Ça avait pourtant si bien commencé ; la remarque de Ragnhild et d'Orion ayant calmé les craintes et l'appréhension de la petite Eirian. Mais voilà, quand ils arrivèrent à la devanture de la boutique, l'enfant désenchanta. Elle sentit cette petite boule d'angoisse lui titiller les boyaux. Et si son Bróðir n'hésita pas une seule seconde pour rentrer, la fillette ne se décida pas à le suivre tout de suite. Un regard derrière son épaule pour avoir l'avis de ses deux Protecteurs. Leurs visages s'étaient quelque peu assombris, ils le virent à leur manière d'observer cette boutique. Les deux allaient bien souvent au Chemin de Traverse pour faire commerce, mais aucun n'avait mis le pied dans cette boutique. C'était une première. Et c'était intriguant. Ils n'avaient pas peurs ou n'étaient pas très inquiets, contrairement à la petite Eirian, mais c'était comme venir dans un lieu quelque peu sacrée pour ces Sorciers de l'Ordre d'Hermès. Là où toute leur enseignement, leur magie, commence...
Il fallut que l'Oncle Osgeir hoche la tête pour que la petite apprentie Sorcière se décide enfin à rentrer. Timidement. Très timidement. Elle regardait tout autour d'elle, faisant un tour sur elle-même, les yeux grands ouverts. Ce n'étaient pas très accueillant. Vraiment pas. Il faisait sombre et ces grandes étagères remplies de petites boites jusqu'au plafond donnaient une sensation d'oppression. Contraste assez étonnant avec la conversation légère entretenu entre Orion et le vendeur de baguettes. La Verbena n'osait pas trop s'approcher du comptoir, elle aurait voulu qu'Osgeir et Ragnhild l'accompagne, mais ils étaient restés un peu en retrait, à l'entrée. Cela ne les concernaient pas, c'était un moment privilégiés rien que pour la petite. Néanmoins, la Völva encouragea l'enfant à s'avancer d'un mouvement de main. Par confiance envers elle, elle abdiqua à contre coeur.
Elle avait du mal à comprendre ce que disait son Bróðir tant elle était un peu ailleurs et sur la défensive ; ça parlait de mensuration, de pousser de croissance, de lunette, mais quelle est le rapport avec une baguette ? Et elle ne comprenait pas pourquoi cet Ollivander plaçait un tabouret et était armé d'un mètre de couture. Mais la petite fille connaissait ça, parce qu'on faisait ses propres vêtements au village, alors Eirian obéit plus par réflexe que par réelle envie. Elle ne bougeait pas, louchait un peu même face à toutes ses mesures parce que, dans sa petite tête de petite Verbena, elle ne comprenait pas pourquoi tout ceci étaient nécessaires pour choisir une baguette. Ni Osgeir et Ragnhild d'ailleurs ; ils avaient une mimique similaires tous les deux, a savoir ce sourcil incrédule froncé et sa jumelle haussée et interloqué. Un peu comme s'ils laissaient faire un vieux fou dont les gestes surpassaient leur compréhension. Mais en soit, c'était quand même... intriguant. Nouveau. C'était presque envoûtant d'observer comment des sorciers d'une autre magie, d'une autre moeurs, opéraient pour choisir cet instrument qui les accompagnera pour le reste de leur vie. Heureusement pour Eirian, leurs mimiques et leurs présences lui permettait de garder un semblant de sang-froid, de courage, face à cette étrange épreuve. Par ailleurs, une pensée traversa l'esprit de l'apprentie Sorcière dans un tel moment si singulier : est-ce que sa mère avait vécu la même chose ? Avait-elle dû prendre appuie sur ce tabouret et laisser le vieil homme prendre ses mesures ?
