~ Ici vous pouvez trouver l'histoire de Chérie Karekezi ! Bonne lecture. ~

Vous l’avez lu plus haut – ou pour ceux qui commence par ici avant d’aller lire le reste – je suis née sur les terres du Rwanda. Une époque difficile pour moi, ma famille et ceux de mon clan. A peine vingt ans depuis la fin des colonies et la mise en place d’un gouvernement. Vingt ans que mes grands-parents, Tutsi, peinaient à vivre décemment et à faire vivre leur famille. Devenus sous le nouveau gouvernement des presques pestiférés. Les gens de mon village, presque tous du même clan, vivaient pratiquement en autarcie. Oh bien sur il y avait les rumeurs sur des ‘rebelles’, des ‘vrais indépendantistes’, des ‘vrais Tutsi’. Des guerriers qui viendraient reprendre le pouvoir que nous avions perdus. Des rêves de puissances revenaient à certains. Nous sommes un peuple de guerrier, nous les vénérons. Et d’autres au contraire pensaient qu’il valait mieux accepter notre sort. Nous avions déchus mais nous surmonterions l’épreuve avec dignité. Mon grand-père Mathieu, ancien professeur d’université, chassé et ostracisé par le pouvoir, était des premiers. Mon père des seconds. Cela rendait les discussions parfois houleuse entre eux. Ma mère, elle, ne disait rien. Elle chantonnait et nous cajolait, nous ses enfants.

Bien sûr, aujourd’hui je peux vous résumer tout cela. Mais à l’époque, mes jeux d’enfant dans le village et la savane alentour avaient la saveur de jeux simplement. Le monde des adultes était un territoire étranger. Trois frères, deux sœurs et des tas de cousins et de cousines de tout age pour jouer avec moi. Et les cérémonies, les rituels magiques ou religieux pour ponctuer les jours ou parfois les heures. Nous allions à l’église, comme presque tous, un jour et le lendemain nous dansions et chantions pour l’Imana. En soi cet être unique est Dieu. Et Dieu est l’Imana. La magie est puissante et présente depuis longtemps dans ma famille. Mais nous n’en sommes pas différents des autres gens. Pas de Chamanisme ou de prêtrise parmi nous. Juste une relation au monde différent des autres. Juste un lien un peu plus complexe avec les forces de la nature et de l’Homme.

J’ai dix ans lorsque la guerre civile éclate. Mon village n’est pas touché dans les deux premières années mais les esprits s’échauffent entre partisans du Front patriotique Rwandais et les autres. La dissension naît au sein du village même. Nous apprenons que dans les grandes villes des Tutsi sont régulièrement emprisonnés. Et un jour nous voyons débarquer un grand nombre de soldats. Ce jour m’est encore indescriptible à revivre. Ces hommes ne sont pas venus pour établir l’ordre mais pour amener la guerre en nos maisons. Il y a eu une bataille. Et malgré les dons puissants qu’Imana nous avait donné, nous avons du fuir. Ce jour là ils furent seize de ma famille proche à périr et bien plus dans le village. Ce jour là j’ai comprit ce que pleurer voulait dire. J’ai goûté la coupe amère de l’injustice, de la violence et de la haine. Et je n’ai pas aimé.

Alors commença l’année d’errance. Jesus marcha quarante jours… Il nous fallu presque un an pour enfin trouver une relative sécurité. Fuyant les combats, les milices. Nous cachant ou nous pouvions.  Faisant appel à nos savoirs ancestraux magiques pour nous aider et nous guider. Sans savoir vers qui nous tourner. A qui faire confiance. Mais finalement les politiques ont trouvé un accord. A treize ans je pense que ça y est, la guerre est finie. Que la paix va s’installer. Les Tutsi seront de nouveau acceptés au sein du Rwanda. Sur notre sol, sur notre terre. L’horreur n’en sera que plus cruelle.

Au cour même de ces deux années, je deviens femme et je prends de mieux en mieux possession de mes dons magiques. Les chants de ma mère, que j’apprends depuis le berceau deviennent autre chose que de simple paroles. Les voilà qui modifient désormais la réalité et apprivoisent la magie. Heure aussi des premiers émois amoureux. Avec ses bons et ses mauvais jours. Avec la guerre on pense qu’il faut vivre vite alors on se jure un amour fort et puissant. Mais les séparations se font tout aussi vite. Décidées par la réalité, la fuite ou la famille. Qu’importe ! Mon cœur garde cette capacité à aimer qui fit de moi une femme et non un fantôme comme d’autres que je croise sur les routes.

Un attentat voit la mort de notre président et d’autres personnalité Hutu. Les représailles ne se font pas attendre. C’est le début du génocide. Une nouvelle fois nous fuyons. La peur au ventre. Les larmes dans les yeux. Le cris du deuil dans la gorge. Des milliers d’âmes s’éteignent. Nous fuyons. Et cette fois mon père décide que notre sol n’est plus notre sol. Mon grand-père est mort avec d’autres et il en veut au Rwanda. Il en veut à l’Imana, à Dieu. Long exil qui commence. Nous remontons vers le nord. Vers l’Europe. Vers ces gens qui ont laissé faire. Mon père veut leur hurler sa haine et sa peine. Ma mère se contente de le bercer le soir avant de dormir.

Quand nous atteignons la France, nous n’avons rien ou peu s’en faut. Par l'ami d'un ami nous finissons par trouver refuge pour un temps chez un sorcier de la même tradition que nous. Mon père, lui, regarde cette France qu’il ne connaît pas, qu’il ne comprend pas alors même qu’il en parle la langue. Les Charmes de ma mère ont tout de même réussit à apaiser son cœur. Accueillit dans cette famille sorcière, nous nous frayons un chemin dans cette nouvelle société. Droit d’asile, travail, appartement et même école. Ma fratrie n’a perdue qu’un frère et un autre est resté au pays. Pour y faire quoi ? Nous n’en savons rien.

Grâce à notre ami nous autres les enfants retrouvons le chemin de l'école. Et pas n'importe laquelle. Le pensionnat de Sainte-Cécile, à Paris. Il y fut bon d'y trouver stabilité et rituels connus. Messes et cours ponctuant les semaines et les mois avec une régularité bienfaisante. J'y soigne petit à petit les déchirures de mon cœur d'être loin de mon pays et d'une partie de ma famille. Dieu a permit que je vienne en France pour y terminer de grandir et m'y épanouir ce que je m'efforce de faire avec le sourire. Remercier Dieu et Imana chaque matin m'est devenu un rituel précieux.

Je travaille comme une folle pour rattraper mes camarades et mon retard. Malgré tout je n'entame mes études supérieures qu'à l'age de vingt ans. Je tente durant un an de m'orienter vers une voie médicale pour baisser pour finalement m’apercevoir que ce n'est pas du tout ce qui me convient. J'ai l'énergie qu'il faudrait mais guère la patience et l'empathie nécessaire. Au grand désespoir de mes parents je plaque mes études et quitte la maison.

A la recherche de moi-même j'entame alors un voyage, commençant par l'Espagne. Je cumule les petits boulot pour vivre. Je rencontre Sonia à Barcelone. Une touriste anglaise. Nous nous plaisons et je la suis à Londres. Je trouve pour mon plus grand bonheur un emplois de serveuse au fameux Chaudron Baveur. Et bien qu'ayant quittée Sonia depuis un moment je m'y plais assez pour y rester. Même s'il me prend parfois l'envie de retourner en France y terminer mes études. Devenir l'un des instruments de cette justice qui me tient à cœur. Mais il est des liens qui me retiennent pour l'instant.