Il est à peu près sept heures du matin, par un beau lundi d’hiver quand la une de la Gazette du Sorcier te fait cracher ton café sur la table à la grande surprise de ton père. Tu es tellement éberlué par la une que tu n’as que faire du papier journal désormais maculé de café ou des questions pressantes de Jonas. Sur la page, un Engel Bauer prend la pause en évitant les taches de café qui constellent le papier, et les gros titres gueulent ce qui s’est passé. Reissen a donné un concert la veille devant Gringotts en l’honneur de l’anniversaire de Lucius Malefoy. Concert qui s’est, manifestement, terminé dans le chaos alors qu’ils jouaient un nouveau titre au clip provocateur. On y aurait vu le Ministre dévorer des élèves de Poudlard et la chorale de l’école aurait même participé à cette chanson. Tu n’arrives même pas à lire le reste de l’article qui détaille les réactions du public et le lâcher de feux d’artifices en réponse aux réjouissances. Tu ne découvres pas plus que des suspects ont été arrêtés pour ces derniers mais que les membres de Reissen sont parfaitement libres de leurs mouvements.
Non. Tu es profondément troublé. Il faut dire que ce n’est pas tous les jours que l’un de tes groupes préférés dont les membres sont devenus des potes pour la plupart, fait la une en même temps que Lucius Malefoy, ton géniteur. Tu as tendu le journal à ton père, tu te resserres un café. C’est bien parce que tu dois aller travailler que tu ne prends pas quelque chose de beaucoup plus fort.
– Reissen, ce ne sont pas tes amis rockeurs, là ? – Si. – Ils ont l’air d’avoir des positions politiques plutôt extrêmes, non ? – C’est quelque chose dont on ne parle pas souvent, mais… oui.
L’oeil clair de ton père transperce tout ton être. Il te scrute, comme s’il essayait de comprendre ce qui peut te passer par la tête. Peut-être qu’il y arrive dans une certaine mesure. Il doit bien sentir que s’affrontent le nom de Lucius Malefoy avec celui du groupe de tes potes. Ton père a toujours été un homme clairvoyant. Il hoche pensivement la tête, la mine indéchiffrable.
– Tu devrais te dépêcher, fils, tu vas être en retard à Sainte Mangouste.
*
Ce n’est que quelques jours après cet événement que les choses se précipitent pour toi. Tu as entendu parler de ce fameux concert au boulot. Tout le monde y va de son commentaire, ceux qui y ont assisté comme ceux qui n’y étaient pas. Toi ? Tu étais absent ce jour là. Ton père t’avait demandé un peu d’aide pour trier les affaires de ta mère, et vous étiez tous deux occupés à ranger soigneusement les robes, chemisiers et jeans de ta défunte parente dans des boites en carton. Sans ses vêtements, l’armoire paraissait trop grande. Sans ses dossiers, le bureau était trop vide. Partout, vous avez contemplé l’absence de l’être aimée. Mais c’était mieux que d’être confronté à son trépas à chaque punaise épinglée sur le tableau en liège, à chaque brique de lait mise à recycler, à chaque grésillement d’une trop vieille radio.
Tu as entendu tout et son contraire à propos du concert. Ceux qui adorent, ceux qui détestent et ceux qui ne disent rien mais dont l’approbation ou la réprobation peuvent se lire dans leur regard. Toi, tu n’arrives pas à savoir où te placer. Tu les connais, cette bande de cons au grand coeur. Tu les apprécies, surtout Andreas qui partage avec toi l’insouciance d’une jeunesse brûlée par les deux bouts. Toi aussi, tu aimes te perdre dans une solitude entourée de corps, d’âmes inatteignables. Toi aussi, tu aimes prendre un verre ou deux à un bar, et parler de choses inconséquentes. Toi aussi tu aimes te noyer dans un oubli pour ne plus affronter la terrible réalité des heures qui filent, inexorables, jusqu’à te mettre face à ton propre trépas, à ta propre fragilité et ta propre origine.
Il n’y a rien d’étonnant, donc, qu’à une heure avancée de la nuit, tu reçoives un appel de Cheminette et vois dans les flammes la tête d’un membre du groupe venu t’annoncer qu’@Engel Bauer est tombé sur un groupe de jeunes ayant manifestement peu apprécié leur concert. Le temps que les autres membres du groupe ne réagissent, Bauer avait déjà pris quelques coups. Les membres du groupe ne seraient certainement pas venus te chercher s’ils n’étaient pas inquiets pour leur pote : son épaule fait un angle bizarre et a commencé à bleuir. La tuile pour un guitariste.
Tu as prévenu ton père que tu filais, tu as attrapé ta sacoche d’infirmier et tu as sauté dans le feu pour arriver dans le lieu où le groupe se réunit régulièrement pour composer et jouer ensemble. Tu es déjà venu plusieurs fois, souvent pour retaper l’un ou l’autre, mais pas seulement. Tu te sens habité de ton job d'infirmier, il faut être efficace. Cela te laisse l'occasion de mettre à distance le marasme de sentiments contradictoires dans lequel tu baignes depuis le concert de Reissen. Cette fois, comme les autres, le blessé est avachi sur un canapé, manifestement de mauvaise humeur et s’engueule avec un de ses potes. Tu remarques tout de suite l’épaule et sens qu’il va falloir la remettre. Tu coupes court à la discussion qui se déroule sous ton nez en te raclant la gorge et en ouvrant les hostilités pour distraire Bauer de sa douleur le temps de le rafistoler.
– Alors, Engel ? On se fait rétamer et on veut pas appeler le corps médical pour soigner ce gros bobo ?