Dans ses pensées, elle fut presque surprise que cela prit fin ; ce n'était pas si terrible que ça finalement. Eirian étira un peu ses vêtements, nerveuse, se collant un peu à Orion à attendre la fameuse baguette. Sa baguette. Quand Ollivander lui présenta l'objet, elle s'en saisit avec une certaine crainte, ses doigts un peu tremblant. Elle n'osait pas trop la serrer dans sa main. Elle leva un regard un peu de désespoir et de crainte envers son Bróðir chéri :
— Ça ne va pas me faire du mal, hein ? Et si je ne ressens rien ? Et s'il n'y a aucune baguette pour moi ?!
Après tout, ça serait logique : puisqu'elle utilise déjà des runes pour faire sa magie, peut-être qu'elle ne pouvait pas faire de magie avec la baguette ? On peut vraiment utiliser deux focus à la fois ? Il n'y avait qu'un seul moyen de le savoir... Alors l'enfant prit son courage à deux mains et, suivant les conseils de Monsieur Ollivander, Eirian émit un mouvement de poignet. Elle sentit, le pouvoir vibrer au creux de sa main, courir sur le bout des doigts, glisser le long de la baguette et fuser dans l'air. Petite créature volatile, terrible, fugace. Un petit vaurien magique qui vint expulser des ouvrages du gentil vendeur de baguettes. La terreur s'empara brusquement du petit coeur de la fillette et lâcha, dans une réflexe d'horreur, le focus qui devait l'accompagner durant les sept prochaines années d'apprentissage dans l'école de Poudlard. Dépourvue à cet instant de courage, terrifiée, la jeune Verbena traversa cette pluie de feuilles orphelines pour rejoindre les jambes de son très cher Oncle. Il était là pour la recevoir, lui et la Völva. Ils n'avaient pas bouger quand l'accident se produisit, mais il était bien aisée de remarquer à quel point ils étaient devenus tendus. La colonne vertébrale bloquée. Leurs mains sur leurs bourses de runes. Ha, heureusement qu'il y restait un peu de sang-froid chez les deux Sorciers du Nord, mais il en ait fallu de peu pour faire parler des réflexes protecteurs.
— Je ne veux plus y toucher ! Je ne veux plus y toucher !
Eirian était là, blottit derrière les genoux de son Oncle. Dans l'esprit de l'enfant, deux sentiments se bousculaient : l'un de culpabilité par cette impression d'avoir fauté par sa maladresse, l'autre étant de la peur. De l'inconnu, de cette magie singulière, de sa réaction inexplicable. Pas question de refaire un nouvel essais ! On ne sait pas ce que cela pourrait encore donner ! Pourtant, elle avait besoin de cette baguette si elle voulait intégrer l'école ! Ragnhild et Osgeir le savaient, mais il fallait avouer qu'ils n'étaient pas bien rassurés par toute cette histoire. Est-ce que c'était normal ça ? Les deux Verbenae lancèrent un regard questionneur à Orion tandis qu'ils essayaient de calmer vainement l'enfant qui refusait de quitter les jambes protecteurs de son Oncle.
Eirian va utiliser la baguette et il se produira ce que la magie fait toujours quand la baguette trouve son sorcier. Peut-être pas cette baguette mais une baguette, c’est certain. Tous les sorciers ont toujours trouvé chaussure à leur pied. Orion est particulièrement confiant, éternel optimiste. Tout va bien se passer. Eirian va être choisie par sa baguette et connaîtra le bonheur de savoir qu’on trouve quelque chose qui symbolisera tout ce rapport au monde magique. Ce sera différent du focus qu’elle utilise actuellement, mais cela fera d’elle une meilleure sorcière. Une bonne sorcière. Il se réjouit déjà de ses progrès à venir. Les livres sont en désordre, quelque chose jaillit. Pluie de feuilles de livres qui emplit l’air autour d’eux. Cauchemar de libraire mais pas du fils des libraires qui trouve cette démonstration de magie amusante. Ils en seront quitte pour aider Ollivander mais ce genre de chose arrive sans cesse.
