– Fermeture dans dix minutes, si vous voulez emprunter c’est maintenant ! tu annonces d’une voix claire sans lever la tête pour autant. Fatigue et besoin d’air. La semaine a été longue ; tu n’as qu’une hâte, qu’elle se termine et que commence le weekend pour avoir deux jours de répit. Tu apprécies les élèves qui passent la porte de ton antre, la majorité d’entre eux ayant compris les règles instaurés. Mais il y a de ces moments où une coupure te fait le plus grand bien. De toute façon, tu sais qu’ils ne traîneront pas. Ils savent que tu aimes finir à l’heure et que tu ne tolères pas en attendre une minute de plus. Alors tu en vois certains qui commencent à se lever et ranger leurs affaires. Douce quiétude du soir. D’autres partent en te lançant un « bonne soirée madame » du bout des lèvres quand d’autres encore regardent les livres s’envoler vers leur rangée. Quelques-uns viennent à ta rencontre, tu places alors ces lunettes qui te donnent un air si sévère, ouvre ton cahier des registres d’une main habituée, saisis ta plume de l’autre et note l’ouvrage, le nom et prénom de l’élève, la Maison, l’année, la date butoir avant de recevoir un avertissement. En quelques minutes, les quatre étudiants qui attendaient passent la porte pour rejoindre leurs dortoirs respectifs. Tu attends que celle-ci se referme en un grincement qu’il te faut impérativement régler pour enlever tes verres et soupirer un coup, d’un air las. Silence apaisant d’une salle vide. Tu regardes ta montre. Elle affiche 20h. Tu esquisses un petit sourire avant de ressortir un bout de parchemin glissé dans la journée sous un de tes livres de bureau.
20h15 aux cuisines ? M
M pour Malachy, ton collègue depuis deux années maintenant. Un sacré collègue, c’est le cas de le dire. Vos dîners dans les cuisines de Poudlard sont presque devenus une tradition sacrée. Lui aimant cuisiner, toi aimant la gastronomie, les choses ont vite été réglées dès les premières semaines. Depuis, vous êtes des habitués des lieux. Tu fais un rapide tour des rayons avant de partir. Tu aimes que les choses soient en ordre avant de revenir le lendemain ou après le weekend. Livre qui n’est pas rangé au bon endroit, s’envole vite vers sa chaude demeure. Mais un rapide tour de la bibliothèque de Poudlard n’est pas toujours un tour si rapide que ça. Des centaines de rangées, plusieurs milliers d’étagères, sans parler des tables d’étude… En cinq ans, tu en connais le moindre recoin, le moindre centimètre. Tu pourrais même faire tes vérifications de fin de journée les yeux fermés si tu le voulais. Tout est en ordre, il est temps de partir. Tu attrapes ta veste accrochée au porte-manteau avant de fermer derrière toi, en ayant pris soin d’éteindre la lumière. Les couloirs de pierre de Poudlard ne sont pas les endroits les plus chauds du château ; et du quatrième étage jusqu’au sous-sol, tomber malade devient un jeu d’enfant en ces temps un peu frisquets. La porte fermée d’un tour souple de baguette t’entend t’éloigner à pas rapides. Tu empruntes ces escaliers que tu as toujours maudit étant plus jeune à force de les attendre et t’enfonces toujours un peu plus dans les entrailles du château. Tu salues d’un geste sec du menton les quelques élèves qui traînent encore dans les couloirs et arrives finalement devant ce tableau magnifique de la Corne d’abondance. Après quelques chatouillis au milieu de la poire, la poignée apparaît et tu pousses la porte du passage, confiante, entrant alors dans le repaire des elfes de maison. Cherchant ton ami des yeux, tu l’aperçois dans un coin de cette salle immense, s’affairant au-dessus d’une table. Tu t’approches, un sourire aux lèvres. – Ça sent drôlement bon par ici, tu fais, te sentant déjà victime de ton ventre affamé.
Un vendredi soir, au mois de janvier 2004, jour 16 du Cycle Lunaire.