Attention. Tu sais qu’il va y avoir un retentissant « Va te faire foutre » dans trois… deux… un…
- On aurait dû aller à Sainte-Mangouste, putain. Elle est en train de devenir bleue ! - Zven, je t’en supplie, ferme-la ! Je crache comme une bête acculée, rendu fou par la douleur. Assis sur le canapé du studio, le dos courbé pour me permettre de poser mon bras sur mes genoux - la seule position qui m’évite de souffrir le martyre-, je refuse depuis de longues minutes de regarder mon articulation car je sais à quel point la blessure est sérieuse. Je le sens. La peur me tenaille le ventre. Mon cœur bat dans mes tempes à m’en fendiller le crâner. Seconde après seconde, je ne fais que nous maudire pour être sortis ce soir, maudire ces fils de putes qui sont venus me trouver à la sortie de la boîte, alors que j’étais juste sorti fumer une putain de clope. Il a fallu que je tombe sur quatre sorciers, quatre putain de connards incapables de porter leurs couilles autrement qu’en groupe face à un type tout seul et moitié bourré. Si jamais je revois un jour leur putain de gueule, je promets que je…
Argh ! …
Putain ! La moindre tension que ma rage insuffle dans mon bras est une torture. Je grogne en serrant les dents et Zven se retourne encore pour me fixer avec ses yeux morts de trouille, comme lorsqu’il a fallu m’enlever ma veste pour voir l’étendue des dégâts – un calvaire. L’épaule est sortie et donne à mon bras un angle effrayant. D’abord simplement rougie par les coups, elle a viré au bleu depuis quelques minutes et la couleur n’arrête pas de foncer, tranchant de plus en plus avec le blanc de mon marcel. La joie d’avoir mis un tshirt sans manche, c’est que tout le monde peut bien voir à quel point c’est moche et se mettre à flipper des fois que je n’aie pas saisi la gravité de la situation. Comme j’aimerais être seul, bordel… Gérer ma souffrance et mes angoisses sans avoir l’impression de crouler en plus sous celle des autres. Le guitariste s’approche, tend une main vers moi. - Tu veux que je… ? - La touche pas, putain ! Il recule, la déception déformant son visage comme s’il s’était fait jeter par un animal blessé qui aurait tenté de le mordre alors qu’il voulait l’aider. Zven, Xaver et Andreas tournent en rond depuis ce qui me semble être des heures, l’inquiétude tirant les traits de leurs visages. Je sais ce qu’ils pensent, ce que tout le monde pense : les blessures aux bras pour un guitariste, ce n’est jamais bon. Et encore moins sur l’épaule droite quand on est un putain de droitier. Mon cœur s’emballe à nouveau. Et si je ne pouvais plus jouer ? Et si ces connards avaient réussi leur coup, réussi à me faire taire en m’empêchant toute ma vie de remettre la main sur une guitare ? Putain d’enfoirés de salopards de merde…
Le regard baissé sur mes pompes, la peau couverte de sueur, j’essaye de respirer pour ne pas tomber dans les vapes tellement j’ai chaud. L’inquiétude et la douleur se mélangent en un cocktail assommant, réchauffent mes veines à coups d'adrénaline jusqu'à me faire suffoquer. Et j’entends les voix des gars au loin qui chuchotent comme si ça pouvait m'empêcher de les comprendre. - Il n'a pas fait que se démettre l’épaule, gronde Xaver. Vu la couleur qu’elle prend, je t’assure qu’elle n’a pas fait que sortir. - Et qu’est-ce que t’en sais, toi ? T'es devenu un putain de médecin ? - Je me suis luxé l’épaule assez souvent pour être capable de te dire qu’elle s’est pas juste déplacée ! S’il s’est pas cassé toute l’articulation on aura déjà de la chance ! - Arrête de dire ça, putain, t’en sais rien du tout ! - Et toi ? D’où tu la sors ta science ?
Je suis sur le point de hurler pour que tout le monde se taise quand Andreas revient de je-ne-sais-où. - J’ai réussi à avoir Uriel. Il arrive tout de suite. Nouveau haut-le-cœur. Je suis partagé entre la peur de ce que le petit va m’annoncer et le soulagement de me dire que quelqu’un va enfin mettre fin à mon supplice. Toujours penché sur le canapé dans une position inconfortable qui commence à me faire souffrir dans le bas du dos, je soupire et passe ma main gauche sur mon front trempé de sueur. Mais à côté de moi, je sens encore la tension prendre Zven qui grogne tout d’un coup : - C’est n’importe quoi… On est en train de mettre tout l’avenir du groupe entre les mains d’un gamin à peine sorti de l’école ! - Il nous a toujours très bien soignés. Qu’est-ce que tu lui demandes de plus ? - Soigner trois brûlures après un concert et s’occuper d’une épaule dans cet état c’est pas la même chose ! - Tu préfères qu’on laisse Engel crever ou bien ? - J’aurais préféré qu’on l’emmène voir un vrai médicomage dans un putain d’hôpital ! Est-ce que je suis le seul à avoir encore les idées claires dans ce putain de groupe ? - Zven, pour la dernière fois, tu fermes ta putain de gueule ! Silence brutal. Tous les regards se tournent vers moi alors que je suis fourbu, sur le point d’exploser, si fébrile que des frissons dévalent ma nuque et font se hérisser ma peau tout le long de mes bras. - Je mettrai pas un pied à Sainte-Mangouste est-ce que c’est clair ? Il est hors de question que je prenne le risque de me retrouver avec d’autres connards qui se feront un plaisir de me faire jongler jusqu’à en crever au prétexte qu’ils ont reconnu ma gueule et qu’ils sont trop cons pour comprendre qu’on essaye de sauver leur putain de pays ! J’irai pas dans ton putain d’hôpital ! Je laisserai pas un seul inconnu me toucher et risquer qu’il me nique l’épaule pour être certain que je ne puisse plus jamais jouer. Est-ce que ça rentre dans ton foutu crâne ? On est des putain d’ennemis publics maintenant ! Alors aucun inconnu ne pose la main sur moi ! Est-ce que t’as compris ?
Soudain, un raclement de gorge attire mon attention derrière et de l’anglais résonne dans le studio. Uriel est enfin arrivé et entre avec une décontraction magistrale. Je lui aurais bien mis mon poing dans la gueule si j’étais pas si flingué. Je crache à la place un cinglant : - Va te faire foutre. De rage, je me risque à entamer un geste mais la douleur qui me mord l’épaule me cloue brutalement sur le canapé. Je grogne, serre les dents à les briser. Il me faut quelques secondes pour reprendre le dessus, rouvrir lentement les paupières et regarder la scène qui se poursuit sous mes yeux, comme un spectateur, complètement étranger.
Andreas se rapproche d’Uriel pour le saluer chaleureusement. Ils marmonnent des trucs, mais je suis trop loin pour comprendre. Je ne sens que mon épaule qui lance à m’en faire perdre l’esprit. J’inspire de grandes bouffées d’air avant de grogner : - Est-ce que ça vous dérangerait de le laisser venir s’occuper de ma putain d’épaule avant que je ne crève sur le plancher ? Immédiatement, les gars s’écartent pour laisser la voie libre à l’infirmier. Les muscles tendus à rompre, j’ai du mal à oser croiser son regard, comme si je craignais d’y voir la même inquiétude que dans les yeux de mes potes. C’est Andreas qui finit par rompre le silence : - Il s’est fait surprendre par quatre mecs à la sortie de la boîte. Le temps qu’on arrive, ils l’avaient déjà bien amoché. Ils se sont pris la raclée de leur vie une fois qu'on est tous sortis. Mais on est quand même arrivé trop tard pour éviter… - Ca va, Andreas. Il a compris…
Je déglutis en sentant Uriel approcher. Je refuse toujours obstinément de le regarder. Quelques secondes passent, lourdes comme des coups de masse. Et je finis par trouver le courage de lui demander : - C’est comment ?
