer que ce n’est pas une mauvaise idée, et après tout, ce n’est pas le plus mal placé pour en parler. Si quelqu’un peut raconter ce que cela fait de tout laisser derrière lui pour aller vivre d’autres aventures à l’autre bout du monde, c’est bien Aedrian. Pourtant, cette idée n’attire pas du tout Damocles. Il n’a jamais été attiré par l’exotisme des voyages, ni fasciné par les autres cultures. Les autres traditions n’étaient pas véritablement mises à l’honneur chez les Slughorn, et les autres traditions étaient toujours rabaissées à profusion par Horace, hermétique jusqu’au bout des ongles, et Damocles n’avait pas connu grand chose en dehors des cercles restreints de l’aristocratie anglaise. Maintenant, il a plus souvent affaire à des sorciers d’autres traditions, il y en a même au sein de la brigade, mais cela reste un sujet plutôt inconnu pour lui, et il n’a pas spécialement envie de s’y intéresser. « Tu sais, je n’ai jamais quitté le Royaume-Uni, sauf pour la France. C’est difficile pour moi d’imaginer tout lâcher pour partir. J’aurais le mal du pays. » Il l’avait déjà lorsqu’ils devaient tous se rendre en France visiter la famille maternelle. Au bout de quelques jours, malgré les paysages moins austères, le temps plus clément et la joie qu’avait sa mère de les voir sur sa terre natale, il se sentait pris d’un sentiment de nostalgie puissant qui ne se dissipait qu’une fois de retour en Angleterre. Mais pourquoi pas essayer un jour, prendre des vacances et partir vers l’inconnu. C’est toujours plus simple lorsqu’on a une date de retour. Mais il faudrait que quelqu’un garde le chat, dans ce cas là.
Aedrian n’a pas la même conception des vacances que lui. En même temps, en le regardant, on s’imagine tout de suite un aventurier solide et courageux, prêt à affronter tout ce que la nature tentera de lui opposer. Après tout, c’est facile pour lui, il est grand et costaud, les acromentules ça ne lui fait pas peur. Alors que Damocles lui… Il y avait des rumeurs à Poudlard comme quoi la forêt interdite était infestée de ces araignées géantes, et par Merlin, il avait eu la chance de ne jamais en croiser. Et ils n’aurait pas aimé être à la place de ceux qui ont dû se battre contre ces horribles créatures lors de la bataille de Poudlard. Quant aux botrucs… Ces brindilles n’ont aucun intérêt à ses yeux, et parmi cours de soins aux créatures magiques déjà pénibles, ceux qui leur avaient été consacrés avaient été les plus ennuyeux. Il grimace en s’imaginant patauger dans la forêt, aux prises avec toutes ces créatures. « J’imaginais plutôt quelque chose de plus calme. Une plage de sable blanc, le bruit de l’océan, ne rien faire de la journée à part boire des cocktails sous le soleil. Ce genre de vacances, quoi. Enfin, je sais ce que tu vas me dire, on trouve aussi ce genre de bestioles monstrueuses au bord de la mer ! » Depuis quand n’a-t-il pas pris de véritables vacances ? Depuis la guerre, il n’avait pas quitté Londres en dehors de quelques jours à droite et à gauche, et jamais de sa propre initiative. Il s’agissait toujours de petits séjours en couple ou entre amis, mais seul, il n’avait jamais ressenti le besoin de partir. Peut-être est-il temps que ça change. « Tu as peut-être raison… Et j’imagine que ça ne peut pas faire de mal. » Il faudra qu’il y réfléchisse. Quand ce sera le bon moment, pourquoi pas. Mais actuellement, il y a trop à faire pour pouvoir s’éclipser quand bon lui semble. Quoi que cela ne semblent pas gêner certains de ses collègues de prendre des vacances aux moments les moins opportuns.
