« Je reviens dans la soirée, Roach. Sois sage, ne fais pas regretter ce bon vieux Rogue d'avoir autorisé ta présence. »
Il n'aime pas me voir partir. On ne se quitte jamais avec Roach. Depuis que je l'ai adopté, il ne m'a pour ainsi dire pas quitté. Il n'y a que durant la journée, quand je m'en vais donner cours, qu'il ne reste pas avec moi, même s'il pourrait totalement rester à mes côtés quand je fais cours dans la forêt interdite. Quand je vais à Pré-au-Lard, ou simplement me promener dans le domaine de Poudlard, il ne me quitte pas d'une semelle. Il est mon meilleur ami, aujourd'hui. Je me souviens encore quand j'étais moi-même un élève et que j'avais dû laisser mes chiens derrière moi, au domaine des Thornberry. J'avais refusé d'adopter un animal de compagnie, n'ayant pas envie de mes chiens aient l'impression que j'essaye de les remplacer alors on m'avait simplement confié une chouette pour que je puisse au moins écrire à ma famille. A la place d'un chien, c'est un autre sorcier de ma classe qui était devenu mon meilleur ami. Je découvrais à l'époque ce qu'était l'amitié, n'ayant connu jusque là que la famille et les animaux du domaine.
« Je fais ça pour toi, espèce d'ingrat. »
Roach a le don de toujours me regarder la tête penchée sur le côté, l'air innocent et tentant de me faire culpabiliser. Je lui caresse la tête avec amour et je quitte ma chambre, verrouillant derrière moi. Pour une fois, je suis à jour dans la préparation de mes cours. On ne peut pas dire qu'en ce moment mes élèves soient des plus réceptifs à ce que je leur dis ou à ce que je leur demande de faire. La situation est bien trop grave.
Je crois bien que c'est la première fois que je quitte les environs de Poudlard depuis la rentrée. Le domaine et Pré-au-Lard sont largement suffisants pour des activités basiques durant les courts moments de répit que mon nouveau métier m'accorde. Si je me rends à Londres, c'est simplement dans l'idée de trouver un petit quelque chose pour Roach et notamment une potion pour sa chute de poils. D'habitude, ça arrive bien plus tard dans l'année, mais j'ai l'impression que ce nouvel environnement, le fait de devoir être caché dans ma chambre la plupart du temps, ça le stresse énormément. Quitte à lui trouver cette potion, autant essayer de lui trouver quelque chose pour lui faire plaisir également. Ça réduira peut-être son anxiété. Je sais qu'il va s'habituer, mes appartements sont suffisamment grands pour qu'il puisse faire le fou quand je ne suis pas là, mais c'est sûr qu'après tout ce temps au domaine Thornberry sans jamais être tenu en laisse et en ayant toujours quelqu'un pour lui ouvrir les portes donnant sur l'immense jardin, le changement est radical.
Venir à Londres, c'est aussi un moyen de me changer un peu les idées. Après tout ce qui s'est passé au sein même de Poudlard, après le renvoi de deux des étudiants, l'atmosphère est pesante. Je me doute que venir sur le Chemin de Traverse ne risque de pas d'emporter au loin de cœur du sujet de toutes les conversations, mais ça aura moins l'avantage de ne pas être répété et répété encore en huis-clos. L'impression d'être pris au piège dans cette mauvaise ambiance, ça donne un coup au moral.
J'arrive donc sur le Chemin de Traverse. Je ne me souviens même pas de la dernière fois que je suis venu dans le coin. C'était bien avant la rentrée, c'est certain, et je m'y suis rendu de nombreuses fois avant mes grands voyages. Depuis... Je dois avouer avoir mené une vie bien calme en Ecosse, me tenant éloigné de pas mal de mes amis sorciers, à moins qu'ils n'acceptent de venir me rendre visite. Je me rendais à Londres occasionnellement, mais ces rares fois ne m'ont vraisemblablement pas marqué. J'ai toujours l'impression de replonger en enfance quand je suis là. Poudlard a été une période de ma vie qui m'a beaucoup aidé à sortir de ma coquille comme un bébé occamy le ferait.
J'arrive au niveau de la ménagerie magique. C'est de loin l'endroit le plus complet pour trouver de quoi prendre soin d'une créature magique au quotidien ou même d'un animal tout simple. On n'y trouve rien pour les dragons et autres créatures plus dangereuses, évidemment, mais pour tout ce qu'il est possible d'avoir chez soi, j'y trouve mon bonheur. Même pour mes Abraxans et mes chevaux, il m'est arrivé une ou deux fois de venir chez eux sans ne jamais être déçu. Je pénètre dans la boutique, sachant pertinemment ce que je veux. Je ne veux pas traîner, car s'il m'est possible d'aller me rafraîchir avec un petit Whisky Pur Feu ensuite et de profiter de l'ambiance citadine que le chemin peut procurer, alors je ne veux pas perdre de temps. Roach doit déjà trépigner d'impatience.
Coassements, miaulements et autre hululements, c'est étrange à dire, mais je me sens toujours bien dans cette boutique. Il n'y a que très peu de produits pour les chiens, ces derniers étant généralement boudés de la communauté sorcière, souvent associés au sinistros, signe de mauvais présage, donc. Ce qui est amusant car souvent, le chat quand il est noir est également un mauvais signe, mais ces petites boules de poils mesquines parviennent généralement à se faire adorer, comme s'ils étaient bien plus puissants que toute la magie sorcière réunie. Je recherche tranquillement la potion qu'il me faut lorsqu'une personne entre dans l'échoppe à son tour. Il n'y a pas grand monde, alors forcément, tout le monde se retourne assez machinalement. Je reviens à mes potions quand, je suis pris d'un doute. Je fronce les sourcils et me tourne de nouveau vers le nouveau venu.
« Par la barbe de Dumbledore... »
Je reconnais l'allure, étrangement. J'enfile mes lunettes pour mieux y voir. Je repose tout ce que j'ai entre les mains, manquant presque de casser une fiole au passage. Je me dirige vers cet homme qui vient juste d'entrer et qui n'est pas juste un homme, comme ça, au hasard. Damocles Slughorn, aussi connu pour avoir été mon meilleur ami durant les sept années passées à Poudlard et les quelques unes qui ont suivi. J'ai du mal à y croire, parce que cela fait bien quinze ans que l'on ne s'est pas vu et lui, ici, me fait l'effet de la vue d'un fantôme, mais en plus sympathique que Peeves, quand même. Il a changé, si c'est bien lui, il a vraiment changé et pourtant toujours cette même allure.
« Damocles ?! »
Je retire mes lunettes alors que je m'approche du Serdaigle. Lorsque l'on reste loin de sa famille durant des années, on ressent comme un vide, les personnes nous manquent et quand on se revoit, on ne sait pas quoi dire. Damocles, c'était comme ma famille, c'était le meilleur des amis que je n'ai jamais eu. De l'eau a coulé sous les ponts, notamment un voyage, des fiançailles, une guerre... Je reste sans voix quelques instants. Lorsqu'une fois à sa hauteur je réalise que c'est bien lui, un vieux réflexe me prend et je le serre dans mes bras, lui donnant une accolade comme on avait l'habitude de faire, entre frères, entre amis.
« C'est vraiment toi, par Merlin ! Ce que je suis content de te voir ! »
La seule cliente du magasin ainsi que la vendeuse nous observent du coin de l’œil mais je suis bien trop occupé à scruter l'homme qu'est devenu ce bon vieil ami. On était vraiment des gamins à l'époque, maintenant que j'y pense. Dix-sept ans, fin de l'adolescence, l'insouciance et l'envie de tout voir et de tout faire. Je voulais devenir un grand magizoologiste digne de Norbert Dragonneau, et lui voulait devenir Auror il me semble. Il y a mille questions qui traversent mon esprit et que je voudrais lui poser à ce même moment, avant de remarquer que lors de mon accolade, j'ai manqué d'écraser un petit chat.
« Me dis pas que t'as fini par craquer pour une boule de poils ? »
A Poudlard, il y avait moi, le meilleur ami des bêtes, le sorcier qui murmuraient à l'oreille des abraxans, et puis il y avait Damocles, pas vraiment passionné par toutes ces petites – et moins petites – créatures. Je ne me souviens même pas s'il avait un animal de compagnie à l'époque. Cela dit, je n'en avais pas non plus, par simple frustration de n'avoir pu emmené mes chiens. Et quand bien même on aurait accepté la venue de l'un de mes gros chiens, faire un choix aurait été impossible.
« Je préfère généralement les chiens, mais je dois avouer que ce petit bout est vraiment craquant. »
J'ai des préférences, ce n'est un secret pour personne, mais ça ne m'empêche pas d'aimer toutes bêtes de manière équitable. Je gratouille le dessus de la tête du petit chat, manière de faire connaissance. Il n'a pas l'air farouche, c'est une bonne chose. Car les choix, croyez-moi, ce sont des êtres parfois bien plus méchants que Vous-Savez-Qui.
Damocles pousse la porte de la ménagerie magique, le petit corps chaud du chaton remuant dans sa main. Il est ennuyé avec cette bestiole sur les bras. Le petit animal avait jailli de derrière une poubelle dans la matinée, se précipitant dans ses jambes et Damocles avait bien failli l’écraser. Mais loin de se laisser impressionner, la bestiole lui avait emboîté le pas et suivi pendant des heures, trottinant avec obstination sur ses pattes incertaines. Damocles l’avait caressé, pensant satisfaire la petite bête, puis il était parti en le laissant là. Quelqu'un d'autre s'en occuperait bien. Pourtant, le chaton n’avait pas lâché l’affaire, et Damocles avait eu la surprise de le voir quelques rues plus loin tourner à l’angle du bâtiment pour se diriger vers lui à petits bonds. Il l’avait alors ramassé et fourré dans sa poche, ne laissant que la tête aux grandes oreilles dépasser pour lui permettre de respirer et d’observer le monde alentours. De temps en temps, il lui offrait une gratouille sur le sommet de sa petite tête et le chaton se mettait à ronronner, et curieusement, cela l’apaisait. Le reste de la matinée avait été une succession de questions gênantes auxquelles il avait répondu de manière évasive. Qu’est-ce que c’est ? C’est un chat, ça se voit, non ? Tu l’as trouvé où ? Dehors. Accompagné d’un geste vague pour désigner le vaste monde extérieur. Il avait alors pris la décision de se rendre sur le Chemin de Traverse pour confier l’animal à la ménagerie magique. Là bas, ils sauraient probablement bien mieux que lui quoi faire de cette petite boule de poils. Il n’aurait qu’à leur laisser le chaton et repartir.
C’est quand même curieux. Quelques jours plus tôt, après la journée qui avait conduit un petit groupe de brigadiers dont il faisait partie à Azkaban, Damocles avait pris la décision d’adopter un chat. Mais l’idée avait rapidement fui son esprit, les complications liées à une telles décisions étant trop nombreuses. Chez lui, ce n’est pas très grand et il est souvent absent, quittant l’appartement aux aurores pour rentrer parfois tard, alors que la nuit est déjà bien avancée. Laissé seul si longtemps, l’animal aurait fini par faire des dégâts à force de s’ennuyer ou pour se venger d’être abandonné pendant de si longues heures. Pourtant, quelques jours plus tard, Merlin avait décidé de mettre le chaton sur son chemin. Mais il ne peut pas le garder.