Tu as déboulé au milieu du Chaos. Il fallait s’y attendre : un guitariste et leader de groupe qui ne peut plus bouger le bras, ça fout forcément un sacré beau bordel. Les cris et les disputes te vrillent les tympans. Tu vois surtout celui qui sera ton patient, luttant contre la douleur sur le canapé, mordant à vue quiconque essaie de l’approcher. Tu entends les réserves de ses potes, aussi. Il te semble entendre Xaver grommeler quelque chose comme « putain de con qui veut pas aller à Sainte Mangouste » entre ses dents. Tu peux pas vraiment lui jeter la pierre. Toi aussi tu trouves qu’il ferait mieux d’aller à l’hôpital pour se faire soigner. Si, d’ailleurs, son cas est au-delà de tes compétences, tu n’auras aucun scrupule à lui balancer un somnifère et l’embarquer avec Xaver aux urgences. Ce qui compte, c’est qu’il aille mieux. Il ne faudrait pas passer à côté du prochain album de Reissen parce qu’on a perdu Engel dans la manœuvre pas vrai ? Et puis même si tu l’avoueras jamais, au fond, cette tête de pioche de Bauer, tu l’apprécies. Mais c’est pas toi qui l’a dit.
Dès que t’arrives, tu essaies de distraire Bauer. Tu en profites pour voir la douleur se peindre sur son visage lorsqu’il essaie de bouger. Mauvais signe. L’angle de son bras te prévient qu’il y a une luxation, la couleur te laisse supposer qu’il doit y avoir entorse, déchirure voire une fracture. Si c’est le cas, tout de suite, ça va être plus chiant… surtout s’il faut lui demander de se tenir tranquille le temps que les os se ressoudent. Andreas est le premier à te mettre le grappin dessus pour t’expliquer l’état d’Engel. Il ne te dit rien de nouveau que tu n’aurais pu deviner, sinon qu’Engel ne veut pas aller à Sainte Mangouste. Tu baisses la voix, presque un murmure. Zven et Xaver se sont rapprochés aussi pour écouter.
– Écoute, je vais l’examiner, faire les sortilèges de diagnostic spécifiques et faire de mon mieux pour le retaper, mais si quelque chose est au dessus de mes compétences, je lui balance un calmant, un sort de stase sur l’épaule pour que rien ne bouge, et qu’il le veuille ou non, il se retrouve aux urgences. Je vais pas le laisser se flinguer l’épaule juste parce que monsieur fait sa diva. Ça vous convient ?
- Est-ce que ça vous dérangerait de le laisser venir s’occuper de ma putain d’épaule avant que je ne crève sur le plancher ?
On te laisse soudainement passer. Il faut dire que bien qu’en train de souffrir le martyr, il continue d’en imposer, le petit Engel Bauer. Tu t’approches de lui, ouvre ta sacoche, et commence à examiner son épaule en lançant des sortilèges de diagnostic. Un parchemin apparaît à côté de toi avec une plume à papote, et à mesure que tu enchaînes les sortilèges, le parchemin se remplit. Tu te concentres, mais c’est un examen de routine pour toi. Des comme ça, tu en fais dix par jour. Toutefois, tu sens quand même le poids inquisiteur de ses potes sur ta nuque. Tu vois aussi que Xaver et Zven se sont rapprochés du parchemin pour regarder ce que racontent tes sortilèges de diagnostic. Tu en entends un étouffer un juron. Tu supposes que c’est moins brillant que ce que tu croyais. A l’instant où la plume cesse d’écrire, tu choppes le parchemin et en prend connaissance, baguette à la main. L’opération a pris une minute, mais ça a dû sembler une éternité à ton patient qui n’a jamais trop semblé briller par sa patience. Tu tentes de garder ton calme. On te dit toujours que tu as quelque chose d’apaisant quand tu es avec les patients : c’est parce que tu prends le temps de poser ta voix comme ton père t’a appris, de leur dire ce que tu fais, de leur expliquer, de les rassurer. Ça doit être pour ça que les enfants t’adorent, tu supposes. Ce que tu t’expliques beaucoup moins, en revanche, ce sont les regards agacés des pères de famille et les papillonnement des cils des mères inquiètes.
– Y’a une bonne et une mauvaise nouvelle, Engel. La bonne, c’est que tu vas pas crever et que tu vas pouvoir prendre un anti-douleur pendant que je m’occupe de ton épaule, la mauvaise, c’est que t’as l’obligation de ne pas toucher à ta guitare pendant au moins 48h le temps que ton épaule soit retapée, et y’a pas de ‘mais’ qui tienne : t’as une luxation, une entorse et une fêlure de la tête de l’humérus, donc à moins de vouloir des séquelles à vie, le corps médical t’enjoint à la jouer relax pendant deux ou trois jours : ça veut dire pas de charge lourde, pas de guitare, pas d’activité sportive sollicitant ton bras et avant que tu poses la question, oui, ça inclut aussi toutes les positions sexuelles nécessitant un appui sur le bras ou de porter ta partenaire.
Tant que Bauer peut vitupérer et râler sur toi, au moins, ça va le distraire de sa douleur. Tu fouilles dans ton sac, le premier truc à faire est solidifier l’os le temps que tu remettes l’épaule en place, et pour ça, tu vas avoir besoin de le shooter un peu. Ensuite, tu pourras lui filer un dériver du poussos pour accélérer la réparation de l’os et la régénération des muscles et tendons maltraités. Mais tu dois d’abord remettre tout ça en place pour éviter qu’une déchirure ligamentaire ne s’ajoute à tout ce merdier. Tu sors un flacon, et tu le décapsules.
– Tiens, c’est un analgésique, ça va faire passer la douleur pendant que je m’occupe de cette épaule. Mais attention, c’est pas parce que tu sentiras plus la douleur que t’as le droit de bouger, clair ? Sinon je te pétrifie pendant que je remets tout ça en place.
C’est que tu commences à le connaître, Bauer. Il est au moins aussi têtu que toi. Tu portes la potion à ses lèvres. Elle devrait pas tarder à faire effet mais tu doutes qu’elle supprime totalement la douleur. Tu n’es pas totalement stupide : Engel doit être habitué à la prise de somnifères et de drogues diverses, il ne serait pas étonnant qu’il ait bâti une résistance à ce type de substance. Mais de toute façon, tu n’as pas plus fort dans ta trousse de premiers secours, donc ça va devoir suffire… tu ne te vois vraiment pas aller demander à Rogue ou à un de tes collègues de quoi faire planer un phacochère.
– Bon, maintenant, tu te détends, je stabilise ton os, je te remets tout ça en place, et je te file une dose de poussos pour ressouder la fêlure, tu prends quarante-huit heures de repos, et tu seras à nouveau prêt à faire flamber les scènes londonniennes ! Tu sais que tout le monde à Sainte-Mangouste ne parle que de votre dernier concert ?
