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Et nous alimentons nos aimables remords | Yolanda & Lemony
 :: Salon de Thé & Bar à chats :: SAISON 1 :: RP

Lemony Anderson

Lemony Anderson
Super vilain
hiboux : 536
Mar 5 Mar - 17:15

   
Et nous alimentons nos aimables remords
La plupart des hommes savent mieux vivre avec leurs supérieurs et leurs inférieurs qu'avec leurs égaux.
Je dois l’admettre, cela a quelque chose de bien moins excitant que lorsque je n’avais que quatorze ans. Qu’est-ce que c’était alors, glisser lentement en frôlant les murs des escaliers de Serdaigle, profitant du voile de la nuit pour aller dans les couloirs déserts jusqu’à la bibliothèque… et presque invariablement se faire prendre, bien sûr. Le jeu en valait la chandelle. Et je regagnais toujours les points perdus en classe. Maintenant que j’y pense, je n’étais pas une si bonne affaire pour ma maison… Bah ! Aucune raison que cette fois-ci je ne fasse perdre le moindre point à Serdaigle, n’est-ce pas ?

Dans le couloir qui mène à la bibliothèque, à quelques mètres devant moi, je remarque deux étudiants qui ne m’ont pas encore vu. Eux aussi, ils se pensent invisibles comme je me l’étais figuré à leur âge. Je comprends maintenant pourquoi je me faisais systématiquement prendre : leurs fausses précautions pour se prémunir de se faire remarquer les rendent trop visibles, tout fiers qu’ils sont d’enfreindre le règlement. Ils ont des scrupules à entrer cependant, il y a déjà quelqu’un dans la bibliothèque… Ils ne me remarquent pas avant que je sois arrivée à leur niveau, et il faut que je m’éclaircisse ma gorge pour qu’ils se tournent et comprennent qu’ils sont pris. Ce sont deux élèves de sixième ou de septième année je pense, ils sont assez âgés et je ne les connais pas, je ne les ai jamais eus en cours – cependant ils me voient à la table des professeurs tous les jours. « Une soif de connaissance qui ne peut pas attendre le matin ? Je connais ça. De quelle maison êtes-vous, tous les deux ? » Une main tire une écharpe Serdaigle qui apparaît sous un manteau. Je ressens une certaine ironie dans cette situation. « Retournez dans vos dortoirs avant d’être vu. Hop, filez, vous ne voudriez pas que je vous enlève des points ? » Un peu de favoritisme ne fait jamais de mal à personne. Cependant, il y a quelqu’un dans la bibliothèque. Adieu promesse d’une lecture solitaire comme volée, sans pour autant le risque de punition. Bonjour lecture en regardant en coin le comparse d’une nuit, lui-même plongé dans les mots qu’un autre a couchés sur papier. A moins que ce ne soit un élève ? Dans ce cas, ce sera simple de reprendre sur la nuit mes droits de professeur – douce autorité.

Ce n’est pas un élève. Je m’en doute bien sûr, en voyant la lumière allumée près de la table occupée. Un élève aurait trop peur de se faire prendre pour cela. C’est donc un collègue certainement, ou en l’occurrence, une. Je ne peux réprimer un soupir las, et je ne cherche pas à savoir si elle ne m’a pas vu ou si elle m’ignore volontairement. Je suis là pour savoir si l’exposé sur l’énergie des élèves de troisième année était une invention loufoque issue de l’imagination de ces adolescents, ou s’il y a bien un livre dans lequel ils ont trouvé toutes ces conneries comme ils l’affirment. Quoique le choix entre la paresse et la bêtise ne me réjouisse pas. Je m’efforce de lui tourner systématiquement le dos pendant que je fouille les étagères à la recherche du nom qu’ils m’ont donné. C’est gênant, cette situation est gênante, et j’en ai bien conscience. Étrangement, je me sens à nouveau comme le môme qui s’introduit la nuit en enfreignant les règles, devoir lui parler serait se faire prendre. Et pour la punition…