La ménagerie magique a beau être presque vide, la cacophonie qui y règne donne une impression de désordre et de cohue. Les bêtes à plumes, poils, écailles ou autres s’agitent dans leurs cages, sortant leur meilleur numéro devant les clients, espérant faire fondre le coeur d’un futur maître. Honnêtement, la dernière fois qu’il avait pénétré dans cette boutique, il avait vingt-deux ans. La petite chouette effraie qu’on lui avait offert pour son entrée à Poudlard était fatiguée et perdait ses plumes et il espérait pouvoir lui trouver un remontant. Elle s’appelait Pimprenelle et le diagnostic avait été clair. Elle était vieille, voilà tout. Quelques mois plus tard, elle était morte paisiblement et Damocles en avait été bien plus affecté qu’il n’avait voulu l’admettre. Il n’avait pas eu beaucoup d’amis à Poudlard, et la petite chouette avait rapidement pris une place importante. Après l’avoir perdue, il n’avait plus remis les pieds dans cette boutique jusqu’à aujourd’hui.
Alors que Damocles s’avance en direction du comptoir pour obtenir des informations, l’appel de son nom lui fait relever la tête. Il dévisage celui qui l’a interpelé et qui s’avance à présent vers lui, l’air circonspect. Qui est ce gars ? Il l’a déjà vu, c’est certain. Un étrange sentiment de nostalgie l’envahit, et soudain il se souvient. Le premier jour de sa première année à l’école des sorciers, le Choixpeau Magique avait prononcé sa sentence et envoyé à Serdaigle, brisant ainsi la lignée Serpentard des Slughorn. Première déception d’une longue série aux yeux se son père. Il ne connaissait personne chez les bleus et bronze, et l’angoisse avait été totale, jusqu’à ce que l’élève juste après lui dans la Répartition vienne le rejoindre sur le banc. Aedrian Thornberry, aussi anxieux et effacé que lui, victime du Choixpeau également. Rapidement, un lien solide s’était formé entre eux et avait perduré pendant la totalité de leurs études, et quelques années après. Puis ils avaient perdu contact. Damocles se souvient avoir reçu quelques lettres auxquelles il n’avait répondu que plusieurs semaines après, trop occupé par ses ambitions pour accorder du temps à son ami. Loins des yeux, loin du coeur, et en le voyant se tenir debout devant lui aujourd’hui, il a du mal à y croire. « Je… Ça alors… » Il ne sait pas trouver les mots, trop surpris et heureux par cette rencontre inattendue. Lorsque qu’Aedrian s’avance pour une accolade, Damocles la lui rend d’un bras, l’autre encombré par le chaton. La dernière fois qu'il avait vu Aedrian, ce dernier lui annonçait son départ pour les États-Unis et ils se promettaient de s’écrire régulièrement et de rester amis. Les choses avaient tourné autrement. À l’époque, ils avaient à peine vingt ans, Aedrian vouait un culte à Norbert Dragonneau et Damocles venait tout juste de rejoindre les rangs du Ministère. Il se demande si Aedrian a réalisé son rêve. Toute la journée, il ne parlait que de créatures magiques, d’animaux exotiques de contrées lointaines et de dragons. S’il y a bien un endroit où Damocles se serait attendu à le rencontrer, c'est la ménagerie magique.
Damocles lève le chaton pour le montrer à Aedrian. C’est une boule de poils tachetée, à peine plus grosse qu’un rapeltout, avec deux yeux bleus et ronds comme des bavboules. Il n’a jamais vu de chat de cette sorte, on dirait un petit fauve. Le mieux aurait peut-être été de l’amener au service de régulation des créature magique, mais Damocles doute que le chaton ait une once de magie en lui. . « C’est lui qui a craqué pour moi. Il m’a suivi toute la journée et j’ai eu peur qu’il s’épuise à force de me courir après, alors je l’ai pris avec moi. » Contrairement à lui, Aedrian avait toujours eu la patte avec les animaux. Il parlait souvent de ses chiens et des animaux qui couraient sur le domaine familial, et pendant un temps, Damocles avait envié son ami et ses contes de grands espaces et de liberté. A Londres, pas question d’avoir un animal. Aedrian caresse la tête du petit chat qui ferme les yeux et recommence à ronronner. C’est qu’on s’y attacherait presque, à ces petites bêtes. « Je ne peut pas le garder, il s’ennuierait chez moi et je n’aurais pas le temps de m’en occuper. Et tu sais comme je suis doué avec les animaux. » Comme s’il avait compris ses mots, le chaton plante ses griffes minuscules dans sa manche avec un couinement. Damocles le soulève pour le décrocher, le change de main, mais la créature remuante ne reste pas en place. « Je vais le confier à cette boutique, ils lui trouveront un bon maître. Après ça, tu as du temps ? Je pense que tu as des choses à me raconter. On peut aller boire quelque chose. »
Il y a de ces personnes qui sont tellement présentes à une période de notre vie que l'on ne parvient alors pas à imaginer qu'ils puissent disparaître de notre vie à un moment donné. Ça se fait tout seul, progressivement, car chacun prend des chemins différents. On se promet de s'écrire, de toujours rester amis, mais finalement, même si on n'en vient pas jusqu'à se détester, on s'oublie, on passe à autre chose, on rencontre d'autres personnes, on vit différemment. Quand je suis parti pour l'étranger, je savais que ma vie allait changer radicalement. C'était pourtant nécessaire pour moi, pour mes connaissances personnelles, pour rester loin de tout le monde et me recentrer sur ma personne.
Revoir Damocles me fait vraiment bizarre. Lui et moi, on était inséparables à l'époque. On était des gamins plutôt discrets, mais on s'est trouvé et on est devenus de très bons amis, même les meilleurs, à vrai dire. Je n'ai jamais eu besoin de combler l'absence de frères dans ma famille, mais il était pourtant comme ce troisième frère que j'ai choisi pour ce qu'il est et pas pour le sang qui coulait dans ses veines. Évidemment, ça plaisait beaucoup à ma mère et à mon grand-père que mon meilleur ami soit un Slughorn, mais ils n'ont jamais compris que c'était loin d'être ce qui nous avait rapproché. J'ai arrêté d'essayer de me justifier. C'est mon ami, c'était le meilleur, le genre qui est prêt à se sacrifier et choisir un cours qu'il n'aime pas juste pour pas me laisser tout seul.
Les gens changent, mais il demeure toujours cette petite chose qui fait qu'on pourrait les reconnaître entre mille. Damocles a toujours eu cette allure, cette aura assez particulière. On a été les meilleurs amis du monde pendant plus de sept ans, alors ce ne sont pas quinze petites années qui vont le faire passer pour un inconnu. Seulement, maladroit comme je suis, je suis obligé de vérifier à deux fois pour être sûr que c'est bien lui. Je me trouverais bien sot s'il s'agissait de quelqu'un d'autre. Mais c'est bien lui, une fois les lunettes enfilées, il n'y a plus de doute. Je n'avais jamais réfléchi à la réaction que j'étais supposé avoir le jour où on se retrouverait. On a arrêté de s'écrire comme ça, du jour au lendemain, n'ayant chacun plus vraiment le temps. Il m'est arrivé parfois de penser à notre amitié passée, me demander si l'on serait toujours amis si on ne s'était pas séparés par un océan, ou s'il est finalement préférable d'avoir tout laissé en stand-by pendant plus d'une décennie ?
Il semble tout aussi chamboulé que moi, ce qui me fait sourire. Au moins, il m'a reconnu, ce qui veut dire que je ne ressemble pas encore à un vieux sorcier décrépi. Je suis curieux de savoir si j'ai beaucoup changé. Me voir dans un miroir tous les jours fait que je n'ai pas le sentiment de changer, à l'exception de ma pilosité qui se fait une joie de changer chaque jour. Accolades échangées, je remarque alors la boule de poils qui se trouve sous son bras, une toute petite boule de poils qui n'émet presque pas le moindre son en essayant de miauler. C'est adorable, je dois l'admettre. Seulement, je suis surpris de la part de Damocles. Les gens changent donc tant que ça en quinze ans ?
« Je me souvenais pas de toi comme un tombeur, Damocles ! »
Je ne peux m'empêcher de lui faire la remarque. Mais sa réaction vis à vis du chat est adorable. Je crois que j'aurais fait pareil, incapable de laisser une boule de poils derrière moi, mais ensuite il aurait fallu que je me justifie auprès du directeur de Poudlard. Déjà qu'avoir Roach avec moi a été toute une affaire, si je venais à demander l'accord pour un petit chat en plus, je serais probablement gentiment remercié.
« Tu as bien fait, un petit chaton comme ça a très peu de chance de survivre s'il n'a plus de mère. Si l'on m'avait dit à l'époque tu finirais par adopter un chat, j'aurais demandé à le voir pour le croire. »
Ce n'est pas qu'il n'aimait pas les bêtes, il avait juste l'air de ne pas s'y intéresser. Je me souviens cependant qu'il avait une chouette, comme moi, mais pour le coup, je n'ai jamais eu le même sentiment d'attachement à un oiseau qu'à un chien. Ça, ce n'est que mon ressenti personnel pour le coup. C'est triste à dire, mais ma chouette n'était qu'un moyen de communication, passant beaucoup plus de temps à la volière qu'avec moi dans mon dortoir. Damocles répond qu'il ne va pas le garder donnant des arguments qui, selon moi, sont absurdes.
« Mais tu vas en faire quoi si tu ne le gardes pas ? Regarde-le, il ne peut déjà pas se passer de toi. C'est pas comme un chien tu sais, un chat aussi jeune peut facilement s'adapter à un appartement et se passer de toi pendant toute une journée voire deux jours. Je pourrai même te donner mon secret pour que sa gamelle se remplisse automatiquement ! »
J'étais venu simplement pour une potion pour prévenir la chute des poils de Roach, mais là, je ne pourrai pas repartir en laissant mon vieil ami laisser ce chat à son propre sort. S'il le laisse ici, il sera malheureux, il se sentira abandonné par un humain et ne fera peut-être plus jamais confiance à l'un d'entre nous. Le chat semble être du même avis que moi à en juger son miaulement féroce. Je ne peux m'empêcher de sourire.
« S'occuper d'un animal, ça s'apprend, et les chats, c'est vraiment simple. Tant que tu leur donnes à manger, de l'amour quand ils en demandent et les laisses tranquille quand ils ne veulent pas voir ta tête de Serdaigle, t'as fait le plus gros du boulot. »
Il semble pourtant décidé à laisser la boule de poils à la boutique, suggérant qu'une fois cela fait, nous allions boire un verre pour rattraper le temps perdu.
« Non, non, Damo. Je ne peux pas te laisser quitter cette boutique sans repartir avec le chaton ! Evidemment qu'ils s'occuperont bien de lui, mais regarde-le... »
Je fais la moue, histoire d'aider le petit chat dans sa tentative pour amadouer monsieur Slughorn.