Tu lèves la baguette et tu lances le sort de stase. Tu l’as fait des centaines de fois, tu sais comment faire. Pourtant, à cet instant là, tu as tellement la pression que tu as l’impression de jouer ta vie.
succès épique | Malgré une main légèrement tremblante et un coeur battant la chamade, il semblerait que notre jeune infirmier n'ait rien perdu de son professionnalisme ni de ses compétences. Voici l'os de ce cher monsieur Bauer stabilisé ainsi qu'en témoigne l'impression glaciale qui lui parcoure le bras. Au moins Uriel pourra-t-il soigner ce gros bobo sans causer plus de dommage ! (Non, le MJ ne se moque pas, on ne voit pas de quoi vous voulez parler)
Je douille. Je douille et je flippe, comme rarement auparavant. Et la pression que le mettent les gars n’aide pas. J’ai envie de tous les envoyer chier, de disparaître loin d’ici pour aller morfler en paix, sans personne pour me dire à quel point il faut être con pour refuser de se rendre dans un service d’urgences quand on a une épaule qui s’est fait la malle. La douleur et les restes d’alcool m’empêchent d’avoir les idées claires malgré l’adrénaline qui me fait au moins garder un pied à terre. Les réflexions dans mon crâne s’enchaînent à toute allure. Ma blessure, les concerts, la politique… Tout se mélange en un marasme de trouilles et de responsabilités infâme que je semble bien incapable de gérer ce soir. Alors, quand Uriel se ramène enfin, mon accueil est glacial, injustement glacial.
Alors qu’il est plus dignement reçu par le reste du groupe, je les entends marmonner dans leur coin sans comprendre un traitre mot de ce qu’ils disent. L’impatience engendrée par ma douleur qui ne cesse d’empirer ne me fait pas tenir plus de quelques secondes - je déteste qu’on parle de moi dans mon dos. Alors je crache une phrase, un ordre à peine voilé pour que tous mes potes se décident à fermer leur gueule et laisser enfin le médicomage faire ce pourquoi il est venu se peler les miches en pleine nuit à Shoreditch. Une hésitation les traverse avant qu’ils ne s’écartent, et Uriel se met au travail dans un silence écrasant.
Tendu comme un arc sur le bord du canapé, le bras toujours posé sur ma cuisse, je sens les muscles de mon épaule trembler légèrement, comme éreintés eux aussi par cette position qu’ils ne supportent plus. A mes côtés, Uriel entame ses examens et mon corps se crispe plus encore. Le regard fuyant, j’appréhende, attend sans bouger qu’il m’annonce la sentence pour être tombé sur quatre connards qui n’ont de couilles qu’en supériorité numérique. La minute qui passe me semble interminable. Enfermé dans mon mutisme, je fais semblant de ne pas voir les mines angoissées de mes potes et de ne pas entendre le juron de Zven au moment où il se retourne après avoir lu les résultats. La peur me tord les boyaux et je déglutis nerveusement. Mon cœur frappe si fort ma poitrine que j’ai l’impression de le sentir se frayer un chemin entre mes côtes. J’ai l’impression d’être sur le point de crever et quand l’infirmier m’annonce une bonne et une mauvaise nouvelle, je crois sincèrement que je vais clamser sur ce putain de canapé avant même qu’il ne finisse sa phrase.
L’enfoiré commence par la bonne. Je l’écoute à peine me parler de son anti-douleur pourrave. Pas que ça me fasse pas plaisir, mais toute mon attention ne reste focalisée que sur cette foutue tuile et les conséquences à long terme de ma blessure qu’il ne m’a pas encore annoncées. Quand soudain, le verdict tombe.
Et j’éclate de rire.
48 heures. 48 putain d’heures. C’est tout. Juste deux putain de jours pour retourner enflammer les scènes londoniennes. J’écoute à peine la suite de son baratin, les précautions qu’il faudra prendre pendant ces deux petites journées, le repos obligatoire pour mon articulation… Autant de mises en garde inutiles tant je pensais devoir passer des mois entiers loin d’une guitare. Cette foutue blessure sera oubliée dans deux jours et j’ai l’impression d’enfin réapprendre à respirer comme l’ensemble des gars autour de moi. Même Zven semble s’être un peu déridé, ce qui tient du miracle.
Les derniers soubresauts de mon rire s’éteignent avec la fin des explications d’Uriel. J’écrase une larme de ma main gauche issue sans doute autant de ma liesse que du soulagement dont elle découle et je me tourne finalement vers le jeune dont j’accepte enfin de croiser le regard : - Tout ce que tu veux, putain, même si je dois me faire chevaucher par des donzelles pendant deux jours. J’en n’ai rien à cirer, si tu savais… C’est tellement rien, ça. Tellement rien…
L’inquiétude se dissipe lentement dans le creux de mon ventre, allégeant petit à petit le poids sur ma poitrine. Je prends une grande bouffée d’air et enchaîne d’une voix étrangement légère malgré la douleur qui continue de lancer : - Je saisis que c’est pas rien, l’ami. T’en fais pas. Mais si t’arrives à faire en sorte de me refaire monter sur scène dans deux jours, je t’assure que tu pourras me demander ce que tu veux.
Vient ensuite l’heure de vérité. Mon visage se referme alors qu’Uriel sort un flacon de sa sacoche. Je fronce les sourcils quand il me le tend et ne me rassérène qu’une fois assuré qu’il s’agit d’un anti-douleur. Je fais oui de la tête quand il me rappelle de ne surtout pas bouger, même si la souffrance s’apaise et bois la potion. Quelques secondes passent pendant lesquelles je prie pour que la mixture fasse effet et je me relâche légèrement quand je sens enfin que la tension dans mon épaule s’amenuise. Pas assez pour l’oublier totalement, malheureusement, mais suffisamment pour m’éviter d’avoir envie de crever dans la minute. Mais je me connais par cœur et je sais ne jamais me faire confiance que je suis dans ce genre d’état. - Zven ? Le guitariste relève les yeux vers moi, visiblement surpris. - Viens me tenir, s’il-te-plaît. L’allemand m’est revenu avec un naturel confondant, sans que j’y fasse attention. A cet instant, je parle à mon pote, celui qui m’a vu dans mes pires états et qui ne s’est pourtant jamais détourné de moi, celui qui s’est mangé mes poings et mes cris malades quand les substances dont j’abuse prennent le dessus sur toute autre chose. Celui qui s’inquiète tout le temps et qui reste, sans autre explication que parce qu’il semble fait pour cela, pour me relever tout le temps, me tenir à bout de bras, comme si c’était le rôle qu’il avait choisi gamin et dont il ne pouvait plus se défaire. C’est naturellement vers lui que je me tourne ce soir encore quand j’ai besoin d’un appui, et alors que certains pourraient s’inquiéter de me voir les mêler à toute cette folie, son visage à lui semble se décrisper tant le fait que je l’appelle le rassure sur le fait qu’il soit toujours là, toujours au bon endroit, toujours utile.