Quand j’étais jeune, le professeur Yeabow me terrorisait et n’enrageait tout à la fois. C’était assez charmant en fait, maintenant que j’y pense. Il y avait quelque chose de mauvais chez moi dans le désir de réussir et de continuer dans sa matière, comme si j’essayais de l’atteindre. Regarde, l’un de tes meilleurs élèves est un né moldu. J’ignorais tout du monde magique avant mes onze ans, mais je suis plus au fait de son histoire et plus curieux de ses subtilités que certains de tes élèves purs. La volonté derrière était mauvaise, mais elle portait ses fruits. Il est même possible que nous ayons fini par feindre ou surjouer ce lien parce que cela me rendait plus efficace. Eh, qui pourrait croire que le mépris et la colère soient des moyens d’apprentissage efficaces pour la jeunesse ? Je n’étais jamais plus discipliné et savant que dans ses cours, devenant un étudiant modèle simplement pour prouver que j’en étais autant capable que les autres. La vérité, c’est que je redoutais plus que tout une de ses remontrances, une de ses punitions. Un simple retrait de points ou même une retenue paraissaient plus amers et plus durs venant d’elle : c’était prouvé que j’avais échoué, ne pas être digne, lui donner raison. Et aujourd’hui encore, je crois que l’idée de lui donner raison m’est insupportable. C’est pour cela d’ailleurs que j’agis comme un mioche pris en flagrant délit plutôt que de lui adresser la parole. La voix d’Emma me revient aux oreilles. « Tu es tellement borné que ç’en est pathétique ! » Peut-être. Mais ce n’est pas en devenant professeur de sciences moldues que l’on prouve que l’on est un grand sorcier. La connaissance, surtout la connaissance des moldus, ce n’est rien comparé à la puissance, et j’ai perdu l’habitude de simplement garder ma baguette avec moi.

Il est là, rangé entre deux vieux livres aux couvertures de cuir. Il fait tâche et très moche, ce petit livre dans cette bibliothèque. Les moldus : l’énergie libre et le charbon ; je n’ai que survolé la quatrième de couverture que je sais à quel point ce torchon ne sera qu’un tissu d’imbécilités apocryphes ou dépassées. Et dire qu’il n’y a même pas internet à Poudlard… Quels idiots. Mes doigts partent à la recherche de ma baguette dans ma poche, je vais le lire ici (elle ne peut pas me voir). Ma baguette. Je… je l’ai laissée sur mon bureau. « Mais quel con ! » Ce n’est pas un murmure, on m’aurait entendu jurer de partout dans cette bibliothèque même si elle avait été pleine au milieu de l’agitation de la journée. Bien, je suppose que je n’ai qu’à rentrer à mes appartements maintenant. Je traverse la bibliothèque à contre sens, me rapprochant de la lumière et du professeur d’Histoire de la Magie. Il y a un fauteuil à quatre mètres devant elle près d’une petite table, et la lumière y brille assez pour lire… Si j’étais un adulte, je m’assiérais ici et lirais mon livre en restant courtois avec ma collègue. Oui, et si j’étais un adulte, je n’aurais pas laissé un message vocal à Emma la semaine dernière pour lui dire que mon chat me manque et que je veux le récupérer, six ans après le lui avoir abandonné – et même si Einstein me manque sincèrement. Il était très bon, mais assez fort ce whisky d’ailleurs. Oh, va au diable Lemony, toi et ta tête de mule. « Bonsoir profes- Yolanda. » Mais quel idiot je fais. Je pars me cacher derrière mon livre sur le fauteuil, mais je sens le rouge qui me monte aux joues. Je n’arrive pas à lire ce qui est écrit sur l’immondice qui me sert de lecture. Je pouffe nerveusement. Mais quel idiot je fais ! J’ai l’air d’un gamin, mais je suis aussi légitime qu’elle à être là. Moi aussi je suis un sorcier, et un bon. Moi aussi, j’ai le droit d’accéder à la bibliothèque aux heures où elle est fermée aux élèves. Je lève les yeux vers elle, elle n’a pas l’air d’avoir raté quoique ce soit de ce qui vient de se jouer en moins. Je crois que je la maudis, elle, ses idées moyenâgeuses et sa plastique parfaite pour une femme de cet âge. Et je rougis encore. Quel idiot ! Même moi je ne crois pas au regard de défi que je tente de lui lancer.

(1324 mots)
   
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Yolanda Yeabow

Yolanda Yeabow
MEMBRE
hiboux : 132
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Jeu 7 Mar - 12:24
 

Nos aimables remords...


