On va boire un verre au Chaudron Baveur tout à l'heure, pour l'anniversaire de Jane. Tu en es ? Avec plaisir ! Quand ? On pensait y aller maintenant. Il est grand temps qu'on quitte ce bureau, il est déjà 19h30 ! Ça me va ! Je... Tu jettes un regard surpris au Rapeltout posé à l'angle de ton bureau, dont la fumée lascive vient brusquement de passer au rouge vif. Qu'as-tu donc oublié, cette fois ? Oh, nom d'un gnome cornu ! Je ne peux pas. J'ai... un rendez-vous médical. Attends, 19h30 ? Par Merlin, je suis en retard, je vais me faire agonir... On se voit demain ?
Sans attendre de réponse, tu bondis sur tes pieds, attrapant cape et baguette, avant de te ruer hors des locaux de la Brigade Magique. Tu slalomes dans le couloir, esquivant une délégation de gobelins, volant presque à travers le hall, manquant de bousculer Kingsley Shacklebot en personne dans ta hâte un rien paniquée. Et pour cause ! N'importe qui, à ta place, tremblerait d'effroi ! Déjà 19h30, et vous deviez vous retrouver à 19h. Il. Va. T'assassiner. Plutôt comique comme pensée, pour un pseudo rendez-vous médical. C'est la première excuse qui t'est venue, pour n'avoir pas besoin de justifier – et surtout pour éviter que tes collègues ne commencent à poser trop de questions. Te voir désespérément célibataire ne manque pas de les intriguer, alors si elles savaient que c'est un homme que tu vas retrouver... Et en tête à tête, qui plus est ! Que Helga t'en soit témoin, un petit mensonge vaut mieux que la montagne de questions qui ne manqueraient pas de surgir ! Non que cette rencontre ait quoi que ce soit de romantique, d'ailleurs. Bien au contraire. Rien ne saurait être moins vrai. Et puis quoi encore. Plutôt te laisser embrasser par un Scrout à Pétard. Non, vraiment, jamais de la vie. D'ailleurs, tu ne sais même pas pourquoi tu continues d'aller voir ce fichu médicomage (là, après tout, l'excuse du rendez-vous médical n'était pas si mauvaise, tu vas bel et bien voir un médicomage !). Il est bougon, irascible, hautain... Il y a 30% de chances pour que tu aies envie de l'insulter au bout de trois phrases, 30% de chance pour qu'il t'ait déjà insultée au bout de 3 phrases et 30% de chances pour que tu finisses par claquer la porte. Les 10 autres pourcents impliquant divers incidents possibles, allant de la stupéfixion au verre brisé. Non vraiment, tu ne sais pas pourquoi tu t'infliges ça tous les mois !
Enfin, si. Toute mauvaise foi mise à part, tu sais pourquoi. Parce que malgré son caractère de cochon, malgré ses paroles acerbes, il est là pour toi. Depuis des années, contre vents et marées. Parce qu'il t'a soutenue dans les heures les plus noires que tu aies traversées, alors même que rien ne l'y obligeait. Quand d'autres ont baissé les bras, impuissants face à ta détresse, il n'a jamais failli. Jamais courbé le dos, indifférent à tes silences, tes larmes autant que tes colères. Parce qu'il est sans doute l'une des personnes qui te soient le plus indispensables aujourd'hui. Un... ami, en somme. Même si vous pousseriez tous deux de hauts cris si quiconque s'avisait un jour d'ainsi qualifier votre étrange relation !
