Le parchemin roulé, confié par le Ministre lors de nos dernières entrevues, fait office de sésame. Toutes les portes du Ministère s’ouvrent devant ce laisser-passer. Toutes les barrières s’effritent et tombent dans l’oubli. C’est une étrange sensation que d’être accueilli dans ce haut lieu de pouvoir de manière officielle : je n’ai pas à me cacher, ni à me faufiler, ni même à mentir. Je puis, en pleine journée, venir quémander l’accès aux archives auprès de Lord Fawley ou d’un archiviste travaillant sous son égide sans que cela ne me soit refusé. Sentiment de toute puissance un rien grisant, je dois bien le reconnaître.
Ce soir-là, je ne serai pas seul dans les alcôves secrètes des archives : le Ministre m’y retrouvera. C’est par un hibou sécurisé qu’il m’a fait passer le message, le matin même, sachant que je viens plusieurs soirs par semaine aux archives. Il savait qu’il m’y trouverait en ce dernier week-end de vacances avant que le retour des vacances de Noël ne m’accapare. La vie à Poudlard est, finalement, bien chronophage. Si chronophage que j’ai parfois à peine le temps d’assurer mes cours. Je sens que je commence à tirer sur la corde, et c’est avec une forme de lassitude que je me rends, ce soir-là, aux archives. j’ai salué le petit jeune en poste, lui ai montré mon laisser-passer, et me suis engouffré entre les rayonnages. Il n’a même plus cherché à me proposer de l’aide, il sait que je connais les lieux pour les visiter plusieurs fois la semaine.
Me voici donc dans ces corridors de livres, ces tours de savoir. La plupart des ouvrages présents ici sont plus anciens que moi, mais les archives conservent également un exemplaire de chaque livre publié de nos jours. Cela en fait le plus grand centre de documentation de Grande Bretagne, bien plus grand, même, que la Bibliothèque de Poudlard. Entre ces murs dorment aussi de nombreux ouvrages dangereux, confisqués par une main bien avisée. Pourquoi détruire ces livres lorsqu’ils peuvent servir ?
Je me suis lové dans un fauteuil de consultation, ouvrage sur les genoux, abîmé dans une passionnante lecture. Le latin flotte sur la page, sous la plume d’un clerc médiéval distillant son docte savoir au fil de la plume. Dos profondément fiché dans le cuir patiné par les usages, j’attends placidement l’arrivée de Potter tout en me documentant sur d’intéressants – et interdits – rituels anciens. C’est la voix du Ministre, cependant, qui me tire de ma lecture, plus que sa présence ou son pas. Il semblerait que Potter ait appris un peu des vertus de la discrétion. Coup d’oeil caresse la silhouette du nouveau venu, comme pour s’assurer qu’il s’agisse là bien de lui. Potter. Le Ministre finit par s’asseoir et servir le thé. L’ouvrage médiéval est soigneusement refermé et mis de côté pour ne risquer aucun accident. Un assurdiato plus tard, nous voici parfaitement coupés du monde, et la discussion peut véritablement débuter.
« Je ne peux m’empêcher de m’émerveiller de vous voir débloquer suffisamment de temps pour vous joindre au pire élève de votre carrière, Severus. Merci, professeur. »
Il est toujours difficile de savoir à quoi joue Potter, mais j’aime à lui accorder le bénéfice du doute. Le gamin est devenu plutôt bon pour ne plus dévoiler ses sentiments au premier coup d’oeil. Cependant, son esprit reste faiblard face aux attaques. Il n’a, manifestement, pas eu le temps de travailler l’occlumencie, même s’il serait, désormais, dans de bien meilleures dispositions pour l’apprendre. Cet Harry Potter là est bien plus roublard et prudent que ne l’était l’adolescent de jadis : une nette amélioration de mon point de vue.
« Je vous en prie Harry. »
Sourire s’étiole à l’encoignure d’un labre : quitte à jouer au con, nous pouvons être deux à partir sur une base de prénoms à faire sonner étrangement entre nos lèvres. Je demeure prudent, toutefois. Il m’est difficile, désormais, de savoir à quoi pense le gamin, et si ses remerciements sembles sincères, je me demande pourquoi il s’est senti obligé de les exprimer. La solitude est-elle si pesante ? Granger est-elle si mauvaise confidente ? Une gorgée de thé, et nous pouvons entrer dans le vif du sujet.