« Et nous alimentons nos aimables remords — ft. Lemony    »


    
    

     
            Mes côtes me font encore mal des coups et des Doloris de ma mère ; et mes membres sont un immense engourdissement. J’essaye de taper contre la porte, et j’aimerais qu’on me porte secours, mais tout reste calme et silencieux autour de moi, et je n’arrive pas vraiment à bouger. C’est un silence aussi lourd, aussi engourdissant, aussi douloureux, que les plaies que les maléfices ont laissés sur mon corps. J’essaye de crier, mais aucun son ne sort de ma gorge.
 
            Et puis il y a ces voix au-dehors.
 
C’est une traînée, une honte, une moins que rien ! On ne croirait même pas qu’elle a le Sang-Pur, elle est tombée aussi bas que si elle avait épousé un Moldu ! Il faudrait la laisser croupir là, et oublier qu’elle existe.
 
Cela, c’est la voix de ma mère. Je suis habituée à ses injures ; rien de ce qu’elle dit n’est nouveau. J’aurais cru alors que ses paroles ne m’atteindraient pas, que j’y suis habituée ; mais je sens les larmes couler silencieusement, malgré moi, sur mes joues. Seulement elle s’adresse à quelqu’un, ma mère, elle n’est pas seule… Je tends l’oreille, tentant de reconnaître cette voix que je connais et qui lui réponds, cette voix que je connais tant, que je ne veux pas entendre, pas maintenant, pas maintenant, tais-toi, tais-toi, tais-toi !
 
Alors pourquoi est-ce qu’on ne se débarrasse pas d’elle ? Il faudrait s’en débarrasser. C’est injuste que c’est moi qui doive fuir pour lui échapper, alors que ce serait vraiment mieux pour tout le monde, qu’elle disparaisse une bonne fois pour toutes, dit la voix d’Ariane, d’un ton neutre.
 
Ariane, Ariane, Ariane, Ariane ! Tout mon cerveau devient ce nom unique, je sens mon cœur rebondir violemment dans ma poitrine, et je veux appeler, je veux appeler ; cette fois le cri sort de ma gorge, perçant, animal, retentissant.
 
Mais que quelqu’un la fasse taire, que quelqu’un la tue, reprend la voix d’Ariane, toujours aussi neutre et sereine. 
 
—Ariane !
 
Elle apparaît devant moi. Ariane a deux ans, Ariane a douze ans, Ariane a vingt-deux ans. J’entends sa voix, je crie : Ariane, Ariane, pardonne-moi. Elle a des yeux bleus spectaculaires. Ma gorge me fait mal. Je continue de hurler, je ne sais même plus quoi, c’est inintelligible.
 
—Que quelqu’un la fasse disparaître, répète Ariane sans me regarder, et comme si elle ne m’a pas entendue. Il n’y a pas de raison pour que ce soit moi qui m’enfuie, alors que c’est elle qui devrait disparaître. 
 
*
 
Yolanda s’était assoupie dans l’après-midi, dans ses appartements, sans l’avoir prévu ou désiré. Elle savait seulement qu’elle était lasse, incroyablement lasse ; elle savait qu’elle voulait fermer les yeux, et s’oublier quelques instants.
 
            Et elle s’était levée en sursaut, vers sept ou huit heures du soir, le cœur battant. Elle avait poussé un cri sans le vouloir. C’était un petit cri. Elle avait mal à la poitrine. 


            Si elle rêvait souvent d’Ariane, ne s’était pas attendue à rêver de sa mère — cela ne lui était pas arrivé depuis longtemps. Les voir toutes les deux, au cours du même rêve, se fondre presque l’une dans l’autre, l’attaquer ensemble, cela laissait à Yolanda un incomparable goût amer en bouche.
 
            Elle regretta de s’être endormie comme cela après son dernier cours, d’avoir laissé filer l’après-midi, d’avoir raté l’heure du dîner. Elle se sentit inutile, idiote, pesta contre sa fatigue. Elle s’étira rapidement, bâilla, senti avec plaisir son corps se raviver, se délier, après avoir été enveloppé dans la torpeur du cauchemar, et eut un soupir de satisfaction, de soulagement. Elle était revenue à la réalité, et si la réalité n’était pas parfaite, elle était dépourvue de sa mère, qui avait rendu l’âme il y a si longtemps — Dieu la garde — et de sa fille — partie on ne savait où, faire on ne savait quoi.
 