Les exemplaires de la Gazette du Sorcier s’accumulaient sur son bureau, il ne parvenait plus à trouver de temps pour les lire. Pourtant, deux éditions avaient été particulièrement importantes, ces dernières semaines. Celle du 12 janvier, qui titrait la disparition de quatre fonctionnaires du Ministère de la Magie, et celle du 19 janvier, bien sûr, qui avait suivi le fameux concert qui avait ébranlé la capitale. Celle-là, il l’avait lue, vert de jalousie de ne pas avoir choisi ce week-end là pour son expédition à Londres. En effet, sa sœur l’envoyait examiner le bar de @Nigel A. Fawley, qui semblait, vu de l’extérieur, plutôt prometteur pour une alliance dans leurs affaires de paris. Il n’avait pas pu réserver de portoloin pour le week-end du 18, il avait ainsi pris des billets pour le 24 qu’il regrettait maintenant amèrement. Combien aurait-il aimé y être, pour pouvoir voir le visage des soutiens de l’Enchanteresse se décomposer quand le nouveau héros de la Résistance avait fait péter ses feux d’artifices. Il aurait aimé se joindre aux chants, il aurait même aimé être arrêté. Peut-être toutefois avait-ce été un mal pour un bien, c’était le genre de choses qui auraient pu lui coûter son travail. Il n’y avait qu’à voir la chasse à l’homme menée à Poudlard par @Severus Rogue pour trouver le traître parmi ses rangs. Enfin … L’impression d’avoir manqué quelque chose ne l’avait pas quitté, il avait alors avidement lu tout ce qu’il avait pu trouver à ce sujet, jusqu’aux mots de Rita Skeeter. Il avait même foutu ses louveteaux de sept ans en examen pour avoir le temps d’ouvrir le journal. C’était ainsi que finalement, il était retombé sur cette une du 12 janvier, sur d’autres lignes de Rita Skeeter, qui entre deux mentions de son prochain ouvrage, signalait des disparitions effectivement inquiétantes au Ministère. Arrachant un bout d’une page de publicité, il avait griffonné quelques mots adressés à sa collègue de la Bibliothèque, avec laquelle il passait régulièrement quelques soirées, et qui aurait certainement un avis à ce sujet. 20h15 aux cuisines, avait-il suggéré. Une habitude qui avait le croc-dur malgré son dénuement apparent, mais qui lui plaisait bien. Il ne s’agissait que d’un dîner, dans un endroit bruyant qui grouillait de monde, mais Vita Stanford était de bonne compagnie, surtout en ces temps où il était difficile de trouver quelqu’un avec lequel on pouvait partager un avis similaire au sien, et particulièrement dans ce château qui n’était désormais pas grand-chose de plus que le théâtre de ce macabre clip de propagande. Il avait besoin de ça, de pouvoir partager un peu de temps avec quelqu’un dont les idéaux n’étaient pas si éloignés des siens. En bonus, il préparerait à manger, parce qu’il aimait faire ça, et que ça le détendait. Certainement quelque chose dont il avait aussi besoin. Le cycle de janvier était épuisant, la pleine Lune qui arrivait dans une dizaine de jours promettait d’être difficile. La note était partie rejoindre la bibliothécaire par un petit coup de baguette, et il avait ramassé les copies de ses élèves. Basile avait encore troué son parchemin avec sa plume. Il fallait vraiment qu’il discute de tout cela avec McGonagall, les enfants de la Prima Sapientia étaient, à son avis, trop jeunes pour se servir de pareils artefacts. Ils ne savaient pas même se servir de celles de canards, particulièrement à sept ou huit ans, et ça devenait infernal de perdre du temps à essayer de les lire entre deux énormes tâches d’encre, quand on pouvait tout au si bien mettre entre leurs petites mains d’enfants des stylos parfaitement moldus mais aussi parfaitement efficaces. Ou mieux encore, des crayons à papier qu’ils pourraient gommer, mais ça, c’était peut-être pousser le bouchon un peu trop loin. De toutes façons, c’était un combat pour un autre jour, s’était-il dit alors qu’il aidait ses mômes à ranger leurs affaires, et qu’il s’assurait que les plus filous parmi eux avaient bien écrit dans leurs agenda les devoirs qu’il fallait faire pour la semaine prochaine. Des devoirs d’Histoire, à sept ans. Magique et moldue, qui plus est. Les gosses moldus ne savait pas leur chance, ils jouaient au foot tandis que leurs compères magiques grattaient des pages de parchemin avec des plumes de canard. La plus grande injustice du monde, et il en était un des acteurs principaux.