« Comment se sont passées vos expérimentations ? Avez-vous pu constater des effets secondaires indésirables de votre trouvaille ? - Bien… les premiers résultats sont encourageants, il y a, toutefois, un certain nombre d’effets secondaires : les sujets ressentent fréquemment des migraines, sentiments de désorientation ou souffrent de pertes de mémoire à court terme. En outre, les effets de la potions s’estompent au bout d’un mois, il faut donc conjuguer le bon conditionnement avec leur prise régulière. Vous ne pourrez exercer de contrôle efficace sur la population qu’avec plusieurs mois de prise et propagande : il sera, en outre, nécessaire de contrôler absolument les médias et éviter au maximum les voix discordantes propres à semer la confusion dans l’esprit de ceux que vous souhaitez… ramener dans le droit chemin. »
La tirade est achevée avec un demi-sourire. Je ne devrais sans doute pas le reconnaître, mais il y a quelque chose de grisant dans le fait de mener une expérience de si grande ampleur. Je vide tranquillement ma tasse de thé en reprenant la parole.
« Par ailleurs, tout se passe bien à Poudlard, il n’y a pas de vagues du côté de Mesdames Yeabow et Selwyn en dépit de leur proximité avec les Malefoy… J’ai d’intéressantes informations du côté de @CAMILLE NOTT, en revanche… Il semble souffrir de quelque difficulté à se remettre de la guerre. j’ai dû lui retirer la direction de la maison Serpentard et la confier à Regulus et le menacer de renvoi s’il n’arrêtait de boire. S’est-il enregistré en tant qu’animagus, d’ailleurs ? C’est un hérisson…. »
La paume agrippe la porcelaine pâle de la théière pour remplir à nouveau les tasses. Le breuvage est vierge de tout Veritasérum, mais je n’ai, pourtant, pas d’intérêt à mentir à Potter. Au contraire.
« Il se trouve que Camille Nott a, durant ses années en tant que mangemort – car en dépit de son succès à échapper à la justice, il l’a bien été – du assassiner des enfants. Il n’a pas supporté son geste, ça l’a brisé. Autre fait intéressant : il semblerait que ce soit @Archibald Rosier qui ait poussé Nott à prendre la marque, sans doute pour garder à l’oeil les troupes du Seigneur des Ténèbres. Je suppose que Nott aura aussi échappé à la justice grâce à Rosier, même si je n’ai pas de preuve pour ce dernier point. Je ne vois pas bien qui d’autre aurait pu l’aider, et Rosier a toujours eu le bras un peu trop long. »
Quel magnifique pouvoir Camille a mis entre mes mains en me balançant ses souvenirs au visage. Je ne puis musser un sourire dans ma tasse de thé. En confiant ce savoir à Potter, j’espère pouvoir, une fois pour toutes, régler mes comptes de jeunesse : Si Potter peut, sur eux, exercer une pression inflexible… coller Nott en procès, peut-être… ce serait une délicieuse revanche.
« Et @Regulus Black ? Que devient-il ? Sa fille est charmante, je dois dire. Je m’étonne que son père n’ait pas découragé l’admiration qu’elle semble me porter. Comment croyez-vous que je doive agir avec Black ? Vous le connaissez bien mieux que moi, j’en ai peur. - La question de Regulus est délicate : je l’ai bien connu dans notre jeunesse, mais nous avons été séparés des années durant. Le Regulus que j’ai pu voir est très attaché à la famille qu’il s’est construite : il veille sur ses enfants, bien qu’Edwa, sa fille, soit parfois difficile, il correspond également presque quotidiennement avec son épouse : il reçoit en tous cas du courrier presque tous les matins. Lorsque nous avions devisé en début d’année, Regulus semblait très attaché à sa neutralité dans cette guerre : Narcissa est sa cousine, mais il n’est pas pour autant attaché à elle ou aux idéaux Sang-purs bien que ce soit dans ce type d’environnement qu’il ait été élevé. Par ailleurs, il est l’héritier légitime des Black. Si vous voulez gagner ses faveurs, il me semble que lui rendre son titre pourrait être un premier geste risqué mais payant. Risqué s’il se retourne contre vous, payant, cependant, car il sera votre débiteur. Dans tous les cas, vous devriez prendre contact avec lui. Vous n’avez que trop attendu. »
Silence se coule, paisible, entre nous deux.
« Granger est venue me voir le mois passé. Je suppose que vous aimerez savoir qu’elle est désormais mon apprentie… Et qu’elle est sous imperium depuis quelques temps, déjà, manifestement. »
Et à présent que la bombe est lâchée, attendre, et jauger de la réaction.