Gabrielle ne peut pas le cacher : elle est un peu inquiète. Cela fait plusieurs jours, plus d’une semaine, que le mot passe. Il y a quelqu’un de bizarre qui rôde près de Gringotts. On dit même qu’il pose des questions bizarres, mais Gabrielle ne sait pas si c’est vrai : la réceptionniste qui a prétendu ça est une saleté prétentieuse qui cherche toujours à attirer l’attention sur elle. Du coup, elle ne sait pas bien si ce n’était pas juste une vaine tentative de se rendre intéressante… Enfin, de toute façon, c’est toujours dur de se rendre intéressant quand il y a une demi-vélane dans la même pièce, songe Gabrielle avec un sourire mauvais sur les lèvres.
C’est donc les yeux et les oreilles grand ouverts qu’elle sort de son bureau le soir venu. Elle est sur ses gardes. Que veut cet inconnu ? On dit qu’il a les cheveux clairs un peu ondulés, mais c’est finalement la seule description qu’on a de lui. Pas vraiment de quoi lancer une enquête, il faut bien le dire ! Gabrielle ne sait pas ce qu’il veut, mais il faut être prudente : c’est peut-être quelqu’un qui prépare un vol ? Ou bien un malfrat en puissance ? Ou un espion ! Si ça se trouve, c’est un espion d’un ministère étranger ! Non, franchement, il ne faut pas plaisanter avec ça : c’est sérieux, cette situation.
La jeune femme a reboutonné son manteau, pris son sac sur l’épaule après une longue journée de travail et sort de la banque. Ses talons claquent sur le marbre du hall de Gringotts. Elle a beau n’être que stagiaire, personne, ici, ne peut ignorer qu’elle est française : elle a le chic que sa sœur a perdu à ses yeux. Avant, c’était Fleur qui resplendissait, qui brillait de mille feux ! Maintenant, il faut avouer qu’elle ressemble de plus en plus à Molly Weasley : amoureuse de son mari, maman poule, maîtresse femme dans sa maison… C’est insupportable de la voir comme ça. Elle aurait pu être une Narcissa, elle a choisi d’être une vulgaire roturière !
Tandis qu’elle sort dehors, Gabrielle jette des coups d’oeil autour d’elle, un peu sur les nerfs. Elle ne veut pas se faire attaquer. Il est encore tôt, mais avec ce gars qui rôderait… on n’est jamais trop prudent, pas vrai ? Après tout, elle est jeune, étrangère, une proie facile. Il ne faut pas la sous-estimer, elle a quelques maléfices bien sentis, mais il faut pour ça qu’elle ait le temps de tirer sa baguette pour se défendre… et pour ça, il faut voir le danger venir et ne pas se laisser surprendre. Elle regarde autour d’elle, avance d’un pas mesuré. La précipitation, ça sert à rien, autant avoir l’air sûr de soi, ça découragera peut-être un éventuel agresseur. De toute façon, même sur la torture, elle ne dira rien des affaires de Gringotts ! Et si on l’attaque, elle hurle. Elle s’est éloignée de l’entrée de Gringotts, elle passe dans une ruelle qui longue l’allée des Embrumes. Encore quelques pas et elle sera devant Fleury et Bott, en sécurité. Elle sent une présence derrière elle. Elle entend un pas faire écho au claquement de ses talons sur le pavé. Elle crie en se retournant.
– JE VOUS PRÉVIENS, SI VOUS ESSAYEZ QUOI QUE CE SOIT, JE HURLE !
Son accent français a résonné dans cet espace désert. Elle a sorti sa baguette et la braque vers… un garçon aux cheveux clairs et ondulés.
S’il y a une chose dont on ne peut t’accuser, c’est de stupidité. Ton plan était parfait : aller à Gringotts, récupérer des informations sur la famille Malefoy, et notamment ton « géniteur ». Tu ne sais pas bien ce qui te pousse à le faire. La colère ? La curiosité ? C’est confus et tu n’as pas voulu fouiller plus avant là dedans. En revanche, tu as commencé à traîner un peu à Gringotts, de temps en temps. Poser des questions innocentes. Revenir, repartir. Surveiller le service des contrats. Tu as essayé de rester discret, mais tu es à peu près certain que tu as été repéré : tu as vu un guichetier te jeter un drôle de regard. De guerre lasse, tu as décidé de ne plus rentrer dans la banque, ce soir. Tu as préféré t’embusquer et guetter les employés qui sortent le soir venu. L’une d’entre elle attire ton attention. Comment aurais-tu pu l’ignorer ? Blonde, resplendissante, vélane, sans doute. On ne voit qu’elle, et tu n’as vu qu’elle dans un contexte bien particulier : un regard jeté à la volé au service des contrats.
Pile le service qui t’intéresse et où tu trouveras les infos que tu cherches.
Les dieux sont avec toi. Peut-être que cette employée pourrait te renseigner ? Comment ? Tu te creuses la cervelle et tu conviens rapidement en ton for intérieur d’un plan qui a peu de chance de réussir mais dont les conséquences d’échec seraient sans doute assez peu importantes. Tu te redresses, passes une main dans les cheveux et tu lui emboîtes le pas. Tu marches un peu plus vite : ton but n’est pas de la suivre mais de la rattraper. Tu veux lui parler. Tu rassembles ton courage pour l’interpeller mais la voici qui se retourne et crie.