Il fait un signe de tête et s’approche pour s’asseoir sur le canapé, à l’opposé d’Uriel. Malgré tous les avertissements du médicomage, je sais que je pourrais me mouvoir sans même y prêter attention. Alors, Zven se positionne, attend de voir comment l’infirmier veut me manipuler et se place en conséquence, un bras autour de mes côtes, l’autre main attrapant ma tête au sommet du cou pour que je reste en place. Je respire à pleins poumons, essaye de me détendre sans manquer d’écouter ce qu’Uriel raconte. Un rictus se fraye un chemin sur mes lèvres blêmes. - J’espère bien qu’on ne parle que de ça, je gronde, encore tendu, me préparant à jongler de nouveau quand le médicomage se mettra à faire bouger mon épaule. C’est tout ce qu’on voulait. Malheureusement, je suis pas certain que tous comprennent ce qu’on a voulu faire, à en croire les abrutis qui me sont tombés dessus tout à l’heure. Je me risquerais pas trop à aller y chercher des soins pour le moment. Manquerait plus que je tombe sur un inconditionnel de Potter… Le médicomage lève sa baguette et lance son sortilège. Je me tends inconsciemment, rappelant la douleur qui me fait de nouveau serrer les dents jusqu’à ce qu’un frisson glacial vienne me parcourir tout le bras. Mes poils se hérissent, attirant l’attention de Zven. - Ça va ? - Ouais… C’est juste froid. Ça fait bizarre. Mais ça fait pas mal. Ca fait même du bien en définitive, comme une petite anesthésie avec des poches de glace. J’essaye de rester absolument immobile, toujours soutenu par Zven, et je glisse encre quelques mots à Uriel. - T’étais là, au concert ? Ça aurait été dommage que tu rates ça…
Lorsque tu annonces à Engel qu’il en a pour quarante huit heures, tu t’es attendu à le voir bougonner, râler, se plaindre de la médecine magique qui est même pas foutue de faire des miracles avec une guérison éclaire, mais certainement pas à l’éclat de rire soulagé qui lui jaillit de la gorge. Tu ne peux pas t’empêcher de lever un sourcil : c’est quoi ce mec au juste ? Où s’est-il fait soigner avant pour ignorer qu’une nuit suffit à faire repousser un os dans le monde magique et que les blessures « moldues » (ou disons qui ne sont pas liées à des mauvais sorts) se soignaient extrêmement bien ? Tu te demandes si Engel est de ces tarés à préférer la médecine moldue, bien moins efficace, mais aux théories néanmoins rudement intéressantes. Pas plus tard que l’autre jour, tu lisais sur Sci-hub un super article sur la récessivité des gènes et les conséquences de la consanguinité sur l’appauvrissement du patrimoine génétique des populations. Mais tu t’égares. Il y a un rockeur qui a besoin de retrouver son épaule.
– Je crois que tu es mon premier patient à le prendre aussi bien. Ça change des petits cons qui râlent sur la pauvre efficacité des soins magiques et qui s’attendent à ce qu’on leur fasse repousser un os en claquant des doigts. On est médecins, pas Dieu, bordel. Allez, voyons ça…
Tu lui files un anti-douleur, tu lui enchantes l’os, et tu prends ensuite le temps d’un examen externe pour déterminer exactement comment replacer l’os. Tu l’as déjà fait, mais ce n’est pas ton domaine de spécialité, et on t’a toujours dit qu’il fallait prendre le temps d’examiner par une légère palpation la sortie exacte de l’épaule avant de la remettre. Examen visuel et physique, donc. Tu entends de l’allemand que tu ne comprends pas. Tu as juste reconnu le nom de Zven. Tu le vois s’approcher de vous et s’asseoir à côté d’Engel pour le tenir. Tu devines ce que le guitariste a pu demander à son pote. Machinalement, tu corriges la position d’une main de Zven sur la nuque, et tu reprends ton osculation.
Très vite, tu détermines la meilleure approche. Pression, rotation, l’os devrait revenir se loger dans sa cavité sans coincer le moindre muscle ou nerf. Oui. C’est finalement assez simple. Il faudra ensuite lui donner une solution diluée de Poussos pour que l’os fêlé se ressoude correctement et un baume pour résorber l’hématome. Deux jours de repos sont amplement suffisants, mais tu sais qu’il faudra repasser le voir, juste pour vérifier l’évolution.
Maintenant arrive le meilleur moyen de remettre en place l’épaule : faire parler Engel pour le forcer à se concentrer sur autre chose. Il pourra ainsi détendre ses muscles et me permettre de travailler sans problème.
– Écoute, je ne peux pas faire deux pas sans tomber sur quelqu’un me parlant du concert. Je n’étais pas là, cependant. Mon père avait besoin de moi pour ranger les affaires de ma mère, elle est décédée.
Tu laisses un temps, puis tu captes le regard d’Engel pour attirer son attention.
– Mais raconte moi ce que j’ai loupé : qu’avez-vous joué ? J’ai particulièrement entendu parler de la dernière chanson, Mein Teil je crois ? Pardon si je prononce mal. Elle est à propos de quoi cette chanson ?
Ça commence à te répondre. Certains de ses potes, soulagés d’apprendre que la blessure n’est pas grave se permettent aussi d’y aller de leur petit commentaire. Dans le méli-mélo des voix et de ta concentration, tu n’arrives pas vraiment à saisir la teneur de ce qu’on te dit. En vérité, tu guettes, tu surveilles, tes doigts continuent de palper l’épaule comme si tu l’oscultais. Au moment opportun, quand tu sens que l’épaule que tu as toujours entre les mains se détend, CLAC. Tu la remets d’un geste du poignet et d’une pression.
Ça coupe court à la conversation assez radicalement.
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PS : j'ai pris une liberté sur la fin de supposer qu'Engel ou un membre du groupe répond à la question de Uriel, mais si ça te paraît pas cohérent, n'hésite pas à me le dire, je peux modifier le post
Quarante-huit heures. Cela peut paraître long pour certains et pourtant je pleure de rire, perdu dans une liesse aux allures de démence. Il me faut de longues secondes pour saisir l’étonnement du médicomage et c’est Andreas qui se charge d’expliquer ma réaction. - Engel fuit un peu la médecine sorcière depuis pas mal d’années… - Pas que la médecine ! grogne Xaver sans son coin. Ça fait un moment qu’on se demande s’il rêve pas de virer moldu. Conneries. Je lui jette un regard noir alors que Schneider fait sonner un claquement de langue réprobateur. Il reprend : - Bref. Toujours est-il qu’il n’a plus expérimenté de vraie médecine sorcière depuis un bail. Sorti des sortilèges qu’il utilise sur scène… il a tendance à éviter un peu tout le reste. - Et surtout les psychanalyses de comptoir, je le coupe. Alors si on pouvait s’arrêter là et me remettre en place cette foutue épaule, ça m’arrangerait.
