Tu détestes cet endroit. Ses murs austères, son sol caillouteux, la mer éternellement en furie qui s'abat avec violence sur les rochers, la pluie fine et glaciale et ces nuages, qui semblent ne jamais laisser apparaître le moindre rayon de soleil. Et surtout, surtout, cette brume saisissante qui vous gèle jusqu'à l'os, s'infiltrant dans les cœurs, les pensées pour s'emparer de tout bonheur, du moindre des sourires pour ne laisser que des âmes désolées et tristes – ô, si tristes. Les détraqueurs sont pourtant de l'histoire ancienne, chassés par le nouveau gouvernement, remplacés par de nouveaux gardiens, en chair et en os, et pléthores de sortilèges. Mais leur empreinte semble gravée dans la pierre et le fer, réminiscence de ce temps où ils régnaient en maîtres sur Azkaban. Sous le règne de Celui-Dont-On-Ne-Doit-Pas-Prononcer-Le-Nom, l'endroit t'était devenu plus insupportable encore. La bride lâchée, ils se faisaient plus implacables encore, n'hésitant pas à siphonner quiconque posait le pied sur l'île, à commencer par les Brigadiers. Rendant vos venues insupportables, autant que les cris déchirants des innocents abandonnés à leur geôle, sans autre crime que d'être né sans magie. Le temps a passé sans altérer le traumatisme marqué au fer rouge sur ton esprit déjà fragile. Et tu as espéré, si fort, n'être pas affectée à l'équipe qui assurerait la sécurité lors du procès d'@Engel Bauer et ses comparses. Pas que tu ne souhaitais pas les voir condamnés – loin de là – mais seulement pour éviter de devoir les accompagner jusqu'à leur lieu de détention le cas échéant. En vain. Ton nom a fait partie des premiers cités pour cette périlleuse journée du 11 février.
Des membres du groupe ou toi, difficile de savoir qui était le plus blême en débarquant devant les murailles infranchissables de la prison magique. Tu t'es empressée de prendre la main sur les liens magiques des prévenus, qui semblaient n'avoir de toute façon aucune intention d'essayer de vous fausser compagnie. Laissant à tes collègues le soin d'invoquer un Patronus ou deux pour vous éviter d'être trop impactés, sans oser avouer que tu serais bien incapable de produire le moindre corporel pour gambader autour de vous. Ce sortilège te mets en échec depuis toujours. À l'époque du concours, à force d'entraînement et d'abnégation, tu avais réussi à appeler ce fragile écureuil sensé te protéger, t'accrochant à ces images des Noëls passés chez ta grand-mère. Mais depuis la guerre... Plus rien. Pas même une volute fugace. Les souvenirs douloureux se sont fait trop lourds dans ta mémoire, atténuant la force des rires d'autrefois.
Le transfert s'est effectué sans heurts mais de retour au Ministère, tu sens encore l'atmosphère de ce lieu maudit peser sur tes épaules. Une heure complète, tu es restée assise à ton bureau, immobile, tes yeux vides rivés à un quelconque point dans ton champ de vision, à lutter pour contenir les nausées et frissons fébriles secouant ton corps frigorifié. Ce n'est qu'en voyant le bureau s'animer, sortir de ce silence que vous avez rapporté dans votre sillage, que ton regard semble reprendre vie. Quelle heure est-il ? Dix-huit heures, t'indique la pendule accrochée au-dessus de la porte. Sans guère échanger de mot, les Brigadiers se préparent à rentrer chez eux, empilant leurs dossiers, récupérant capes, gants et écharpes. Un à un, ils quittent le département, pour rejoindre leur foyer. Personne n'a envie de s'attarder ce soir, vous êtes tous bien trop conscients que la journée de demain sera loin d'être évidente. Comment réagira la population sorcière à l'annonce du verdict rendu ce matin ? Mais tu te sens toujours parfaitement incapable de bouger et tu demeures plantée sur ta chaise. Pas tout à fait seule, cependant. Au bruissement d'activité succède un silence total, seulement rompu par le grincement d'une plume sur le parchemin. Qui donc est encore là ? Tu cherches des yeux l'origine du bruit, t'arrêtant sur la colonne qui dissimule à la vue les postes de travail de trois de tes collègues et déjà, instinctivement, tu sais qui est resté. Quant à te lever pour aller échanger quelques mots... C'est une autre affaire. Il te faudrait des forces, n'importe quoi qui puisse ramener un peu de couleur sur tes joues livides. Par réflexe, tu entrouvres le tiroir de ton bureau, et tes doigts se referment sur une petite boîte cartonnée. Un chocogrenouille. Parfait. Délicatement, tu l'entrouvres pour en saisir la friandise, jette un coup d’œil à la carte qu'elle contient, avant d'en prendre une bouchée. La douceur du chocolat coule sur ton palais comme un revigorant et tu pousses un profond soupir. Encore trop faible pour oser te lever, tu décales ta chaise d'une bonne cinquantaine de centimètres, jusqu'à contourner ce pilier pour apercevoir à l'autre bout de la pièce, la tignasse sombre de ton collègue penché sur un rapport. « Ne me dis pas que tu es déjà sur le compte-rendu d'aujourd'hui ? » Il y a une pointe d'humour dans ta voix fatiguée, qui résonne étrangement dans la pièce vidée de ses occupants.
Un sanglier et un puma argentés escortent le petit groupe de sorciers, leurs pattes immatérielles se posant sans un bruit sur le sol dur et froid. L’écho de leur pas résonnent dans les couloirs sombres et de temps en temps, on entend au loin le bruit d’une vague s’abattant sur les rochers de l’île ou le cri violent d’un prisonnier réclamant justice ou vengeance. La prison d’Azkaban, unanimement élue comme pire endroit au monde par les sorciers, s’apprête à accueillir avec toute l’absence de chaleur dont elle est capable, le groupe de métal Reissen. @Engel Bauer en tête, ses acolytes à sa suite, le groupe est encadré par les agents taciturnes du Ministère, et tous avancent d’un pas lent, la tête chargée de brouillard et d’angoisses. Damocles a l’impression que l’atmosphère glacée pèse lourd sur ses épaules et le sommet de son crâne, comme si l’air qui les entoure cherchait à l’enfoncer pour le faire disparaître dans le sol. Mais il résiste, appelant à lui des réminiscences heureuses, les rires d’un frère, les odeurs d’un pain chaud, les caresses d’une amante, les couleurs d’un tableau. Il résiste, car s’il cède, le puma disparaît et c’est la stabilité de l’ensemble de leur groupe qu’il emporte avec lui. Mais ils avancent vers leur destination, et lorsque la cellule se referme sur les visages des membres de Reissen, Damocles se surprend comme à chaque fois qu’il accompagne un détenu à Azkaban, à ressentir une certaine compassion pour ceux qu’il condamnait encore quelques heures plus tôt.
