Tu te sens bien. Très bien, trop bien. Les brumes du sommeil occultent ton esprit, et tu bouges à peine pour te caler un peu mieux près de la source de chaleur qui t’environne. Ta première pensée est que tu devrais t’accorder le luxe de t’amuser en club un peu plus souvent si cela peut te permettre de te sentir aussi bien dans ton lit au petit matin. Tu sens sur ta taille un poids, infime. Aligheri serait plus lourd, ce n’est donc pas ton chaton. Tu tends une main, paresseusement, la glisse sous les draps et tâtonne. Un bras. Une main. Tes yeux s’ouvrent vivement alors que reviennent dans ta mémoire le détail de ta soirée et les sensations qui t’ont fait perdre pied. Tu tends le cou, regarde par dessus ton épaule et découvre à tes côtés, enveloppé dans des draps soyeux, Djouqed. Ses bijoux d’or encore sur le corps, ses colliers accrochés à sa nuque, ses piercings luisant dans les ténèbres. Il semble tranquille, serein. Endormi, il dégage autre chose que le charisme animal qui t’a tant fasciné lorsqu’il est venu t’aborder dans se bar. Il paraît plus doux, plus innocent. Et ses mains reposent sur ton corps dans une tendre étreinte qui ne fait que te rappeler toutes celles de la nuit précédente.
Tu n’oses pas bouger. Tu as peur de le réveiller, alors tu scrutes prudemment les environs. Tu fouilles la pièce du regard et remarque ta veste suspendue à un cintre où dort ta baguette. Il paraît loin, ce cintre, et la route est semée d’embûches. Vos vêtements, à Djouqed et toi forment une allée de l’entrée de la pièce jusqu’au lit. Pêle-mêles tu vois sa chemise noire enlacer ta chemise. Le noir et le blanc mêlés l’un à l’autre tout comme vos corps se sont mêlés l’un à l’autre. Un long frisson te parcoure l’échine. Ton corps se réveille, et avec lui reviennent les vestiges de l’extase de la nuit passée. Tu sens tes muscles endoloris de s’être trop arqués sous les assauts de ton amant, tu sens le froissement de l’oreiller mettre à vif l’endroit de ta gorge que Djouqed s’est appliqué à marquer dans l’extase, et tu sentirais presque encore le fantôme de son membre entre tes cuisses. Tu piques un fard. Un vrai. De ceux qui te colorent les joues en rouge et parent de vermeille tes oreilles. Tu n’arrives pas à chasser de ton esprit les souvenirs de la nuit, et tu n’arrives pas à prendre ton courage à deux mains pour quitter la chaleur réconfortante des bras de ton amant.
Tu sais déjà que cela ne va pas être facile. Mais c’est un moldu. Il ne doit pas savoir. Tu ne peux pas lui laisser savoir que le monde de la magie existe. Et c’est un homme. Que dirait ta famille si tu ramenait un homme à la maison ? Un homme, on ne l’épouse pas. Un homme, on n’a pas d’enfant avec. Un homme, on n’est pas censé coucher avec non plus. Ton coeur se met à battre vivement dans ta poitrine, et tu sens la panique monter en toi à mesure que tu réalises ce que tu as commis. Au loin, les klaxons retentissent brièvement. Un filet de lumière bleuté filtre par la fenêtre. Il doit être tôt, encore. C’est le moment de rentrer, le moment de ranger précieusement cette expérience dans ton crâne, et le moment d’accepter cette histoire pour ce qu’elle a été : un coup de folie. Un coup de folie inoubliable, mais qui ne peut pas être répété.