Il est quand même étonné de voir qu’Aedrian est si chamboulé par l’idée de trouver quelqu’un, même s’il précise que ce n’est pas sa priorité. Peut-être a-t-il fini par se rendre compte que la compagnie des animaux n’est pas la même que celle des humains, et qu’on a beau adorer ses amis les bêtes, elles ne remplaceront jamais les vraies relations avec les gens. Damocles sait que lui et Aedrian n’ont jamais vraiment été d’accord sur cela. « De toute façon, ça ne sert à rien de chercher. C’est le genre de chose qui te tombe dessus sans que tu t’y attendes. Sauf quand ce sont les parents qui choisissent, bien sûr. » Il avait eu de la chance à ce niveau là. Les mariages qui avaient été arrangés pour lui par ses parents avaient tous échoué pour diverses raisons, à son grand soulagement. Son oncle et son père avaient toujours été bien trop exigeants à ce niveau là, et ils avaient toujours fini par déceler quelque chose qui n’allait pas chez les prétendantes. Finalement, à force de laisser les occasions passer sans prendre de décision, Damocles était devenu assez grand pour décider qu’il ne voulait pas qu’on choisisse à sa place, et pour la première fois, il avait réussi à trouver un accord avec sa famille. Ils ne pourraient pas lui imposer leur choix, et inversement. Enfin, ça c’était avant. Désormais, il se fiche bien de l’accord de sa famille pour faire quoi que ce soit. « En tous cas, j’espère que tu trouveras quelqu’un qui te conviendra. » Ce sera peut-être cette serveuse, qui sait. Elle sait reconnaître un bon client en tous cas. Aedrian peut ingurgiter des quantités incroyable d’alcool sans sembler en ressentir les effets, contrairement à lui, ce que le rouquin ne manque pas de lui rappeler. Damocles grimace avant d’éclater de rire. Effectivement, il s’était plus d’une fois retrouvé dans des situations inhabituelles, voire carrément ridicules dont le souvenir le hantaient ensuite pendant plusieurs semaines. Cela dit, ça n’était plus arrivé depuis des années. Avec le temps, les occasions de sortir s’était faites moins nombreuses, les camarades de beuverie s’étaient éloignés, les esprits s’étaient assagis. Heureusement, dans un sens. « Je te dis, c’est fini tous ça. Il en faut plus pour m’envoyer au tapis maintenant. Mais ça arrive de temps en temps, alors ne me laisse pas me ridiculiser, d’accord ? Je compte sur toi. » Mais il pense plutôt qu’Aedrian aura tendance à l’encourager à faire n’importe quoi plus qu’autre chose, pour pouvoir en rire après. Même s’il sait qu’il ne le laissera jamais faire quoi que ce soit de dangereux, ils avaient assez fait les quatre cent coups ensemble pour savoir qu’ils pouvaient parfois se montrer tous les deux assez déraisonnables, que ce soit d’avoir des mauvaises idées ou de se lancer des défis stupides. D’ailleurs, comme Damocles s’y attendait, Aedrian relève immédiatement le challenge, et il se redresse, satisfait. Bon, cela lui coûtera probablement une fortune en whisky, mais cela vaut le coup. Et au final, la serveuse a quand même l’air de lui plaire. « Au moins cette fois, ça n’est pas une élève qui a le béguin pour toi. Maintenant que tu l’as dit, t’es obligé de le faire. » Il vaut mieux lui rappeler, sinon l’écossais va certainement chercher à se défiler en espérant que Damocles oublie. Mais il ne compte pas le lâcher comme ça, surtout pour un défi comme celui là où quoi qu’il arrive, il est assuré de bien rigoler. A chaque fois qu’il a vu Aedrian parler à une fille, il était incapable de s’empêcher de rire tant son ami était embarrassé. Mais cela a sûrement changé aujourd’hui, mais il ne peut que l’encourager. Il lève également son verre avec un rire. « Do dheagh shlàinte ! » Enfin, seulement s’il réussit à lui adresser trois mots sans se rendre ridicule, et ça ce n’est pas sûr.