Le retour à la normale quelques heures plus tard laisse un goût d’amertume dans la gorge des brigadiers assignés à cette lourde mission. Le trajet pour rentrer s’est déroulé dans un silence de plomb, chacun d’entre eux trop occupés à méditer sur les sombres pensées réveillées par cette visite pourtant courte. Personne n’ose évoquer l’affaire, qu’il s’agisse du groupe, de la décision prononcée par le Magenmagot, ou des futures conséquences de cet emprisonnement sur l’ensemble de la communauté sorcière. Et à leur arrivée dans les bureaux, la morosité qui les habite s’étend à tous ceux qui pourtant sont restés loin de l’influence funeste d’Azkaban. Les discussions se raréfient, on n’entend plus que le raclement d’une chaise et le doux frôlement des notes de service qui passent au dessus d’eux. Chacun gère cet abattement à sa façon. Pour Damocles, c’est le travail dans lequel il s’oublie. Il s’adonne aux tâches les plus répétitives et les plus assommantes avec une minutie hors du commun, gardant son esprit occupé par des détails infimes auxquels personne ne fera attention. Sous sa plume passent des rapports en retard, des corrections de compte-rendus, des notes à remettre au propre, des discussions à retranscrire, rien surtout qui ne puisse laisser à ses pensées le loisir de vagabonder librement. Sourd à tout ce qui l’entoure, il s’acharne jusqu’à ce que ses yeux brûlent à force de fixer les lignes qui passent devant son regard et que la main qui tient sa plume proteste, endolorie après s’être crispée pendant des heures. Et même là, il continue, la perspective de suivre l’exemple de ses collègues et de vider les lieux pour retrouver son appartement vide lui arrachant une grimace et un frisson d’angoisse.
Alors qu’il recopie et réorganise méticuleusement les commentaires d’un dossier pris en notes à la va-vite par un collègue peu scrupuleux, le raclement d’une chaise sur le sol dissipe sa concentration. Damocles fronce les sourcils sans s’interrompre. Il aurait cru que tout le monde aurait depuis longtemps quitté l’ambiance maussade de la brigade après cette journée éprouvante. Il n’est donc pas le seul que l’idée de se retrouver en tête à tête avec ses pensées effraie. Quand la voix de sa collègue résonne dans la pièce désertée, Damocles relève la tête avec étonnement. Il se redresse, clignant des yeux après avoir fixé trop longtemps les pattes de mouches qui s’étalent sur le parchemin qui lui fait face. « Non. » Il pose sa plume et fait craquer ses phalanges endolories, avant de se frotter le visage des deux mains. Les fenêtres magiques montrent un soleil qui déjà disparu et l’obscurité qui s’avance sur la ville. « Je l’ai déjà terminé depuis longtemps. » C’est vrai. hors de question de laisser traîner ça et de retomber dessus dans les jours suivants au risque de réveiller de mauvais souvenirs. Il préfère se débarrasser de ces tâches pénibles le plus rapidement possible. Il laisse ses bras retomber sur son bureau et fixe la brigadière à l’autre bout de la pièce. Elle est pâle comme un fantôme et ses cheveux d’ordinaire éclatant semblent avoir perdu leur couleur. Pas de doute, le passage sur cette île maudite l’a profondément marquée, bien plus que lui même. Mais il n’est pas étonné, il n’a encore jamais rencontré qui que ce soit qui ne l’ait pas été. Le souvenir dur couloir lui revient en mémoire et il réprime un frisson. C’est trop pour aujourd’hui, il ne parviendra de toute façon pas à se replonger dans cet été de frénésie bureaucratique avant d’avoir dormi de tout son soûl. Terminé. Damocles prend le temps de ranger ses papiers avant de se lever et de prendre son manteau. Demain, l’annonce de l’emprisonnement de Bauer sera placardée dans tout le Londres sorcier, et ils auront du pain sur la planche. Il fixe Erin, réticent à l’idée de la laisser seule dans ces bureaux vides. Elle ne va quand même pas y rester jusqu’à demain matin. Il s’approche d’elle et s’arrête à mi-chemin, lui désignant la sortie. « On se casse ? J’en peux plus. » Il hésite à ajouter "de tout ça", mais il sait que c'est faux. C'est juste une très mauvaise journée.
Cliodna (bon état) | Cette belle druidesse irlandaise est connu pour avoir possédé trois oiseaux magiques qui chantaient auprès des malades pour les endormir et ensuite les soigner. La légende dit qu’elle pouvait prendre la forme d’un oiseau marin ou se changer en vague. Son passe-temps favori était de voler. Elle découvrit aussi les propriétés de la rosée de lune.
Damocles, évidemment. Qui d'autre ? Quel Brigadier s'attarderait au bureau ce soir, entre deux journées aussi éreintantes, pour jouer les gratte-parchemins quelques heures de plus, sinon le plus consciencieux, le plus inébranlable d'entre vous ? Ce n'est pas la première fois que vous êtes parmi les derniers à partir, n'abandonnant vos sièges que bien après le coucher du soleil, voire qu'il demeure vissé à la sienne quand tu jettes le souaffle, abandonnant tes dossiers au lendemain. Tu ne sais pas grand chose de sa vie, sinon qu'il vit seul – probablement célibataire, du moins faut-il l'espérer pour Carol-Ann – et que les positionnements d'une bonne majorité de sa famille sont plus que discutables. En dépit de vos années de service communes, vous n'avez jamais tellement échangé sur ces sujets, seulement évoqué quelques fois le concours d'Auror et vos échecs respectifs, sans jamais aller plus loin que ces superficialités polies. La mission que vous avez effectuée en duo deux semaines plus tôt a considérablement modifié votre relation. Ce qui devait n'être qu'une intervention sans difficulté a bien failli se solder par un fiasco... Votre réussite n'a tenu qu'à un fil et sans ses extraordinaires réflexes, les choses auraient pu tourner bien plus mal encore. Depuis, sans faire de vous les meilleurs amis du monde, les regards se sont fait plus complices, les sourires plus sincères, forts de ce lien qui n'apparaît que face à l'adversité et aux risques partagés. Et c'est à se demander pourquoi vous n'avez jamais pris le temps de fraterniser davantage. Malgré ce que vos caractères pourraient laisser penser de prime abord, vous avez bien plus de points communs qu'il n'y paraît. À commencer, ce soir, par une fatigue manifeste si tu en juges par sa nuque qu'il étire en relevant le nez de son rapport, ses yeux lourdés de cernes. Sa réponse, si prévisible, parvient à chasser une ride marquée sur ton front, remplacée par une lueur d'amusement. « Tu es une secrétaire en or, Slughorn ! » Ton rire léger sonne clair et tu te renverses contre ton dossier.
Entre tes doigts, tourne et retourne la carte de ta chocogrenouille. Cliodna, immortalisée pour sa découverte des propriétés de la rosée de lune. La druidesse est représentée fiole à la main, flattant de l'autre un immense oiseau posé sur son épaule. Une animagus, d'après la description. La coïncidence est ironique, compte tenu de tes derniers exploits en la matière... Douce Helga, manquer encore ton retour à ta forme humaine, après toutes ces années ! L'erreur fut vite réparée, n'exigeant qu'un brin de concentration mais reste difficile à digérer. Dans un moment plus critique, une telle bévue aurait pu vous être fatale ! Sans parler des risques qu'il y aurait à utiliser ta forme animale pour des enquêtes plus sensibles, plus dangereuses... Si tu veux être d'une quelconque utilité à Moira Oaks, il va falloir que tu reprennes le contrôle sur ton animagie.