Tu es attentif à ne pas le réveiller. Tu dois agir vite. Tu as déjà en tête les deux sortilèges que tu veux lancer : un oubliettes puis un somnus. Il se réveillera désorienté, dans une chambre vide où il ne reste aucune trace de vos ébats. Il se demandera, sans doute, avec qui il a pu baiser mais il y a bien peu de chance pour qu’il te retrouve. C’est à regret que tu te met en mouvement et que tu te glisses hors du lit. La fraîcheur matinale te fouette la peau, et tu grimaces en frissonnant. Tu ne t’embarrasses pas de te vêtir, tu pourras le faire une fois que tu te seras occupé du moldu. Tu files, à pas de loup, jusqu’à ta veste. Tu fouilles dans tes poches et en tire ta précieuse baguette. Même si ton père est un Choriste Céleste, il a tenu à te faire apprendre la magie à Poudlard, et tu as pu te familiariser là bas avec l’instrument. Tu sais que la maîtrise de ta voix t’aide dans tes enchantements, mais pour ne pas le réveiller, tu ne pourras pas vraiment compter là dessus. Un murmure, et puis c’est tout. Tu t’approches du lit, baguette à la main, en grelottant. Tu te dit avec amusement qu’un amant qui s’approche du lit, à poil, pour oublietter le moldu qui en savait trop, ça aurait sûrement été très classe dans un film s’il n’avait pas fait aussi froid…
Tu observes Djouqed, son visage à demi-dissimulé dans les draps, son profil altier. Tu vois ses omoplates se dissoudre dans la soie noire et sa peau briller sous la lueur de l’aurore. C’est un gâchi immense, ce que tu es obligé de faire, tu le sens. Tu sens ton coeur battre plus fort, plus vite tandis que tes yeux dévorent le peu de peau exposé d’entre les draps. Tu ne peux pas nier ton attirance pour cet homme, tu ne peux pas nier qu’il t’ait fasciné au premier coup d’oeil. Tu es le sorcier, ici, comme il serait facile de l’oublietter et de le re-séduire à intervalles réguliers lorsque tu as besoin d’un exutoire ? Qu’est-ce qui t’en empêcherai ? Dieu. Voilà ce qui t’en empêche. La morale, ton sens moral. Tu sais que ton père ne sera déjà pas jouasse s’il croit que tu as découché pour une jeune femme, alors pour un homme ? Que dira-t-il quand il saura que son fils a écarté les jambes pour un homme comme l’aurait fait une femme ? Que dira-t-il quand il saura qu’il a supplié cet homme de le prendre. Deux fois. Trois fois. Quelle ligne de défense pourra-t-il utiliser pour sauver son cas de la colère de Dieu et des siens ?
Non, il faut se rendre à l’évidence, maintenant que la froide raison frappe à ta tête. Cette rencontre était une expérience unique qui ne doit certainement pas se reproduire. Alors tu lèves le bras, et tu te prépare. Tu approches la baguette de la tempe de ton amant et t'’apprête à lancer le premier des deux sortilèges.
Son rêve mène Djouqed sur les bords du Nil. Il contemple, les pieds dans l’eau, l’horizon où miroite un soleil couchant. Il marche, les poissons frôlent ses chevilles. Un bras du Nil loin de tout, loin de l’empreinte des hommes, loin des tentatives de canalisation dont il fait l’objet. Un bras du Nil où les berges sont douces, où l’air est sec et où les bosquets de papyrus jaillissent des fonds argileux. Ses chevilles ornées de bracelets en or s’enfoncent dans le limon meuble, les algues se referment sur sa peau, la caresse tandis que le soleil échauffe son torse nu. Il marche. Comme les pharaons avant lui, comme les grands hommes de ce monde. Il marche jusqu’à ce que les flots ne le prennent par la taille. Les remous tièdes lui rafraichissent le corps et collent l’ample pantalon resserré aux chevilles qu’il porte. Le tissu se moule sur ses cuisses, et ceux qui l’observent sur la berge n’ignorent pas qu’ils voient un Dieu fouler le sol du Caire. Il plonge la main dans l’eau, Djouqed, et attrape une paume blanche qu’il ramène vers lui. Le Nil enfante pour lui le corps pur et nu d’Uriel. Et il sort de l’eau, son ange, il le regarde avec ces grands yeux pâles si prompts à faire vaciller toutes les nefs qui croisent sur le Nil. Il approche le bras de la taille de son amant, l’attire à lui, le sent se débattre. Infime mouvement. Et le rêve se délite.
Djouqed papillonne des yeux et sent plus qu’il ne la voit la main d’Uriel soulever doucement la sienne de sa taille, et ce dos laiteux s’éloigner de lui. Il voit Uriel s’asseoir sur le bord du lit et referme les yeux, ses sens à l’affût. Il guette. Il veut savoir ce que le jeune homme s’apprête à faire. Il entend un pas, un deuxième, feutrés, légers. Il entrouvre un œil rapidement et voit la silhouette nue de son amant se découper dans la pénombre sous la lumière crue d’un réverbère encore allumé. Il voit cette peau, cette silhouette, cette taille haute, ces jambes longues. Et il esquisse un sourire au souvenir de toutes les choses délicieuses qu’il a fait subir à ce corps là. Il s’attend à ce qu’Uriel ramasse ses vêtements pour s’en aller, mais il ne semble rien en faire, alors Djouqed observe, les yeux mi-clos, et les referme tout à fait lorsqu’il voit Uriel fouiller dans sa veste. Que peut-il y chercher ?