Raclements de gorge confus. Andreas et Xaver s’éloignent pour laisser faire le petit. Le visage fermé, je repense à cette manie qui me fait fuir les hôpitaux sorciers depuis bien avant le concert. D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours eu un rapport complexe à la magie, entre fierté et culpabilité, désirs de puissance et refus d’en utiliser. Les déceptions à répétition de mon père, d’abord de me voir capable de magie quand lui subissait sa condition de cracmol, puis de me voir désespérément moyen alors que j’aurais dû être le grand sorcier que lui n’a jamais été m’ont rendu à la fois avide de pouvoir et prompt à rejeter tout ce qui me rapproche de ce que mon paternel voudrait que je sois. Comme une volonté de ne rien devoir à cette magie que je ne maîtrise pas, j’ai adopté au fil du temps un mode de vie résolument moldu, loin de tout le confort que peuvent apporter même les petits sortilèges du quotidien. Isolé dans mon appartement de Soho, j’embrasse avec une fureur maladive toutes les conséquences de mon choix, endurant la douleur des brûlures de la même manière que les moldus, comme si cela me permettait d’être en accord avec l’image que je renvoie à la face du monde : un homme à qui on ne dicte pas son chemin, qui défend une liberté farouche, jusqu’à refuser une nature qu’on lui a imposé à la naissance. Et pourtant, je demeure sorcier. Je garde l’accès à ce monde si restreint, aux merveilles qu’il a à offrir. J’en use moi-même certaines jusqu’à l’abus : nos spectacles sur scène le montrent bien assez. Alors que la surprise d’Uriel me rappelle toutes les failles de mon raisonnement, je réalise surtout que je reste un homme pris dans toutes ses contradictions, incapable d’abandonner complètement cette magie qu’il aimerait détester mais qui le fascine toujours. Et alors que les gars me forcent depuis quelque temps à cesser de m’obstiner quand la magie peut nous éviter des complications inutiles, j’avoue leur être secrètement reconnaissant de m’empêcher de ruiner l’avenir du groupe pour une simple question de fierté.
Je respire un peu plus profondément alors que les choses s’accélèrent autour de moi et je quitte le marasme de mes pensées. J’avale sans rechigner l’anti-douleur que me tend Uriel et appelle Zven à la rescousse pour m’éviter de bouger malgré moi. L’infirmier replace sa main que ma nuque. Le contact est assez réconfortant et m’aide à me détendre. Mais ce n’est que lorsqu’Uriel vient me parler du concert que mes muscles se relâchent complètement car je ne suis soudain plus absorbé que par la conversation qui nous occupe. Je bomberais sans doute le torse si la douleur latente ne me convainquait pas d’éviter le moindre mouvement.
Alors je ne fais que parler, sans me priver de laisser entendre combien ce concert était un coup de maître. Nous avons pris le sacrosaint Ministère de court, bousculé la vieille société anglaise pour la forcer à ouvrir les yeux et nous désigner brusquement comme la menace qui pèse sur le Royaume-Uni, loin, loin devant le conservatisme de l’Enchanteresse. Entendre les réactions qui continuent de pleuvoir flatte mon orgueil. J’aurais aimé qu’Uriel puisse voir cela, mais la raison de son absence, glissée avec une simplicité confondante, me gifle en plein visage et me force à retomber de mes nuages. Un léger silence s’impose une seconde avant que je ne murmure : - Désolé, petit… Condoléances. Le mot est repris pas mes camarades alors que je lève le regard pour croiser celui du médicomage. J’hésite un instant sur le comportement à adopter alors qu’il revient sur le sujet du concert, et je choisis de poursuivre sur sa lancée. - On n’a pas pu jouer beaucoup de morceaux. Faut dire que c’était pas le but. On a commencé avec Bestrafe Mich, comme un prologue à ce qui allait se passer, puis quelques classiques que les gens d’ici aiment bien. Links 2, 3, 4 a bien marché. - Elle a cassé la baraque, tu veux dire ! gronde Xaver qui s’est trouvé une chaise sur laquelle s’asseoir, dossier côté torse pour laisser reposer ses bras sur le dessus. A côté de moi, je sens Zven sourire. Ce concert a été un sans-faute, de quoi nous laisser un des souvenirs les plus mémorables de notre carrière. - Mais c’était rien à côté de Mein Teil, poursuit Andreas, et tous les souvenirs me reviennent en tête avec une précision remarquable. - Ouais… C’était rien à côté de Mein Teil. J’aurais vraiment aimé que tu voies ça, Uriel. Le plus gros taquet que Potter s’est jamais pris dans la gueule. Un régal. Alors ça n’a pas plu à tout le monde, mais tu sais bien qu’on agit toujours un peu dans ce but-là. Ça a toujours été notre marque de fabrique. On nous changera pas à quarante piges. - Ca c’est sûr… - On a tourné un clip. Un putain de clip. Un truc un peu glauque, volontairement choquant. Potter en monstre dévoreur d’enfants, y en a une paire qui ont pas apprécié le tableau. Je crois qu’ils ont pas tous compris le principe de l’expression artistique. Mais on s’est jamais freiné de peur d’offusquer les étriqués d’esprit. On va pas commencer maintenant. Mais je pense que le mieux, c’était la fin de la projection. - La dernier plan. Je sens Schneider frémir, un sourire de benêt sur le visage, comme un gosse sur le point de dévoiler un secret. Et je termine notre récit, le cœur encore gonflé d’orgueil : - Ce morceau a été fait en collaboration avec des gamins de la chorale de Poudlard. On s’est pas privé de le dire. - Ca a achevé tout le monde. T’aurais dû voir le silence qui s’est abattu sur tout le Chemin de Traverse après ça… - On a plutôt bien réussi notre coup, c’est certain. J’attends de voir les réponses de Poudlard qui ne devraient pas tarder à arriver. Mais on a pas fait ça comme des cons. On a tout prévu pour protéger les gosses. Ils savaient pas sur quel morceau leurs voix allaient être utilisées. Et on défendra jusqu’au bout leur anonymat. Rogue et son armada peuvent bien aller se faire f… ARGH !
Le craquement fait sursauter tout le monde sauf Zven qui est resté tout du long admirablement concentré sur les mouvements de l’infirmier de sorte à bien prévoir le moment où il tenterait de réduire la luxation. - Putain ! L’enfoiré ! L’allemand revient claquer entre nous sans que j’y fasse même attention, mais rien ne fait tressaillir Zven. Il résiste au moindre mouvement que je tente inconsciemment de faire, jusqu’à ce que je me calme de nouveau quand je réalise avoir plus crié sous la surprise que la douleur, une douleur qui, maintenant que j’y pense, a presque entièrement disparu. C’en est sidérant.
- Je peux te lâcher ? demande Zven après une dizaine de secondes. - Oui. Oui, ça va… Et ses mains relâchent doucement leur prise. J’inspire une grande bouffée d’air, à l’affût de la moindre douleur, mais je ne ressens quasiment plus rien hormis quelques restes qui lancent pour me rappeler que l’articulation en a chié. Ma main gauche passe nonchalamment sur mon front alors que je souffle à Uriel : - T’es vraiment un salaud, mais putain… ça fait du bien. Je relève les yeux pour croiser le regard du médicomage. - Merci.