Bien sûr, Orion s’attendait à ce que leur petite Eirian soit émue. Impressionnée. Ils en imposent, les Ollivander. Il est pourtant pris de court. Ce n’était qu’un peu de magie tirée de la baguette ! Elle a donc si peur que cela ? Il a grandi dans un univers où se mélangeaient tradition Verbana et d’Hermès, littérature sorcière et moldue. Il avait sous-estimé la force de cette découverte. Eirian va partir, quitter son foyer. Peut-être n’a-t-elle jamais vraiment pris conscience de cela. Lui qui était si heureux de partir en tant que briseur de sorts, certain d’être à sa place et pouvoir retrouver un foyer aimant, a cruellement manqué de compassion en sous-estimant cette peur.
« Pardon, M. Ollivander. » un mouvement de baguette magique – maîtrisée, connue depuis déjà quatorze ans, obtenue avant la naissance d’Eirian – remet les papiers à leur place. Ollivander non plus n’est pas resté en reste, marmonnant que ce genre de chose arrive sans cesse. Problème des sorciers du Chemin de Traverse qui ne peuvent pas avoir une boutique aussi bien tenue que celle des moldues. Sans parler de ceux qui se risquent à tenir une animalerie, occupation ô combien compliquée.
Il va falloir rassurer le poussin. Sans parler de son oncle et de la Völva, dont le regard se fait dur, inquisiteur, inquiet. Il n’était pas prévu que cela se passe comme ça. Orion tablait sur ce qui arrive en général aux jeunes sorciers. Une fumerolle, une fleur, quelque chose d’esthétique. Pas cette minuscule tornade. « Ce n’est pas … Grave. Les feuilles ne sont même pas abîmées. Ce genre de choses arrive souvent, M. Ollivander le dit bien lui-même. » Osgeir et Raghnild restent sur la réserve. Il peut comprendre cela. Expérience déplaisante pour Eirian, pour eux aussi. Auraient-ils dû commencer par la baguette ? Il est pourtant d’usage de prendre le temps de faire les préparatifs. Les jeunes sorciers à qui on remet d’ordinaire une baguette peuvent avoir une folle envie de s’en servir immédiatement, ce qui complique la suite des courses. Risque visiblement surestimé pour leur petite Eirian. Qu’il va falloir rassurer.
Il les a entraînés dans cette galère. Orion se sent la responsabilité de rattraper ce qui pourrait l’être. Ce n’est pas grave. Il faut rassurer la fillette. Puisqu’elle semble décidée à ne pas quitter son Oncle, c’est Orion qui s’approche, s’accroupissant pour qu’ils puissent être à la même hauteur, sa petite Eirian et lui. Il mesure l’ampleur du fossé, des craintes qu’elle est en droit d’éprouver. Sa propre expérience de la magie Verbana et de Poudlard sont trop précieuses pour qu’il ne la pousse pas à découvrir cela par elle-même. « Ne t’en fais pas, mon bouchon. Ca arrive parfois. Personne ne va te forcer. On va prendre le temps qu’il faut. S’il le faut, nous pouvons même manger une glace chez Fortarôme. Pour te remettre de tes émotions. C’est moi qui invite, parce que naturellement, je n’ai pas souvent l’occasion de manger des glaces et encore moins en si bonne compagnie. D’accord ? Il y a eu une réaction quand tu as pris la baguette. C’est une bonne réaction. A mon avis, c’est la bonne baguette. Alors que tu dirais-tu qu’on prenne la baguette avec nous en allant manger cette glace. On pourra aussi aller dans l’appartement au-dessus de la librairie si tu souhaites mieux regarder la baguette. Tu as été surprise une fois, ce sera plus facile après, non ? Et si jamais, si jamais ce n’était pas la bonne baguette, on pourrait la ramener à M. Ollivander. On part sur cette idée ou juste pour être sûre, tu veux regarder une autre baguette ? »