Il écoute, Djouqed, il se prépare. Il sent que quelque chose est sur le point d’arriver. Il remonte lentement une jambe qu’il ploie sous l’autre pour avoir un appui pour mieux bondir hors du lit, il défait son bras de sous l’oreiller, un peu, juste un peu pour pouvoir agripper le coussin et le balancer à la tête de ce qu’il pressent être son agresseur. Il se concentre, Djouqed, il guette. La moindre étincelle de magie. Il hume l’air et son tatouage le pique. Il sent l’adrénaline pulser dans son sang, il sent l’extase de la chasse monter en lui. Quelque chose va survenir. Il le sent. Il le sait. Uriel est derrière lui. Il entend son souffle. Il s’est immobilisé, il n’y a plus de pas. Il entend la voix d’Uriel caresser son échine une dernière fois dans le silence.
« Désolé, Djouqed. C'est mieux comme ça. »
Son esprit s’emballe, et l’Euthanatos reprend le dessus. Les réflexes plus que la réflexion guident son geste. Tandis qu’Uriel commence sa formule, Djouqed se retourne et agrippe la baguette d’Uriel de la main gauche et tire. Par surprise, peut-être, ou par réflexe, il sent Uriel se crisper sur la baguette avant qu’elle ne lui échappe des mains. Le bout de bois tombe sur le sol tandis que Djouqed tend la paume droite vers Uriel. Son tatouage Euthanatos pulse. Le corps d’Uriel est poussé en avant, jusqu’au lit. Djouqed profite qu’il titube pour l’agripper et l’attirer dans le lit. Le bassin encore entortillé dans le drap, il n’a pas la liberté de mouvement qu’il escompte pour immobiliser son amant, mais il en a bien assez pour le plaquer, ventre contre le matelas, dans le lit et immobiliser son torse de tout son poids. Il lui faut quelques secondes pour se repasser la liste des sortilèges hermétiques qu’il connaît, qu’est-ce qui commence par « oub » ? Il réfléchit un bref instant, en profite pour se dégager des draps et raffermir sa prise sur Uriel avant de lui susurrer à l’oreille :
« Un sortilège d’aménsie, vraiment ? »
En temps normal, il aurait déjà répliqué mortellement. Mais Uriel est sous lui, plaqué contre le matelas, et il est nu. Aucune dague dissimulée, aucune arme coincée dans une botte. Il est à sa merci, et il ne semble pas bien dangereux. Alors Djouqed s’amuse de la situation. Couché par dessus Uriel, il a plaqué son torse contre son dos, une main puissante s’est abattue sur la nuque du jeune homme pour le maintenir en place, joue contre le matelas. Maintenant qu’il a dégagé ses jambes des draps, il peut chevaucher son amant, non pas pour l’envoyer au septième ciel mais bien pour rendre toute résistance bien plus difficile. Sa main libre, tatouée par rituel de sang, glisse sur la peau de son amant, effleurent sa hanche, remonte le long de son torse, s’infiltre entre le matelas et le corps d’Uriel pour y semer une caresse légère, taquine.
« Pourquoi ? »
L’inquisition peut commencer. Il veut ses réponses, Djouqed. Il est vigilant. Uriel est lui sont sur un pied d’égalité dans un domaine, au moins : ils sont tous les deux dévêtus et n’ont aucune arme à portée. Aucune autre arme que leur magie, et Djouqed doute qu’un garçon aussi jeune puisse se passer de focus pour pratiquer ses sorts. Il est donc raisonnable de penser Uriel désarmé, sous lui, à sa merci. Il ne veut pas parier, pourtant. Des hommes, il en a tué à mains nues, et s’il est redoutable armé, il l’est aussi avec son seul tatouage pour épée et bouclier. Mais il ne doute pas que son amant a une bonne explication. L’amusement qu’il lui inspire est une faiblesse. Djouqed le sait. Il le sous-estime peut-être. Mais son coeur est captif, et il sait manquer de discernement. Son métier voudrait qu’il ait déjà brisé la nuque de son bel Adonis.
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PS : dis-moi si ça te va, surtout, je ne veux pas que tu aies l'impression que je te force la main. Je peux éditer si tu trouves que je prends trop de libertés avec Uriel
Tu ne l’as pas vue venir celle là. Tu as armé ton bras, prêt à lancer le sortilège, tu vises la tête, tu ouvres la bouche et commence la formule. Et puis il bouge, agile et vif comme un serpent. En une fraction de seconde, il agrippe ta baguette, t’attire à lui et te maîtrise. Tu te retrouves, à plat ventre sur le lit, les pieds dans le vide, un poids t’écrasant le dos et la colonne vertébrale. Tu suffoques, tu halètes de surprise. Tu sens les piercings de Djouqed s’enfoncer dans ton dos, le long de tes omoplates. Tu lâches un gémissement, et tu le sens rajuster sa position au dessus de toi. La masse qui t’écrasait s’allège un peu, s’équilibre. La douleur s’efface. Tu sens une paume de fer s’abattre sur ton crâne, ta nuque, ta joue. Ton visage s’enfonce dans le matelas et tu prends une grande bouffée, soudainement terrorisé. Tu ne l’as pas vue venir du tout. Tu n’avais jamais vu quelqu’un être aussi vif. Tu n’avais jamais vu quelqu’un bondir comme ça, avoir une telle économie dans ses mouvements, une telle précision. Tu sens sa force, tu sens la puissance irradier de son être. Tu découvres, à la dure, une autre facette de l’homme qui était un amant si attentionné cette nuit. Ses gestes ont perdu de leur douceur pour devenir implacables. Et tu as peur. Tu crèves de peur.