            Il fallait qu’elle s’occupe. Si elle s’occupe, tout serait sauvé, n’est-ce pas ? La journée ne serait pas perdue, et elle se sentirait plus apaisée, elle le savait. Alors, sortir. Pas chez elle, non, enfin pas retourner au Manoir, ça n’avait plus de sens, ce soir. Et elle savait que Nott n’était pas disponible pour la distraire un peu — dommage. Il s’avérait que passer du temps avec un homme, et a fortiori un homme qui lui plaisait vraiment, comme Nott, était une des rares choses qui l’apaisait sincèrement depuis la mort d’Owen. Alors, quoi ? Travailler, sans aucun doute, c’était tout ce qu’il restait à faire. Yolanda jeta un œil au miroir de ses appartements ; elle avait l’air un peu fatiguée. Elle agita sa baguette, et sa coiffure rentra rapidement dans l’ordre, impeccable. Son visage, elle y avait veillé, était impeccable également. Elle était prête à sortir maintenant, sortir de ces appartements, sortir de cette torpeur ; il faudrait qu’elle se rende à la bibliothèque, qu’elle travaille sur ces Runes qui attendaient d’être traduites depuis hier.
 
            Et ainsi se déroula le reste de la soirée. Yolanda aimait bien venir à la bibliothèque en soirée ; c’était d’ailleurs le seul moment où elle aimait y venir. Ainsi, elle était sûre de ne pas être dérangée par les élèves, puisqu’ils n’avaient pas le droit d’y avoir accès si tard dans la soirée — les rares impertinents qui osaient se montrer étaient punis sans autre forme de procès, d’ailleurs. Yolanda était donc restée ainsi à lire pour une heure ou deux, absorbée dans de la littérature runique qui traitait de périodes historiques reculées, de guerres dans le monde magique, de révoltes sanglantes. Avec le temps, elle lisait les runes presque couramment, et aimait avoir accès au texte original, cela lui donnait l’impression d’être davantage absorbée dans ce qu’elle lisait, cela la rafraîchissait. Elle se sentait incroyablement bien, ici ; elle pourrait y rester toute la soirée, vraiment, tant elle s’y sentait bien. Et cette solitude était délicieuse… Yolanda ne se sentait presque plus exister. C’était pour cela qu’elle aimait sa matière : elle avait l’impression que toutes ces connaissances des subtilités du monde magique lui donnaient une forme de puissance, de supériorité, certes, mais surtout, lorsqu’elle lisait, surtout de l’Histoire, elle s’oubliait. C’était une discipline qui nécessitait de perdre ses préjugés de contemporain, pour atterrir dans une époque qui avait ses propres mœurs, sa propre conception de la magie, ses propres valeurs. Et donc, cela nécessitait de s’oublier. Yolanda adorait ce sentiment, c’était comme une douce ivresse, et la sensation de quitter son enveloppe corporelle alors que des images vives, sanglantes, violentes, se formaient dans son imagination délectée.
 
            Au bout d’un certain temps tout de même, elle fut interrompue dans sa lecture. Au début, elle fut tentée de pester contre l’imbécile qui venait la déranger. Franchement, à une heure pareille, est-ce qu’on avait idée… ? Elle espérait que ce n’était pas un des élèves, elle n’était pas d’humeur à mettre une punition. Mais non, pas un élève… — presque. Elle sourit furtivement.


            Lemony Anderson avait été engagé en tant que professeur il y a un peu plus d’un mois, pour la nouvelle rentrée scolaire, suite au décret de Potter qui stipulait que les sciences moldues devaient être étudiées à Poudlard. Bien sûr, c’était tout bonnement scandaleux, c’était laisser le loup s’infiltrer dans la bergerie… Mais il avait fallu accepter ça. Rogue l’avait accepté ; avaient-ils le choix ? A part peut-être harceler Lemony jusqu’à ce qu’il s’en aille — elle pouvait aussi faire ça.  Mais sérieusement ? Il fallait une séparation, selon elle, une séparation véritable entre le monde magique et le reste ; et Poudlard offrait l’espace de cette séparation, bien plus que le Londres sorcier, bien plus presque que le Ministère. Poudlard était un concentré de magie, de l’histoire magique, et formait les plus grands sorciers à la magie. Quel intérêt d’étudier les moldus ? Plus que scandaleux, c’était juste ridicule, en réalité. A quoi cela rimait-il ? Qu’est-ce que cela apporterait aux élèves ? Quelles perspectives cela leur donnerait ? La vie ne pouvait pas être aussi étanche, on ne pouvait pas absorber des éléments d’une culture si différente sans en perdre quelque chose, sans en abandonner quelque chose de sa propre culture…
 