Orion s’approchait et Eirian s’accrochait. Rancunière et méfiante, l’enfant sentait qu’on allait essayer de la rassurer et de la convaincre d’essayer. Mais à ce moment précis, elle n’avait vraiment pas le cœur, ni l’envie, ni le courage de faire à nouveau face à cette étrange magie. Elle cacha son petit minois dans la jambe de son Oncle, ses doigts bien ancrés dans le tissu, mais laissa quand même, bien malgré elle, son ouïe trainer afin d’écouter son Bróðir chéri. Cependant elle ne se laissa pas facilement amadouer et si aux yeux des adultes l’accident était minime, Eirian le sentait réellement comme un faux pas ; après tout, elle avait quand même mis à mal les affaires du gentil vendeur des baguettes et bien que ce dernier assurât que cela arrivait, cela ne changeait rien pour la fillette qui avait le sens du respect des biens matériels. Elle essayait de relativiser, notamment en s’accrochant à cette perspective qu’elle mangerait une glace, mais le doute la prenait aux trippes et elle peinait à trouver un réconfort aux paroles d’Orion. Elles se contredisaient pour l’enfant. Il pense que c’est une bonne réaction, mais pour la petite elle était horrible. Jamais elle ne porterait un tel focus dans ce cas ! De plus, il lui avait dit qu’elle saura quand ça sera la bonne, mais il parlait à présent d’essayer plus tard et ramener au cas où ; alors ça veut dire qu’on n’est jamais sûr ? Comment on fait pour être sûr dans cas cas ?! Eirian le dévisagea un instant avec de grands yeux larmoyants, toute paniquée et perdue. Sa voix croassa de désespoir :
– Je ne l’aime pas… Je ne la veux pas… Je veux rentrer à la maison…
Et puis son timbre se brisa, l’enfant se logeant comme un petit animal blessé dans les jambes d’Osgeir :
– Je ne suis pas une sorcière…
Ragnhild fut sincèrement peinée par cette situation et son soupir résonna dans la boutique : peut-être que toute cette histoire n’était pas une bonne idée finalement. Regardez comme la petite avait perdu toute motivation, confiance, et espoir ! Ils ne l’avaient pas poussé dans ce chemin d’essai pour la retrouver malheureuse. Mais aux grands maux, aux grands moyens ! Osgeir intervint. Sa main vint se saisir de sa nièce par sa tunique et la souleva, faisant décoller ses pieds du sol et décrochant ses doigts de son pantalon. Eirian émit un petit couinement animal, ramenant ses jambes contre elle pendant que son Oncle s’avança d’un lourd pas jusqu’à Ollivander. La fillette fut déposée lourdement sur le comptoir. Ragnhild ne perdait pas une seconde de cette scène en abordant un demi-sourire ; la Völva avait confiance en les capacités du géant quand il s’agissait de redonner confiance à Eirian. Celle-ci leva un regard aussi larmoyant qu’interrogateur à son Oncle chéri. Alors il prit la parole de sa grosse voix profonde :
– Runes ou baguettes, cela reste des foccus qui t’aideront à déployer et manier la magie. Tu as de la magie qui coule dans tes veines, Eirian, n’en doutes pas, mais tu as fait le choix de la développer avec des runes et non avec une baguette. C’est comme la chasse. Qu’importe si tu utilises une hache, une dague, un arc ou une arme à feu, ce ne sont que des objets qui t’aideront à chasser le gibier et chaque personne en ce monde à sa propre préférence. Chaque arme à ses propres faiblesses et avantages pour abattre la cible, mais il ne tient qu’au chasseur de vouloir manier l’arme qui lui siéra…
La fillette dévisageait son oncle avec un grand intérêt certain, ses petites mirettes pétillant d’admiration s’asséchant peu à peu de ses larmes. Puisqu’il avait toute son attention et qu’Osgeir se doutait qu’elle commençait à comprendre le fonctionnement, il reprit en lui désignant les baguettes :
– Nous les Verbenae apprenons à manier la magie en nous armant des runes… Tout comme j’ai été élevé pour chasser en faisant de la hache mon arme de prédilection. Tu as voulu suivre mes pas, d’abord avec la hache, mais tu as ensuite choisi l’arc. Tu n’avais jamais appris à tirer auparavant et tu as dû apprendre les bases. Je me souviens d’une petite Eirian qui avait lancé sa première flèche. La corde avait claqué sur son avant-bras. Cela lui a fait mal, elle a pleuré et un bleu est apparu sur sa peau… Tu sais ce qu’elle a fait ?