Alors qu’il épluchait des tomates et une carotte sur un plan de travail gracieusement prêté par Kristi, l’Elfe de Maison qu’il avait réussi à mettre dans sa poche, Malachy songeait à l’article de Skeeter. La dernière guerre avait commencé comme ça, il s’en souvenait bien. Par des disparitions. Et les Anciens racontaient que celle d’avant avait aussi commencé ainsi. Par des portés disparus, des Pavel Monroe et des Helen Bladestone d’un autre temps. Ça n’avait pas été des employés du Ministère, toutefois. C’étaient des simples sorciers, qui avaient toutefois le point commun d’être dotés d’un sang parfois décrit comme impur. Quel étaient le point commun de ces quatre disparus, en dehors de leur lieu de travail ? Un cracmol et un Vampire, d’abord, ce qui semblait coller au modèle. Mais que venaient faire ces deux postières dans la liste, alors ? L’une gérait un journal, ça pouvait être une raison … Mais l’autre ? C’était au tour des oignons de passer sous la lame de son couteau. Kristi lui avait bien appris quel sortilège utiliser pour le faire, mais finalement, il préférait faire comme son grand-frère le lui avait appris. Ça le détendait, et il n’avait certainement pas besoin de faire les choses aussi rapidement et avec autant d’efficacité que les cuisiniers de Poudlard qui préparaient des plats pour des centaines d’enfants, trois fois par jour. Il ne s’agissait que de lui et de Vita, qui connaissait bien sa cuisine et qui, jusqu’à présent, ne s’en était pas plaint. Alors qu’il mixait ses tomates du bout de sa baguette, Malachy se demandait s’il fallait vraiment prendre au mot ce que crachait la plume insipide de Rita Skeeter. Son article voulait tout dire, et pourtant, comme d’habitude, il ne disait rien. On ne savait pas qui étaient ces gens, ni dans quelles conséquences ils avaient disparu, il n’y avait qu’une source, qui avait bien sûr voulu rester anonyme. Une seule personne pour répondre aux inquiétudes, et parmi tous les possibles, c’est Narcissa Malefoy qui avait été choisie pour répondre à la journaliste. Finalement, celle-ci apportait beaucoup plus de questions que de réponses – mais l’on pouvait arguer que c’était là le travail d’un journaliste – et surtout, elle servait plus à distiller de la peur dans les esprits de ses lecteurs qu’à simplement informer le peuple. Pourtant, elle aussi avait déjà connu ces disparitions, ces combats, n’avait-elle rien appris ? Peut-être se disait-il la même chose que lui : la dernière fois, ça a commencé comme ça. C’était ce qui tournait inlassablement dans le crâne du lycan, malgré ses à prioris sur la journaliste et sur la qualité de son travail. Des gens qui disparaissent, ce n’est jamais une bonne nouvelle.
Parmi le brouhaha des elfes autour de lui, Malachy n’entendit pas tout de suite Vita arriver. « Ça sent drôlement bon par ici … », glissa-t-elle quand elle arriva près de lui. Balançant son torchon sur son épaule et lâchant sa lame et sa baguette, il se pencha vers elle pour déposer une bise sur sa joue, évitant de la toucher de ses mains pleines de jus d’oignon. « Y’a intérêt, répondit-il, un large sourire aux lèvres, c’est tout maison, comme d’habitude. » Du bout des doigts, il indiqua son plan de travail, recouvert de nombreux ingrédients. Oignons, persil, sel et poivre qui serviraient à assaisonner la viande hachée qu’il avait déjà sortie. Dans une poêle aux bords hauts, il jeta dans un filet d’huile ses oignons, et quelques champignons parce que Kristi lui avait dit qu’il fallait les manger, parce que sinon, elle allait les jeter. Quand tout serait bien doré, il ajouterait les tomates qu’il avait pelées et pré-mixées, pour que le tout mijote un moment avant, justement, de rajouter la viande. La carotte servirait à apporter un peu de sucre à la sauce, et Malachy se léchait déjà les babines à la perspective de cette sauce al ragù, comme disaient les italiens. « Ce n’est pas encore prêt, en revanche. Je vais te laisser crier famine encore une petite demi-heure, désolé … ». Il avait pris un peu trop de temps à ranger son bureau, et ça l’avait mis en retard. Vita ne lui en voudrait pas, il en était sûr, et son ventre ne tarderait pas à le pardonner. « Tu m’aides, avec le sortilège insonorisant ? » lui demanda-t-il, pour qu’elle sorte sa baguette et les enferme dans une petite bulle qui leur permettrait de ne pas trop être dérangé par les bruits des dizaines de fourneaux tout à fait actifs à cette heure-là de la journée. Malachy maniait mal la magie, c’était ainsi toujours Vita qui s’occupait de cette partie-là du travail. Pointant de sa cuiller en bois la Gazette du Sorcier qu’il avait amenée jusqu’aux cuisines, il dit : « Je suis retombé là-dessus, tu l’as lu ? ». Quelques gouttes de tomates vinrent perler sur les mots de la journaliste.