La voix de Damocles résonne à nouveau, te sort de ta contemplation pensive. Tu as raté sa question, mais le signe de tête vers la porte, la cape sur son épaule parlent pour lui. Il serait grand temps de partir, oui... Pourvu que cette nausée persistante accepte de te lâcher ! Dans la boîte cartonnée, tu attrapes le reste de ta friandise, dans l'espoir que le sucre te donnera l'énergie nécessaire pour te relever. « Il faudrait oui... » Malgré ton hochement, tu n'esquisses pas un geste, quelques secondes encore, cherchant dans tes muscles frigorifiés la force de t'arracher à la force terrestre. Doucement, tes pieds s'écartent, se campent au sol et sur un soupir, tu t'extirpes de ta chaise. Les vertiges sont là, bien entendu, et tu poses une paume tremblante sur ton bureau, en soutien à tes jambes flageolantes. Un sourire à Damocles, que tu devines t'observant – tout va bien. Tout ira bien du moins, quand ce foutu malaise s'estompera. En attendant, tu t'appuies à demi contre le lourd meuble de bois, récupérant ta cape d'hiver accrochée à la patère voisine. Les gestes mesurés, tu la glisses autour de tes épaules, agrafe l'attache de cuivre qui la maintient en place. Bouger t'aidera peut-être à te sentir mieux ? Sur une profonde inspiration, tu esquisses quelques pas vers lui. Oh, ils ne sont pas assurés, ton esprit toujours pris dans cette gangue vaporeuse qui t'étourdit, mais il ne t'attendra pas éternellement. Mais un pied devant l'autre, tu rejoins la porte dans son sillage, éteignant les globes lumineux d'un mouvement de baguette avant de le suivre dans le couloir.
Il n'a pas l'air beaucoup heureux que toi de rentrer chez lui – ni plus pressé, malgré l'envie de laisser le boulot derrière vous. Hésitante, tu t'aventures à lui demander « Toi non plus, personne ne t'attend ce soir ? » La question est presque réthorique. Après une journée comme celle-ci, personne de normalement constitué ne traînerait sur un dossier plutôt que de rejoindre un proche. Ce n'est pas sans raison que tu es restée là sans réagir outre mesure au départ de vos collègues. Adele travaille de nuit, ce soir. La porte d'une crypte dont les inscriptions n'apparaîtraient que sous l'éclat de la lune ou quelque chose du genre. Et l'idée de retrouver l'appartement vide te déprime par avance, ton fauve remuant n'étant pas le genre de compagnie à qui épancher une journée compliquée, malgré son côté affectueux. Peut-être est-ce pour cela qu'arrivée devant les hautes cheminées qui encadrent le hall du Ministère, ta main s'interrompt à quelques centimètres du pot de poudre de cheminette. Tu te tournes vers Damocles, le ton incertain. « Ça te dirait de venir manger un bout à la maison ? » Tu hausses doucement les épaules, comme pour signifier le peu d'égards à apporter à cette invitation impromptue. Espérant pourtant qu'il acceptera.
Vu de près, Erin a l’air encore plus bouleversée. Malgré l’humour derrière lequel elle se cache, l’affaissement de ses épaules et le léger tremblement de ses mains ne trompe personne. L’aller-retour à la prison d’Azkaban l’a véritablement secouée et malgré la demi journée écoulée et la chocogrenouille à moitié mangée qui traîne sur son bureau, elle ne s’en est toujours pas remise. Damocles a entendu dire que plus une personne a traversé d’épreuves, plus un passage à Azkaban lui laissera de traces. Vu l’état de la brigadière, il n’ose pas imaginer ce que les effluves de désespoir qui s’échappent des murs sinistres de la prison ont réveillé comme souvenirs en elle. Erin ne parle jamais d’elle, pas à lui en tous cas. Il connait son parcours professionnel, il sait qu’elle a combattu aux côtés de l’Ordre du Phénix pendant la guerre et qu’elle a échoué au concours d’Auror, comme lui, et que depuis elle siège à la brigade, sa situation inchangée depuis plusieurs années. Il sait également qu’elle était à Poufsouffle, comme en témoignent les nombreux accessoires aux couleurs des Blaireaux qu’elle affectionne, et qu’elle est friande de sucreries qu’elle offre volontiers aux autres. Il sait qu’elle vit avec sa cousine, il l’a appris de Carol-Ann qui l’a appris « d’un type ». En dehors de cela, Damocles doit avouer qu’il ne connaît pas grand chose de sa collègue, et qu’il n’a jamais vraiment cherché à en savoir plus. Ce n’est pas son genre de s’étaler sur sa vie privée, il n’a aucune envie que tout le monde sache à quel point elle est miteuse. Pas de famille à aller voir les week-end, pas de compagne à retrouver après une journée de travail éprouvante, des amis qu’il voit peu, trop absorbé par son travail et son envie de réussir. Pas même un petit animal pour lui tenir compagnie les jours comme celui d’aujourd’hui. De quoi mettre la larme à l’oeil à Vous-Savez-Qui lui-même. Mais Damocles s’en accommode. Il n’a jamais couru après la compagnie des autres, et s’il apprécie de se sentir entouré dans les moments de lassitude, il chérit encore plus le calme et la solitude qu’il peut retrouver lorsqu’il en a besoin.
Malgré son affirmation, Erin ne semble pas vouloir bouger, et quand elle s’arrache enfin laborieusement de son siège, elle est si vacillante que Damocles se demande si elle ne va pas s’écrouler au sol. Une ride d’inquiétude se force entre ses sourcils qu’il fronce. Ce n’est peut-être pas chez elle qu’elle devrait aller, mais plutôt à Sainte-Mangouste. Elle lui lance un sourire qui doit vouloir le rassurer, mais il reste préoccupé. Leur métier implique de nombreuses missions pas forcément agréables, accompagner les détenus jusqu’à Azkaban étant l’une des pires. Cependant, cela fait partie de leurs fonctions et si Erin se retrouve dans un état aussi fragile après leur visite, aussi désagréable soit-elle, il y a de quoi se poser des questions. Damocles regarde la brigadière chanceler. Il ne veut pas lui proposer son aide car il le sait, Erin est loin d’être une pauvre petite chose fragile, et car elle ne l’accepterait probablement pas. Mais il patiente, il lui laisse le temps de mettre ses muscles en route, de trouver son rythme et de récupérer sa contenance. Il ne fait pas de commentaire, il ne tente pas d’humour pour détendre l’atmosphère -il n’est pas très doué pour cela, de toute façon-, il la laisse se rétablir à sa façon. Et uniquement alors, il lui lance un sourire encourageant, avant de se mettre en route vers la sortie de la pièce et de laisser derrière eux les nuages d’humeur noirs laissés par cette journée.