Et les doigts du géant se saisirent d’une nouvelle baguette que lui apporta ce bon vieux Ollivander et la présenta à la fillette pendue à ses lèvres.
– Elle a recommencé jusqu’à que la flèche tire droit…
Et c’est ainsi qu’Eirian se saisit d’une nouvelle baguette. Puis une autre. Encore une autre. Et ainsi de suite. Pourtant, la petite fille était à nouveau toute revigorée, comme une véritable guerrière Viking ! Mais les essais s’enchaînent, les réactions des foccus furent toutes plus agressives les unes que les autres : des verres qui explosent, des livres qui s’envolent, des baguettes expulsées des étagères… C’était comme si le rejet d’Eirian sur cette magie se traduisait par une rancœur des baguettes en question. A chaque tentative, la violence crache, picore la paume de l’enfant qui lâcha le foccus de dégoût avant de repartir sur un nouvel. Et bientôt, après plus de dix baguettes essayées, la patience s’épuise, l’espoir aussi… Eirian émet le mouvement de poignée avec une amertume certaine et si la peur de voir la baguette réagir aussi violemment s’efface peu à peu, cela ne fit que renforcer ce sentiment de rejet, de tristesse et de découragement : finalement, est-ce qu’il y avait vraiment une baguette pour elle ? Ragnhild s’inquiète, commençant à se ronger les ongles, Ollivander continue à chercher avec persévérance et Ragnar reste imperturbable. Par ailleurs, tandis que sa nièce posa mollement sa tête contre son torse, toute épuisée et tristounette, il lui glissa alors à l’oreille :
– Vise plus haut…
Elle lui lance des mirettes toutes intriguées, avec cette petite étincelle d’espérance qu’il ait trouvé la solution.
– Pourquoi ? – Ce vase est immonde…
Elle suivit son regard, trouvant, en haut d’une étagère, ce vase d’un violet marbré marrons avec ses fleurs desséchées. Alors, malgré elle, malgré la douleur dans sa poitrine, elle eut un petit rire amusé. Et ça se réchauffait dans sa poitrine, ça la calme, ça la détend.
– T’es méchant Tonton…
Et Ollivander, ramena encore une baguette. La fillette lança un regard à Orion, éreintée, et prit la baguette en main. Elle n’attendait plus rien cette fois. Elle voulait juste… Elle ne sait pas… Juste essayer. Essayer d’être une sorcière. Comment pouvait-elle entreprendre cet espoir, savoir si vraiment elle était digne de sa mère, de ses parents, si elle ne pouvait même pas rentrer dans l’école avant même d’avoir essayé ? Elle voulait juste un peu d’espoir et d’aide… Alors la Verbena tourna le poignet et Pouf ! Elle prit en pleine poire une violente bourrasque venue d’on ne sait où. Cheveux décoiffé et dressé. Ça réveille. Elle ne comprend pas. Elle se retrouve un peu bête comme ça, comme se réveillant d’un cauchemar. Eirian observa Ollivander, son Tonton, sa Völva, puis enfin son Bróðir. La baguette était chaude sur sa paume. Bien accrochée. Comme une extension de sa main.