Sa voix te parvient, elle te fait frissonner tout entier, non pas de plaisir mais de terreur. Toi qui aimais entendre cette voix au coeur de la nuit, tu la redoutes, désormais. Elle est différente, toute aussi suave, mais ses accents te tranchent les tympans, comme un couteau si affûté qu’il pourrait découper ton esprit. Tu as toujours été très sensible aux voix. C’est ton focus de coeur, même si tu le maîtrises moins bien que la baguette. Alors lorsque Djouqed se contente d’une petite pique sur le sortilège d’amnésie, tu comprends immédiatement deux choses. Ce n’est pas un moldu, d’une part… Et c’est un sorcier dangereux d’autre part. Ses réflexes ne sont pas ceux d’un homme normal, ce ne sont pas ceux d’un gars lambda qui a juste pris quelques cours de self défense. Tu balbuties, la voix à moitié étouffée par le matelas.
– Mais… je croyais que tu étais un moldu !
Tu le sens réajuster sa position, t’enjamber. Ta peau se réchauffe à son contact, et malgré la poigne de fer dont il fait preuve en t’épinglant sur ce lit comme une vulgaire araignée, tu ne peux pas t’empêcher de sentir le feu te monter aux joues. Bordel ! Tu essaies de raisonner ton cerveau pendant que des images de la nuit passée flashent dans ta tête. Tu ne vas quand même pas t’exciter alors qu’il pourrait te tuer ? Mais la peur te fait manifestement réagir de façon inconsciente, puisque tu sens une partie jusqu’alors endormie de ton anatomie se réveiller en l’entendant te demander pourquoi tu as fait ça. La prise sur ta nuque s’accentue un peu, légèrement, très légèrement. En revanche, le ballet de son autre main t’envoie des décharges dans tout le corps. Comment veux-tu te concentrer s’il te touche comme ça ? Tu préfères cependant éviter de lui faire la remarque, éviter de lui donner une nouvelle raison de te tuer.
– Écoute, je pensais que tu étais moldu, et je ne voulais pas risquer de lâcher le secret de l’existence du monde de la magie. On s'est rencontrés dans une boite de nuit moldue, dans le Londres Moldu... n'importe qui serait arrivé à la même conclusion ! Donc je penser te faire oublier la soirée pour que tu ne cherches pas à reprendre contact et que tu ne finisses pas par savoir que je suis un sorcier, parce que ça fout toujours un bordel monumental ce genre d'histoire... Comment voulais-tu que je sache que tu es un sorcier ? Je ne t’ai pas vu avec une baguette quand je t’ai…
Tu ne finis pas ta phrase. « quand je t’ai déshabillé ». A la place, tu as le feu aux joues et tu te racles la gorge, toujours entravé par le corps de Djouqed jeté sur le tien. Tu dois être suicidaire. Tu essayes de faire coïncider tout ce que tu sais de ton amant avec ce qui est en train de se passer. Il n’a pas utilisé de baguette magique, tu as été déséquilibré par son geste, et tu t’es retrouvé en mauvaise posture. Il a un petit accent. Des tatouages. Des piercings. Et la façon dont il t’a ravi toute la nuit. Tu ne connais pas les euthanatoi, tu n’y as jamais été confronté, et ce n’est pas une tradition qui te parle. Tu sais leur nom, c’est tout. Rien de plus. Et c’est surtout parce qu’elle a fait la une dans les journaux dernièrement. Tu ne connais rien au Culte de l’Extase non plus. Toi, tout ce que tu connais, c’est l’Ordre d’Hermès et le Choeur Céleste. L’un par ta mère et Poudlard. L’autre par ton père. Ton vrai père, Pas Malefoy.