            Yolanda leva les sourcils lorsqu’elle vit Lemony s’éloigner d’elle, sans la saluer. Etait-ce intentionnel ? Mais il l’a vue, n’est-ce pas, c’est évident ? Elle eut un petit sourire moqueur, pendant une fraction de seconde. C’est vrai qu’ils n’avaient pas vraiment eu l’occasion d’échanger depuis qu’il était devenu professeur. Cherchait-il à l’éviter ? Eh bien, ce serait compliqué, étant donné qu’ils étaient désormais collègues, et que pour le moment ils se trouvaient dans la même pièce.
 
            C’est vrai que leur relation, lorsque Lemony avait été élève, n’était pas simple. Lui étant né-moldu, Yolanda ne s’était pas gênée pour afficher un léger mépris, et communiquer la vague impression qu’il n’était pas à sa place ici. Le fait était, cependant, que Lemony était très brillant — vraiment si brillant que ça avait surpris Yolanda. Elle avait rarement eu un élève si appliqué, si efficace, et surtout, si curieux. Lemony était passionné par l’étude, comme elle avant lui s’était accrochée à la bouée de sauvetage qu’étaient les livres et l’érudition. Il posait tout le temps des questions et, si cela avait au début le don de l’agacer, cela avait fini par la stimuler terriblement, surtout au fur et à mesure des années. Ce jeune homme relevait singulièrement le niveau de ses cours, et augmentait, malgré elle, son propre plaisir à enseigner.  —Car il fallait, bien sûr, qu’il soit né-Moldu… Cela enrageait Yolanda. Cela la rendait méprisante vis-à-vis de lui, malgré toutes les capacités du jeune Serdaigle. Au début, surtout, elle ne s’était pas gênée pour lui faire sentir qu’il n’était pas à sa place, qu’il ferait mieux de plier bagage à la fin de l’année scolaire, et de rentrer dans son monde sans polluer le leur plus longtemps.  Son but, lorsqu’elle agissait ainsi, était de terrifier les nés-Moldus, de leur montrer qu’ils n’étaient pas ici à leur place… Il s’agissait aussi de les tester : si certains finissaient par se sentir vraiment si peu légitimes, ils n’avaient qu’à s’en aller, le monde sorcier se passerait vraiment bien d’eux. Mais Lemony avait tenu bon, de telle façon que malgré elle, sans vouloir se l’avouer tout à fait, elle en avait été impressionnée. Le jeu avait fini par continuer entre eux, tous les deux se rendant compte que cela poussait Lemony à exceller davantage. Et puis il avait quitté l’école, et ça avait été la guerre.
 
            C’était étrange, les années qui suivaient une guerre, n’est-ce pas ? Des gens qui potentiellement auraient pu s’égorger il y a quelques années se retrouvaient calmement dans des bibliothèques, sans pour autant s’adorer, mais forcés d’avoir des conversations courtoises ensemble.
 
            Quoique, Lemony ne semblait pas disposé à avoir une conversation courtoise. Toujours comme s’il ne l’avait pas remarquée — enfin quoi, il y avait de la lumière près de son fauteuil, c’était le seul endroit éclairé, et on ne pouvait pas ne pas remarquer la seule autre présence dans une salle ! Il semblait lui tourner le dos délibérément, occupé à chercher on ne savait quoi, de toute évidence nerveux. Elle se réjouissait du spectacle. C’était bien. Cela voulait dire que, même s’ils étaient devenus collègues, ils n’étaient tout de même pas sur un pied d’égalité, et Yolanda conservait son statut.
 