– Je crois que c’est elle…
Soupirs portés en écho. Soulagement. Ragnhild marmonna des mots norrois tandis qu’Osgeir reposa sa nièce au sol. Ollivander rangea l’élue, marmonnant un discours qu’Eirian n’eut pas trop la force de faire attention. Une histoire de bois, de chêne, de cœur, de licorne, de « mais oui, mais oui… » comme si ce choix était une évidence. Une évidence qui a pris du temps, presque une heure, dix baguettes différentes et qui a totalement épuisée, moralement comme physiquement, la jeune Verbena. Cette dernière tituba un peu, s’approchant d’Orion et ses bras prirent les hanches du Bróðir, elle enlace cet homme qu’il eut la patience de rester, de la soutenir, posant mollement sa tête sur son ventre. Elle se laisse presque tomber, s’accrochant à la seule force de ses bras à cette étreinte ; elle n’en pouvait plus, alors elle marmonna doucement en posant ses mirettes toutes fatiguées sur Orion :
– Pourquoi c’est dure d’être une apprentie sorcière… ?
Osgeir récupéra la baguette et retrouva sa nièce. Il lui présenta la boîte, mais aussitôt elle cacha son visage dans le tissu du haut de son Bróðir ; non, là, vraiment, elle ne veut plus entendre parler de baguette jusqu’à sa rentrée ? Sa réaction arracha un petit rire à ses tuteurs et la Völva lui caressa doucement sa petite tête brune alors que le géant rangea l’objet dans le chaudron avec les autres affaires.
– Allez, tu as fait le plus difficile… On achète vite fait ta robe et on mangera tranquillement notre glace, d’accord ?
La fillette hocha doucement la tête dans un soupir ; bientôt fini cette histoire. La glace était motivante, revoir son parrain chéri aussi. Allez, un peu de courage ! C’était bientôt fini ! Alors, en route !
Ils partagent tous le même soulagement. Enfin. Eirian va être des leurs. Non, cette satisfaction n’appartient qu’à Orion et Ollivander. Les Verbana la regardent avec autre chose dans le regard. Du regret. La certitude qu’elle s’éloigne. Orion se lancerait bien dans ces grandes tirades qui le caractérisent, promettrait bien monts et merveilles. Il va déjà s’occuper de la petite. Finir les courses avec elle et sa famille. Et ensuite, veiller sur elle de loin quand elle sera à Poudlard. C’est une chance de connaître une bonne partie du corps professoral. Pourquoi diable embauche-t-on tant de jeunes ces derniers temps ? Il ne saurait le dire, lui qui n’a vu que des personnes d’un âge certain de l’autre côté des tables.
Quand il pense d’un âge certain, il y a quand même quelques fossiles qui lui viennent en tête. Non pas qu’il ait eu quelque chose contre eux mais enfin, Rogue par exemple avait des airs de jeune premier usé par la vie en comparaison de certains de ses collègues. « Mais c’est formidable, Eirian ! Bon. Je t’accorde que c’est pas évident-évident mais si tout le monde devenait un brillant sorcier dès le début, personne n’irait à Poudlard et on deviendrait plus bête de génération en génération. Cela dit, il y a des gens pour qui c’est sans doute le cas. » Devrait-il lui parler des sang-pur particulièrement crétins ? Non. Pas maintenant, et pas devant sa famille. Ils savent mais auraient encore la tentation de la garder cloîtrée à la maison. Il lui en touchera juste un mot, en lui rappelant qu’elle est aussi bonne sorcière que tous ces grands noms et qu’en plus ils ne savent pas se servir une part de tarte seuls. Ou autre métaphore pour donner le sentiment de la responsabilité chez les jeunes. Mais c’est vrai, il est sûr que certains élèves n’avaient jamais rien fait par eux-mêmes.