Alors tu lui poses la question, de but en blanc. Tu sais que c’est aussi indélicat que de lui demander s’il est vierge ou s’il aime l’exhibitionnisme. Tu sais que c’est aussi grossier que de lui demander son orientation sexuelle, son appartenance religieuse, ses convictions politiques ou bien le nombre des partenaires qu’il a fait trembler sous ses doigts dans de folles nuits d’extase. Mais tu es curieux. Le choixpeau aurait pu t’envoyer à Serdaigle, il y a sans doute pensé, d’ailleurs, mais c’était compter sans ta redoutable aptitude à te sortir des mauvais pas avec ton joli minois et ta douce voix. Tu es curieux, et tu veux savoir. Alors tu prends ta plus belle voix, tu bats un peu des cils et tu essaies de capter son regard du coin de l’oeil. Tu remues un peu sous sa prise pour essayer de le voir, et tu espères qu’il te relâchera.
– A quelle tradition appartiens-tu ?
Quitte à mourir, autant mourir tout de suite en obtenant la réponse à une question plus essentielle encore que de savoir le plus grand secret de l’univers. Et en plus, avec un peu de chance, il te laissera te redresser, parce que tu commences à avoir franchement mal à la nuque, tordu comme ça sous son poids.
Djouqed a entendu beaucoup d’excuses au cours de sa vie. Beaucoup de suppliques aussi. De la part de ceux qui trouvent qu’il est trop tôt pour eux, qu’ils ne méritent pas la mort dont la grande Faucheuse vient les honorer. Il a entendu de tout. Des vertes, des pas mûres. De fiers guerriers réduits à l’état de suppliciés, des mères plus fières que leurs époux, des enfants plus braves que leurs parents. Il a tout vu, tout entendu, sauf ce qu’Uriel a à lui dire avec une naïveté tellement déconcertante qu’il se fige.
« Mais… je croyais que tu étais un moldu ! »
Il cherche la duplicité, Uriel, raffermit sa prise sur le jeune homme, comprime sa taille entre ses genoux glissés le long de son corps. Il lui maintient la nuque, lui plaque le corps à terre, prêt à attaquer. Il est penché sur cette peau pâle, Djouqed, en position de force, il le sait. Il a le contrôle, il a le pouvoir, et il tirera au clair toute cette histoire, il en fait le serment. Alors il attend, il guette, il s’assure de ne laisser aucune échappatoire à sa tendre proie et il écoute avec effarement la suite de ses explications.
« Écoute, je pensais que tu étais moldu, et je ne voulais pas risquer de lâcher le secret de l’existence du monde de la magie. On s'est rencontrés dans une boite de nuit moldue, dans le Londres Moldu... n'importe qui serait arrivé à la même conclusion ! Donc je penser te faire oublier la soirée pour que tu ne cherches pas à reprendre contact et que tu ne finisses pas par savoir que je suis un sorcier, parce que ça fout toujours un bordel monumental ce genre d'histoire... Comment voulais-tu que je sache que tu es un sorcier ? Je ne t’ai pas vu avec une baguette quand je t’ai… »
C’en est trop pour Djouqed, il lâche un sourire, puis un pouffement. Il se retient de rire. C’est difficile, si difficile de ne pas éclater de rire devant une telle excuse. Quand le garçon a-t-il cru que ce serait une bonne idée ? Il n’arrive pas à comprendre ce qui est passé par la tête du gamin. Si on veut s’envoyer en l’air avec un gars dépourvu de pouvoirs magiques, on le fait, et on oublie de lui donner son numéro ensuite… Pourquoi vouloir lui effacer la mémoire ? A moins… à moins que ce ne soit pour une autre raison. Uriel a-t-il voulu enterrer leur relation avant même qu’elle ne bourgeonne ? Pourquoi ? Qu’est-ce qui peut bien lui passer par la tête ? Djouqed a toujours aimé élucider des mystères, décrypter des puzzles. Celui qu’il a entre les cuisses vient de devenir infiniment plus fascinant en quelques secondes à peine. Alors il relâche imperceptiblement sa prise. Il sent Uriel remuer, manifestement d’inconfort. Pourtant, il veut lui faire peur, encore un peu, un tout petit peu avant de le réconforter. Il veut savoir s’il pourra goûter cet humour macabre qui caractérise les siens ou s’il se fera avaler tout cru à la première rencontre avec ses épouses.
Et puis il entend la question. La question. Celle qui ne sort de nulle part, ou presque. Celle qu’il n’espérait pas. Qui lui retourne l’estomac d’une drôle de sensation entre le contentement et l’envie furieuse d’embrasser le jeune homme. Entre l’amusement et l’adoration.