« Imagine qu'il tombe entre les mains d'un sorcier aux mauvaises intentions. Tu t'en voudras toute ta vie ? »
Je sais parfaitement que s'il ne le prend pas, je suis celui qui va craquer pour la boule de poil et ça ne doit pas arriver. La vendeuse qui semble avoir écouté notre conversation, et aussi un peu frustrée que nous ne nous intéressions pas à ses produits, s'avance vers nous.
« De toute façon, monsieur, nous ne récupérons pas les animaux abandonnés. C'est bien trop compliqué à gérer malheureusement. En revanche, je peux vous conseiller la meilleure nourriture pour les chatons de son âge, un panier très confortable même si je pense qu'il préférera s'allonger partout sauf dedans, et tout le nécessaire dont vous aurez besoin pour qu'il soit le petit chaton le plus heureux du monde. »
Je me mets aux côtés de la vendeuse, l'air sérieux, pour appuyer ses paroles. A trois contre un, il ne peut plus refuser, et remettre le petit chat dans la rue, serait la pire trahison du monde. Je sens qu'il va refuser, je le sens, je le connais par cœur. Alors je me tourne vers la vendeuse avant qu'il ne réponde.
« Parfait, mettez-moi un assortiment de tout ce dont il aura besoin, et si vous pouviez mettre également une potion anti chute de poils pour chien, j'arrive tout de suite à la caisse. »
La jeune femme semble ravie. Qui n'est pas ravi quand les affaires fonctionnent ? Je me tourne de nouveau vers Damocles, posant ma main sur son épaule tout en lui adressant un large sourire.
« Tu seras un très bon père, Damocles. Et évidemment que je suis partant pour un verre, dois-je te rappeler qui était mon grand-père ? »
J'aurais pu être la risée de ma famille en détestant le whisky pur-feu, mais il n'a pas fallu me forcer ni me prier. J'aime le whisky, le vrai, le bon, celui qui a été produit par double distillation, pas ces contre façons irlandaises qui nécessitent trois distillation pour obtenir un produit fini qui est loin d'égaler le travail de ma famille.
Je me rends en caisse et paye toutes les fournitures que la vendeuse a mis sur la caisse. Je n'ai jamais eu de chat, mais je ne suis pas naïf. Il y a beaucoup de choses bien inutiles, notamment ces jouets avec lesquels le chaton ne jouera probablement jamais. Je lui lance un regard, mais je ne dis rien, lui donnant les quelques gallions qu'elle exige pour la totalité de la marchandise. Je mets la fiole de la potion que je suis venu chercher dans ma poche, et j'embarque tous les paquets pour aller retrouver Damocles.
« Tu me remercieras plus tard. Je te promets que tu vas adorer t'occuper de ce petit bout. Tu as réfléchi à un nom ? »
Damocles dévisage son ami, tentant de reconnaître sous ces traits d’adultes celui qu’il avait quitté quinze ans plus tôt. Il est amusant de voir à quel point les gens changent, et pourtant semblent rester les mêmes. C’est le cas d’Aedrian. Il n’a plus rien de l’adolescent qui s’était assis à côté de lui le premier jour de son arrivée à Poudlard, et pourtant il le reconnaît parfaitement. La même ligne de mâchoire, les même yeux clairs, le même sourire. La peau plus matte, comme s’il passait tout son temps au grand air, quelques ridules qui pointent le bout de leur nez. En dehors de cela, c’est bien la même personne. Ils avaient passé tellement de temps ensemble de toute façon que Damocles aurait pu le reconnaître même déguisé.
Toutes les questions que Damocles voudrait poser se bousculent dans son esprit. En quinze ans on a le temps de voir une vie défiler, et les événements ont été tellement nombreux ces dernières années qu’il faudrait sûrement quinze ans de plus pour discuter de tout. Entre les voyages d’Aedrian, la guerre, et bien sûr les raisons de son retour et les événements actuels, il aurait intérêt à prendre des notes. Il regrette soudainement d’avoir interrompu cette correspondance. Il aurait dû faire l’effort de l’entretenir, cela ne lui aurait pas coûté grand chose d’adresser de temps en temps un billet à son ami, juste pour lui parler des événements, de la vie. Et même si les correspondances outre-atlantiques ne sont pas aisées, elles ne sont pas impossibles. S’il l’avait fait, il aurait pu avoir quelqu’un à qui raconter sa rupture avec son père, sa dispute avec son frère, ses échecs répétés à l’examen d’Auror et toutes les autres déconvenues qu’il avait gardé pour lui et qui avaient fini par lui peser sur le coeur. En ces temps compliqués, il n’aurait pas eu de trop d’un véritable ami pour l’écouter et le conseiller. Mais il avait lui-même fait une croix dessus des années plus tôt, en décidant un matin alors qu’il avait reçu une lettre, de remettre sa réponse à plus tard pour cette fois, puis à plus tard encore la fois d’après, jusqu’à cesser complètement. Trop occupé ? Probablement. Il avait l’envie de réussir et la rage de vaincre et de grimper le plus rapidement possible pour atteindre son objectif. Pourtant, comme il aurait été simple de dégager quelques minutes, une heure pour un ami ! Pourtant, Aedrian et lui étaient tellement similaires qu’il n’aurait jamais cru qu’un jour leur amitié puisse s’arrêter, ou plutôt se mettre en suspend. D’abord, il y avait eu cette histoire de Répartition à Serdaigle, alors que tout semblait indiquer qu’ils rejoindraient Serpentard, comme le reste de leur famille. Ils partageaient également le même caractère réservé et studieux, prêt à tout l’un pour l’autre. L’amitié comme on la voit dans les livres et comme on l’envie.
Et voilà qu’ils se retrouvaient, et tout ça grâce à quoi ? Une petite boule de poil tachetée qui l’avait élu, peut-être dans cet unique but de lui faire retrouver un ami. Parfois, les coïncidences de l’univers sont bien trop nombreuses et bien agencées pour qu’on ne puisse résister à y voir un signe. Quelles étaient les chances pour que Damocles trouve un chaton, qu’il décide de le ramasser, de ne pas le garder et de l’amener dans cette boutique pour le confier, alors qu’Aedrian s’y trouvait aussi ? Zéro, aurait-il répondu sans hésiter. Maintenant, le doute est permis. La remarque d’Aedrian le fait rire. Effectivement, il n’avait jamais été un grand séducteur, trop timide dans son adolescence, puis trop concentré sur son travail plus tard pour réussir à maintenir une relation stable dans la durée. Ce petit chat est peut-être un bon signe. « Je t’apprendrais, ne t’inquiète pas ! » Le chaton continue de s’agiter, tentant de remonter le long de son bras. Pourtant il avait été bien calme toute la journée, se contentant de rester dans sa poche sagement, ou d’explorer son bureau avec curiosité, provoquant les rires moqueurs de certains et les exclamations attendries des autres. Le travail de tout le monde en avait été perturbé, et beaucoup avaient déjà essayé de le dissuader de donner la bestiole. C’est lui qui t’a adopté ! Il a le même air grognon et féroce que toi, c’est un signe. T’as pas de coeur toi, dis donc. Mais sa décision était prise. Pourtant, il se surprend à écouter attentivement le discours d’Aedrian, tout en caressant machinalement le dos étonnamment doux de la petite créature. C’est vrai qu’un chat, contrairement à un chien, on peut le laisser faire sa vie tranquillement. Pas besoin d’être là plusieurs fois par jour pour le sortir, ils font leur toilette tout seul… Non, il a décidé de ne pas le garder, il ne laissera pas Aedrian le faire changer d’avis, même si le petit chat semble appuyer les paroles de son ami en poussant des couinements féroces. « Je t’ai dit, ce n’est pas une bonne idée de le garder. Il sera mieux dans une maison avec des enfants pour jouer avec lui. Qu’est-ce qu’il va faire tout seul chez moi ? Je passe mes journées et mes weekend à travailler, ce serait cruel de le laisser pour le négliger ainsi. »
Pourtant, rien ne semble pouvoir convaincre Aedrian, dont les arguments se font de plus en plus insistants. Damocles lève les yeux aux ciel en ricanant. Bien sûr, qu’est-ce qu’un sorcier aux mauvaises attentions allait bien pouvoir faire d’un petit chaton comme celui-ci, à part fondre d’amour et de mignonitude et avoir envie de le câliner ? Non, il ne le gardera pas, c’est une décision prise. Damocles s’avance vers le comptoir, bien décidé à se débarrasser du fauve avant qu’Aedrian ne le fasse changer d’avis. Mais la vendeuse s’avance à sa rencontre, l’air ennuyée. Alors qu’elle lui explique qu’elle ne peut pas accepter de prendre le chaton, Aedrian se poste à côté d’elle, hochant la tête d’un air comique, tandis que le chaton remue plus que jamais. Damocles fronce les sourcils, scandalisé par cette coalition. « C’est un complot ou quoi ? A trois contre un ! » Il lève le petit chat pour le regarder dans les yeux. C’est vrai qu’il est mignon. Il n’a pas le temps de dire un mot qu’Aedrian a déjà pris les devant, faisant une liste détaillée d’articles pour chats à la vendeuse qui sourit, ravie d’avoir trouvé des clients à délester de quelques gallions. Finalement, Damocles pousse un soupir, vaincu. « Bon d’accord… J’imagine que je vais le garder. Mais au moindre problème, je te préviens, il se peut qu’une certaine collection de bavboules disparaisse. » Qu’est-ce qu’Aedrian avait pu être agaçant avec ses bavboules. Si il y a bien un moyen de le menacer, c’est celui là. Il gratouille le menton du chaton qui s’apaise et recommence à ronronner. A croire qu’il comprend ce dont les humains parlent, celui-là. Quand Aedrian s’avance pour payer, Damocles proteste avec force, sans succès. « D’accord, eh bien c’est moi qui paierai les verres alors. T’as pas intérêt à me dire non. » C’est vrai que le grand-père d’Aedrian était à la tête d’un empire de Whisky Pur-Feu. Avec lui, pas question de boire du mauvais alcool, et ils n’avaient eu droit qu’aux meilleurs crus. D’ailleurs, si Damocles se souvient bien, Aedrian a une particulièrement bonne descente. Il en avait souvent fait les frais, incapable de tenir le rythme de son ami et finissant la plupart du temps par rouler sous la table, ivre mort, sous les rires de l’écossais. Le bon temps. Alors qu’Aedrian revient vers lui les bras chargés de paquets, Damocles observe le chaton. Un nom ? Il n’en sait rien. Il ne sait même pas si c’est un mâle ou une femelle. De toute façon, il n’est pas doué pour trouver les noms. Sa chouette, Pimprenelle, c’est Léonard qui l’avait trouvé après avoir trouvé des fleurs qui lui plaisaient particulièrement. Damocles avait trouvé ça parfait, et pensé qu’il n’aurait pas pu trouver mieux. « Je ne sais pas. Il faudrait que je réfléchisse, c’est pas une décision à prendre à la légère. Je verrai ça plus tard, hein, le chat ? » Le petit chat cligne des yeux, comme pour lui répondre, et Damocles le remet dans sa poche, et lui caressant le haut de la tête. Il allait regretter sa décision, il en est sûr. Mais tant pis, ce qui est fait est fait, il ne peut pas revenir là dessus. Il sort de la boutique en tapant dans le dos d’Aedrian pour qu’il le suive. A peine retrouvé, et déjà il a l’impression qu’ils ne se sont jamais séparés. « Bon allez. Montre moi si tu as toujours une aussi bonne descente. Et parle moi de ton voyage, je veux tout savoir. Tu as rencontré Dragonneau, alors ? Attends, le plus simple d’abord. Tu travailles ? »
J'ai toujours été mauvais pour me faire des amis. Je n'étais pas populaire à Poudlard, j'étais même presque invisible. Damocles était le seul garçon avec qui je m'entendais aussi bien à l'époque, à l'exception de mes frères, et encore, notre relation était un peu tendue durant ces années-là, probablement à cause du fait qu'ils étaient tous les deux Serpentards et moi Serdaigle. Avec le temps, j'ai appris à être un peu plus social, même si la discrétion et l'observation font partie de mes deux plus grands atouts. Et puis, on ne peut pas vraiment dire que durant ces quinze dernières années je ne sois parvenu à me faire de réels amis. Il y a eu cette jeune femme rencontrée aux Etats-Unis, mais le destin a fait que nos chemins se séparés, pour rien, maintenant que j'y pense. Il y a eu quelques potes rencontrés durant mes voyages, il y a mes collègues, des amis de mes frères, mais de manière générale, je n'ai jamais su retrouver un ami à la hauteur de Damocles durant toutes ces années. Beaucoup y parviennent, mais pour moi, je n'ai pas réussi à retrouver cette alchimie, et je n'ai jamais forcé le destin pour y parvenir non plus. J'aime me retrouver avec moi-même, c'est une bonne chose aussi. Ce qui est certain, c'est que voir que notre amitié n'est pas totalement morte me remonte le moral. Evidemment, il y a quinze années de nos vies que nous n'avons pas partagées, mais l'alchimie fraternelle semble toujours être présente, et pour moi, c'est suffisant.