La perspective de retourner en Écosse voir le domaine d’Aedrian est quand même plutôt attrayante. Il avait vite considéré cet endroit comme une deuxième maison, et la famille d’Aedrian comme la sienne. Il s’entendait bien avec ses frères aussi, sa mère avait toujours été très prévenante avec lui, ainsi que son grand-père. En même temps, s’ils pensaient que Damocles avait une bonne influence, c’est plutôt normal. Peut-être est-ce pour ça qu’ils étaient d’accord pour l’inviter aussi souvent. Contrairement à sa famille, qui n’appréciait pas vraiment de le voir traîner avec Aedrian, et qui ne l’autorisait à partir qu’après avoir été suppliés pendant des jours. Mais bizarrement, il ne pense pas avoir eu une influence spécialement bonne sur Aedrian, au contraire. Il aurait plutôt tendance à penser que c’est l’inverse. Mais il ne faudrait pas trop l’avouer. « Comment ça, apparemment ? Evidemment que j’avais une bonne influence sur toi. Sans moi, tu n’aurais même pas fini Poudlard, je suis sûr. » Mais chez la famille d’Aedrian, avoir une bonne influence veut plutôt dire avoir le sang bien pur. Chez lui aussi, d’ailleurs. Peu importe qu’Aedrian soit quelqu’un d’intelligent, d’aimable, de bien élevé, et avec toutes les qualités du monde, pour eux il était toujours de moins bonne influence qu’un Malefoy ou qu’un Croupton. Pourtant, ce que dit Aedrian le renfrogne. Quel genre de parent dit à son enfant qu’ils auraient préféré quelqu’un d’autre comme fils ? Lui, il avait été traité comme un prince toute son enfance et son adolescence, il avait été mis sur un piédestal par l’ensemble de sa famille, avant de se fâcher avec eux. Et quand ils avaient cessé de le considérer comme le véritable héritier pour s’intéresser plutôt à Léonard, il s’était senti profondément délaissé, et même s’il ne l’avouait jamais, il l’avait tout de même assez mal vécu. Alors il n’ose pas imaginer comment avaient dû se sentir les fils Thornberry en entendant ça de la bouche de leur mère, et il peut parfaitement imaginer pourquoi Christian et Brandon n’aimaient pas ça. C’est étonnant qu’ils ne l’aient pas détesté plus que ça. Heureusement qu’Aedrian n’avait pas mal pris ces paroles, sinon cela aurait pu en être terminé de leur amitié. Mais Aedrian est comme ça, il préfère voir le bon plutôt que le mauvais, contrairement à lui. Damocles lui adresse un sourire et une claque sur l’épaule. « Pour un frère, tu me fais prendre des mauvaises décisions. Qu’est-ce que je vais pouvoir faire de ce chaton, dis-moi ? J’aurais pas dû t’écouter. » Il caresse le petit chat, qui semble parfaitement conscient du fait qu’il n’aura pas à dormir dans la rue cette nuit là.
Aedrian enchaîne sur les nouvelles de sa famille, et Damocles se demande si leur domaine a beaucoup changé, ou si tout est resté tel que la dernière fois qu’il y avait mis les pieds, des années plus tôt. Il espère quand même qu’en quinze ans les choses ont évolué un peu, et que Christian a mis en place de nouvelles choses pour la production du whisky. Souvent, les jeunes qui reprennent les entreprises familiales ont une quantité de bonnes idées pour les améliorer, ce que les plus anciens ne les laissent pas toujours faire. Il espère que ce n’est pas le cas avec Christian. Mais apparemment, il s’épanouit complètement dans son rôle, et c’est tant mieux pour lui. Pourtant, toute cette histoire avait si mal commencé que Damocles n’aurait jamais cru qu’elle puisse bien se finir. Comme quoi, les gens réservent toujours des surprises. Comme Brandon, qui pourtant avait toujours l’air énergique et prêt à tout, et qui maintenant garde sa vie secrète, loin de sa famille. Si on avait demandé à Damocles des années plus tôt ce que deviendraient les Thornberry, il aurait probablement inversé les rôles de Christian et Brandon, en plaçant le plus jeune à la tête de la distillerie et l’aîné à l’écart. Peut-être est-ce parce que c’est ce qui est arrivé pour lui et Léonard. Damocles avait trouvé cela bizarre que Léonard se lie d’amitié précisément avec le frère de son meilleur ami à l’époque. Il ne l’avait pas mal pris, mais il s’était posé beaucoup de questions. Après tout, à force d’entendre « Fais comme Damocles, sois comme Damocles », peut-être que Léonard avait bel et bien fini par essayer de lui ressembler au point d’aller fréquenter lui aussi un Thornberry. « Normal, on est les grands frères. Je ne sais pas s’ils se connaissent toujours, je n’ai pas parlé à ma famille depuis des années. Et avant que tu ne poses la question, je trouve ça très bien comme ça. » Il n’a pas envie d’en parler et d’entendre qui que ce soit lui dire de renouer ou tenter de lui donner des conseils sur comment gérer la situation. Même pas Aedrian, pas pour l’instant. Il préfère changer de sujet.