« A quelle tradition appartiens-tu ? »
C’est à ce moment là qu’il relâche sa prise sur le corps d’Uriel et le libère de son étreinte. Il sent monter en lui une euphorie irrepressible, une envie de rire incontrôlable. Peut-être est-ce l’adrénaline de l’attaque qui s’évapore, l’incongruité de toute cette situation, ou la présence enivrante de son amant contre lui après leurs folles étreintes de la nuit. Il attrape son oreiller, le cale contre la tête de lit et s’adosse, incapable de se contrôler plus longtemps. Il éclate de rire. Complètement, parfaitement hilare. Sa poitrine se soulève à grand peine, tandis qu’il regarde Uriel en tentant de reprendre son souffle. Peine perdue. Son rire tinte de plus belle jusqu’à ce qu’il attrape Uriel pour le lover dans ses bras, tout contre son coeur. Il l’entoure de ses paumes, caresse la nuque qu’il a rudoyée avec tendresse et perd ses lèvres dans la tignasse de son amant.
« Mais qu’est-ce qu’on va faire de toi ? Par Horus, c’est le plan le plus stupide que j’ai entendu de ma vie ! »
Il ne peut s’empêcher de laisser s’échapper quelques notes de rire, encore.
« Pourquoi vouloir rendre amnésique ton partenaire quand tu peux te contenter de partir en catimini, Uriel ? De quoi as-tu peur ? »
Il plonge ses yeux dans les iris pâles de son amant, un sourire aux lèvres, effleure la joue d’Uriel du bout des doigts. Un éclat d’or captive un bref instant son regard. Il a, autour de la phalange, un de ses anneaux fétiches, acheté il y a des années de cela à un artisan joaillier du Caire. Ouroboros. Le serpent se mord la queue. Il a plusieurs variations de ce motif sur des bijoux. L’anneau est fin, léger, parfait. Sa voix a prix un ton étrange, détaché.
« Que crains-tu ? Redoutes-tu que je puisse désirer te revoir ? Si tel est le cas, je me dois de confirmer tes craintes. Je veux te revoir, Uriel, je veux te découvrir, te connaître. Ce n’est pas tous les jours que l’on croise un hermétique qui a ne serait-ce que connaissance de l’existence d’un monde en dehors de sa tradition. »
Son coeur tremble, sa paume aussi. Il défait avec douceur la bague de son doigt et prend la main gauche d’Uriel, effleure ses doigts, choisi le majeur pour y glisser l’anneau, un sourire aux lèvres. Il n’a que peu de doute sur la symbolique de son geste, et sous la façade tranquille qu’il affiche, il craint, en réalité, le rejet. Il se met à nu, Djouqed, non seulement de corps mais aussi d’âme. Et il fait preuve d’un effronté courage pour oser affronter l’éventualité de la fuite de son ange tombé des cieux. Il lui souffle sa question, glisse sa paume contre celle de son amant, s’enivre se sentir sa bague au doigt d’Uriel. Un gage d’amour. Une marque glissée sur son corps. Une autre. Plus durable que celle que ses lèvres ont laissé sur sa gorge.
« Et toi ? Voudrais-tu me revoir ? Voudrais-tu que je réponde à ta question sur les miens, ou préfèrerais-tu que je te montre, exactement, ce que sont les euthanatoi ? »
Tu t’attends à mourir d’une seconde à l’autre. Tu ne sais pas pourquoi, mais depuis que tu as vu Djouqed déjouer ta tentative d’oubliettes surprise, tu n’arrives plus à le voir de la même façon. Il y a quelque chose d’effrayant chez lui. Une part sombre, dangereuse. Il est accoutumé à se défendre, tu le sens. De toute façon, épinglé au matelas comme un vulgaire insecte, coincé entre ton assaillant et les draps, tu n’es pas tellement en position de contre-attaquer, surtout avec cette prise, ce grand battoir qu’est sa main qu’il a abattu sur ta nuque pour te tenir en place. Tu te sens comme un chaton fautif attrapé par la peau du cou comme une maman chat. Ou comme un forçat immobilisé par les forces de l’ordre prêt à être jeté en prison. Ou comme la future victime d’un meurtre. Il te questionne, tu lui réponds. Tu as la présence d’esprit de ne pas te débattre. Tu n’y arriverais pas, de toute façon, tu es mort de trouille et tu sens la panique te monter dans l’estomac. Tu as du mal à respirer, tu sens ta dernière heure arriver. Un sifflement violent résonne dans tes oreilles et tu sais que tu dois être pâle comme un linge. Tu essaies de voir Djouqed du coin de l’oeil. Tu as mal, il bloque ta nuque, tu pourrais entendre tes cervicales hurler leur mécontentement.