Il y a des choses qui ne changent pas, comme cette tête dure qu'est Damocles. Je suis d'avis que ce chat sera bien avec lui, je l'ai toujours dit et je le répète encore après tout ce temps, mais il ne peut qu'être mieux dans sa vie avec un petit animal pour lui tenir compagnie. Il essaye de trouver des arguments mais mon visage reste impassible. Pour moi, il n'y a aucun argument valable pour ne pas garder un animal de compagnie. Après tout, il peut toujours ensorceler une boîte ou une valise comme le faisait Dragonneau pour que son chaton ait tout l'espace qu'il souhaite pour s'amuser durant son absence. Je ne lui laisse pas vraiment le choix, et je risque peut-être de le regretter plus tard, mais je suis sur ma lancée, appuyé par la vendeuse et je m'en vais acheter tout ce dont mon ami aura besoin pour élever son chat. Il finit par céder, comme si au fond de lui il voulait ce chat depuis le début. En réalité, je n'aime pas forcer mes amis à faire quoique ce soit, c'est juste que j'ai ce feeling que Damocles et ce petit chaton sont faits pour être ensemble. Et si ça se passe mal ? Et bien j'aviserai.
« … Ah non ! On avait dit pas les Bavboules ! »
Il se souvient de ma folle passion pour ce jeu. J'aimerais pouvoir lui dire que mes parties de bavboules sont loin derrière moi, mais c'est absolument faux, surtout depuis que j'ai remis les pieds à Poudlard et que je peux enfin trouver tout un tas d'adversaires. C'était l'un des problèmes les plus importants aux Etats-Unis : ils ne jouent pas aux bavboules !
Ce sont les retrouvailles les plus étranges de ma vie. On ne retrouve pas tous les jours quelqu'un qui est sorti de notre vie pendant quinze ans et, quand c'est le cas, on ne le convainc pas d'adopter un petit chaton adorable avec succès. J'ai eu peur au moment où j'ai commencé à lui parler et quand on a commencé à parler de ce petit chaton que tout se passe à l'opposé des faits réels. Il aurait pu ne pas apprécier le fait que j'essaye de le convaincre d'adopter le chat, et il aurait aussi pu, à l'issue de notre courte conversation, me souhaiter bonne continuation. Rien de tout cela n'est arrivé et comme toutes bonnes retrouvailles, on se met en route pour aller boire un verre – ou deux. Alors qu'on se dirige hors de la boutique, je demande à mon ami s'il a une idée de nom pour le petit chat. A vrai dire, je ne pense pas pouvoir l'aider pour ce point, mes frères m'ont fait la morale quand j'ai décidé d'appeler mon chien Roach. Damocles prétend que choisir un nom ce n'est pas une décision à prendre à la légère.
« Mh... Oui, non, tu as raison, prends ton temps pour choisir le nom. Ne fais pas comme moi. Et puis, Le Chat, c'est très bien comme nom, c'est même très logique. »
Si l'on considère que la boule de poil est un mâle. Il faudrait que je l'observe plus attentivement, même si à son âge, c'est encore difficile de totalement déterminer le sexe du petit animal.
« En tout cas, ne me demande pas de conseil à ce niveau-là, à moins que tu ne veuilles appeler ton chat Roach, toi aussi. »
Evidemment, quand j'ai nommé mon chien comme ça, je faisais référence à ce petit poisson que l'on trouve dans les rivières mais mes frères ont tout de suite pensé que j'avais comparé mon chien à un cafard. Alors je sais que le nom porte souvent à confusion, mais Roach... C'est Roach, c'est son nom et je ne le changerai pas aujourd'hui, maintenant qu'il se reconnaît vraiment.
Je suis mon ami, je dois avouer ne plus être vraiment familier avec les bons bars du Chemin de Traverse. J'y ai passé beaucoup de temps avant de partir en voyage et voilà que maintenant, j'ai l'impression d'être un étranger. Et il ne me laisse pas le temps de mettre les pieds dans une taverne qu'il me pose déjà tout un tas de questions.
« Si j'ai toujours une bonne descente ? Tu vas regretter d'avoir posé la question mon ami. Tu sais ce qu'on dit, on s'améliore avec l'âge. Et en ce qui concerne ma descente, ces paroles ne peuvent pas être plus vraies ! »
Quand j'étais tout fraîchement sorti de Poudlard, j'étais encore un petit buveur de Whisky Pur Feu, un peu précoce étant donné l'environnement dans lequel j'ai grandi, mais ce n'est que durant les deux années suivantes que j'ai commencé à me tailler une vraie réputation. Ce que Damocles ignore, c'est que mon rythme n'a pas baissé durant mes voyages, bien au contraire, même si le Whisky Pur-Feu que les américains font est un peu... Différent ?
« En ce qui concerne mes voyages, il y a tant à dire que je ne sais pas par où commencer ? Mais attendons d'être bien installés pour ça. »
Je crois qu'il nous faudrait plus d'une soirée pour tout raconter, il semblerait que chacun d'entre nous soit obligé de songer à une version courte des événements afin d'éviter de n'avoir cinquante ans après une simple soirée de retrouvailles. On arrive d'ailleurs dans une taverne et sans réfléchir on va s'installer à la première table de deux disponible, dans un renfoncement, non loin de la vitrine. J'enlève ma veste et pose tous les paquets sur le côté pour ne pas être dérangé et je réponds à ses dernières questions.
« Je n'ai malheureusement pas eu la chance de rencontrer Norbert Dragonneau, mais il a répondu à toutes les lettres que je lui ai envoyées. Il était juste très occupé, nos emplois du temps ne concordaient pas vraiment. »
Je ne sais pas trop comment j'aurais réagi si j'étais parvenu à le rencontrer. Il est mon idole de la première heure, c'était son bouquin que je lisais dans le Poudlard Express avant que toute cette aventure ne commence, avant même que je ne rencontre Damocles. Je me serais sûrement senti gêné et tout petit face à cet homme. Qui suis-je pour prétendre compléter ses études sur les créatures fantastiques ? C'est bien pour ça que mon idée de bouquin n'a jamais aboutie, ça et le fait que c'était une excuse pour retarder mon mariage.
« Et sinon, oui, j'ai un boulot. Je suis professeur de Soins aux Créatures Magiques à Poudlard, depuis la rentrée de Septembre. Et toi, du coup ? Tu fais quoi comme boulot ? »
Est-ce qu'il a réalisé son rêve de toujours ? J'aimerais tant que ce soit le cas. Lorsque l'on a arrêté de s'envoyer des lettres, c'était parce qu'il était très occupé pour passer le concours pour devenir Auror. C'est quelque chose qui lui tenait tant à cœur.
« Bon, du coup ? Deux Whisky Pur Feu ? J'espère qu'ils ont du Thornberry, sinon je vais finir par croire que mon frère fait très mal son boulot. »
Je laisse échapper un rire. Et dire que j'aurais pu reprendre les affaires familiales ? J'aime déguster du Whisky, mais je n'aurais jamais été capable de tenir son rôle, et surtout pas dans le domaine de la négoce. Je sais qu'il veut léguer cette partie à Brandon, d'ailleurs. Il a toujours été un bon parleur et un bon négociateur avec notre mère, ça ne m'étonnerait pas qu'il s'épanouisse dans ce domaine si ça ne marche pas ailleurs pour lui.
« Et puis une petite coupelle d'eau pour le chat, évidemment. »
Je lui gratouille le haut de la tête, on ne va quand même pas le laisser dans un coin, le pauvre, il mérite tout autant d'attention.
Aedrian avait toujours été comme ça, à insister encore et encore, à présenter ses arguments les uns après les autres sans se laisser démonter, à ne jamais accepter le refus comme une réponse valable. Il s’acharnait jusqu’à ce que son interlocuteur craque. C’est comme ça que Damocles s’était retrouvé les pieds dans la boue, les mains dans le gosier d’un veracrasse, tentant de réprimer son dégoût alors qu’Aedrian semblait ne plus tarir d’éloges sur les créatures qu’ils allaient étudier au cours de l’année en cours de soins aux créatures magiques. Lorsqu’ils contemplaient les options de troisième année, il avait déjà choisi de s’inscrire en étude des runes et hésitait entre l’arithmancie et la divination. Aedrian l’avait alors supplié de l’accompagner en soins aux créatures magiques. Damocles avait d’abord refusé net. Premièrement, la plupart des créatures magiques ne l’intéressaient pas, le dégoûtaient franchement ou lui faisaient une peur bleue. Il n’avait aucune envie d’aller manipuler les bestioles visqueuses, puantes ou pleines de pattes que son ami chérissait. Bien sûr, certaines créatures étaient très intéressantes, comme tout le monde il aimait bien les hippogriffes, les licornes ou les fléreurs. Mais il ne portait pas le reste de la faune magique dans son coeur. Deuxièmement, c’était une matière qui souvent ne demandait pas de magie. Tout se faisait à la main, et l’idée d’aller récurer la carapace d’un scroutt à pétard lui semblait particulièrement mauvaise. Il ne fallait pas s’étonner si le cours de soin aux créatures magique envoyait chaque semaines plusieurs élèves à l’infirmerie, qu’ils soient couverts de brûlures, de morsures ou d’autre blessures bizarres, et en ce qui le concernait, Damocles n’avait pas envie d’être l’un d’entre eux. Mais Aedrian avait sorti le grand jeu. Il l’avait supplié, menacé et tenté de marchander et Damocles avait fini par inscrire son nom sur la feuille en dessous de celui de son ami. Il avait réitéré son manège au moment de choisir leurs Aspic et encore une fois, Damocles avait cédé. Cinq longues années à subir cette épreuve hebdomadaire du cours de soin aux créatures magiques. Cinq années à se geler les doigts dans la Forêt Interdite en hiver et à suer à grasses gouttes sous le soleil brûlant du mois de juin, tout ça pour se plier en quatre pour les désirs de créatures qui n’avaient même pas conscience du fait qu’on s’occupait d’elles. Entre ça et la botanique pour laquelle il n’avait aucun talent non plus, Damocles avait décidé que les activités en plein air n’étaient décidément pas faites pour lui. Mais Aedrian avait l’air de se sentir comme un poisson dans l’eau, et tant mieux pour lui.