Le couloir est vide à cette heure là. Le bruit de leur pas rappelle à Damocles leur marche dans les couloirs de la prison, et il chasse cette image rapidement. Il ne veut plus y penser pour le moment. La question d’Erin lui arrache un sourire cynique. Non, personne ne l’attend, ni ce soir, ni aucun autre. Il y a eu pendant un temps des femmes qui l’attendaient, mais elles ont toutes fini par partir, claquant la porte derrière elles et le laissant submergé par des vagues de colère et de tristesse. A la dernière il s’est dit C’est trop.. C’était il y a deux ans, et il n’a plus cherché à rencontrer qui que ce soit depuis. Il n’a pas envie d’en parler maintenant, mais il n’en veut pas à Erin d’avoir posé la question. Comme lui, il est persuadé qu’elle cherche juste un peu de réassurance. Il préfère prendre la chose légèrement. « Ça se voit tant que ça, ou c’est Carol-Ann qui a lâché le morceau ? » Ce n’est presque pas une blague, l’assistante faisant toujours son possible pour obtenir jusqu’aux détails les plus intimes de la vie de l’ensemble des membres de la brigade, pour aller ensuite les raconter à une Erin exaspérée. Mais cela à le mérite de détendre l’atmosphère lourde qui les entoure alors qu’ils se dirigent vers les cheminées du Ministère. Pourtant, c’est le « non plus » qui l’interpelle dans la question de la brigadière. Cette histoire de cousine, c’est sûrement encore une invention. Pourtant, il a du mal à s’imaginer Erin vivant seule. Aucune raison particulière à cela, parfois le cerveau fait les choses tout seul, difficile de le contrôler. Comme maintenant, lorsque devant la cheminée, il pense à l’appartement vide qui l’attend, et qu’il prend une décision. Ce week-end, ou celui d’après, il ira prendre un animal de compagnie. Pas un chien, il n’aime pas les chiens, mais un petit chat, doux et féroce à la fois. La voix d’Erin interrompt ses élucubration, et sa proposition étonne Damocles. C’est la première fois qu’elle l’invite, elle ne lui avait jamais proposé avant, même juste d’aller boire un verre après le boulot. Il lève les sourcils, légèrement décontenancés. Elle devrait plutôt se coucher directement, et lui aussi. La journée de demain risque d’être longue. Pourtant, il se surprend à considérer la proposition, et finalement à l’accepter avec un sourire. « Avec plaisir, c’est gentil ! Je te suis.» Une part de lui veut repousser au maximum son retour dans la solitude, même s’il sait qu’à un moment où à un autre, il faudra bien y replonger. Et l’autre part est juste particulièrement curieuse d’en savoir plus sur sa discrète collègue.
La notion de vie privée est un concept assez subjectif. Cela paraît simple, pourtant. Ce qui se passe au Ministère, dans le cadre de vos fonctions, relève du professionnel et tout le reste est personnel. Et en bientôt huit ans de carrière, jamais tu n'avais eu de difficultés à proprement séparer les deux. Tes collègues ne savaient rien de toi – hormis peut-être ton échec retentissant au concours d'auror, pour les plus anciens d'entre eux –, tu n'en savais guère plus et ce statu quo te convenait à merveille. Jusqu'à ce qu'arrive, au début du mois d'octobre le fléau de la Brigade, pourfendeuse de toute notion d'intimité. La curiosité faite femme, l'indiscrétion en chair et en os. Carol-Ann. En l'espace de cinq mois, elle s'était affranchie de toutes les protections érigées par les uns et les autres pour se faire parangon des potins. Certains avaient rallié sa cause, du moins en apparence, abandonnant quelques bribes d'informations pour se débarrasser d'elle... Tous ? Non. D'autres résistaient encore et toujours à l'envahisseur, au risque d'attirer sur eux son œil acéré. Ta discrétion ne pouvait que l'intriguer, ce silence absolu sur ton passé, ton présent... À force de gratter, elle avait découvert quelques éléments, rien de bien précis mais suffisamment pour la satisfaire – Merlin merci, elle n'avait jamais été se renseigner auprès des aurors... Mais plus encore que toi, une autre cible a sa préférence, son attention pleine et entière. Celle-là même qui l'accuse ce soir d'avoir vendu la mèche concernant sa solitude, dans un sourire pas totalement convaincant. Et même si dans le cas présent, ta question tenait plus de la supposition que du bruit de couloir, tu lui retournes un regard amusé, répondant sur le même ton. « Oh, c'est surtout que je pense qu'elle écarterait toute rivale potentielle. Et comme elle ne semble pas encore être arrivée à ses fins... » Tu hausses des épaules faussement désabusées, une lueur un brin moqueuse dans le regard. Pauvre Damocles, quoi qu'il ait pu faire par le passé, il ne mérite sans doute pas... ça.
Tu fais un pas vers le pot de poudre, ravie qu'il ait accepté ton invitation improvisée. Après un passage à Azkaban, nul ne devrait se retrouver à rentrer seul chez soi. Et il faut avouer que votre mission commune t'a donné envie d'en savoir plus, de discuter un peu avec lui. Avant de mettre le pied dans l'âtre, tu lui énonces distinctement votre destination. « C'est au 1, Harley Street, troisième étage. À tout de suite ! » Tu t'avances dans le conduit de la cheminée, prononçant l'adresse à haut et intelligible voix, jetant les cendres d'un même mouvement et aussitôt, les flammes t'emportent dans une lumière verte. Tes yeux se rouvrent sur les murs blanc cassé de votre salon et tu fais un pas de côté afin de libérer le passage. Il n'est pas immense, cet appartement que vous partagez avec Adele, mais vous n'en changeriez pour rien au monde. Idéalement situé, avec deux grandes chambres comportant chacune une salle de bain, un vaste séjour se divisant entre une cuisine équipée – fort peu utilisée, au vu de tes capacités culinaires – et un salon dont le confortable canapé, récupéré au hasard des marchés aux puces, accueille l'essentiel de vos soirées télé. Mais plus que tout, tu aimes ce mélange de sorcellerie et de technologie moldue cohabitant joyeusement de tous côtés, des quelques cadres vous représentant à tous âges, auprès de ses parents ou de votre grand-mère à la machine à café moldue. Du réfrigérateur aux livres qui ne cessent de se ranger et se déranger au gré de leurs fantaisies, du nécessaore à balai traînant sur un meuble à la télévision qui trône devant un mur, entourée de sa collection de consoles et de son lecteur de DVD flambant neuf. Et partout, mille et une touches de jaune et de rouge, qui se confondent et se battent pour mieux se mettre en avant, les coussins Gryffondor tentant de dissimuler leurs confrères de Poufsouffle, avant de disparaître sous ton épais plaid jaune et ébène.