« Tu vas voir, c’est assez joli la boutique de robe de sorciers. Tu sais qu’ils font des tissus enchantés ? Il y a ceux qui repoussent l’eau, ceux qui régulent la chaleur, ceux qui réhaussent le teint. Pas comme quelque chose qui t’irait bien mais vraiment avec un sortilège là-dessous. C’est sensationnel. Je te rassure, la robe qu’on demande aux élèves est très simple, rien d’extravagant, tu vas bien aimer. » Sa protégée va finir habituée à ce que des adultes bienveillants mais revêches prennent des mesures sottes. L’écartement des épaules, soit. La taille du front jusqu’aux pieds, soit. Mais la taille des bouclettes ? Force est pourtant de constater qu’on prend une mèche qui se voit étirée et mesurée avec une onomatopée approbatrice. Au regard intrigué de Ragnhild, Orion ne peut que hausser les épaules. Non, c’est une coutume qu’il ignore. Il avait les cheveux courts, à l’époque. D’ailleurs, on lui a refilé les robes de ses sœurs les premières années. On avait prévu qu’il grandirait après coup et leur donnerait bien du tissu à acheter. Il n’était pas peu fier, même si on avait pris soin de ce qu’il avait récupéré.
« Une vraie petite sorcière ! » s’exclame-t-il tandis qu’Eirian se regarde dans la glace, affublée d’une cape et d’un chapeau. C’est terriblement grotesque pour des moldus mais des sorciers y trouvent toujours une émotion particulière. Il sourit, et l’expression s’étend presque d’une oreille à l’autre. Orion est attendri. On pourra se moquer de son sentimentalisme, il n’en est pas moins sincèrement heureux. « Mon petit boursouf » soupire-t-il avec une attention toute paternelle. Eirian essaie une cape plus chaude, pour l’hiver. La famille opte pour un modèle qui sera un charmant entre deux. A cette époque, les prix flambent et il serait mal venu de dépenser tout l’argent retiré du coffre. « Pour la glace, c’est moi qui invite. » propose-t-il, comme prévu.
Le petit groupe n’a que le temps de faire un saut à la librairie. Une pile de livres sanglés attend Eirian. Aldric Fleury, parrain de la petite, fait part du même enthousiasme que son fils. Orion voudrait-il justifier que c’est de famille qu’il aurait une excuse parfaite pour cela. Mais l’activité est trop intense, et il est heureux qu’Orion se rende utile sinon il l’aurait envoyé s’occuper de la commande de ce groupe de cinquième année de Serpentard qui gloussent en les voyant arriver. Message reçu. Le briseur de sorts emmène tout ce petit monde chez Fortarome. Installés en terrasse, au soleil, il fait presque beau en Angleterre. « Coquelicot et mangue. » commande-t-il, certain qu’il ne sera pas déçu de sa commande. Il a appris très tôt que rien n’est décevant chez le glacier du chemin de traverse. « Je crois qu’on a toutes tes fournitures, Eirian. Tu as le temps de finir de lire l’histoire de Poudlard avant de prendre le Poudlard Express. J’essaierai de poser ma demi journée pour t’accompagner si tu veux ? Ou donner un coup de main à la boutique, il y a toujours des gens qui récupèrent leurs livres au dernier moment, Papa bougonne trois jours encore après le départ du train. Tu sais, ça va être chouette, Poudlard ? » Alors pourquoi cette question dans sa voix. « Tu vas t’y faire des tas de copains. De copines. Et il faut absolument que tu nous dises dans quelle maison on te répartit ! On a tout à la maison, alors tu peux être sûre qu’il y a quelqu’un qui sera heureux que tu appartiennes à la même maison que lui. Moi je vais croiser les doigts pour Poufsouffle, c’était, non pardon c’est encore et de loin, la meilleure maison à mes yeux. Mais paraît que Gryffondor a eu quelques grands noms par exemple, genre Harry Potter et Hermione Granger, alors je leur donne le bénéfice du doute. » s’amuse-t-il. Il redevient plus sérieux lorsque la glace est avalée, payée, et les adieux inévitables pour cette fois. « Tu peux m’écrire, tu sais ? Si tu te sens seule. Au début je me suis posé des questions aussi. Et il y a des professeurs que je connais, auxquels je vais parler de toi, d’accord ? Ils veilleront sur toi à ma place. Je suis sûr que ça va bien se passer. »