Avec autant de temps passés au contact des animaux, Aedrian n’est pourtant pas capable de l’aider à trouver un nom pour son chat et pour le coup, il n’est pas si sûr d’avoir envie de ses idées au final. Roach, ce n’est pas un très joli nom pour un animal. En entendant ça, Damocles a plutôt une vision d’un carapace brillante et d’une multitude de pattes remuantes. Mais après tout, les fanas des créatures magiques ne font pas de préférences entre les différentes bestioles qui croisent leur routes. Peut-être que Aedrian a adopté un doxy qui s’appelle Roach ? Roach, pour un doxy ça n’est pas mal. En tous cas, ça ne va pas du tout au petit chat qu’il a dans sa poche. Il pourrait peut-être demander à Léonard de lui trouver un nom, si ce crétin lui reparle un jour. Ou à Carol-Ann. En attendant, il l’appellera le chat, ça fera l’affaire. Après tout, il faut bien nommer les choses comme elles sont.
Sur le Chemin de Traverse, la journée de travail s’achève. Les commerçants commencent à ranger leur marchandise et à fermer, les travailleurs se dépêchent de rentrer chez eux à temps pour le dîner et les bars ouvrent leur porte, prêt à accueillir une clientèle plus détendue. Il écoute attentivement le discours d’Aedrian pendant qu’ils cherchent où s’installer. Si ce qu’il dit est vrai, Damocles a plutôt intérêt à faire attention à ne pas trop suivre son rythme s’il ne veut pas risquer de se retrouver à nouveau dans l’incapacité de rentrer chez lui sans aide. Cela faisait des années que ça ne lui était pas arrivé, mais ces retrouvailles avec Aedrian ont bien moyen de faire changer la donne et s’il débarque le lendemain à la brigade avec une gueule de bois carabinée et un chaton dans sa poche, tout le monde risque de penser que ça y est, le monde est parti en vrille. Damocles sort le petit chat de sa poche et le lève au niveau de ses yeux pour l’observer. Quel idiot, il aurait dû le laisser à la boutique. Cet animal n’a rien à faire dans un bar à cette heure là, entouré de bruit et d’agitation. Il va probablement paniquer. Et si jamais il s’enfuit ou que quelqu’un lui marche dessus ? Mais la bestiole semble complètement indifférente à ce qui l’entoure, fermant ses yeux minuscules et vacillant dans sa main, bien partie pour une sieste. Alors Damocles prend la corbeille à pain qui traîne et la vide avant de fourrer le chaton dedans. Ça n’est pas la chose la plus polie à faire, mais c’est la plus pratique. Au moins il pourra garder un oeil dessus.
Il fait la moue lorsque Aedrian lui annonce ne pas avoir rencontré Norbert Dragonneau. Son idole de toujours, il n’arrêtait pas d’en parler lorsqu’ils étaient à Poudlard, et Damocles était persuadé qu’il aurait tout fait pour le rencontrer en personne. Mais le destin en avait décidé autrement, on n’y pouvait rien. Après tout, il est tellement célèbre que s’il devait rencontrer tous ses fans, ils n’aurait jamais le temps de faire quoi que ce soit d’autre. Damocles hausse les épaules. « C’est dommage, ça. En même temps, je ne sais pas si ça aurait été une bonne idée, je suis sûr que tu n’aurais pas pu te retenir de hurler comme une groupie. » S’il osait se permettre la moindre critique à l’encontre de Norbert Dragonneau, il pouvait être sûr de vexer Aedrian à l’époque. Damocles n’avait pas vraiment compris comment son ami pouvait avoir autant d’admiration pour quelqu’un qu’il n’avait jamais rencontré. Pour autant qu’ils le sachent, Dragonneau aurait pu être un vrai salaud. Mais il est content d’apprendre qu’Aedrian est allé au bout de sa passion et occupe le poste de professeur de soin aux créatures magiques. « C’est vrai ? J’en étais sûr ! J’espère que tes élèves sont plus motivés que je ne l’étais lorsqu’il faut s’occuper d’un strangulot malade, et que tu ne les traumatise pas trop ! » Au moins l’un des deux a réussi à atteindre son but. Il fronce les sourcils lorsque Aedrian lui retourne la question. Il n’a pas réussi à devenir auror contrairement à ce qu’il avait déclaré à l’époque. Par deux fois, il avait échoué à l’examen, le dernier refus ne datant que de quelques semaines. Aucune chance qu’Aedrian ait oublié ses ambitions, il parlait peut-être autant du métier d’auror que lui parlait de créatures magiques. Mais inutile de ressasser ces échecs. « Je travaille au Ministère. Je suis duelliste pour les brigades magiques. C’est sympa. » Parfois. La Brigade a vraiment ses jours avec et ses jours sans. Parfois, il peut se passer des journées entières sans qu’il n’y ait rien d’autre à faire que de gratter le parchemin. Non pas que cela le dérange, il a toujours fait partie de ces gens qui contrairement à la normale, adoraient passer des heures à effectuer toutes ces tâches lassantes et répétitives qui mettaient la patience des autres à bout de nerf. Probablement quelque chose qu’Aedrian détesterait aussi.
Quand Aedrian propose deux Whisky, il accepte sans hésitation. Il avait complètement oublié cette histoire de distillerie familiale et tous les conflits que ça avait entraîné. Finalement, le frère avait donc choisi de rester à la tête de l’empire familial. Plutôt pas mal pour l’avenir de la famille… Et pour celui d’Aedrian. Il aurait été malheureux s’il avait dû reprendre ce rôle. « Alors finalement il a accepté. Tant mieux. Tu dois êtes rassuré. »
La serveuse arrive avec leurs verres et un petit bol d’eau pour le chat. Elle regarde la petite bête roulée en boule dans la panière et fronce les sourcils. Damocles hausse les épaules. C’est bien la première personne à ne pas s’attendrir devant cette petite boule de poils. Mais elle se détourne sans faire de remarque, et il soupire de soulagement. Cela fait à peine une journée qu’il a le chat, et il sent déjà les problèmes arriver. Mais il aura bien le temps de s’en occuper à un autre moment. Pour l’instant, il veut profiter un peu de ces retrouvailles. Il ne veut pas penser au boulots, aux problèmes, à tous les événements de ces derniers jours. Il prend son verre et le lève pour aller le choquer contre celui d’Aedrian. « Alors, dis moi tout. Les États-Unis c’est comment ? J’imagine que tu as du voir des choses incroyables. Tu as rencontré des gens ? » Sur ces mots, il prend un gorgée de whisky. Bon, mais il n’a aucune idée de si c’est un Thornberry. Il n’a jamais été très doué pour reconnaître ce genre de choses, et Aedrian sera sûrement mieux à même de le savoir.
Je fais partie de ces professeurs qui ont de la chance. Je n'ai que très peu de copies à corriger et mes cours sont généralement plus pratiques que théoriques. Je compte sur mes élèves pour être auto-disciplinés et prendre des notes quand il le faut sans que j'ai à leur demander de le faire et sans que j'ai à vérifier toutes les semaines qu'ils ont bien retenu le cours précédent. Je ne suis donc pas ce genre de professeur qui passe son temps dans son bureau à s'arracher les cheveux pour préparer les cours de la semaine suivante. Pourtant, sortir de Poudlard et aller boire un verre avec un vieil ami, rien que d'y penser, ça me fait un bien fou.
On s'installe à une table de la taverne et je réalise que rentrer dans un bar avec un chaton sous le bras risque de poser problème. J'espère alors que les propriétaires ne seront pas trop mauvais avec nous, après tout le chaton est adorable et calme, il faudrait vraiment détester les chats pour ne pas l'accepter dans l'établissement. Damocles installe la petite boule de poils dans une corbeille à pain, ce n'est peut-être pas la meilleure manière de s'attirer les faveurs des employés, mais au moins, le chat s'endort directement, sans demander son reste.
Comment est-on censé rattraper quinze années sans en perdre quinze autres ? Il y a tellement de choses à raconter, même si tous les détails ne méritent pas nécessairement d'être évoqués. Lorsqu'il me demande si j'ai fini par rencontrer Norbert Dragonneau, je lui explique que non. Il prétend alors que ce n'est pas plus mal, auquel cas j'aurais probablement crié comme une groupie devant son idole.
« Hey ! C'est... Ouais c'est peut-être vrai, en fait. »
Surtout qu'à l'époque, j'étais encore ce jeune homme à peine sorti de l'adolescence, passant plus de temps dans le silence qu'à autre chose et qui aurait été capable de clairement perdre les pédales à la vue de son idole, simplement parce que j'aurais retenu trop longtemps cette admiration à son égard. Maintenant qu'il soulève ce point, je confirme que ce n'est vraiment pas plus mal que ma relation avec Dragonneau ne se limite qu'à quelques échanges de hiboux.
Je lui annonce ma position actuelle. Je n'avais jamais imaginé devenir professer dans cette matière, enfin, ni même devenir professeur tout court. Mais j'imagine qu'occuper ce poste est une sorte de consécration. Je ne pensais pas être capable de tenir ce rôle, parce que ça implique de devoir être en contact avec tout un tas de personnes inconnues, notamment de travailler en quelque sorte en équipe avec les autres professeurs pour éduquer les étudiants, mais finalement, ça me permettait non seulement de changer mon quotidien, mais également de pouvoir aider les jeunes à ouvrir leur esprit concernant la dernier Code sur les Êtres Magiques. Damocles semble ne pas être surprise de me voir occuper cette position.
« Je ne pensais pas devenir professeur un jour, je te jure, c'était hyper compliqué au début de l'année. Mais je crois que je m'en sors pas trop mal et j'ai de la chance d'avoir tout un tas d'étudiants sérieux et motivés qui me font presque oublier les cancres dans ton genre. »
Je me souviens parfaitement de comment il était. Je m'en veux parfois de lui avoir forcé la main pour suivre ce cours. Quel bien ça lui a fait ? J'étais juste beaucoup trop flippé pour me rendre tout seul dans cette classe. Il était mon point de repère dans tous les cours, alors un cours sans lui m'aurait probablement grillé toutes mes chances de devenir le passionné que je suis aujourd'hui.
