Quelques semaines ont passé depuis la dernière fois que je me suis rendu à Gringotts. Sur le parvis du bâtiment immense où grouillent les gnomes avides de galions, je reste quelques secondes immobile, engoncé dans mon long manteau d’hiver, à admirer le lieu de notre dernier coup d’éclat. Et le coin de mes lèvres se crispe en un demi-sourire fourbe.
Je reconnais l’endroit où se tenait la scène de notre concert magistral, distingue ça et là les traces laissées par les attaches de la structure sur les pavés et les murs qui entourent la place. Le temps n’a pas encore tout effacé et j’en retire une satisfaction étrange, comme si l’idée que leur vue puisse exaspérer quelques passants me comblait d’une jubilation maladive. Je me souviens tant de leurs visages consternés, du silence qui s’est emparé de l’assistance lorsque le film s’est lancé sur l’écran géant, des cris et des applaudissements qui ont suivi, mélangés en une clameur assourdissante. Les feux d’artifice qui nous ont interrompu ont certes gâché quelque peu la fête, mais ils n'ont été que la preuve de la réussite de notre entreprise : nous voulions devenir l’incarnation de cette crainte que conservent tous les traumatisés de la guerre. A présent, nous sommes le monstre que tous les sorciers de ce pays veulent voir à terre, et nous ne nous laisserons pourfendre que par celle qui mérite l’aura héroïque dont on a affublé un môme catapulté au poste de Ministre. L’Enchanteresse deviendra pour tous le modèle qu’elle est déjà pour moi. Cette première victoire n’est que le début son ascension.
Mon observation s’attarde encore quelques instants avant que je ne reprenne ma route et monte lentement les marches du parvis. Mes vêtements sont assez sobres pour ne pas trop attirer l’attention. J’évite les regards des quelques-uns qui se demandent s’il s’agit bien de moi quand je passe à côté d’eux et presse le pas pour pénétrer dans la légendaire Gringotts.
Une fois dans la banque, l’ambiance si particulière qui règne dans ces lieux me saute au visage comme chaque fois. L’effervescence derrière les comptoirs fait sonner les galions dans tout le hall. Ca braille, ça demande des papiers, ça signe des contrats… Les gobelins se faufilent dans tous les coins, marmonnent sous leurs nez pointus des ordres aussi froids que le vent qui souffle dehors. La petitesse de ces créatures est aussi flagrante que la fierté malsaine qu’ils ressentent à régner sur cet endroit. Xaver dirait sans doute que je dois me sentir chez moi ici, entouré de bestioles avec la même taille de corps et d'égo… J’ai un sourire amusé à cette idée.
Prenant une grande inspiration, je finis par me diriger vers un guichet libre. Je prie pour que personne ne me reconnaisse pendant le peu de temps que je veux passer ici. La conjoncture n’est pas vraiment en ma faveur. Les souvenirs du concert du 18 janvier sont encore trop frais et les esprits trop échaudés. Il est trop tôt pour espérer qu’ils comprennent ce que j’ai voulu faire. Le temps fera son office. Mais pour l’heure, je n’ai envie que de me faire le plus discret possible.
Debout, les mains dans les poches de mon manteau, j’attends que le gobelin derrière son comptoir daigne m’adresser un regard. Il griffonne quelque chose sur un bout de parchemin, semble prendre un malin plaisir à m’ignorer. J’ai toujours détesté ça. Je hais l’indifférence, encore plus quand on me la jette injustement à la gueule.
Pinçant méchamment les lèvres, je finis par me racler la gorge pour lui faire lever les yeux. La demi-portion termine encore une ligne avant d’enfin m’accorder un regard. - Que désirez-vous, monsieur Bauer ? Ah, la mémoire infaillible des gobelins… Toujours aussi surprenante. - Je veux faire un retrait. Il note encore quelque chose sur son maudit parchemin. Son silence me semble durer des heures. Je réprime un soupir et attends qu’il reprenne : - Quelle somme ? - Je voudrais avoir accès à mon coffre. - Quelle somme, monsieur Bauer ? Cette fois, c’est moi qui l’oblige à attendre ma réponse, et je m’entends gronder un glacial : - Celle qui me plaira.
Je sens d’ici le frisson désagréable qui coule le long de sa petite échine. Le gobelin se fige un instant, comme s’il hésitait à m’envoyer balader. Mais il sait aussi que je fais partie des clients qu’il vaut mieux garder satisfaits au vu de ce que j’entasse dans leurs coffres depuis des années. Il se tait un moment, sans quitter une fois mon regard. Puis, il finit par gronder sans parvenir à pleinement dissimuler son agacement. - Attendez un instant, monsieur Bauer. Il disparaît alors lentement derrière son guichet comme s’il descendait d’une échelle. La mâchoire serrée, je détourne le regard pour observer distraitement les scènes qui se jouent autour de moi. Je tente de contenir mon exaspération et l’envie de fumer qui en découle. Je poireaute comme un gentil rockeur, fais jouer mes doigts sur le métal de mon briquet dans le fond de ma poche sans dire un mot. Mais je n’ai jamais été quelqu’un de très patient, et encore moins quelqu’un de docile. Mieux vaut qu’il ne revienne pas me prendre la tête avec je ne sais quelle histoire de procédure ou je jure que les prochaines flammes que je ferai jaillir de ma baguette ne seront pas seulement pour le parvis de leur putain de banque.
roller coaster
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