Je respire plus profondément, enfin soulagé. Autour de moi, les sourires de mes potes se font rayonnants. Tous relâchent d’un coup la pression et l’atmosphère de tout le studio s’en trouve métamorphosée. Xaver se lève de sa chaise et s’approche pour s’agenouiller devant moi en tapant amicalement dans mon épaule valide. - Eh ben voilà. On va pouvoir s’occuper de ta gueule maintenant. - Ca va, répond Zven à côté de moi. Ce sont que trois bleus et une coupure à la lèvre. - Uriel va faire disparaître tout ça en un rien de temps. Pas vrai ? Je laisse échapper un petit rire parce qu’après ce que le petit vient de me faire, j’ai moi aussi peu de doutes à ce sujet.
Tu as un sourire triste sur les lèvres lorsqu’ils te présentent leur condoléances. Tu ne saurais pas trop dire pourquoi. Tu crois que ça te touche, que des gars comme ça, bourrins dans leur musique, provocateurs, agitateurs, se montrent aussi humains avec toi. C’est con, mais c’est aussi ce qui fait la beauté de ton amitié avec eux. Tu sais que le monde les voit comme des grosses brutes, mais ils ne sont pas moins humains que toi, Potter, ou même Lucius Malefoy. Tu n’oses pas leur demander ce qui les a pris d’accepter ce concert. En les écoutant, la réponse te saute à la gueule : ils étaient beaucoup trop fiers de pouvoir foutre la merde. Tu le vois, et leur enthousiasme est communicatif. Tu ne peux pas t’empêcher de hocher la tête, de te sentir amusé par leurs réactions, leur façon d’en rajouter, de pérorer, fiers comme des paons, orgueilleux comme des coqs. Tu te dis que toi-même, après une bonne journée de boulot, tu dois avoir à peu près la même tronche, il serait malvenu de se moquer, même si tu trouves ça mortellement drôle.
Tu ne peux pas masquer ta surprise lorsque tu les entends parler de la chorale de Poudlard. Tu ne sais pas trop dire si, comme eux, tu trouves que c’est un coup magistral, ou si tu t’offusques un peu d’avoir employé des gamins… Tu sais combien la musique de Reissen peut parfois être sulfureuse, et ce que qu’ils te disent, Mein Teil c’est un manifeste anti-Potter, une claque dans la gueule du Ministre… Et du Directeur de Poudlard. Tu es un peu ennuyé pour Rogue, alors tu coupes court et prend un malin plaisir à remettre l’épaule en plein milieu d’une phrase d’Engel !
Quelques jurons en allemand, tu as un petit sourire en coin sur la gueule. Toi aussi tu es fier de ton coup. Et tu trieras plus tard les sentiments contradictoires qu’éveille Mein Teil chez toi. Tu fais un grand sourire quand Engel te remercie et hoches la tête pour accepter ses remerciements. Ce gars, il est bourrin, mais tu as toujours été convaincu qu’il était moins con qu’une partie des gens que tu croises, chaque jour, à l’hôpital. En tous cas, il est plus poli que ce vieux bouc aigri, là, que t’as du soigner ce matin…
– Tu es sur pour ta gueule ? J’aurais cru que tu aurais voulu garder tes blessures, histoire de pouvoir gueuler dans les journaux sur les attaques physiques que vous subissez à cause de vos prises de position radicales.
Tu t’es pris le menton entre deux doigts. Même si tu n’aimes pas forcément toutes les idées de Reissen, tu ne peux pas t’empêcher de les apprécier eux, en tant qu’humains, en tant que sorciers. C’est pas des mauvais bougres : ils s’expriment avec hargne, la hargne du désespoir, la hargne de l’agitateur. Tu peux difficilement leur en vouloir. Toi aussi, ces derniers temps, tu aurais bien envie de cracher ta haine. Lucius Malefoy et sa poule. Lucius Malefoy et son héritier. Fucking Lucius Malefoy, le violeur de ta mère. Pourtant, tu ne l’as pas encore fait. Quelque chose t’en empêche. Quelqu’un. Ton père, ton vrai père est ton ancre. Sans lui, que n’aurais-tu déjà fait comme connerie ?
– Mais si t’es certain, bouge pas, je m’en occupe : on voudrait pas empêcher les dames de voir cette jolie p'tite tête !
Tu adores définitivement le provoquer. C’est peut-être pour ça, aussi, que la petite bande t’accepte. Tu as beau avoir été un Serpentard, avoir été élevé par un membre du choeur céleste, tu sais aussi t’adapter à toutes les situations qui soient… Et si certaines exigent de la légèreté et un humour gros grain, tu sais faire aussi.
Ça pulse encore dans mon épaule, le traumatisme incrusté dans mes muscles, les tendons criant leur douleur de s’être vus si longtemps étirés à outrance par le déplacement de l’os. Mais la souffrance s’est tellement atténuée que je la sens à peine. Le soulagement m’enivre l’esprit, comme un shoot d’une drogue dure qui fait se détendre tout mon corps jusqu’à la déraison. Je clos les paupières pour mieux savourer la sensation, entends à peine les paroles de mes camarades qui goûtent eux aussi l’apaisement de me savoir tiré d’affaire et en pleine forme d’ici deux jours. Le groupe est sauvé, nos enregistrements pour l’album aussi et tout cela en une seconde à peine, un geste d’Uriel. C’en est miraculeux.
Je sens près de moi l’amusement de l’infirmier et lui laisse bien volontiers son petit moment de fierté. Il faut dire qu’il m’a bien coupé la chique, l’enfoiré, et je suis certain qu’il l’a fait exprès ! Mais je suis trop heureux de sentir mon bras enfin remis en place que je suis bien incapable de lui rentrer dans le lard.
J’entends approcher le pas lourd de Xaver et ouvre les yeux pour le voir s’agenouiller devant moi. Sa grosse main s’abat sur mon épaule gauche et son sourire est réconfortant. La commissure de mes lèvres s’étire en réponse, quoiqu’encore un peu tremblante. J’ai vu ma gueule en passant devant le plexiglas de la salle d’enregistrement : un visage à faire flipper un détraqueur. Le sang qui a coulé de ma lèvre est mal essuyé. Ma pommette gauche est gonflée. J’ai un gros bleu sur le côté droit de la mâchoire et un cran quelque part sur le front, sans parler des traces de coups qui doivent marquer mes côtes et mon dos. Ces connards n’y sont vraiment pas allés de main morte, mais l’anti-douleur que m’a filé Uriel a l’avantage d’apaiser un peu toutes mes douleurs. Je ne crains plus que le moment où il commencera à perdre son effet.