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Spoiler:
(pour plus de clarté, j’ai placé notre RP le 23 janvier 2004, la une de Rita est sortie le 12, le concert c’était le 18).
Tu as beau te débrouiller pour te sustenter en te resservant des multiples recettes apprises à l’étranger, ton niveau n’atteindra jamais celui de Malachy. Il fait partie de ce genre de personnes qui arrive à faire d’une carotte, d’une pomme de terre et d’un chou-fleur un plat de luxe. Un coup d’œil à son plan de travail pour savoir que le repas de ce soir sera aussi bon que tous vos rendez-vous précédents. Oignon, persil, viande, champignons. Tu n’aurais pas été morte de faim si votre histoire avait marché. A ce propos, tu n’as jamais compris pourquoi ce couple a été un échec. Mal est beau garçon, intéressant dans ses discussions, avenant et bon cuisinier. C’est presqu’avec certitude que tu pourrais rapidement trouver une jeune fille étant secrètement intéressée. Et pourtant, cela n’a pas suffi à te retenir ; ce blocage persistant était trop fort pour que tu y résistes. – Mon ventre peut encore tenir trente minutes, tu le rassures. Tu n’es pas pressée, personne ne t’attend chez toi, sauf peut-être un courrier de tes parents. A tous les coups ils vont vouloir que tu viennes passer les vacances de février dans la maison familiale d’Edinburgh. Cela doit faire quelques mois que tu ne leur as pas donné de nouvelles, en même temps tu n’as jamais vraiment été comme ça et ils le savent. Pour toi, ce repas ne sonne rien de bon, même si tu as beaucoup d’amour pour tes parents. Mais tu entends déjà leurs paroles moralisatrices résonner dans le creux de ton oreille, leurs arguments pour que tu les rejoignes dans leur lutte politique contre l’Enchanteresse. Elfe de maison qui, en claquant des doigts, fait léviter une tarte hors du feu. A quoi bon passer tous les repas à tenter d’expliquer que non, tu ne cautionnes ni un camp ni l’autre, que tu te fiches un peu de toutes ces guerres un peu stupides, que oui, ton avis restera inchangé et que oui, tu n’as pas envie de parler que de politique pendant toute la semaine ? Rien qu’à cette idée, tu te prépares à leur annoncer ta réponse négative. Si seulement la vie pouvait être plus simple… Les champignons prennent une teinte légèrement plus foncée. L’odeur alléchante emplit les narines. Ton regard se perd dans le délicieux plat concocté par ton ami avant de se poser sur le bord de la poêle et suivre le contour des flammes orangées. C’est fou comme cette cuisine ne s’arrête jamais, même après les cours. Comme si elle restait en éternelle activité. Ton esprit est alors réveillé par la voix de ton collègue. Brume qui se dégage pour te faire revenir à la réalité. Avec un sourire, tu hoches la tête et sort ta baguette. Non pas que vos propos doivent être confidentiels, mais c’est tout aussi bien d’avoir son moment de calme sans personne pour vous importuner. Le sortilège enclenché, tu te tournes à nouveau vers lui avant de suivre des yeux ce que pointe sa cuiller en bois. La Gazette du Sorcier, éternelle lecture hebdomadaire de tous les sorciers d’Angleterre. Tu la tournes vers toi et lis le titre, sourcils froncés. L’édition date du 12 janvier, soit une dizaine de jours auparavant. Il s’en est passé des choses, en dix jours. Même si tu n’es pas orientée politiquement, tu es toujours au courant des récents événements. – Je l’ai lu, oui, tu fais dans un soupir en t’asseyant sur la table, la Gazette dans les mains. Quatre disparitions en un mois à peine, ça fait beaucoup. Soit c’est un coup monté du Ministère pour faire porter le chapeau au parti de l’Enchanteresse… Mais ce serait drôlement tiré par les cheveux, tu argumentes en te grattant la tête, ou alors l’Enchanteresse est vraiment coupable… Ou bien il y a une tierce raison que j’ignore. Les complots politiques n’étaient pas ce que tu maîtrisais le mieux, mais le comportement sorcier et son utilisation de la magie en fonction te fascinait. Il y avait toujours plus à apprendre. Et toi ? t’enquis-tu. T’en penses quoi ? Quatre gouttes de tomate dans le coin inférieur droit du journal.