            Enfin, il avait semblé trouvé ce qu’il cherchait — il fouillait les rayonnages avec ses mains, sans sembler avec de baguette, ce qui fit hausser un sourcil à Yolanda à nouveau. Original. Mon Dieu, cela l’amusait considérablement : cette gêne, cette nervosité palpables chez son collègue. Elle s’en délectait. Il finit par s’asseoir en face d’elle, toujours sans oser la regarder, et puis, une fois assis, forcé de croiser son regard, il articula timidement un bonjour, en se cachant immédiatement après la figure derrière son livre. Le rouge à ses joues amusait terriblement Yolanda, elle avait l’impression d’être un tigre qui allait jouer avec une souris. Elle ne cacha pas son sourire, mi-moqueur, mi-amusé. Quelque chose l’attendrit vaguement dans le comportement de son collègue, elle ne saurait dire quoi. Peut-être le fait qu’après toutes ces années, il y avait encore quelque chose d’un peu gamin, d’un peu mal assuré chez lui. Elle ne voulait pas le mettre en confiance. Elle éclata d’un petit rire, toujours amusée.
 
Bonjour Lemony, murmura-t-elle, toujours doucement souriante. C’est agréable d’avoir un peu de compagnie ici ce soir. Les autres professeurs viennent rarement ici passée une certaine heure.
 
            Non, elle ne voulait pas le mettre en confiance, mais lui donner l’apparence seulement qu’elle essayait de le faire. Elle voulait le gêner, le mettre mal à l’aise, mais elle ne voulait pas non plus agir comme elle le faisait lorsqu’il était plus jeune, en l’attaquant ouvertement. Maintenant qu’il était son collègue, il fallait jouer sur un autre terrain, plus amusant, plus subtil. Là par exemple, il était clair qu’il était gêné, et qu’il aurait préféré rester plongé dans sa lecture, qu’il espérait qu’elle ne l’interromprait pas, qu’il puisse oublier son existence. Mais il s’était installé en face d’elle, non ? Il l’avait cherché.
 
Comment t’accommodes-tu de tes... nouvelles fonctions ? J’imagine que ça doit être agréable de venir ici à cette heure sans avoir peur d’être puni, n’est-ce pas ? Le sourire de Yolanda s’élargit quelque peu, toujours un peu moqueur, toujours un peu malicieux, toujours un peu amusé. Il n'y avait pas si longtemps, c'était elle qui avait le droit de le punir, qui le punissait. 
 
            Elle reprit, après avoir jeté un regard à l’infâme objet qu’il était en train de lire :
 
Je suis désolée, peut-être désires-tu plutôt te replonger dans ton passionnant ouvrage au lieu que ton ancienne professeur ne t’irrompe sans cesse. Mais je voulais juste te souhaiter la bienvenue parmi nous.
 
            Je suis désolé de te montrer comme j’ai de grandes dents, mais je veux juste m’amuser avec toi, ronronne le tigre à la souris.
                                             
2300 mots.

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Lemony Anderson

Lemony Anderson
Super vilain
hiboux : 536
Jeu 7 Mar - 18:02

   
Et nous alimentons nos aimables remords
La plupart des hommes savent mieux vivre avec leurs supérieurs et leurs inférieurs qu'avec leurs égaux.

Être mature. Adulte. Ne plus fuir. Rester. Je suis légitime, je suis aussi légitime qu’elle…

Je n’arrive pas à me convaincre. J’étais à ma place avec les moldus. J’étais à ma place avec Emma. J’étais jugé sur mes capacités, sur mes connaissances et pas sur mon sang ! Non. Non c’est faux. Le monde moldu est aussi pourri que celui-là. Si je m’en suis sorti, c’est parce que William Anderson a de bons contacts dans toutes les universités scientifiques des programmes européens auxquels il a participé, c’est parce qu’Audrey Anderson a mis à ma disposition la fortune qu’elle avait elle-même héritée de son père. Et pour quoi ? Une maitrise en chimie ? Je ne suis pas un grand universitaire, je suis un fils de. Ce qui est ironique, c’est qu’ici, je ne puisse pas être un grand sorcier justement parce que je ne suis pas un fils de. « Bonjour Lemony. C’est agréable d’avoir un peu de compagnie ici ce soir. Les autres professeurs viennent rarement ici passée une certaine heure. » Elle s’amuse. Bien sûr, qu’elle s’amuse. Elle a raison, et elle croit que cela lui permettra de gagner. Quel imbécile je fais ! Je voulais prouver quelque chose, mais à qui ? Quelqu’un qui n’aurait jamais cru en moi de toute façon ? Le silence autour de nous est assourdissant, et ses mots ont tranché dans le vide avec une violence certaine. Je peux comprendre pourquoi nos collègues ne veulent pas venir s’amuser avec toi, Yolanda. Je le pense, mais les mots ne parviennent pas à quitter mes lèvres et s’éteignent avant de l’atteindre. Quel idiot. « Comment t’accommodes-tu de tes... nouvelles fonctions ? J’imagine que ça doit être agréable de venir ici à cette heure sans avoir peur d’être puni, n’est-ce pas ? » Son sourire est presque… carnassier. Je regarde mon livre pour ne pas la voir, mais mes yeux retournent à elle malgré moi. J’imagine une insulte derrière ses sous-entendus, je la visualise. C’est une honte, n’est-ce pas, que je donne des cours de sciences moldues à des sorciers ? Après tout, comment pourrait-on souhaiter la meilleure connaissance du monde à des enfants ? « Je suis désolée, peut-être désires-tu plutôt te replonger dans ton passionnant ouvrage au lieu que ton ancienne professeur ne t’interrompe sans cesse. Mais je voulais juste te souhaiter la bienvenue parmi nous. »