Petite Eirian était tout calme cette fois, comme vidée de son énergie et de son entrain. Elle qui était tant motivée pour aller à la boutique afin de s'acheter une robe de sorcière, là voilà toute silencieuse aux côtés de sa famille. Pas d'éclats en arrivant, elle suivit juste son Orion chéri et Ragnhild dans les rayons. Osgeir, lui, s'était un peu mis en retrait, n'étant pas à l'aise dans cet environnement. Tellement pas. Eirian fit même signe à sa Völva pour aller lui venir en aide ; en effet, ce grand gaillard, de plus de deux mètres, tout en muscles et de sa longue barbe coiffée, commençait à se faire remarquée par une partie de la clientèle. Oui, il était célibataire. Ha, il avait l'air fin comme ça, bras croisés contre son torse, à essayer d'ignorer les gloussements et les regards coulants. Halala, si elles savaient ! Alors Ragnhild à la rescousse, tandis que la petite se laissait prendre - encore - ses mesures tout en se remémorant des paroles de Bróðir. Chez eux aussi ils faisaient leur propre vêtement : du tissus, du fil, une aiguille... Mais avec tous ces vêtements enchantés, comment ça marche ? Est-ce que c'est différent de la couture habituelle ? Ça serait quand même pratique, des vêtements qui vous tiennent au chaud, surtout quand on habite dans les Highlands.
Mais on va rester avec cette robe modeste pour l'instant. Ragnhild avait ramené l'Oncle par le bras, laissant clairement sous entendre, à coup de « tu viens, chéri ? » et de cette main posée à son avant-bras, qu'il n'était pas apte à se laisser draguer de la sorte. Et là, devant leurs regards, la petite Verbena devint une véritable petite tomate. Une véritable petite sorcière. Elle ne savait plus où se mettre entre les petits surnoms d'amour d'Orion ou les yeux pleins de tendresse de ses deux tuteurs. Eirian ne se souvenait pas de la dernière qu'elle avait ressentit son coeur battre aussi fort dans sa poitrine... Et c'était agréable. De ce fait, les couleurs sur son visage avaient ravivé la motivation de la fillette et le reste des achats se firent avec plus d'entrain. Beaucoup plus. Revigorée. On le vit à la manière qu'elle sautillait en sortant de la boutique ou lorsqu'elle se jeta dans les jambes d'Aldric Fleury à coup de « Papy Parraiiiiiin ! » crié durant sa course, ou comment elle engloutit la glace qu'il lui offrit avec un plaisirs et appétit certains. Faut dire aussi que ce n'était pas souvent qu'elle pouvait manger des glaces...
Finalement, cette sortie fut plein de rebondissements. Entre la crainte de l'Inconnu, l'émotion d'un passé resurgis, la déception d'une magie difficile à manier et la joie de s'offrir de nouvelles fournitures rien que pour elle ! Vraiment, quand elle l'écoutait, après une telle balade en famille, Eirian voulait à présent croire à ses paroles. Elle l'écoutait de ses grands yeux innocents, à essayer d'imaginer toutes ces choses, fabuleuses semble-t-il, qui l'attendaient dans cette école. Ils avaient bien fait de faire venir Orion, peut-être que cette sortie fut vraiment bénéfique pour la fillette qui se retrouvait apaisée, même au moment des adieux. Elle le serrait dans ses bras, très très fort, avec de ses yeux pétillants :
— Je vais essayer, Bróðir... C'est promis ! Et je t'écrirais à Poudlard !
Parce qu'il avait promis que ça se passerait bien. Et il n'avait pas de raison qu'Orion se trompe pour sa nouvelle vie d'Apprentie Sorcière... N'est-ce pas ?