Alors tu parles. Tu balbuties, tu réponds à ses questions. Tu espères un sursis à ta fin prochaine. Tu as peur, c’est déraisonnable ce qu’il t’arrive. Tu ne sais pas qui est cet homme, après tout. Ça a été une folie de bout en bout que de te perdre dans ses bras. Tu ignores tout de lui et tu t’es peut-être offert au nouvel Éventreur de Londres. Ce n’est pas un Oubliettes que tu aurais dû avoir sur le bout de la langue, en fin de compte. Tu es trop effrayé pour utiliser ta voix. Tu sais que tu n’as aucune maîtrise sur tes cordes vocales. Et tu as beau essayer de respirer lentement pour regagner un peu de contenance, tu n’y arrives pas. Tu crains pour ta vie comme tu n’as jamais crains auparavant.
Et finalement, la pression sur ton corps disparaît. Tu te redresses, hébété. Tu vois Djouqued à côté de toi se caler contre la tête de lit et finalement éclater de rire. Tu te masses la nuque endolorie sans comprendre ce qui te vaut un tel retournement de situation. Tu le regardes, perdu, incapable de saisir la cause de son hilarité. Tu fronces les sourcils jusqu’à ce qu’il tende un bras pour t’inviter à le rejoindre. Tu cales à ton tour un oreiller et t’installe à côté de lui, confus. Tu sens sa main sur ta nuque, entends sa voix grave entre deux éclats de rire qui, malgré l’étrangeté de la situation, t’arrachent un frisson.
Et il accroche ton regard, te contemple avec une telle intensité que tu oublies, pendant quelques instants, ce qui a failli t’arriver. Sa voix t’apaise, te réchauffe, et ses caresses te font sentir que le danger est passé. Mais danger il y a eu, et la force hypnotique qui t’attire chez lui cesse de faire effet lorsqu’il te demande de quoi tu as peur. De quoi as-tu peur ? De rien, visiblement, si même après avoir manqué d’y passer, tu ne t’enfuis pas de la chambre. Tu veux lui répondre, mais ses gestes te captivent. Tu le vois lever la main, et défaire une de ses bagues. Un serpent d’or, tu l’as senti à maintes reprises sur ton corps cette nuit, cet anneau. Tu le vois le contempler, prendre ta main. Ton coeur bat férocement dans ta poitrine lorsqu’il te dit vouloir te revoir. Tu ne peux pas te mentir, toi aussi tu veux le revoir. Il caresse ta paume, file vers ton majeur et y glisse l’anneau encore chaud d’avoir enserré son doigt si longtemps. Peut-être est-ce la symbolique toute maritale du geste, tu ne saurais dire, mais le voir faire te fait chaud au coeur. Tu trembles un peu, pris entre deux feux, pris entre deux réactions. Entre horreur quant à ce qui vient de se passer, et fascination aveuglée. Tu sais que tu devrais fuir, que tu devrais prendre tes jambes à ton cou. Cette affaire pue, ce n’est pas net ! Ce gars a des réflexes fous, il t’a maîtrisé en moins de deux, ce qui n’est sans doute pas extraordinaire puisque tu ne sais absolument pas te battre, mais il l’a fait de façon absolue, ne te laissant aucun échappatoire. Ses gestes étaient précis, vifs. Et il y a eue cette impression que tu allais y passer, qu’il irradiait de puissance et qu’il pouvait te broyer les os d’un claquement de doigts. Tu as eu peur pour ta vie, tu trembles… Et pourtant, tu te laisses attirer contre lui, tu te laisses toucher, tu te laisses passer une bague au doigt.
Que quelqu’un appelle un putain de psy.
Alors tu respires. Profondément. Tu essaies de te calmer, de penser rationnellement. Et tu l’entends prononcer ce mot « euthanatoi ». Instinctivement, les unes des journaux parlant de la mort d’Astoria Malefoy te reviennent en tête. Tu ne peux pas ignorer le peu que tu sais de cette tradition. L’image qu’en ont dressé les médias est sans appel. Si le quart de ce qu’ils disent est vrai, tu as potentiellement couché avec un assassin de profession. Un tueur à gages. Un mafieux. Il y a une part de toi qui n’a rien contre les bad boy. Tes potes de Reissen ne seraient certainement pas tes potes si une part de toi n’était pas sulfureuse, réceptive à l’univers sombre et tourmenté des scènes métal et du monde de la nuit. Mais il y a un gouffre entre un groupe de rockeurs, même aussi sulfureux que Reissen, et un tueur à gages. Un vrai.
Tes mains sont soudainement moites, et tu te passes en boucle les derniers mots de Djouqed dans la tête. Tu ne relèves même pas la pique sur ta propre tradition. Non. Il y a des choses plus importantes.
– Je ne peux pas nier que j’aimerais te revoir, Djouqed.