Il y a des devoirs demandés par Yolanda Yeabow dans mes archives personnelles, rangés à leur place dans la maison de mon père. Je n’ai déplacé mes archives que lors de mon déménagement à Berlin, elles étaient restées chez mes parents alors que je vivais avec Emma, et elles y restaient maintenant. Et sans doute plus en sécurité que si je les avais emmenées avec moi. Un sort de protection, ça se brise toujours, mais comment un sorcier pourrait hacker les systèmes de sécurité de chez mon père s’il ne sait même pas ce qu’est un ordinateur… Combien de sorciers comprennent ça ? Je les garde, les devoirs, parce qu’ils sont comme des images d’une humiliation que j’aurais fait à ces idées archaïques sur le sang et la pureté. J’ai réussi à comprendre votre monde, moi. Je peux m’y intégrer. Que savez-vous du mien ?

Elle est allée trop loin, même pour elle. Je suis fatiguée de me cacher et de fuir, et le monde change. Le monde change ! En bien, qui plus est. J’essaye de lire le titre du livre qu’elle tient, mais je n’y arrive pas. Que peut-elle bien lire elle-même ? Elle semblait passablement érudite et curieuse, il y avait souvent un livre sur son bureau quand j’étais étudiant. Peut-elle comprendrait-elle autrement ? Je ne peux pas montrer par magie la richesse d’un monde dont elle se coupe par orgueil, mais peut-être que la connaissance vaut quelque chose pour elle ? « En réalité, c’est un ouvrage parfaitement pitoyable, et je suis ravi d’avoir une présence pour m’en distraire. Mais puisque vous vouliez savoir si je m’accommodais de mes fonctions, après m’avoir tout autant ignoré que je l’ai fait pour vous ces derniers temps, et finalement me souhaiter un bon retour à Poudlard, j’ai une question pour vous. De professeur à professeur. » D’égal à égale. Savez-vous si c’est un maléfice qui a fait perdre la raison à ma mère, et s’il est l’œuvre d’un de vos amis abrutis par des concepts trop vieux ? Non. Certainement pas. Je suis en colère. Respire Lemony, c’est une conversation courtoise. J’arrive à envoyer un sourire à Yolanda Yeabow, mais elle doit forcément en goûter l’amertume. « Voyez-vous, j’ai demandé à des élèves de troisième année de me faire un exposé sur l’énergie, afin d’évaluer les connaissances acquises avec la personne que j’ai remplacée. Mes élèves ont bien sûr accès la bibliographie que je demande pour l’année en cours, mais aussi aux livres que j’ai conseillé aux autres niveaux. Je mets par ailleurs à disposition des revues scientifiques sur certains sujets à la demande, de ma bibliothèque personnelle. Les élèves dont je vous parle – quels sont leurs noms déjà ? » Je voue une admiration à mes anciens professeurs maintenant que j’en suis devenu un, comment diable faisaient-ils pour retenir les noms de tout le monde ? Peut-être est-ce le fait de découvrir tous les niveaux d’un coup ? « Vous savez, trois poufsouffles de troisième année, toujours ensembles, deux filles et un garçon aux cheveux frisés… Des élèves attentifs et plutôt pertinents habituellement… » Étrangement, je me rends compte que je cherche à savoir si je connais leur statut de sang pour les lui préciser. Cette seule pensée me secoue d’effroi. Je ne connais pas le statut de leur sang, et ça n’a aucune importance. « Donc, ces trois-là… Ils m’ont fait un exposé, et il avait l’air travaillé et préparé mais… Un tissu de conneries, comme s’ils avaient tout inventé et donné des dates au hasard. Vous imaginez ma surprise ! Au début bien sûr, j’ai cru qu’ils se payaient ma tête, mais ils m’ont affirmé que