Un vendredi soir, au mois de janvier 2004, jour 16 du Cycle Lunaire.
Du bout de sa baguette, Malachy coupait quelques gousses d’ail. Il n’aimait pas faire ça à la main, parce qu’après, ses doigts puaient, et il lui fallait attendre des jours pour que l’odeur ne s’estompe complètement. Naturellement sensible de la truffe, il ne cherchait pas à s’embêter, et apprenait les sortilèges qui lui rendaient la vie plus facile. En revanche, quand il s’agissait de couper du basilic, dont l’odeur ne le dérangeait pas, au contraire, il faisait ça à la main. D’autant que Vita lui garantissait qu’elle n’était pas affamée. Il était particulièrement à l’aise, avec elle. Peut-être était-ce lié au fait qu’ils avaient couché ensemble, qu’ils se connaissaient, dans cette intimité-là. S’il avait pu être à l’aise, nu avec elle, il pouvait bien l’être habillé, et en train de cuisiner ? Peut-être était-ce aussi parce qu’elle avait été sa première alliée, à Poudlard. Sa première amie. Il n’éprouvait en tous cas aucune forme de pression quand il se trouvait avec elle. Les choses lui venaient naturellement, les unes après les autres, sans qu’il ne se pose trop de questions. Il lui avait tendu le journal à la jeune femme. Elle l’avait lu aussi, visiblement, et ne savait pas plus que lui quoi en penser. Historiquement, les bouquins de Rita Skeeter n’avaient aucune valeur. Les historiens du monde magique s’accordaient là-dessus. Aucune de ses biographies, officielles et officieuses, ne pouvaient être considérées comme matériel de confiance pour déterminer le cours d’un événement. Au mieux, ils pouvaient servir de base à une exploration plus poussée. Mais après tout, Ms Skeeter n’était pas historienne, elle était journaliste. Et puis, elle avait ce don pour mettre son nez précisément là où il y avait quelque chose de scandaleux. C’était ce qu’elle était parvenue à faire en extirpant des détails sordides de la bouche de Bathilda Tourdesac pour écrire sa biographie sur Albus Dumbledore. C’était une œuvre moralement très controversée, mais Skeeter avait sans aucun doute su mettre le doigt sur des faits que les Dumbledore avaient pu garder cachés plus de cent ans. « Il faut la prendre avec des pincettes, la Skeeter, de toute façon. Elle nous a suffisamment prouvé qu’on ne pouvait pas faire confiance à tout ce qu’elle disait. » Il laissa glisser les tomates pelées et mixer dans la poêle, avant de recouvrir le tout d’un couvercle en verre, qui laisserait visible la mixture, le temps qu’elle mijote un peu. « Mais je ne peux pas m’empêcher de me dire que c’est comme ça que ça commence, à chaque fois. Par des disparitions. Qu’il y en ait deux, trois, ou vraiment quatre, comme le prétend Skeeter. Ce sont déjà des figures de trop. » L’Histoire avait malheureusement la fâcheuse tendance de se répéter, inlassablement. Il y avait eu à peine quinze ans entre les deux dernières guerres qui avaient ébranlé le monde des Sorciers. La dernière s’était terminée il y avait six ans de cela, et Malachy en faisait encore des cauchemars la nuit. Tout ne pouvait pas, encore, recommencer. Dans une seconde poêle, il jeta un dé de beurre, et attendant que celui-ci fonde complètement, il ajouta : « Je ne sais pas... Personne n’a commenté cet article, il n’y a eu aucun démenti, alors qu’on s’était insurgé à l’époque de la sortie de sa biographie sur Dumbledore, tu te souviens ? » Il ne savait pas bien ce que ça pouvait vouloir dire. Était-ce une façon d’invisibiliser l’article, en ne le commentant pas ? Ou encore, ne savait-on pas bien quoi dire, pour démentir ? Il croisa le regard de sa collègue. Ce n’était certainement pas le sujet le plus marrant sur lequel s’attarder, ce n’était en tous cas pas ce sur quoi ils débattaient d’ordinaire. Mais ça lui semblait important. Il laissa glisser la viande hachée dans la poêle, à feu doux, pour qu’elle cuise lentement. Du bout des doigts, il rajoutait les herbes, et avec sa baguette, laissait tombait l’ail. « Ça m’inquiète », finit-il par admettre, témoignant là encore de la confiance qu’il faisait à Vita. Pareille admission d’était possible qu’en compagnie d’une intime. Loin toutefois d'être fier, il évita soigneusement son regard, faisant mine d’être concentré sur ses préparations, la laissant se dépêtrer avec ce qu'il venait de lui déposer.