Tu rougis, tu réponds prudemment, tu te décales un peu vers le bord du lit pour lui échapper. Ton cerveau est brouillé. Tu devrais lui dire que c’est impossible. Qu’il faut arrêter maintenant. Tu devrais arracher cette bague de ton doigt et fuir.
– Mais je ne veux pas vivre dans la peur que tu puisses me blesser… ou me tuer, dans un accès de rage. Je… je ne sais pas grand-chose sur les euthanatoi, mais je ne veux pas être mêlé à quoi que ce soit d’illégal. Je ne veux rien savoir de tes potentielles activités. Je ne veux pas souffrir entre tes mains.
Tu as baissé les yeux. Tu tournes la bague autour de ton doigt. Tu devrais vraiment l’enlever.
Il n’a pas refusé la bague. Il ne l’a pas ôtée, il ne s’est pas enfui, il n’a pas frappé Djouqed, non plus, ni crié, ni pleuré. Le diplomate ne peut s’empêcher de lâcher un soupir de soulagement qu’il ne savait même pas qu’il avait retenu tout ce temps en regardant Uriel se débattre avec ses émotions, et s’éloigner imperceptiblement de lui comme une proie effrayée. Djouqed sent quelque chose se libérer en lui. Il sait qu’il va avoir besoin d’être honnête avec Uriel. Il sait que l’honnêteté seule est peut-être capable de séduire cet ange et de le déchoir du Paradis pour le faire sien. Car il l’aime. Il le sait avec la même évidence qu’il l’a su pour ses épouses. Djouqed l’aime, et cet amour sera aussi impitoyable et absolu que celui qu’il porte à Dana et Leïla. Mais ces dernières sont comme lui, des euthanatoi, des êtres forts, de ceux qui sont faits pour régner et détruire leurs ennemis. Des guerrières, des assassin, des femmes au coeur froid qui ne se réchauffe que dans leur vie de famille, si précieuse.
Uriel est différent. Son âme est différente. Il a la pureté des cieux et la fragilité de la lumière divine. Aussi aveuglante que fugace. Djouqed sait que si Uriel place entre ses mains son âme, un seul mauvais geste pourrait la briser, et il ne le veut pas. Au contraire. Uriel est peut-être l’un des rares êtes en ce bas-monde capable d’embraser son âme comme il le fait et de réinsuffler un peu de grandeur divine dans son existence devenue morne depuis qu’il a cessé ses activités de tueur. Uriel est beau. Uriel est un présent. Uriel est une épreuve. Pour lui, il décrochera du ciel les plus pures étoiles, il en fait le serment.
« Je ne peux pas nier que j’aimerais te revoir, Djouqed. Mais je ne veux pas vivre dans la peur que tu puisses me blesser… ou me tuer, dans un accès de rage. Je… je ne sais pas grand-chose sur les euthanatoi, mais je ne veux pas être mêlé à quoi que ce soit d’illégal. Je ne veux rien savoir de tes potentielles activités. Je ne veux pas souffrir entre tes mains. »
Le coeur de l’assassin papillonne de joie. Son visage s’illumine du plus pur bonheur, et il saisit entre ses paumes les mains d’Uriel, qu’il élève et porte à ses lèvres pour les embrasser. Sous sa bouche, sa bague passée au doigt de son amant se fait brûlure d’amour, symbole absolu.
« Je te le promets, Uriel. Jamais tu n’auras à craindre que je ne te blesse, et jamais plus je ne porterai sur toi la main. Je te prie de m’excuser ce geste. »
Il cherche les yeux d’Uriel, ses iris flamboyants.
« Je crains qu’une part de ce que tu sais sur les euthanatoi soit vrai : j’ai eu des activités peu recommandables, j’ai été élevé pour me battre et protéger ma famille. Dès lors, il est vrai que je suis très souvent sur mes gardes et puis réagir vivement lorsque j’ai l’impression d’être en danger ou que je suis surpris. Je n’ai pas voulu t’effrayer, mon ange, et je te fais le serment, ici et maintenant, que tu n’auras jamais à craindre de moi que je ne te blesse ou que je ne t’implique dans quoi que ce soit d’illégal. Et je répondrai à toutes tes questions avec la plus parfaite des honnêtetés. »
Djouqed se garde bien de parler d’amoralité. Il sait qu’il est fort possible qu’Uriel désapprouve nombre de choses chez lui, mais il espère, peut-être, qu’avec le temps, à son contact, son amour s’ouvrira à sa culture, à ses idées, aux subtils raffinements de sa tradition. Alors en attendant, il porte à nouveau ces mains à ses lèvres et les embrasse tendrement sans jamais quitter des yeux son ange.