Nous ne nous reverrons plus, sur Terre dit le poème, le passé vient plus vite qu'on pense. À genoux j'implore ciel et mer. Et ce brin de bruyère. Seul souvenir pour récompense. Feu!Chatterton

A peine la poigne familière lâchée que le sol d’une terre meuble accueille mollement joue, genoux et bras dans un pèle mêle humanoïde. Des clichés percutent instantanément sa mémoire. Ses muscles raidis par un sort. Un visage à lui tirer des larmes, penché au dessus de lui.
« Tu vas m’en vouloir Dennis, énormément. Mais tu dois rester en vie. Tu es ma responsabilité. Et tu vas faire de grandes choses une fois que le monde sera débarrassé de sa noirceur. On se revoit très vite. » On se revoit très vite… Son estomac se soulève, ses intestins se tordent, et son cœur… Son coeur craquèle comme une plaque de givre sous des pas trop lourds.

Le froid persistant fait frémir ses narines qui inspirent l’air chargé d’une moiteur reconnaissable entre mille. Difficilement, Dennis se soulève et ses paumes hissent son regard à hauteur de l’horizon crépusculaire. Une fin d’après midi qui ne semblait attendre qu’eux décline lentement sur le loch. Les tons flamboyants rappellent au jeune artificier les estampes de ses frasques. Son cœur pulse jusque dans ses tempes et à peine a t-il rehaussé un genou que la bile lui vient aux lèvres. Est-ce le goût du courage ? Cette brûlure gutturale qui relargue le feu du passage à l’acte ? Le transplanage mouvementé n’y est certainement pas étranger non plus. En ont-ils fait plusieurs d’affilée pour que sa tête lui paraisse enflée comme une montgolfière ? Lentement il dévie son regard pour apercevoir le profil froid de son oncle. Sous son regard de plomb où l’inquiétude force cependant la porte, le jeune sorcier se relève enfin.

Le Loch Linnhe se dresse devant eux, à perte de vue. L’Ecosse… terre d’exil, de recueil et de souvenirs. Ils sont à Corran, non loin de Fort William, chez son oncle maternel. Dennis connaît chaque pierre, chaque vallon de ces territoires verdoyants. Les chassés croisés d’été ont vu de belles retrouvailles et d’amitié forgée ici. Il se rappelle les Rosiers apprenant la pêche sous la houlette du grand tonton Glennglas avant d’emmener les enfants chez eux pour la suite des vacances. Il se rappelle un tas d’autres choses. Mais aujourd’hui ils ne sont plus que deux à se dévisager le visage fermé.

D’un geste, Dennis frotte les restes de boue incrustée dans sa barbe naissante. De nouveau mal à l’aise. Il ne sait pas le raffut qu’il a causé là-bas. Encore moins que l’on a arrêté deux innocents qui lui sont chers par sa faute. Ce qu’il sait, c’est qu’il n’avait pas le choix. Qu’il doit respecter cette promesse que son frère lui a imposé des années plus tôt. Et que, bien que le monde n’ait pas respecté sa part du marché en s’exorcisant de sa noirceur, il se doit d’être à la hauteur du sang qui coule encore dans ses veines. Pourtant il ne dit rien, ne s’excuse ni ne se justifie. Il attend la sentence. Du ton qui sera donné à la conversation dépendra la façon dont il choisira d’y répondre. Si les ires ne peuvent durer qu’un temps et que les dernières heures lui ont paru durer mille ans, sa détermination, elle, ne semble pas avoir changé d’un iota. Et si son oncle ne la fait pas vaciller aujourd’hui, personne ne pourra jamais plus éteindre la flamme qui vient d’éclore en lui.