Avant de mettre de la cendre partout, tu ôtes tes bottes, tes pieds retrouvant avec délices le parquet tiédi par un discret sortilège. L'écho des flammes derrière toi t'annonce l'arrivée de Damocles que tu accueilles d'un sourire, un rien gênée de le voir dans votre environnement où passent pourtant régulièrement amis et connaissances. De son coin de la pièce, le porte-manteau s'avance, d'une démarche guindée, tendant vers vous ses bras de bois, s'emparant de tes chaussures abandonnées d'un autre. Tu t’exécutes, expliquant dans un rire « Ma cousine l'a ensorcelé pour qu'il ressemble à celui d'un dessin animé moldu... Il est inoffensif, mais il ne te lâchera pas tant que tu ne lui auras pas donné ta cape et tes chaussures. » Tu l'esquives souplement, traverses la pièce en direction d'une porte opposée. « Installe-toi, mets toi à l'aise. Je me change en vitesse et j'arrive. » À peine as-tu entrouvert la porte d'une silhouette en jaillit, toutes griffes dehors dans un feulement furieux. « Une seconde, toi ! » Tu attrapes la boule de poil par le col, grattant ses oreilles jusqu'à ce qu'il se calme avant de la présenter à Damocles, ta langue se faisant chantante sur son nom aux intonations gaéliques. « Je te présente Súil. Il n'est généralement pas dangereux, sauf si tu touches au coussin Gryffondor qui traîne sur le tapis. Ce traître y a élu domicile. » Tu jettes un regard accusateur au coupable qui se débat pour échapper à tes paumes, avant de le laisser filer.
Il ne te faut qu'une paire de minutes pour ôter ton uniforme, passer un leggins et un long pull de laine. Deux autres pour démêler tes mèches rousses mises à mal par la journée et passer de l'eau fraîche sur ton visage pour y ramener quelques couleurs. Tu ressembles un peu moins à Mimi Geignarde en revenant vers le living, soulagée d'être enfin rentrée. « Tu veux quelque chose à boire ? » Ta baguette s'agite, faisant léviter deux verres d'un placard jusqu'à l’îlot de la cuisine.
Ce pourrait-il qu’il ait été aveugle à ce point, et que l’insistance de Carol-Ann à venir traîner autour de son bureau à longueur de temps ne soit pas désintéressée ? Il est vrai, la jeune femme vient plusieurs fois par jour interrompre son travail sous divers prétextes, que ce soit pour lui demander de l’aide sur les sujets les plus simples, lui apporter du café ou lui offrir de l’accompagner à tel ou tel événement pour lesquels il commence à être à cours d’excuses. Damocles croyait jusque là que tous ses collègues étaient dans le même cas que lui, mais les paroles d’Erin, bien qu’elles n’aient pour but que de le charrier sans méchanceté, éveillent le doute dans son esprit. Il a intérêt à faire attention dorénavant s’il ne veut pas se retrouver piégé par mégarde entre les griffes de Carol-Ann. Son sourire se tord en grimace lorsque cette idée lui traverse l’esprit, et il adresse à Erin un regard de faux reproche pour la remercier de lui avoir mis une telle image en tête. Il trouvera bien quelque chose pour se venger. Après tout, Carol-Ann se plie en quatre dès qu’il lui demande quelque chose, elle n’hésitera sûrement pas à faire de la vie d’Erin un enfer s’il évoquait au détour d’une conversation à quel point il ne désire rien de plus au monde que de voir la brigadière rousse ennuyée.
Il chasse rapidement Carol-Ann et ses sempiternelles anecdotes indiscrètes de ses pensées, trop fatigué pour s’y attarder, et hoche la tête pour indiquer à Erin qu’il a bien retenu l’adresse. Il la répète dans sa tête, anxieux à l’idée de l’oublier avant d’emprunter la cheminée, et une fois la brigadière volatilisée, il prend à son tour une pincée de poudre avant d’entrer dans l’âtre et de l’imiter. Une seconde plus tard, ses pieds se posent dans une pièce claire et le sourire d’Erin le rassure. Emprunter une cheminée est toujours un peu inquiétant lorsqu’il s’agit d’une nouvelle destination, on n’est jamais à l’abri d’atterrir en plein milieu de la salle à manger d’une famille moldue, et pendant une seconde, il a bien cru que c’était le cas. Mais c’est bien dans le salon d’Erin qu’il se trouve. Il regarde autour de lui avec curiosité, mais l’arrivée du porte-manteau le détend. Un objet ensorcelé, ça, Damocles connaît, pas comme tous les gadgets qui occupent la pièce. Obéissant docilement à sa collègue et au tapotement insistant du porte-manteau sur son épaule, il se débarrasse de ses affaires avec plaisir, les abandonnant au mobilier exigeant. « Je n’ai jamais vu de dessin animé moldu. Je ne suis même pas sûr que je sais ce que c’est… » Damocles se sent légèrement gêné en disant ça. Il a grandi dans une famille sorcière, ce n’est manifestement pas le cas d’Erin. Chez lui, pas d’ascendance moldue quelle qu’elle soit et pas d’influences du monde non sorcier. Certes, il a entendu parler des merveilles que développent les moldus pour compenser l’absence de magie, et ils avaient souvent eu affaire à des objets moldus trafiqués au Ministère, mais c’est la première qu’il se retrouve entouré de véritables technologies moldues, utilisées dans la vie de tous les jours et non pas exhibées comme des pièces de collection par un énergumène un peu fou. Erin semble pleine de surprises.
Manifestement, elle habite bien avec quelqu’un à en juger par les couleurs de Gryffondor qui viennent disputer l’espace au jaune et noir des blaireaux. Mais pour l’instant, personne n’est là en dehors du fauve miniature que la brigadière vient lui présenter. Un petit chat dont le nom délicat ne fait pas honneur à son tempérament. Damocles laisse échapper un rire en voyant les efforts du petit animal pour s’échapper, puis sa fuite furieuse pour aller se cacher sous un meuble, disparaissant aux regards en dehors de ses yeux brillants qui continuent de surveiller l’intrus qui accompagne sa maîtresse. Erin s’excuse avant de filer, le laissant seul dans la pièce. Damocles regarde autour de lui, à la fois curieux et intimidé par ce monde qu’il connaît à peine, n’osant toucher à rien par peur de provoquer une catastrophe. Quel contraste avec son appartement à lui, sobre et peu décoré. Manque de temps, manque d’envie, il n’avait jamais fait l’effort de le transformer en véritable chez-lui, persuadé de n’y rester que quelques mois encore, pour au final l’occuper pendant plusieurs années. Damocles fait quelques pas, s’habituant à l’atmosphère particulière de l’endroit. Malgré toutes ses bizarreries, la pièce est agréable et chaleureuse. Dans des cadres, deux fillettes et adolescentes lui sourient, et il reconnait la chevelure rousse d’Erin, immanquable. L’autre jeune fille, ça doit être la fameuse cousine. Il se rend compte qu’il n’a aucune idée de qui est Erin, il ne sait rien de sa famille. Il a bien connu un MacAllister à Poudlard, un Serdaigle aussi un peu plus jeune, mais il ne l’a jamais entendue mentionner de frère ou de cousin, et même Carol-Ann n’a jamais évoqué le sujet. Erin réapparait et il se détourne de la photo avec le désagréable sentiment de s’être immiscé dans l’intimité de sa collègue. Mais elle ne semble pas gênée le moins du monde, au contraire, et les tourments provoqués par la visite à Azkaban semblent enfin avoir disparus. Il se rapproche de la cuisine alors qu’elle lui propose à boire. « Je veux bien. La même chose que toi. » Il aurait bien demandé quelque chose de fort pour faire passer les souvenirs de cette journée détestable et se débarrasser de sa gêne, mais il laisse Erin mener la danse. Après tout, il est chez elle. Pendant qu’elle sert les boissons, il ne peut s’empêcher de regarder à nouveau les photos et de poser la question qui lui brûle les lèvres. Il désigne la seconde jeune fille qui pose à ses côtés. « C’est ta soeur ? » Il soupçonne que non, il pense que c’est la cousine. Mais s’il dit cousine, elle va lui demander comment il sait ça, et il va devoir parler de Carol-Ann, et elle va peut-être s’énerver. Et bien que la critique de Carol-Ann soit un sujet inépuisable et qu’il se surprend à apprécier, il n’est pas sûr d’avoir envie de parler d’elle immédiatement. Non, dire la soeur, c’est mieux.