C'est généralement en quartier moldu que vous vous retrouvez, dans un petit restaurant discret que t'a fait découvrir Adele, toujours adepte de garder un pied de chaque côté du secret magique. Un lieu neutre, où nul ne vous connaît, nul ne vous écoute. Et qui présente, en outre, l'avantage d'assurer qu'aucun de vous ne tentera de lancer un maléfice à l'autre avant la fin de soirée... L'endroit n'est pas très loin du Ministère, ni de Sainte-Mangouste. Un petit quart d'heure à pied, de ton pas rapide. L'idée de transplaner directement sur place t'effleure un instant, une façon comme une autre de limiter ton retard... Mais ce ne serait pas prudent, les rues alentour sont trop peuplées. En outre, après la débâcle du concert, tu doutes que tes supérieurs verraient d'un très bon œil qu'un membre de la Brigade magique se permette ce genre d'écart. Un bus moldu te frôle, avant de s'arrêter le long du trottoir. Tu pourrais monter dedans, gagner un peu de temps... Mais il te faudrait manipuler la monnaie moldue – un exercice que tu maîtrises en théorie, mais n'applique jamais sans la présence de ta cousine. Cette seule perspective suffit à te dissuader, et tu te résous à marcher. Tant pis pour le savon que Ronchon Ier ne manquera pas de te passer, du moins s'il ne se contente pas d'un silence désapprobateur aussi glacial que le vent de janvier qui colore tes joues et fait couler ton nez.
Tu t'es tant pressée dans le froid que c'est dans cet état que tu arrives finalement à destination. Les yeux larmoyants, les joues plus cramoisies que tes cheveux défaits, la gorge enflammée. Avisant Piers au fond de la petite salle, tu le rejoins à grands pas et t'affales sur la chaise qui lui fait face, levant la main dans une vaine tentative de tuer dans l’œuf toute remarque désagréable.
Il faut que j'y aille, Addison. Oui, je sais. Non, ce n'est pas mon problème. Oui, tu peux dire à Miss Rowland de repasser demain si ça lui chante. Mais depuis le temps, elle aurait dû comprendre qu'un Accio suffit, franchement... Allez, bonne soirée.
"Bonne soirée, docteur". L'au revoir est presque aussi mécanique que la salutation. A ce train, je vais finir par sérieusement m'interroger sur la part d'humanité qu'il reste à ma chère collègue. Il est dix-huit heures trente, et les soixante minutes qui viennent de s'écouler comptent parmi les heures supplémentaires que mon directeur adoré m'autorise chaque mois. Ce temps à Sainte Mangouste s'avère nécessaire à mon équilibre mental, même si dans des jours comme celui-ci, je me pose de sérieuses questions. Les problèmes si triviaux du commun des sorciers me pèsent parfois autant que les élucubrations des étudiants. Mon seul réconfort aujourd'hui vient du fait que je suis sûr de bien manger ce soir. Plutôt que de retrouver mon appartement et me retrouver seul face à un plat moyen, je pourrai profiter d'un bon bar moldu. Bon, je ne serai pas seul, mais on ne peut pas tout avoir -et de moi-même, je ne me serais jamais bougé hors de chez moi, mais ça, je ne l'admettrai sûrement jamais.
A peine cinq minutes après avoir quitté l'hôpital, je pousse la porte de mon appartement. Hermès m'accueille d'un trille joyeux, venant sur mon épaule me faire la fête. Je caresse distraitement son plumage, troquant ma robe émeraude contre une tenue moldue. Enfin, en tous cas, quelque chose qui serait plus discret qu'une robe de sorcier.
Désolé, mon vieux, mais tu vas devoir rester là encore un peu.
Je prends deux petites minutes pour jouer un peu avec mon compagnon, vérifiant qu'il a à sa disposition de l'eau et de la nourriture, et nettoyant sa cage d'un geste de baguette. Une veste, et une écharpe vu le temps, et me voilà reparti.
Hors de question que je sois en retard.
J'arrive au café avec cinq minutes d'avance, comme toujours. Je ne me formalise pas, ou du moins je ne me formalise plus, de cet état de fait. La ponctualité n'est pas toujours son fort, et je mets un point d'honneur a toujours avoir quelques minutes de marge, si bien que je suis souvent le premier à ces petits rendez-vous. Le Garden Room offre de toute façon une vue imprenable sur le Leicester Square, et la salle -relativement petite de surcroît- est encore assez vide.
Un Funk, s'il vous plaît.
Je commence à avoir mes habitudes dans l'établissement, et ce cocktail fait partie de mes favoris.