Cela fait du bien de pouvoir redescendre des exigences du travail un moment dans la journée, surtout avec quelqu’un que l’on apprécie. Le château est tellement immense, et se retrouver seul dans cette même immensité peut vite devenir un calvaire. Tu as besoin de tes moments de solitude, comme tout le monde, et tes voyages à travers le monde t’ont appris à te débrouiller par toi-même, mais tu apprécies aussi la compagnie, surtout lorsqu’elle est aussi douce et tranquille que celle de Malachy. Les cuisines de Poudlard sont toujours en pleine effervescence de jour comme de nuit, mais Merlin merci, cette bulle d’insonorisation existe. Tu regardes les elfes s’affairer à leurs besognes en ayant des gestes quasi automatiques – si l’on en croit leurs dizaines voire centaines d’années d’expérience – à claquer des doigts et les remuer dans le vide. Casserole qui s’élève dans les airs avant de verser son contenu dans un chaudron plus grand. Tu as toujours été assez fascinée par le fait de faire de la magie sans utiliser de baguette – c’est d’ailleurs les elfes de Poudlard qui t’ont fait comprendre, plus jeune, que d’autres formes de magie existaient – prétexte fort qui t’a faite partir de ton pays natal pour découvrir l’ailleurs et ses traditions. Cette période avait été exaltante, excitante, pleine d’adrénaline. On ne peut pas dire que les temps présents soient similaires à cette aventure de jeunesse. Tu as ce journal entre tes mains, tes yeux relisant les quelques phrases que tu connais pourtant déjà. Tu ne sais que croire, tous les moyens d’information semblent faits pour créer la panique et la peur générale. Ce n’est pas des plus rassurants. Après, comme le dit ton ami, Skeeter n’est vraiment pas ce que l’on pourrait qualifier de source fiable. Elle est même tout le contraire. Tu as encore le souvenir de cette ridicule journaliste qui est venue fouiner son nez à Poudlard lors de tes deux dernières années à l’école. Déjà à l’époque elle n’était pas vraiment fut-fut. Tu hoches la tête. – Ça ne sent jamais bon ces choses-là. Regarde le concert de Reissen. J’ai l’impression que les mauvaises nouvelles s’enchaînent, tu soupires en déposant le journal à ta gauche. Quelle étrange période que celle que vous vivez. Tu n’aurais pas imaginé vivre une telle tension en revenant en Angleterre. C’est, après tout, cette ambiance anxiogène que tu as cherché à tout prix à éviter en restant à l’étranger. Mais le sorcier n’apprend jamais de ses erreurs, c’est bien connu. Votre société est tout de même à deux doigts de revivre une troisième guerre. Comme si deux n’avaient pas suffi, comme si les dégâts n’avaient pas été tellement importants. Ton ami loup évoque alors la sortie de la biographie sur Dumbledore par la même Rita. Tu fronces les sourcils. Tu n’étais pas sur le sol anglais lors de cette parution, mais tes parents t’avaient immédiatement fait parvenir tous leurs ressentis à travers au moins cinq lettres. Tu y avais été sans y être. – J’ai eu connaissance de ce qui s’est passé par les lettres de mes parents. J’étais en Pologne cette année-là, mais j’ai toujours pensé qu’ils avaient exagéré les faits. Tu fais une pause avant de reprendre. Peut-être qu’il y a eu une telle réaction à l’époque parce que Skeeter s’attaquait à un monument du monde magique ? En soi… Ces personnes qui ont disparu