Manifestement, tu lui as fait peur. Tu lèves les mains en signe de paix.
– Désolé mademoiselle, je ne voulais pas vous faire peur. Je m’appelle Uriel Lewis, je suis infirmier à Sainte Mangouste, je vous ai vue à la banque la semaine dernière et… j’ai voulu vous inviter à boire un verre.
Tu ne dois pas feindre beaucoup pour rougir sous le regard inquisiteur de cette jeune femme. Tu baffouilles même un peu. Tu sens l’adrénaline pulser dans ton sang et ton coeur pomper rapidement dans ta poitrine. Tu n’as jamais été très doué pour faire des avances, et si d’ordinaire ta maladresse vient de tes sentiments, cette fois-ci, elle vient des enjeux de l’entreprise.
– Mais je n’ai pas osé vous aborder. Vous m'impressionniez beaucoup. Alors je suis revenu plusieurs fois cette semaine, et à chaque fois j’ai manqué de chance. Je me suis dit que je pourrais peut-être avoir la chance de vous parler à la sortie de votre travail, mais vous m’êtes passée devant si vite ce soir que je n’ai pu réagir, j’ai donc essayé de vous rattraper et… Je suis vraiment confus de vous avoir effrayée.
C’est le moment où tout se joue, tu le sais. Tu la regardes, un peu rougissant, les mains toujours levées alors qu’elle te tient en joue avec sa baguette. Si tu échoues, au pire, elle se carapate, si tu réussis, ce sera un premier fil à suivre pour te mener à la famille Malefoy.
La baguette pointée vers le garçon, elle le tient en joue et reste sur ses gardes. Gabrielle est habituée à ce que, parfois, son allure vélane fonctionne sur des inconnus. Elle essaie de garder la maîtrise de ce pouvoir latent, mais ce n’est pas toujours facile. Il faut dire qu’elle se souvient beaucoup trop bien des problèmes qu’elle a eus avec ça dans sa jeunesse. Elle était encore toute adolescente lorsqu’il a fallu passer une année recluse à éviter de se faire sauter dessus par toutes les élèves de sa classe. Mais ce sont d’ordinaire plutôt les filles qui sont sensibles à ses charmes… Gabrielle observe attentivement le garçon devant elle. Elle ne peut pas nier qu’il aurait bien été son genre de mecs s’il n’avait pas paru aussi suspect. Elle se concentre, rassemble toutes ses connaissances en anglais pour bien comprendre ce qu’il lui dit. Elle a beau être bonne en langues, elle sait qu’elle rate toutes les nuances subtiles de l’anglais, en bonne francophone qu’elle est.
Il a levé les mains, il se rend. Cela fait plaisir à Gabrielle et ça la rassure. Elle ne se sentait pas du tout de devoir combattre un inconnu une fois le soir tombé. Elle s’approche un peu, la baguette toujours en l’air. Il lui fait une déclaration pour le moins habituelle. Il s’appelle Uriel Lewis, un infirmier à Sainte Mangouste, et il a visiblement eu un coup de coeur pour elle. Rien que du très ordinaire. Elle le scrute, il rougit et bafouille, il a l’air sincère. Elle baisse sa baguette avec une petite moue dédaigneuse qui tord ses jolies lèvres.
– Et vous pensiez que c’était une raison valable pour faire peur à une demoiselle ?
Elle n’a pas l’habitude de céder à ce genre d’avances à moins d’apprécier la personne, d’apprécier ses manières, son physique. Elle est une fille qui aime bien jouer de son charme, qui aime être admirée. C’est, en un mot comme en cent, une peste. Une véritable peste lorsqu’elle s’y met. Mais elle peut être charmante, aussi. Gabrielle est en tous cas rassurée. Elle range sa baguette dans sa manche et s’approche encore du jeune homme pour mieux voir ses traits. Uriel Lewis. Elle se répète son nom en laissant ses yeux voyager sur son visage. Il lui plaît bien, il la rend curieuse. Où aurait-il pu l’apercevoir ? Elle ne sort pas souvent de son service et elle ne se souvient pas d’avoir croisé pareil garçon. En plus, ses joues rosies par la gêne mettent en confiance la jeune fille. Elle a l’impression de maîtriser la situation et elle n’a pas l’impression que cet Uriel Lewis soit une menace. A vrai dire, l’année précédente, c’est exactement le genre de garçon qu’elle s’est amusée à séduire pour tester les limites de son glamour vélane. Elle sait que sa sœur a désapprouvé cette conduite légère, mais franchement, vu le mariage qu’elle a fait avec une famille traîtresse à son sang et un garçon qui n’est même pas beau, est-ce qu’elle peut vraiment la ramener sur ce sujet ? Pas vraiment. Lui, Uriel, au moins il est mignon, il a de jolis yeux et de beaux traits.
– Pour m’avoir fait si peur, un gentleman devrait se faire pardonner en m’offrant un verre, en effet.
Elle lui dit ça en grand seigneur, un sourire mutin sur les lèvres, comme si elle lui faisait la plus belle des faveurs.