À la sortie de Poudlard, tu t'étais un temps demandé où tu allais bien pouvoir vivre. Poursuivre tes études en vue d'intégrer les aurors allait te demander de longs mois – si ce n'est de longues années – de travail, sans revenu. Et rentrer chez tes parents était tout à fait exclu, après déjà six ans de silence absolu de part et d'autre. La solution, comme si souvent, était venue de ta grand-mère qui avait proposé de te financer le temps que tu sois en capacité de t'assumer. Vous n'avez jamais réussi à vous mettre d'accord sur les modalités, l'une y voyant un prêt, l'autre un don. Quoi qu'il en soit son offre t'avait permis d'envisager la location d'un petit appartement à Londres. Merlin, que cela allait être angoissant, le silence d'un logement vide après tant de nuits à supporter les ronflements de ta voisine de chambrée et les longs discours endormis d'une autre. Vivre seule t'effrayait, perspective peu réjouissante qui n'enthousiasmait pas davantage ta cousine. Et au fil d'une discussion, l'évidence s'était révélée : pourquoi ne pas s'installer ensemble ? Suite logique de votre complicité, votre colocation se déroulait sans accroc depuis maintenant dix ans. Oh, il y avait eu quelques périodes à vivre chacune de votre côté, lorsqu'elle s'était enfuie durant la guerre, traquée par les partisans de Celui-Dont-On-Ne-Doit-Pas-Prononcer-Le-Nom . Cette autre fois où elle s'était aventurée à s'installer avec son compagnon de l'époque. Mais toujours elle revenait à votre nid, où vos affaires respectives se côtoyaient dans un joyeux bazar. Où sorcellerie et technologie se mêlaient sans heurts, chacune trouvant sa place et son utilité dans votre quotidien. Quant à la décoration, c'était un mélange de cadeaux, de trouvailles et de souvenirs, sans aucune cohérence ni tentative de rendre l'ensemble esthétique. Non, le seul réel désaccord, si grave qu'il aurait pu sonner le glas de votre association, avait concerné la mise en avant de vos blasons respectifs... Trois terribles batailles avaient eu lieu, semant des paquets de rembourrage par dizaines, jusqu'à ce que vous déclariez une trêve : charge à vos possessions de se battre, vous ne toucheriez plus à rien. Alors chacune avait ensorcelé ses partisans et depuis, coussins, plaids, tasses et autres pins se tapaient dessus gaiement, s'enfermant dans les placards, se poussant sous les meubles avec pour unique objectif de devenir la couleur majoritaire. Vos seules interventions consistaient à réparer les victimes de cette guerre sans merci – collatérales ou non.
Ce soir, à ta grande satisfaction, le jaune et l'ébène ont bouté le rouge et or avec efficacité, toujours visibles, certes dans seulement les endroits les plus reculés et cette petite victoire suffit à te mettre du baume au cœur. D'un pas souple, tu t'avances vers la cuisine, ouvres le réfrigérateur en quête de quelque chose à servir à ton collègue. Après une seconde d'hésitation, tu attrapes une bouteille à l'orange brillant, la tournant vers Damocles pour lui en montrer l'étiquette. « Un jus de citrouille, ça t'irait ? » Tu n'as guère d'autre choix à lui proposer à vrai dire, à moins d'ouvrir les portes du petit bar confectionné dans le bas d'un placard. Tu adresses un sourire d'excuse à ton invité. « Après une journée pareille, je préfère éviter l'alcool mais si tu préfères... » Puisqu'il t'assure que ça lui convient, tu t'affaires à remplir vos deux verres généreusement. Toute à cette opération délicate – seuls ceux qui ne souffrent pas de maladresse chronique ignorent combien il est périlleux de procéder à ce genre d'action sans provoquer de catastrophe –, tu lui tournes le dos et ne remarques pas tout de suite l'attention qu'il porte à vos photos. Sa question te surprend et tu manques de laisser tomber la bouteille, mouvement de recul instinctif. Ta sœur ? Aucune photo de Loane n'est affichée dans l'appartement. Non qu'elle soit absente de tes pensées... Mais voir son visage évanescent te sourire derrière un cadre, figé pour l'éternité, la douleur te transperçait le cœur jour après jour. Les images s'en sont allées, dans le creux d'une boîte précieusement gardée, que tu ouvres de temps à autre. Ont laissé leur place à des souvenirs plus heureux. Des photographies d'Adele et toi, principalement. Ce sont elles qui ont attiré l'attention de Damocles, ainsi que tu le constates d'un coup d’œil par dessus ton épaule. Tu ranges la boisson, à gestes lents, le temps de reprendre contenance, avant de t'avancer vers lui, vos deux verres flottant devant toi. L'un s'arrête à sa portée, et tu t'empares de l'autre, ne jetant qu'un regard aux cadres avant de rejoindre le canapé, tes jambes repliées sous tes fesses.
« Non, c'est ma cousine, Adele. Enfin, Adelaide, mais personne ne l'appelle comme ça. Et ma colocataire. Elle bosse ce soir. » Tu sirotes une gorgée de jus, dont la fraîcheur coule avec délice le long de ta gorge, n'ajoutant aucune précision concernant sa méprise. Tu n'as pas du tout envie de parler de Loane, pas ce soir. Pas alors que son visage t'a hantée toute la journée durant, spectre aux traits déformés hurlant son désespoir dans le creux de ton oreille. Helga non, tu ne tiens vraiment pas à évoquer cette triste histoire. Mieux vaut évoquer des sujets plus légers, ne prêtant pas à conséquence. Morgane, mais lesquels ? Après toutes ces années de service au coude à coude, tu connais si mal Damocles et vous n'avez guère de points d'accroche, en dehors de votre mission du mois passé. L'idée n'est pas absurde... Sur une nouvelle gorgée, tu reprends la parole. « N'empêche... Je n'en reviens pas qu'on ait eu les félicitations du chef pour ce trafic de niffleurs ! Ok, on a failli se faire assassiner par l'équipe de régulation des créatures magiques mais vu comme tout ça avait commencer... On s'en est plutôt bien tirés ! » Un sourire léger vient illuminer ton visage. Sans doute n'est-ce pas très original de parler du travail entre collègues, mais l'épopée en question vaut mieux quelques commentaires !