La nuit est déjà tombée depuis quelques heures, et le ballet des phares qui vont et viennent en contrebas ont quelque chose de fascinant... Mais qui ne suffit pas à me faire oublier que j'attends depuis déjà près d'un quart d'heure. Je pianote nerveusement sur le bord de la table, sirotant mon cocktail. Le serveur me lance des regards en coin dès qu'il passe près de moi, comme s'il se demandait ce que je fous là, seul, avec mon verre. Je me contente de lui retourner un regard mauvais dès que mes yeux accrochent les siens, et d'ici trois minutes chrono, je devrais être vraiment tranquille.
Non, la place est prise.
La demoiselle semble vexée de la sécheresse de mon ton, pourtant sans appel. Je m'en désintéresse immédiatement, pour commander un deuxième Funk. Sureau, framboise, citron, fraise... le mélange me plaît étrangement, et j'en profite en silence. Cela fait maintenant plus d'une demie-heure que je poireaute, et même la ginger beer ne suffit pas à me faire complètement prendre mon mal en patience. Et je ne peux même pas m'entraîner à pratiquer les rituels les plus récents de médicomagie ! Je suis coincé là, parmi les moldus, à juste devoir attendre que la demoiselle daigne se pointer. C'est décidé, si elle n'est pas là à vingt heures, je me tire. Je prendrai quelque chose à manger sur la route, tant pis. Ce qui est sûr, c'est qu'elle va m'entendre la prochaine fois que je la croiserai. La salle commence doucement à se remplir, et l'odeur de nourriture se fait plus forte à chaque minute qui passe, me mettant l'eau à la bouche. Je sais. Je suis en retard. Et je suis désolée. J'ai reconnu Erin à la seconde où elle a passé la porte. Je la toise en silence alors qu'elle s'affale, l'air impassible, avant de lancer.
T'as une tronche à faire peur. Tu essayais de me faire crever d'ennui pour m'épargner ce spectacle ? Enfin, t'as raison, assieds-toi avant que quelqu'un te prenne pour une bouteille de rouge géante.
Je l'observe une seconde supplémentaire, avant de m'emparer à nouveau de mon verre pour en descendre une gorgée de plus.
Et donc, oui, tu es en retard, comme tu l'as habilement remarqué. Peut-être devrais-je t'offrir une greffe de réveil-matin pour ton prochain anniversaire ? Mais bon, au moins tu es désolée, alors je suppose que ça va.
Je force un peu sur le sarcasme pour ces derniers mots, et je suis le premier étonné que la médisance ne me vienne pas un peu plus naturellement. Après tout, ça fait quasiment une heure que je poireaute, j'ai bien le droit de me plaindre un peu ! Alors que je m'apprête à changer de sujet, le serveur nous apporte -avec un soulagement si grand qu'il se lit sur son visage- deux cartes. J'ouvre la mienne : il n'y a que quelques choix, mais je sais par expérience qu'ils sont tous bons. Une fois mon choix arrêté, je referme la carte et la repose sur la table.
Bon. Euh... Tu vas bien ?
Même si Erin et moi nous voyons régulièrement, j'ai toujours le plus grand mal à ne pas me sentir con quand on en vient aux discussions plus triviales. C'est toujours plus simple de s'envoyer fions, là au moins je suis en terrain connu.
De manière générale, tu détestes être en retard. Ce n'est ni par perfectionnisme, ni en vertu d'un principe tatillon. Mais l'idée que quiconque puisse attendre après toi te dérange profondément. C'est pourquoi, tu t'efforces toujours d'être à l'heure, bien que la ponctualité ne soit définitivement pas l'une de tes qualités intrinsèques. Mais chassez le naturel, il revient plus vite qu'un sombral au galop. Alors, lorsque vraiment, tu te retrouves dépassée par ta piètre notion du temps, tu te confonds habituellement en excuses. Une fois. Deux fois. Dix. Jusqu'à ce que ton interlocuteur finisse par te faire clairement comprendre que tes atermoiements sont bien plus agaçants que les quelques minutes d'attente subies.