n’ont pas le même poids que Dumbledore avait. Tu regardes le jeune professeur poursuivre sa recette dont les odeurs te semblent de plus en plus alléchantes. Fumée qui monte jusqu’au plafond des cuisines. Même s’il ne veut pas te montrer droit dans les yeux qu’il vit vraiment son inquiétude, tu le sens. Après tout, tu commences à bien le connaitre. Tu te penches pour poser ta main sur son avant-bras, dans l’espoir de capter son regard. – Je suis inquiète aussi, tu lui fais comprendre. Les temps sont durs et le deviennent de plus en plus, chacun prend sur soi. Mais il ne faut pas que ce sentiment pesant prenne le dessus. Attendons de voir comment les choses évoluent, tu fais avec ton éternel recul, nous aurons probablement d’autres informations d’ici là. Ou du moins, tu l’espères. Même si tu refuses de te placer politiquement, ton rôle est aussi, comme tout adulte responsable de ce château, de rassurer les élèves inquiets qui te posent des questions sur la situation. Tu n’avais clairement pas signé pour ça il y a cinq ans, mais il faut dire que les récents événements ne te laissent pas le choix.
Un vendredi soir, au mois de janvier 2004, jour 16 du Cycle Lunaire.
Quelques jours avant les retrouvailles de nos deux amis, le groupe de Hard-Metal Reissen défrayait la chronique en organisant un concert sauvage sur le parvis de Gringotts pour célébrer le cinquantième anniversaire d’un Mangemort. Tout cela était un outrage suffisant, mais il avait fallu qu’en plus, les musiciens utilisent la chorale de Poudlard pour rajouter une touche encore plus propagandiste à leur propos. Malachy, amateur du groupe depuis longtemps pour son appartenance à la fois au monde magique ainsi qu’au monde moldu, avait été particulièrement déçu de cette nette prise de position de Reissen en faveur de l’Enchanteresse, d’autant qu’ils en avaient mis Poudlard largement dans la panade. On demandait des comptes au Directeur du Château : comment avait-ce pu être possible que pareille scandale ne puisse être évité ? Comment des enfants s’étaient-ils retrouvés à chanter pareilles paroles sans qu’ils n’en soient protégés ? Quels étaient les manants qui influençaient les sorciers les plus jeunes et les plus innocents du monde magique ? Malachy, pourtant complètement ignorant et même éloigné de l’affaire, s’était senti visé, pour ne pas dire attaqué, par toutes les interrogations parues dans les journaux, reçues par courrier à l’intention de l’équipe enseignante. Quelques beuglantes anonymes avaient même été à déplorer. Malachy soupira ainsi à la mention de l’événement par Vita. En effet, il ne savait plus à quoi s’attendre, les semaines passant. Depuis septembre 2003, sa vie ne consistait plus en un enchaînement de Pleines Lunes, mais plutôt en un enchaînement d’événements catastrophiques pour le monde magique, et particulièrement pour la politique du Ministre Potter. A son avis, l’article de Skeeter n’en était qu’un dommage collatéral, comme un passage obligatoire après un attentat, le meurtre d’une femme enceinte, et un concert propagandiste. Malachy versa le contenu de sa poêle à viande, désormais cuite, dans la casserole de sauce, avant de refermer le couvercle, de sorte à garder toute l’humidité. L’odeur de bœuf haché fit frémir ses narines, comme toujours. Définitivement, il ne pourrait jamais être végétarien. Il n’y avait plus grand-chose à faire, désormais, hormis d’attendre que la viande vienne s’abreuver de la sauce, quelques dizaines de minutes, et de faire cuire les pâtes, al-dente, bien sûr. C'est ainsi que Malachy se rendit compte que dans sa précipitation pour réaliser la sauce le plus rapidement possible, il en avait oublié un élément essentiel : le vin. Vita lui racontait qu’elle n’était pas en Angleterre, au moment de la parution de Vie et mensonges d’Albus Dumbledore, par