Aussi loin qu’il se souvienne, il y avait peu de photos et portraits accrochés chez lui lorsqu’il était enfant. Ses parents, en particulier sa mère, abhorraient l’idée d’afficher ainsi des parcelles de la vie familiale aux yeux des inconnus de passages. Les quelques photographies qu’ils possédaient étaient bien soigneusement rangées à l’abri des regards indiscrets. Parmi elles, pas de scènes joyeuses et insouciantes capturées dans l’instant pour immortaliser un souvenir heureux. Il s’agissait uniquement de portraits familiaux mis en scène dans la plus grande austérité, car c’était là l’idée que se faisaient ses parents d’une famille forte et accomplie. Cela n’avait pas empêché le noyau familial d’éclater quelques années plus tard. Damocles songe amèrement qu’il est fort probable qu’il ne soit même plus sur ces photos à présent, chassé du cadre par la miniature de son père. A moins que son image n’ait décidé d’en partir d’elle-même. Peut-être que les choses auraient pu se passer différemment si les clichés qui dormaient chez eux ressemblaient davantage à ceux qui trônent chez Erin.
La brigadière s’affaire en cuisine pendant que Damocles se détourne des photos avec un soupir. Elle lui propose un jus de citrouille qu’il s’empresse d’accepter. Lui, c’est l’inverse. Plus la journée à été éprouvante, et plus les chances qu’il se retrouve devant un verre, attablé au pub du coin de la rue ou seul chez lui. Si ça ne l’aide pas à penser, au moins ça l’aide à dormir, et Merlin sait qu’il en a besoin dans ces cas là. Mais le jus de citrouille, ça lui va. Il ne pense pas en avoir bu depuis la fin de Poudlard et il est curieux de voir si le liquide orange qu’Erin s’applique à verser avec précautions a le même goût que dans ses souvenirs. La bouteille tressaille légèrement, et Damocles fronce les sourcils. Mouvement involontaire, ou bien sa question était-elle malvenue ? Peut-être qu’Erin n’a-t’elle pas apprécié qu’il fasse un commentaire sur les photos, mais dans ce cas là pourquoi les afficher là où tout le monde peut les voir. Mais lorsque sa collègue s’avance vers lui avec les jus de citrouille, rient ne transparaît sur son visage. Il s’est trompé, cela arrive. A force de travailler à la brigade, Damocles se demande parfois s’il n’a pas développé une tendance à sur-analyser tout ce qui l’entoure. Il se surprend souvent à chercher un sens caché dans des discours parfaitement innocents ou à tenter d’interpréter un geste tout à fait normal. Les bruits de couloirs et les chuchotements concernant sa famille qu’il avait pu surprendre au sein du Ministère n’avaient fait qu’exacerber ce sentiment, et la nouvelle de son second échec à l’examen des Aurors avaient été le point culminant de sa paranoïa. Jusqu’à ce que Moira Oakes lui remette calmement les idées ne place. Il n’avait parlé à personne de cette tentative, pas même à Erin qui pourtant aurait été bien placée pour comprendre la déception et toutes les émotions que cette nouvelle déconvenue lui avait apportées.
Damocles rejoint Erin, déterminé à se débarrasser de ce malaise qui l’habite. Il avait promis à Moira Oakes de se ressaisir et d’améliorer ses relations au sein de la brigade, et cela commence ici. Le voile est levé sur l’interrogation à propos de la cousine. Elle existe donc bel et bien, pour une fois les informations de Carol-Ann sont avérées. Pendant un instant, il imagine ce que serait sa vie s’il était resté proche de son frère comme lorsqu’ils étaient petits. Peut-être aurait-il aussi des photos à accrocher aux murs de chez lui. Damocles attend qu’Erin lui en dise plus sur sa cousine, mais la jeune femme semble s’être fermée comme une huître. Très bien, message reçu. La famille, sujet tabou, il ne peut que la comprendre. Il a parfois l’impression qu’aucune famille de ce monde ne fonctionne correctement. Partout ce n’est que disputes, conflits et désaccords, parents écartés, enfants déshérités, fratries écartelées. Et si le lien entre Erin et sa cousine est évident - la lutte silencieuse qu’oppose le coussin rouge et or au coussin jaune et noir ne dupe personne -, Damocles n’a pas vu de photos de parents. Où sont-ils ? Morts ? Ils sont si nombreux à avoir péri durant la guerre. Damocles prend une gorgée de son verre pour faire taire cette curiosité. La saveur du jus de citrouille lui chatouille le palais, et pendant un bref instant, il se revoit sur les bancs de la Grande Salle, dans un vestige de souvenir fugace mais bienvenu.
Erin prend la parole la première, à son grand soulagement. Il n’est pas doué pour la conversations et les mondanités, faisant rarement le premier pas lorsqu’il s’agit de prendre la parole. Il a toujours été bien meilleure oreille qu’orateur de toute façon. L’évocation de la mission catastrophique qu’ils ont effectuée quelques semaines auparavant lui arrache un sourire. Il s’en était fallu de peu pour que tout échoue, et même si quelques niffleurs avaient pris le large lors de l’intervention, attirant sur eux les foudres du service de régulation des créatures magiques, l’opération avait été un succès, même si à ses yeux, Erin avait effectué le plus gros du travail. « J’ai bien cru qu’on allait y passer à un moment ! On a eu beaucoup de chances, mais sans toi on aurait échoué avant même de commencer. Cette histoire de mariage, c’était bien trouvé. Ce n’est pas moi qui aurait pu trouver une idée aussi rapidement. » Malgré la cocasserie de la situation, il avait volontairement omis de l’inclure dans le rapport de la mission. Si par malheur l’information avait fuité, ils auraient été bons pour des semaines de railleries de la part de l’ensemble de leurs collègues, et c’est une situation qu’il n’est pas encore prêt à affronter. « Et ta transformation était vraiment réussi, malgré ce petit… accident à la fin. Je suis sûr que si tu retentais le concours d’Auror, tu le passerais haut la main, cette fois. » Il n’a jamais compris pourquoi Erin n’avait jamais voulu retenter sa chance. Peu nombreux sont ceux qui s’astreignent à affronter les cinq longues années de labeur acharné qui précèdent l’examen. Il a du mal à croire qu’elle ait baissé les bras à la première tentative, surtout à cause d’une simple erreur d’animagie, qu’elle maîtrise manifestement beaucoup mieux aujourd’hui.