« Et je ne traumatise personne, en fait, je crois même qu'ils m'aiment tous bien ! »
Qui aurait cru que je deviendrais un jour le genre de professeur que les élèves aiment avoir ? Je n'ai jamais été le genre de garçon cool ou de bonne compagnie, mais il faut croire que quand je parle de ce que j'aime et que ça intéresse mon public, ça marche plutôt bien. Et depuis Poudlard, j'ai eu la chance de voyager, ce qui ajoute bien plus de matière à ce que je leur raconte.
Je finis par retourner la question à mon ami concernant sa situation professionnelle. Je sais qu'il a toujours rêvé d'être auror, et je sais aussi qu'il est très difficile d'accéder à ce poste. Je me souviens d'ailleurs de mon frère qui voulait absolument en être un et lâcher la distillerie. Je dois avouer qu'à l'époque, au-delà du fait de ne pas avoir envie de devoir gérer l'affaire familiale, je ne voulais pas non plus être entouré de deux aurors, ce métier étant bien trop dangereux pour que mentalement je puisse gérer. Pour Damocles, c'était son rêve depuis toujours, pour Christian, c'était un peu sorti de nulle part, à vrai dire. Il explique donc être duelliste pour les brigades magiques. Je fronce les sourcils lorsqu'il me l'annonce. Il dit que c'est sympa, mais le ton employé trahit ses mots.
« Comment ça ? Tu as finalement décidé de ne pas devenir Auror ? »
J'avoue tomber un peu des nues. Si j'avais dû imaginer nos retrouvailles, j'aurais parié sur lui étant devenu Auror et moi devenu un grand magizoologiste. Je me demande ce qui l'a fait changer d'avis. J'imagine que ce poste de duelliste est un bon poste également, mais il a tellement espéré devenir Auror un jour que ça me surprend vraiment.
On passe commande, deux bons whiskys pur feu, et une coupelle avec de l'eau pour le chat. Damocles n'a visiblement pas oublié que Christian avait fait toute une scène pour ne pas reprendre la distillerie à l'époque. Comment oublier ? Damocles a dû recevoir des dizaines de hiboux de ma part à l'époque, histoire de me plaindre de ce grand frère que je détestais temps. Ce n'étaient que des mots, évidemment.
« Ouais, il a fini par accepter après mon départ. Je n'aurais pas repris l'affaire de toute manière, je ne voulais pas laisser tomber mes rêves simplement pour un de ses caprices. Il n'avait jamais eu envie de devenir Auror avant de réaliser que l'affaire familiale représentait une importante somme de boulot. Finalement, aujourd'hui, il faudrait lui passer sur le corps pour qu'il ne donne son boulot à qui que ce soit. »
Il a toujours été fait pour ça. On a fait de lui l'héritier du domaine non seulement parce qu'il était le fils aîné de notre mère et donc l'héritier mâle direct, mais aussi parce qu'il a toujours été dans les pâtes de grand-père, à traîner dans la distillerie alors qu'il n'était même pas en âge de boire et à donner des idées pertinentes alors qu'on ne lui demandait rien. Je pense qu'à l'époque, il a juste complètement eu peur de ces responsabilités, parce qu'il savait que grand-père serait exigeant.
Finalement, les verres nous sont servis, et malgré le regard noir de la serveuse, le chat semble être autorisé à rester. Je lève mon verre pour trinquer avec mon ami. Même s'il ne me faut pas d'excuse pour déguster un bon whisky, ce genre d'événement est une très bonne excuse pour trinquer.
« A nos retrouvailles ! Je pense que le monde magique devrait s'inquiéter de nous voir réunis de nouveau, ça ne présage rien de bon. »
Je ris à ces paroles complètement stupides. On a fait des bêtises, oui, comme tous les jeunes, mais des bêtises raisonnables, parce qu'on était des Serdaigles, et que les Serdaigles ne sont pas aussi stupides que les Gryffondor pour prendre le risque de se faire renvoyer de Poudlard. Damocles me questionne alors sur les Etats-Unis. S'il savait tout ce qu'il y avait à dire, il s'endormirait probablement, sachant que la majeure partie des choses que j'ai à raconter concernent les créatures que j'ai étudiées sur place.
« Par où commencer ? C'est grand, très grand. Je n'ai pas pu tout voir, évidemment, il m'aurait fallu au moins deux années de plus, et encore ! Tout est bien plus grand. Le MACUSA, par exemple, ça n'a rien à voir avec le Ministère de la Magie à Londres. C'est encore plus grand et tu te perds encore plus facilement. J'ai dû m'y rendre à mon arrivée, histoire de déclarer mon activité et les quelques bêtes que j'avais emmenées avec moi, il a fallu aussi que je signe une décharge comme quoi je ne comptais pas faire sortir de créatures du territoire de manière illégale. »
Le Ministère britannique est très pointilleux sur la gestion des créatures magiques, c'est vrai, mais aux Etats-Unis, c'est encore pire. Il faut dire que Norbert Dragonneau est un peu à l'origine de certaines mesures bien plus strictes qu'elles ne l'ont été dans le passé.
« C'est d'ailleurs là-bas que j'ai rencontré une jeune femme avec qui j'ai travaillé, elle était stagiaire au MACUSA et elle a tenu à m'accompagner pour certaines de mes recherches. »
C'est peut-être la seule véritable rencontre que j'ai faite à l'époque. Qui aurait cru qu'aujourd'hui on soit deux inconnus complets. Je ne sais même pas où elle est, ce qu'elle fait, si elle pense à moi comme je pense à elle parfois.
« Je crois que j'ai passé près d'un an à étudier la créature la plus représentative du continent américain, à savoir l'Oiseau Tonnerre. Je ne vais pas t'embêter avec tous les détails, mais si tu voyais un Oiseau Tonnerre de tes propres yeux, tu serais aussi émerveillé que je l'ai été. Il m'a fallu plusieurs mois avant d'en rencontrer un ! Ils sont devenus assez rares, ayant été chassés afin de préserver le secret magique. Mais, tu sais que leur humeur... »
Je lève les yeux, me rendant compte que je suis en train de recommencer comme je le faisais à l'époque. Lorsque je commence à parler d'une créature, je ne peux plus m'arrêter, et je ne veux pas perdre mon ami juste parce qu'après quinze ans, je recommence à être lourd à faire mon monsieur je sais tout.
« Mais, c'était un voyage très intéressant ! La culture magique nord-américaine est assez fascinante. »
Je lève mon verre pour sentir l'odeur de ce whisky, entrouvrant légèrement ma bouche pour que mon nez et mes papilles travaillent de manière coopérative. Je prends une gorgée et laisse en bouche pour pouvoir apprécier la boisson à cent pourcents.
« Oh, c'est un Thornberry, je dirais que c'est même un Thornberry noir, du vintage de 2000, quatre ans d'âge et vieilli en fût de rhum. »
Je ne peux pas prétendre connaître tous les différents whisky que mon frère vend, mais je connais les trois principaux qu'il exporte dans les tavernes du pays. Ce n'est pas mon préféré, mais il fait partie de ceux que j'apprécie particulièrement. Je reprends une gorgée, plutôt satisfait du choix de la serveuse.
« Bon, toi, raconte moi tout ce que j'ai loupé après mon départ. Est-ce que je dois m'attendre à ce que mon meilleur ami soit marié ? »
J'ai bien failli être marié depuis quelques années, il ne serait pas étonnant de le savoir dans cette situation également. Après tout, on arrive à un âge où ça n'est plus vraiment surprenant de vouloir se poser. J'avoue que je serais un peu frustré si j'apprenais qu'il s'était marié sans que j'ai été invité. Je sais que je n'ai plus donné de nouvelles pendant un moment, mais je pense que si je m'étais marié avec ma fiancée à l'époque, il aurait été dans ma liste d'invités.
« Mmh, quoi que tu as mentionné le fait de vivre seul. Fiancé peut-être ? »
S'il venait à me dire qu'il est encore célibataire, je pourrais au moins convaincre ma mère que ce n'est pas un drame de toujours être célibataire à près de trente-cinq ans, même pour un Sang-Pur comme Damocles. Je ne compte plus le nombre de hiboux reçus depuis que je suis professeur pour savoir si l'une de mes collègues voudrait m'épouser.
« J'ai échappé de peu au mariage il y a quelques années, si tu veux tout savoir. Je te laisse imaginer comment ma mère est avec moi ! »
Damocles essaie d’imaginer quel type de professeur peut bien être Aedrian. Sévère, mais juste, comme MacGonagall ? Autoritaire et brillant, comme Rogue ? Ou bien dynamique et enjoué comme Flitwick ? A l’époque, Aedrian était assez effacé, s’il se souvient bien. Pas avec lui, bien sûr, mais si l’on parle de manière générale, ils ne formaient pas le duo le plus expressif de l’école, et Aedrian avait toujours été plus doué avec les animaux qu’avec les humains. Mais si lui avait réussi à surmonter cela, il ne doute pas du fait qu’Aedrian y est probablement arrivé lui aussi. Il l’espère, en tous cas. Les adolescents peuvent être cruels entre eux, mais ils peuvent également l’être avec leurs professeurs s’ils le veulent, alors pour s’occuper d’eux, mieux vaut avoir un caractère accroché et ne pas se laisser marcher sur les pieds. Mais s’il arrive à ne pas se laisser faire par des dragons, abraxans et autres créatures, ce ne sont probablement pas un groupe d’élèves de Poudlard qui vont lui faire perdre ses moyens. A moins qu’il ne soit tombé sur toute une classe d’incapables des soins au créatures magiques, comme lui. « Oui, enfin, cancre… C’est bien la seule matière où tu étais meilleur que moi. » Ce n’est pas vrai, mais la rivalité des élèves de Serdaigle au niveau des résultats scolaires est légendaire. D’après Damocles, c’est une des raisons pour laquelle les étudiants de cette maison ont de bonnes notes : ils sont perpétuellement en compétition les uns avec les autres pour être en tête de classement, se tirant mutuellement vers haut pour atteindre la première place. Même dans les matières où il était moins bon, Damocles avait fourni des efforts acharnés pour ne pas se laisser distancer par les autres. En dehors des soins aux créatures magiques, bien sûr, là il n’avait compté que sur Aedrian pour faire le sale boulot à sa place. Pas étonnant que ses élèvent l’apprécient, passionné comme il est. « Ça ne m’étonne pas. Si j’avais eu un enseignant comme toi en soins aux créatures magiques, peut-être que j’aurais fait un peu plus d’efforts pour apprécier ce cours. Tu sais ce qu’on dit, la matière la plus ennuyeuse peut devenir la meilleure avec un prof passionné. » Damocles sait que lui, même en étant passionné, ne ferait pas un bon professeur. Pour être professeur, il faut de la patience, beaucoup de relationnel et une véritable envie de transmettre son savoir. Lui n’a rien de tout ça. Il jetterait probablement l’éponge au bout de quelques semaines d’enseignement, trop agacé par les mauvais élèves, les perturbateurs, et surtout le fait de passer toutes ses journées à faire la même chose, à voir les mêmes têtes. Pourtant, il est habituellement du genre persévérant. S’il ne l’était pas, il n’aurait pas retenté le concours d’Auror une seconde fois, et il n’envisagerait pas de le retenter encore et encore jusqu’à ce qu’il le réussisse. « Disons que ça ne s’est pas passé exactement comme je l’avais prévu. J’ai tenté l’examen une première fois, j’ai échoué. Je l’ai retenté, j’ai échoué à nouveau. On m’a bien fait comprendre que je n’accèderai jamais à ce poste, et ce peu importe mes résultats. Ils trouveront toujours une raison pour me recaler. Mais je ne lâche pas, ils finiront bien par craquer un jour. » S’il ne craquait pas avant eux. L’idéal, ce serait que son grand-oncle et son père cassent rapidement leur pipe. Terminé les problèmes, les histoires de nom, de soutien à tel ou tel camp.