Il avait presque oublié l’histoire avec la serveuse. Bien joué, Aedrian, mais si le rouquin pense qu’il va pouvoir s’en sortir aussi facilement, il se trompe. Alors que la serveuse passe pour la dixième fois à côté de leur table en dix minutes, Damocles lance un regard appuyé à Aedrian, qui semble hésiter. Finalement, c’et un petit miaulement du chaton qui semble le décider. Brave petit bête. Damocles éclate de rire et attrape l’animal pour lui donner une caresse en remerciement de son soutien. Il lève son verre vers Aedrian avant d’en prendre une gorgée. « Bonne chance, bràthair ! » C’est qu’Aedrian va en avoir besoin. A peine a-t-il fait quelques pas qu’il heurte l’un des lustres qui se met à osciller, la flamme des bougies s’approchant dangereusement des bouclettes rousses de l’écossais. Damocles retient son rire avec difficulté, et lorsqu’Aedrian se tourne vers lui, un appel à l’aide dans le regard, il fausse les épaules et lui fait un mouvement de main qui veut dire vas-y. Il tend l’oreille pour entendre la conversation par dessus le brouhaha ambiant. Si le début semble plutôt banal, juste un peu maladroit, la suite de la conversation le laisse bouche bée. Aedrian, cher Aedrian… L’envie de rire se mélange à l’embarras que Damocles ressent pour son ami, et il grince des dents. L’air de la serveuse est sans équivoque et Aedrian revient d’un pas rapide vers la table, le visage plus rouge que ses cheveux. En voyant le regard d’Aedrian, il ne peut se retenir et éclate de rire. Certaines choses ne changeront jamais, apparemment. Aedrian n’est juste pas fait pour ça, il est probablement plus doué pour sociabiliser avec les animaux qu’avec les gens. « Eh bah, c’était du propre. Je te dis que tu lui plais, et toi tu vas l’engueuler. J’espère que t’as de quoi laisser un sacré pourboire ! Parce que j’ai dit que je paierai les verres, mais ça je te laisse t’en charger. » Une promesse est une promesse, même si elle ne l’arrange pas du tout. Aedrian accuse le chat pour son échec, et Damocles serre l’animal contre lui avec un regard de reproche. « Eh, laisse le chat en dehors de ça ! C’est pas sa faute, il était même pas né que t’étais déjà nul avec les filles. » Aedrian s’effondre sur la table, dépité et Damocles lui donne une petite tape sur l’épaule, imité par le chaton qui vient poser sa patte sur les bouclettes du roux. Il regretterait presque de lui avoir lancé ce défi, tant la déconfiture de son ami fait peine à voir. Mais cela faisait longtemps qu’il n’avait pas ri ainsi, véritablement heureux. Comme quoi, il suffit de la bonne personne. « Allez, il y en aura d’autre, au moins maintenant tu sais ce qu’il ne faut pas faire. Et regarde, maintenant tu peux boire autant que tu veux pour oublier, puisque c’est moi qui paye ! » Comme si elle l’avait entendu, la serveuse revient à leur table avec un regard noir et pose brutalement devant eux une pleine bouteille de Whisky. Damocles lui adresse un sourire d’excuse auquel elle ne répond pas, puis la regarde s’éloigner en secouant la tête. Quelque chose lui dit qu’entre le chat et ça, il ne seront plus les bienvenus dans cet établissement avant un bon moment. Il prend la bouteille et remplit de nouveau leurs verres, puis lève le sien encore une fois. « Allez, à nos retrouvailles, et à ta tentative désastreuse et toutes celles à venir ! » Il descend le liquide d’une traite, sachant pertinemment que ce n’est pas la meilleure idée du siècle et grimace en claquant son verre contre la table. Il le regrettera très probablement demain matin, quand il se réveillera avec une barre sur le front et sûrement l’une des pires gueules de bois de sa vie. Il le regrettera encore plus quand Aedrian lui racontera ses exploits enivrés dans les moindres détails, mais au moins, cette fois, il pourra se défendre en lui rebalançant l’histoire de la serveuse, pour voir qui a le plus honte des deux. Il ne lui restera plus qu’à trouver une solution au problème du chat. En s’imaginant bien évidemment que le chat ait continué à le suivre et soit toujours là à son réveil. Le dieu du hasard a bien fait les choses, en mettant ce chaton sur sa route. Et s’il n’avait pas été assez bête pour le ramasser, il n’aurait probablement pas recroisé la route d’Aedrian, et il ne serait pas là, en ce moment même, à se demander si ce quatrième verre de whisky était vraiment raisonnable. Mais après tout, ce n’est pas tous les jours qu’on retrouve son meilleur ami après quinze ans, et il compte bien fêter cela comme il se doit.