J’ai un léger rire en entendant Uriel me proposer à mi-mots de me laisser les jolis stigmates que j’ai sur le visage pour cirer sur tous les toits à la violente tentative de censure d’un peuple qui a oublié toute notion de libertés fondamentales. Mais mon sourire un peu trop franc sollicite des muscles malmenés qui me lancent avec virulence pour me rappeler de leur foutre la paix, me faisant grimacer à moitié. Je n’ose pas imaginer l’expression que ça me donne. - Non, ça va… finis-je par répondre. Après un coup comme celui qu’on a fait l’autre jour, on ne cherche qu’à se faire oublier un peu jusqu’à ce que l’orage passe. Si tu fais que gueuler en permanence, les gens finissent par te prendre pour un excité et tu perds toute crédibilité. C’est pas ce qu’on cherche… Mes mots sonnent étonnamment sérieux, posés. J’imagine qu’Uriel a rarement eu l’occasion de me voir comme quelqu’un d’un minimum réfléchi. - Les connards qui me sont tombés dessus en ont déjà eu pour leur compte. J’ai rien à espérer de plus de cette histoire. Si on dénonce cette agression, ça ne fera que convaincre les politiciens frileux qu’ils ont des soutiens virulents dans une certaine partie de la population. Et puis ça leur permettra de nous répondre que la violence appelle la violence, qu’importe si elle vient des mots ou des poings. Je ne leur donnerai pas une victoire si facile. Ils peuvent aller se faire foutre…
Xaver se marre avant de s’écarter pour laisser travailler Uriel. Je souris encore une fois quand le petit s’inquiète de protéger mon petit succès féminin. - C’est ça. Protège donc mon capital séduction. - C’est qu’il en a bien besoin, le nain. - Va chier ! Le gros rire du chanteur résonne dans tout le studio et me fait sourire encore. La légèreté de l’air a quelque chose d’éminemment apaisant après la tension qui s’était emparé de toute la pièce. Tout le monde respire enfin, à commencer par Zven qui est parti s’adosser dans un coin, les mains dans les poches, et qui continue d’observer chaque mouvement de l’infirmier comme pour s’assurer qu’il ne fait rien de travers. Ses traits tirés se sont néanmoins détendus, preuve du fait qu’il soit parvenu à se calmer. La présence d’Uriel, si longtemps décriée, semble finalement réussir à apaiser tout le monde.
Je laisse faire le médicomage pendant deux bonnes minutes, faisant de mon mieux pour rester immobile chaque fois qu’il se met à soigner une plaie. A côté, les gars discutent calmement, sans vraiment prêter attention à ce qu’il se passe. Ils savent tous que le danger est derrière nous. Profitant du fait qu’ils soient occupés ailleurs, je murmure alors à l’attention d’Uriel : - Pourquoi t’es là, Uriel ? Je sens ses gestes s’alanguir sous la surprise et tourne légèrement la tête pour venir croiser son regard avant de reprendre : - Tu sais qu’on n’est pas les sorciers les plus fréquentables du moment. Je sais même pas si t’es d’accord avec la moitié de ce qu’on dit. Tu pourrais envoyer chier Andreas quand il t’appelle à des heures pareilles pour faire des heures sup’ dans son groupe de radicaux. Mais tu le fais pas. Pourquoi ? Aucune hostilité ne vient durcir mes traits. Mais la curiosité dans mon regard est aussi claire que le bleu de mes yeux.
Hrp : vu mon temps de réponse, tu es tout pardonné...
Tu es content de sentir la tension de la pièce s’émousser doucement tandis que ça se met à se vanner. Tu termines d’effacer les petits bobos de la gueule d’Engel pendant que ses potes le charrient. Mine de rien, tu sais que le rire, c’est important, surtout après des moments d’une telle tension. Tu te doutes que les derniers jours ont pas été faciles pour le groupe, alors tu préfères prendre les devants. Pas besoin de tomber dans le mélo-dramatique pour une épaule et deux-trois contusions… et une lèvre amochée aussi. Quelques coups d’epiksey plus tard sur la lèvre, et un peu de baume sur les contusions et voilà le M’sieur Bauer comme neuf. Tu esquisses un sourire.
– Voilà beau gosse ! T’as retrouvé ton sourire ravageur qui fait tomber toutes les filles….
Ton sourire s’élargit.
- … de moins d’un mètre cinquante.
C’est le genre de vannes que tu n’as jamais faite à Engel. C’est peut-être le membre du groupe, avec Xaver, qui t’attire le moins. Tu as surtout sympathisé avec Andréas dont l’insouciance perpétuelle a quelque chose de très libératrice. Toi qui t’es toujours arrangé pour ne pas faire de vague à l’école et dans ta vie personnelle, c’est comme si tu pouvais, avec eux, te libérer d’un poids énorme, simplement être un gars qui n’en a pas grand-chose à foutre de l’image qu’il renvoie. Et cette envie de décompresser s’est accrue depuis que le secret de tes origines a éclaté au grand jour dans ton petit cercle familial. Un raz-de-marée. Tu n’oserais même pas imaginer la gueule de tous ces enfoirés de sang pur si ça venait à se savoir… Malefoy, violeur, et pas foutu d’empêcher sa victime de lui faire un bâtard. Tu as toujours cet arrière-goût de cendre et de ciguë dans la bouche quand tu y penses.
Et la voix d’Engel t’arrache de tes pensées pour te sortir le truc le plus ahurissant que tu aies entendu au cours des dernières quarante-huit heures. Tu ne peux pas remonter au-delà, parce qu’il y a quand même ce gars, là, lecteur du Chicaneur qui est venu vous demander de le débarrasser de ses nargols… Tu lèves un sourcil incrédule.
- T’es sérieux, là, Engel ?
Tu ne sais pas trop si tu dois te sentir vexé ou pas de sa question qui n’est pas totalement illégitime si tu y réfléchis bien.
- T’as déjà entendu parler du serment d’Hippocrate ? Dans le monde moldu comme dans le monde magique, les soigneurs ont un devoir d’aider les gens dans la mesure de leur capacité. Figure toi que la plupart d’entre nous prenons ça plutôt au sérieux… Et puis Andreas est un pote. j’avais aucune raison de ne pas venir. J’en ai strictement rien à battre de ce que les gens pensent de vos positions politiques et de votre musique. Ils vous connaissent pas, ils ne connaissent de vous que votre image publique. Vous êtes des mecs biens, des gars cools, j’ai aucune raison de pas être là.
Tu hausses les épaules. Tu n’as pas grand-chose d’autre à ajouter, alors tes mains se sont affairées à réarranger ton kit de premiers secours désormais refermé. Tu ne peux pas t'empêcher de taquiner, un grand sourire espiègle aux lèvres.
- Après, si tu préfères que j'envoie chier Andreas la prochaine fois... Tu me dis, hein ? Si la souffrance te fait plaisir, je voudrais pas te priver d'une occasion de prendre ton pied.