Il lève son verre en même temps qu’Aedrian, riant de concert. A l’époque, ils étaient loin d’être les plus turbulents. Certes, ils n’étaient pas non plus les plus exemplaires, mais de manière générale, ils avaient toujours réussi à se tenir loin des ennuis sérieux. C’est beaucoup plus compliqué maintenant, difficile de prendre ses distances avec tous les conflits qui fleurissent régulièrement aux quatre coins du pays. Les prises de position sont de plus en plus risquées et on se retrouve bien souvent au coeur des problèmes sans le vouloir. Et là, les conséquences sont bien pires qu’une simple retenue avec Rusard.
Il a toujours été intéressé par le MACUSA. Ceux qui ont eu la chance d’être envoyés en mission de l’autre côté de l’Atlantique en parlent tous comme de quelque chose d’incroyable, bien plus complexe que ce pauvre petit Ministère de la Magie anglais. Les quelques contacts qu’il a pu avoir avec ses homologues américains lui ont rapidement fait prendre conscience des lacunes et des années de retard de l’administration anglaise. Il hausse les épaules en riant. « Le bureau de régulation des créatures magiques, j’imagine que tu as déjà eu affaire à eux du coup. Ce sont vraiment les pires, dès qu’une histoire implique des animaux, ils sont immédiatement sur ton dos, et si une bestiole a le malheur de perdre la moindre moustache, tu peux être sûr qu’ils seront là dans la seconde pour t’engueuler. » Rien que quelques semaines plus tôt, cette mission concernant le trafic de niffleurs les avait fait sortir de leurs gonds. Apparemment, les petites créatures avaient été inutilement stressées par leur intervention. Damocles leur avait ri au nez, en leur demandant s’ils auraient préféré que personne n’intervienne, et ils l’avaient relativement mal pris. Depuis, Damocles a pris l’habitude de marcher sur des oeufs lorsqu’il se retrouve en compagnie d’un ami des animaux. Bien sûr, ça n’est pas la même chose avec Aedrian. Damocles a passé sa scolarité à faire des blagues sur son amour des animaux, et son ami n’avait jamais rien dit. A moins qu’il n’ait rien dit pour ne pas le froisser.
Aedrian assure qu’il s’agit d’un whisky Thornberry, et un bon apparemment. Ce n’est pas Damocles qui va le contredire. Il est incapable de faire la différence entre deux crus, et il n’est même pas sûr de savoir ce qu’est un fût de rhum. Il n’a jamais été un véritable amateur d’alcool, consommant plus pour l’ivresse que pour le goût de la boisson. Toutes ces histoires d’arôme, de nuances, c’est trop pointu pour lui. Il sait quels alcools il aime, il sait quand le vin qu’il boit est bon ou ne l’est pas, et cela ne va pas plus loin. Alors si Aedrian lui dit que c’est un bon choix, il le croit.
Il laisse échapper un rire gêné aux questions d’Aedrian. Il s’est passé énormément de choses dans sa vie ces dernières années, mais le mariage n’en fait pas partie. Il avait eu la chance de passer entre les mailles du filet lorsque les mariages arrangés étaient encore de mise, malgré les efforts de sa mère pour le présenter sous un bon jour. Il avait fait des rencontres, mais aucune de ses relations n’avait été assez solide pour tenir dans le temps. Il reprend une gorgée de whisky. S’il doit parler de mariage, il préfère ne pas être sobre. « Tu l’aurais su si j’avais été marié. Un bon mariage et ma mère se serait arrangée pour que le monde entier soit au courant. Un mauvais, et tu aurait probablement reçu un faire-part de décès, parce qu’elle m’aurait assassiné. » Il y avait quand même pensé à une époque. Après la guerre, il avait eu envie de se poser, de mener une vie plus calme. L’échec à l’examen d’Auror l’avait déçu, puis il avait cru qu’il allait mourir. Une grosse remise en question de sa vie avait suivi. Finalement, il avait abandonné l’idée pour suivre son propre chemin, seul, malgré les insistances de sa famille. « Enfin, ça c’était avant. Maintenant, ça fait plusieurs années qu’on ne s’est pas parlés, alors toutes questions n’ont plus vraiment d’importance. » Jusqu’au dernier moment, ses parents avaient insisté pour qu’il choisisse quelqu’un de « respectable », selon leurs dires. Apparemment, Aedrian avait subit le même sort. Damocles se souvient de la mère de son ami, et de sa volonté de faire des Thornberry une famille de sang-pur. Elle avait été très heureuse de savoir que son fils fréquentait l’héritier de la famille Slughorn, et peut-être un peu moins heureuse d’apprendre que ce dernier n’avait pas de soeur. « J’imagine oui, elle ne doit pas te lâcher. Tu devais te marier avec qui ? Celle que tu as rencontrée aux États-Unis ? Ou une brave petite sang-pur de bonne famille ? » Il a du mal à s’imaginer Aedrian en mari et père de famille. Entourés de chiens errants qu’il aurait recueilli, oui, ça lui correspond beaucoup plus.
C'est vrai que Damocles était bien meilleur que moi dans toutes les matières. J'étais doué, mais il était encore meilleur, et c'était pas faute d'essayer de le surpasser, mais je n'y suis jamais parvenu. Sauf en Soins aux Créatures Magiques, du coup. C'était bien la seule matière où je brillais vraiment, où j'étais le plus à l'aise. Evidemment, j'aimais les potions, la botanique, et même la métamorphose, mais rien ne valait ce cour. Et malgré le fait que Damocles m'écrasait un peu partout, il n'y a jamais eu de véritable ressentiment. C'est juste le dur quotidien des Serdaigles d'essayer de se surpasser les uns les autres mais sans pour autant se détester. Tout le monde s'étonnait de me voir autant apprécier les Soins aux Créatures Magiques, mes camarades n'étaient pas fans de Brûlopot, alors qu'il était vraiment drôle et passionné comme professeur. Peut-être un peu trop casse-cou aux yeux de certains, ça lui a valu un bras et la moitié d'une jambe... Que l'on m'arrête avant que je ne finisse comme lui !
« T'exagères un peu, Professeur Brûlopot était cool ! Je le trouvais vraiment très drôle, même s'il a manqué de nous tuer une ou deux fois, je dois l'admettre. »
On en vient finalement à la carrière de mon ami. J'ai toujours cru qu'il finirait par réaliser son rêve de devenir Auror. C'est difficile de devenir l'un des leurs, mais pour Damocles, ça aurait dû être hyper simple. Il est doué et motivé, il a toujours eu toutes les qualités requises pour réussir le concours. Alors je suis surpris d'apprendre qu'il n'est finalement pas Auror. Est-ce un choix ? J'ai envie de croire que c'est le cas, qu'il a décidé de se rabattre sur un autre métier. Mais lorsqu'il commence à m'expliquer, je comprends que je me suis trompé. Je fronce les sourcils davantage lorsqu'il dit que ça ne s'est pas passé comme il l'avait prévu. Il dit avoir échoué deux fois, ce qui me semble assez improbable, surtout connaissant mon ami.
« Comment ça ils t'ont fait comprendre que tu n'accèderas jamais à ce poste ? C'était quoi leur raison de te recaler deux fois ? Je te connais, Damo, je sais que t'étais fait pour ce rôle. Et puis les concours ne sont pas anonymes ? »
J'avoue avoir un peu de mal à comprendre. Je pensais que tout le monde pouvait avoir sa chance tant que les résultats sont bons. J'ai peut-être mal interprété les mots de mon ami, ou peut-être que c'est juste son ressenti personnel, mais j'ai du mal à comprendre. Si encore, Damocles avait été le genre d'élève un peu doué mais pas attentif en cours, j'aurais compris, mais là, je suis vraiment surpris.
Malgré cette nouvelle que j'ai du mal à digérer, on lève nos verres pour trinquer. Ces retrouvailles sont à fêter absolument. Je crois que c'est la première fois que je suis aussi heureux depuis un bon moment. J'adore mon boulot et je suis heureux de faire ce que je fais, mais je parle de ce genre de bonheur éphémère et soudain qui nous arrive en pleine face sans prévenir. Les seuls qui devraient s'inquiéter sont les taverniers, car je serais bien capable de vider leur réserve de whisky en une soirée. Je commence alors à lui raconter un petit bout de mon voyage, je ne sais même pas par où commencer. D'après mon petit frère, j'aurais dû rédiger un journal avec tout ce que j'ai fait tout au long de mon voyage mais je sais que personne ne l'aurait lu. Tous les détails comptent pour moi, mais ce n'est pas le cas pour tout le monde. Damocles fait une remarque sur le bureau de régulation des créatures magiques, me rappelant qu'il faudra que je retourne les voir très rapidement.
« Je les connais parfaitement, je dois leur faire un rapport chaque année au nom de ma famille, étant donné qu'on possède des abraxans, entre autres. Ils sont tellement exigeants sur tout un tas de choses, que d'ici quelques années, on risque de ne plus pouvoir faire nos livraisons avec ces créatures. »
Je pense qu'il ne faut pas être Serdaigle pour deviner que je ne porte pas le ministère dans mon cœur. Rien de tel qu'une gorgée d'un bon whisky pour éviter de s'énerver à cause d'un groupe d'incapables et de lois stupides. Encore mieux lorsqu'il s'agit d'un whisky de sa propre famille et que je peux faire mon intéressant quand je reconnais tous les détails en une seule gorgée. J'ai été à la meilleure des écoles pour ça. Je finis par questionner mon meilleur ami quant à ce que j'ai loupé durant mon absence et notamment, je lui pose la question gênante du mariage. Je sais qu'il ne va pas aimer, je n'aurais pas aimé non plus, mais on ne peut pas faire semblant. En quinze ans, c'est une option envisageable, évidemment. Il me répond que s'il avait été marié, je l'aurais su. Je souris, content de savoir que malgré cette absence de nouvelles aussi longue, j'aurais été averti d'un tel événement. Il aurait bien fallu que quelqu'un organise son enterrement de vie de jeune sorcier.