En temps normal, donc, tu serais actuellement en train de t'auto-flageller, demandant l'absolution de ce retard impardonnable. En temps normal, oui. Mais deux cas de force majeure s'opposent à ce scénario... D'abord, le fait que tu n'as pas encore retrouvé assez de souffle pour être seulement en capacité d'articuler plus de quelques mots. Et ensuite... Tu n'es pas face à n'importe quel interlocuteur patient, mais face à Piers. Dont l'une des inénarrables caractéristiques – et pas des moindres – est une extraordinaire capacité à faire ressortir les pires côtés chez toi. À commencer par une mauvaise foi digne des plus grands politiques, alors que tu es d'ordinaire plutôt prompte à reconnaître tes torts... et à t'excuser encore ! Et d'ailleurs, tu n'as pas même le temps de songer que tu pourrais essayer, cette fois au moins, de ne pas lui sauter à la gorge... Avant même que toute tentative de maîtrise ait pu fleurir dans ton esprit, c'est lui qui attaque. Et visiblement, ses nerfs ont mal encaissé l'attente parce qu'il est particulièrement inspiré... Et tu l'es fort peu, comme en témoigne ton très cinglant – et très banal Oh, va te faire foutre ! Tu lèves le bras pour attirer l'attention du serveur, afin de désaltérer ta gorge irritée par ta course hivernale. Et aussitôt, la vue de ton ample manche bleu marine te fait lever les yeux au ciel. Nom d'une bouse de dragon... Tu es partie tellement vite que tu as oublié de te changer. Et si ton épaisse cape peut aisément passer pour un vêtement d'extérieur moldu, ta robe aux couleurs de a Brigade passera moins facilement inaperçue. Fort heureusement, tu peux compter les astuces vestimentaires de ta cousine lorsqu'il s'agit de se fondre dans la masse des moldus. Attrapant un petit sac dissimulé dans l'une des poches intérieures de ta cape, tu en extirpes une large ceinture pour marquer ta taille, un gilet gris perle et un foulard qui, ma foi, donnent à ton uniforme des airs bien plus passe-partout. Bénissant Adele et ses idées de génies, tu dégrafes finalement ta cape, et la plie en boule sur la chaise voisine.
Malheureusement, ces brefs préparatifs ne t'ont pas épargné la litanie plaintive du médicomage. Tu pousses un profond soupir, marmonnant à mi-voix – mi pour éviter de remettre du feu sous le chaudron, mi pour ne pas être entendue du serveur : Et si tu te faisais greffer un sourire pour une fois...
L'étude attentive des cartes laisse à votre dispute naissante le temps de mourir dans l’œuf. À force de venir, tu commences à la connaître par cœur... Mais la question de Piers – énoncée de cette voix trop douce pour être naturelle – te donne plutôt envie de disparaître derrière ce rempart de papier plastifié. Tu tergiverses donc, jusqu'à ce que le serveur vous revienne pour prendre commande. Un burger, double cheddar, double bacon, s'il vous plait. Et une pinte de cidre pression. Ce n'est qu'une fois ta boisson arrivée que tu te relâches finalement contre le dossier de ta chaise, prenant une longue gorgée acidulée avant de répondre. Comme un mois de février... Les premiers mois de l'année sont toujours... compliqués. Chaque fois, tu espères que le temps aura guéri la blessure, affadi le souvenir de la fin de l'hiver 98 où paradoxalement, au milieu de la guerre, de la souffrance et de la noirceur, ta vie avait été plus belle et lumineuse que jamais. Mais chaque année, février revient avec la mémoire en cortège. Six ans se sont écoulés, la plaie béante de ton cœur s'est éloignée. Laissant derrière elle une cicatrice mal refermée et un reste de douleur lancinante. Est-ce que tu as... des nouvelles ? Inutile de préciser de qui tu parles, il le sait parfaitement. Tout comme vous savez tous deux que tu ne devrais pas poser la question. Mais c'est plus fort que toi.