Rita Skeeter. Cette remarque ne manqua pas de le faire sourire, si elle savait ce qu’elle avait manqué ! Cette biographie sensationnaliste avait été comme un rayon de soleil dans une époque absolument terne. Un mois à peine après le décès du Directeur de Poudlard, décrit comme le plus grand sorcier de tous les temps et froidement assassiné par Severus Rogue, après que le vil Draco Malefoy eut hésité trop longtemps à le faire – Malachy savait raconter les histoires – paraissaient les neuf-cents page de la biographie écrite par Rita Skeeter sur ce grand homme. En voilà une autre qui, comme Reissen, savait comment défrayer les chroniques et attirer l’attention sur elle, bonne journaliste à scandales qu’elle était. Le monde des sorciers pourtant tout à fait divisé à l’été 1997 s’unissait sous le halo de cette œuvre, comme Skeeter aimait décrire son propre travail.On n’avait parlé que de ça, des semaines durant, si bien que Judas Lyons, pourtant particulièrement éloigné des politiques magiques, en avait acheté une édition. Son petit-fils, après lui, avait été le premier à la dévorer. Malachy déboucha une bouteille de vin alors que Vita suggérait que si la réponse n’avait pas été la même face à cet article était certainement dû à l’aura qu’avait Albus Dumbledore, contre celle des quatre inconnus qui avaient disparus, et dont Malachy avait effectivement déjà oublié les noms. Il attrapa deux verres à pied, et s’appliqua à verser le liquide bordeaux équitablement, pendant que Vita s’avouait elle-aussi inquiétée par les événements. Elle avait posé une main sur son bras, se voulant rassurante. Malachy était content qu’en arrêtant la partie la plus intime de leur relation, ils n’aient pas perdu la tendresse de ces gestes. Elevé au milieu d’une grande famille particulièrement tactile, c’était certainement ce qui lui manquait le plus, entre les murs froids du château. A défaut de contacts lupins, les caresses humaines lui convenaient bien. « Tu as sûrement raison, à propos du manque d'importance accordée à ces quatre sorciers contre l'aura que pouvait avoir Dumbledore. Je ne suis pas certain que ce soit tout à fait rassurant, toutefois. Les historiens qui s’appliquent aujourd’hui à écrire sa biographie ne s’éloignent pas tant que ça de ce qu’a un jour avancé Skeeter. Je t’en conseille la lecture, d’ailleurs, même si je doute que tu en trouves une édition à la Bibliothèque – il sourit à cette idée, avant de tendre son verre face à elle, célébrant leur soirée. Il but une gorgée, avant de reprendre. Alors bien sûr, il faut passer outre toutes les fioritures qui appellent au scandale, et il faut ne pas être trop regardant sur la façon dont Skeeter a obtenu toutes ces informations – il faisait référence, entre autres, à la quasi exaction qu’elle avait pratiquée sur la mémoire de la pauvre Bathilda Tourdesac, voisine méconnue de la famille de Dumbledore, pour obtenir son témoignage – mais finalement, elle raconte beaucoup de choses vérifiables par les historiens les plus appliqués. Je suppose que le futur nous dira si son article sur ces disparitions était lui aussi raisonné. » Jamais ne se serait-il cru capable de définir ainsi un article de cette journaliste, et plus que ça, de lui donner raison. Pourtant, elle était la seule à avoir parlé de ça, et n'avait pas encore été contredite. L'histoire du journalisme magique anglais en prenait manifestement un coup, et c'était ce qui résonnait dans le crâne de Malachy, qui n'avait pourtant encore rien bu : pourquoi personne ne dit-il rien ? Où était donc la presse, qui s'était empressée de critiquer Reissen à la minute où le concert s'était terminé, où étaient donc les bien-pensants qui s'exclamaient contre Poudlard et le manque de sécurité des enfants ? Finalement donc, étaient-ils aveugles, ou plus simplement muselés ?