« Je me demande parfois si on n'a pas la même mère. »
Elle serait capable de me faire une crise si je décidais d'épouser une née-moldue, ou pire, une moldue. Malgré la loi qui est passée et qui a remis en cause les ambitions de la famille pour devenir Sang-Pur, elle ne voudrait pas que je vienne tout gâcher si jamais Potter ou un futur Ministre venait à se rétracter quant à cette loi.
« Oh... Tes relations avec tes parents ne se sont pas arrangées, si je comprends bien ? »
J'ai eu quelques désaccords avec ma famille il y a quelques années, mais je crois que nous avons toujours été suffisamment soudés et suffisamment dans la communication pour toujours surmonter ces épreuves. Je suis bien heureux que mon père n'ait pas eu la chance de rester dans nos vies. Je me demande à quoi ressemblerait notre famille s'il nous avait entraînés dans ses idéologies stupides. Damocles me questionne alors sur la personne que j'étais censé épouser.
« Non, ce n'était pas celle que j'ai rencontré aux Etats-Unis. Ma mère et mon grand-père n'aurait jamais accepté que j'épouse une née-moldue. Et puis... De toute manière, on n'était que deux collègues, je ne vois pas pourquoi on se serait mariés. »
Évidemment, j'ai souvent imaginé que notre relation évolue dans un sens positif avec elle, j'ai rêvé d'une vie idéale où ma famille n'aurait que faire de la nature de son sang. Ils ne détestent pas les nés-moldus, ils ne veulent juste pas qu'ils entachent le nom des Thornberry – ce qui est à peu près similaire selon moi.
« Ce n'était pas une sang-pur, non plus. Mais elle avait une situation à peu près similaire à la mienne, elle était plutôt jolie et sympa, mais sa famille s'est rangé du côté de Tu-Sais-Qui et mon grand-père a demandé l'annulation de nos fiançailles. »
Elle a dû payer les choix de ses parents. J'ai fini par la connaître et je sais qu'elle n'avait pas les mêmes idées que sa famille, mais j'imagine que le choix de mon grand-père était le bon. On aurait été assimilé à des pro-mangemorts et aujourd'hui on serait probablement dans une situation très délicate. Je n'ai pas de nouvelles d'elle depuis la fin de la guerre, je me demande ce qu'elle devient parfois.
« Quand je suis rentré de mes voyages, mon grand-père m'a annoncé mes fiançailles avec cette fille. J'étais énervé au début, parce que c'était arrangé depuis un moment et il ne m'avait rien dit. Après, j'avoue que j'ai tout fait pour retarder la date de notre mariage et au final, mon grand-père m'a remercié pour ça. Du coup je suis de nouveau célibataire, avec une mère qui voudrait absolument que je trouve une épouse parfaite mais qui se mord les doigts parce qu'elle ne peut officiellement plus m'obliger à me marier à la personne de son choix. »
Et c'est bien la seule chose que le gouvernement de Potter a fait de bien, seulement moi. J'exagère un peu, il doit y avoir d'autres choses positives mais selon moi ce n'est pas suffisant pour que je change d'avis. Je bois une autre gorgée de mon whisky avant de reposer le verre sur la table assez brusquement.
« Et sinon, tu vois toujours des anciens de Poudlard ? J'ai revu une Serdaigle qui avait juste un an de plus que nous, Hekate Murphy, je ne sais pas si tu te souviens d'elle, mais c'est l'une de mes collègues. »
Le fait est que dans mes souvenirs, c'était bien souvent Damocles et moi, et personne d'autre pour venir nous embêter. Mais il y avait quand même ces camarades de maison, ces partenaires en classe, les préfets et préfètes. Je dois avouer ne pas être parvenu à me faire de véritables amis depuis que je n'ai plus de nouvelles de Damocles, et ce n'était pas volontaire, mais je me demande s'il est parvenu à se faire des amis, à son boulot ou pas forcément.
Le petit chaton commence à s'étirer, il semble commencer à manquer d'attention, alors je lui gratte le dessus de la tête, ce qui semble lui faire plaisir, mais il préfère aller se coller à son nouvel ami, Damocles. Je savais que c'était la meilleure décision que je puisse prendre. Il ne va pas regretter d'avoir gardé le chat.
Pour certains, la famille est la chose la plus importante au monde. Ça n’est certainement pas le cas pour lui, au contraire. Ce serait un mensonge de dire que ça ne l’a jamais été, mais ce qui est certain, c’est que désormais, moins il entend parler du reste des Slughorn, mieux il se porte. D’ailleurs, cela va bientôt faire quatre ans qu’il n’a pas adressé la parole à son père. Il se souvient de ce dîner comme si c’était hier. Ils ont beaucoup crié ce soir là, chacun bien déterminé à imposer son point de vue à l’autre, et il a fini par claquer violemment la porte sous les larmes de sa mère et le regard choqué de son frère. Pourtant, malgré cette distance qu’il a mis entre lui et les autres membres de sa famille, le nom de Slughorn n’est pas de ceux qui passent inaperçus. S’il pouvait s’en débarrasser, il le ferait avec plaisir. Pendant un moment, il a cru qu’il finirait par être déshérité, rayé de la famille, mais pourtant il ne s’est rien passé. Cette situation n’est pas la meilleure qu’il soit. Il a constamment l’impression de se trouver sur le fil du rasoir, à osciller entre deux extrêmes.
En voyant l’air stupéfait d’Aedrian lorsqu’il lui annonce qu’il n’a pas réussi l’examen d’Auror, il a l’impression de se voir lui-même quelques années plus tôt lorsqu’il avait reçu son premier refus. Mais les mots de son ami lui font chaud au coeur. Même après quinze ans sans se voir, il ne doute pas de ses capacités. C’est à ce genre de choses qu’on reconnait les vrais amis. Même sans se parler, même sans être face à face, même lorsqu’on pense qu’ils appartiennent au passé, ils continuent de croire en vous jusqu’au bout, sans se poser de questions. Ses paroles redonnent un regain d’énergie à Damocles. « On m’a refusé à chaque fois parce que j’ai un « caractère incompatible ». Je veux bien ne pas avoir le caractère le plus facile du monde, mais de là à me refuser pour ça… Tu as bien vu Fol-Oeil, c’était un génie, mais il était complètement taré. Au final, j’ai fouiné un peu, et il s’avère que c’est parce que mon père soutient les idées de l’insurrection des Malefoy. Tu en as entendu parler j’imagine. C’est pour ça qu’on ne se parle plus. Moi je travaille au Ministère, et eux ils s’y opposent, alors forcément ça ne peut pas fonctionner. » Et tant que son père fait partie de ce monde, impossible d’entrevoir ne serait-ce que la queue d’une promotion. Même sans devenir Auror, il est condamné à rester brigadier tant qu’il est lié à sa famille. La deuxième possibilité, ce serait de se marier avec une femme dont la famille soutient à fond le Ministère. Mais il n’a pas lâché toutes ces traditions idiotes de sang-pur pour retomber immédiatement dedans et se marier uniquement par intérêt. Il laisse ça à tous ces allumés dans leurs terres de feu.
Aedrian lui raconte ses fiançailles et Damocles l’écoute attentivement. Il ne comprend pas vraiment pourquoi tant de familles veulent obtenir le rang de sang-pur. Peut-être se dit-il ça uniquement parce qu’il a eu la chance de naître au sein de l’une de ces familles, mais il ne voit pas l’intérêt. Avant, peut-être, lorsque faire partie d’une famille de sang-pur permettait d’accéder à de nombreux privilèges, mais maintenant avec les nouveaux décrets, sang-pur, sang-mêlé, nés-moldus, tous sont logés à la même enseigne. Même le titre de Lord a perdu une grande partie de son pouvoir politique. Alors à part favoriser la consanguinité à force de se marier toujours dans le même petit groupe de personnes, il ne voit pas ce que le titre de sang-pur peut apporter. Encore, pour certaines familles très anciennes, l’influence du nom est restée intacte, mais toutes ces familles nouvellement sang-pur, personne n’a entendu parler d’eux. Il secoue la tête avec une moue désapprobatrice en entendant parler de ces fiançailles arrangées. Il imagine que lui aussi, s’il était un jour rentré et qu’on lui avait annoncé qu’il était fiancé depuis plusieurs semaines à une parfaite inconnue, il ne l’aurait pas très bien pris et aurait tout fait pour empêcher cette union. Heureusement que ce décret était passé. Beaucoup de familles avaient souffert de ce genre de traditions, justement à cause des mangemorts. La mère d’Aedrian s’en serait mordu les doigts si son fils avait été marié à une femme dont la famille soutenait Vous-Savez-Qui. « Comme quoi, les parents pensent toujours savoir ce qu’il y a de mieux pour leurs enfants, et pourtant souvent ils se trompent. Heureusement qu’il y a ces nouvelles lois. »
Imitant Aedrian, il boit une nouvelle gorgée avant de faire tourner le peu de liquide qu’il reste dans son verre, admirant la couleur du whisky. Décidément, les Thornberry savaient y faire. Pas étonnant qu’ils règnent en maître sur le domaine. Le contenu de son verre avait presque entièrement disparu sans qu’il s’en aperçoive. Il lève la main et fait un petit signe à la serveuse pour qu’elle revienne remplir leurs verres. La note allait probablement être salée, mais cela le réconforte un peu de savoir que l’argent Slughorn passe dans de l’alcool. Son père ferait une crise s’il le voyait là, attablé avec ce « pochtron de sang-mêlé », comme il appelait la plupart des membres de la famille d’Aedrian. Il n’avait jamais aimé les fréquentations de Damocles. Quand Aedrian évoque les anciens de Poudlard, il fronce les sourcils, réfléchissant, tout en caressant le petit chat qui semble s’être lassé de sa corbeille de pain. Décidément, c’était une très mauvaise idée de garder cet animal. « Murphy ? Peut-être, je ne sais pas. Il faudrait que je la voie. J’ai toujours eu une meilleure mémoire pour les visages que pour les noms. Je n’ai pas revu grand monde, pour être honnête. Je me demande ce qu’ils sont tous devenus. Tu as revu des gens à part elle ? Reviens ici, toi. » Il rattrape le chat par la peau du cou et le lève devant son visage pour le fixer de son regard le plus sévère. L’animal se laisse pendre en le dévisageant, et Damocles le repose sur la table, tentant tant bien que mal de le maintenir en place. « En parlant de profs à Poudlard, un vieil ami à moi devrait être un de tes collègues aussi. @Camille Nott, ça doit te parler. Il s’en sort comment ? » Il sait que ça n’est pas le meilleur moment pour parler de Nott, mais il ne peut pas s’en empêcher. Il a du mal à croire que cette ordure court librement les rues et enseigne à Poudlard comme si de rien n’était, qu’on le laisse en présence d’enfants, et en cours d’Arts Obscurs en plus ! Evidemment qu’il est parfaitement au courant de ce que fait Nott en ce moment, mais avoir l’avis d’Aedrian est toujours un plus. Personne ne l’a cru quand il affirmait que Nott était un mangemort, on lui avait demandé de laisser tomber l’affaire, alors que tout pointait, et pointe toujours vers lui.