Le jus de citrouille, c'est une valeur sûre. Un souvenir de temps heureux, de temps simples, où tes seules préoccupations étaient d'obtenir un E à ton prochain examen de sortilèges, de savoir si Mrs Pince accepterait que tu empruntes un seizième livre au lieu des quinze autorisés normalement, et accessoirement de réfléchir au meilleur moyen d'éviter d'avoir à rentrer chez tes parents aux prochaines vacances. Lorsque l'un ou l'autre de ces tracas prenait trop d'ampleur, il te suffisait de te glisser dans la Grande Salle où les pichets étaient légion, et de savourer la douceur à peine sucrée du jus frais sur ta langue. Avec en bonus, la satisfaction non négligeable d'imaginer la moue plissée de ta mère face à ce qu'elle considérerait certainement comme un écart alimentaire majeur. Merlin, ce que tu avais pu compenser en arrivant à Poudlard... Oubliés les portions trop frugales, l'eau pour seule boisson et les sermons interminables au moindre biscuit grignoté. À toi les festins, les plats par dizaines, les trois parts de dessert et le jus de citrouille à volonté. Avec le recul, tu réalises que tu as eu de la chance, devant cette profusion sans t’astreindre au moindre effort physique, de ne pas prendre trop de kilos. Bien qu'assagi, ton amour de la nourriture a persisté au fil des années sans trop peser sur tes hanches. Et du jus de citrouille, devenu un incontournable de votre frigo.
Confortablement installée dans le canapé, ton verre à la main, tu sens s'alléger la tension de tes épaules. Et comme pour s'assurer de ton confort, un plaid des Blaireaux s'extirpe du fauteuil voisin pour venir couvrir tes jambes, diffusant une température idéale à travers ton leggings. Dans son sillage, les deux coussins libérés de son étreinte accourent vers Damocles, sautant sur ses genoux pour y entamer un nouveau combat en vue de savoir qui aura l'immense honneur de mettre ton invité à l'aise. Difficile de dire ce qui est le plus drôle : les voir se battre à grands coups de rembourrage – un spectacle dont tu ne te lasses pas – ou la mine surprise de ton collègue. Toujours est-il qu'un irrésistible fou rire secoue ta poitrine, résonnant clair dans l'appartement. Tu adresses un sourire d'excuse au brigadier. « Je suis désolée, ils deviennent comme fous lorsqu'ils ne savent pas à qui ils ont à faire. Je peux lever l'enchantement... » Des yeux, tu cherches ta baguette, poussant un soupir de flemme en l'apercevant abandonnée dans la cuisine. Tu es si bien installée... Tant pis, tu te lèveras s'il le faut. Mais auparavant, autant tenter une approche plus diplomatique. « Ils devraient se calmer si tu en choisis un. Je ne sais plus dans quelle maison tu étais... Serdaigle, non ? » Comme Sebastian et Loane, ta fratrie semblant avoir une certaine appétence pour la connaissance. La seule mention d'une autre rivale semble figer net les deux coussins, qui se tournent vers lui, bombant avantageusement leurs ventres aux armoiries brodées. « Maintenant qu'ils savent que tu n'appartiens à aucun des deux camps, ils ne devraient plus t'embêter. Tu peux même les virer tous les deux, s'ils te gênent. »
Cet interlude terminé, le fil de la discussion t'a échappé et il te faut quelques secondes pour te souvenir de ce dont vous parliez. La mission ! Douce Helga, vous étiez bien mal engagés... Jamais encore tu n'avais eu à plonger tête la première dans une situation aussi périlleuse, avec aussi peu de préparation. Malheureusement, vous n'aviez aucune preuve pour incriminer Carol-Ann – les feuillets égarés pourraient tout aussi bien avoir été omis par Damocles, comme tu pourrais simplement les avoir manqués – mais vos regards noirs le lendemain matin avaient bien fait comprendre à la concernée que vous n'étiez pas dupes de sa part de responsabilité dans le quasi-fiasco de la veille. Tant et si bien qu'elle n'avait quasiment pas ouvert la bouche de la journée ce qui prouvait, plus que toute autre chose, sa culpabilité. Vous aviez eu de la chance que ton binôme soit un duelliste hors pair, sans quoi... Ses compliments te font lever des yeux interrogateurs et tu hausses les épaules, peu convaincue. « Tu parles, c'était surtout une idée ridicule et a bien failli mal tourner ! Heureusement surtout que tu excelles en duel. Je me suis contentée de nous faire gagner du temps, c'est toi qui as fait tout le reste. » Aucune amertume dans ce constat, tu connais tes points forts et tes limites. Distraire, espionner, jouer la montre ou assurer votre protection – tu n'es d'ailleurs pas peu fière de la résistance de ton Protego maxima – sont bien plus dans tes cordes que l'attaque frontale qu'il maîtrise si bien. Ce qui vous a rendus particulièrement complémentaires ce soir-là. Quant à ta transformation... Tu souffles à l'évocation de cet indicent de parcours qui ne cesse de te préoccuper. Un jour prochain, il faudra vraiment que tu prennes le temps d'affiner ta maîtrise de l'Animagie pour éviter que ces loupés ne surviennent encore. Ton haussement d'épaules montre bien ta frustration tandis que tu reprends une gorgée de jus. « Réussie... Façon de parler. Enfin, ça aura été efficace, au moins ! Je n'avais encore jamais vu quelqu'un paniquer autant devant un écureuil... » Tu roules des yeux amusés au souvenir du cri perçant venu percer vos tympans avant que le malfrat ne file ventre à terre. Mais il est peu probable que tes transformations approximatives parviennent à convaincre le jury exigeant du concours. La conversation n'est pas sans te rappeler les échanges avec Moira Oaks, quelques semaines plus tôt. Tu avais craint un instant qu'elle ne t'ait convoquée que pour te parler de cet échec, te pousser à le dépasser... Mais sa proposition était d'un ordre bien différent. Bien plus dangereux. Distraitement, tes doigts passent et repassent sur le plaid, dessinant des motifs abstraits à rebrousse-poil. « Peut-être... Je ne sais pas. Ce n'est pas spécialement à l'ordre du jour, de toute façon. » La mort de Loane, la fin de la guerre, Neil... tant de choses ont rendu caduque cette ambition. Quelques mois plus tôt, tu t'interrogerais davantage sur un total changement de carrière. Mais l'accord passé avec Moira a de nouveau bouleversé la donne. Et pour mener à bien la mission qu'elle t'a confiée, les ombres de la Brigade te seront bien plus utiles que l'auréole de gloire qui entoure les Aurors. Cela dit, tu n'es pas la seule à avoir enduré cet échec, et si les rumeurs sont vraies – émanant de Carol-Ann, elles le sont certainement ! – Damocles s'est montré bien plus tenace et persévérant. Tes yeux reviennent à lui, curieux. « Tu as retenté, toi ? » Le ton n'est pas tout à fait innocent, tu sais que oui. Sans connaître les détails, ni les raisons de son insuccès.