toutes les informations venaient de là… » Je désigne non sans dégoût le livre que je tiens dans mes mains. « Ce qui me met dans une situation un peu gênante. Je me rends compte que, quand il s’agit de ma matière, beaucoup des ouvrages disponibles sont au minimum dépassés, ou dans certains cas simplement bourrés de fausses informations. Dois-je sanctionner des élèves qui sont allés faire des recherches et ont simplement été dupés par des auteurs malhonnêtes ? En même temps, je donne des cours de sciences. La pensée scientifique est rigoureuse, et l’on doit toujours vérifier ses sources et les croiser entre elles – analyser une source est un exercice aussi nécessaire que celui de s’instruire de ce qui y est dit. J’imagine que vous connaissez ça, il y a eu des réécritures de l’Histoire à postériori à des buts politiques, ce qui nuit aux faits tels qu’ils ont réellement eu lieu ? Mes étudiants, s’ils avaient vérifié leurs informations dans les manuels destinés aux premières et secondes années ou s’il m’avait demandé des conseils de lecture n’auraient eu aucun souci à voir que ce livre est un tissu d’inepties. Ils ont échoué dans l’exercice de cette pensée critique scientifique que je veux leur apprendre, bien qu’ils n’y soient pour rien dans l’imbécilité et la malhonnêteté des livres disponibles dans la bibliothèque. Dois-je demander à ce que ces livres soient retirés, ou est-ce qu’il s’agit justement d’une fantastique occasion d’évaluer la capacité critique de mes étudiants ? Dois-je sanctionner ceux qui ont fait cet exposé pour avoir à ce point échouer dans ce même exercice, ou ne dois-je rien faire parce qu’ils avaient effectivement travaillé ? » Ma logorrhée a noyé ma rage ou ma gêne. Je suis légitime. J’ai réfléchi à tout cela déjà, j’ai réfléchi à plus de choses puisqu’il y a deux mondes qui m’offrent leurs merveilles. Et j’ai un avantage sur mon ancien professeur : je n’ai pas peur que mon identité ne soit détruite par la marche du progrès. « Comme cela fait de nombreuses années que vous donnez des cours ici, peut-être pourriez-vous me conseiller à ce sujet ? »

(1361 mots)
   
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Yolanda Yeabow

Yolanda Yeabow
MEMBRE
hiboux : 132
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Jeu 7 Mar - 23:08
 

Et nous alimentons
nos aimables remords
...


« Nos péchés sont têtus, nos repentirs sont lâches »


    
    

            
            On dirait qu’il est devenu plus courageux, ce gamin, plus affirmé. En tout cas c’est ce qu’il veut me montrer en reprenant la parole, et ça marche. Je ne dis rien. Je respecte le fait que le pauvre chou martyrisé veuille s’affirmer. Il me rend mon sourire, et comme le mien peut être carnassier, le sien me renvoie une forme d’amertume. Très bien. Il n’empêche que c’est un sourire quand même. Il me répond paisiblement en tout cas, sans la forme d’animosité qu’un homme de son espèce pourrait avoir pour une sorcière de mon rang ; sans la colère froide qu’un ancien élève ressentirait par rapport à un ancien professeur qui a été particulièrement désagréable. Sans doute doivent-elles bouillir en lui, ces émotions, mais il n’en montre rien, et j’en suis reconnaissante. Tout comme je cache mon mépris pour le livre qu’il a entre ses mains, pour sa matière, pour son travail lui-même. Nous savons cela. Lui sait mon mépris, et je sais sa colère ; à quoi cela nous avancerait-il de nous les balancer à la face, comme des gamins se jettent de la boue ? Cela ne m’amuserait même pas. Non, j’étais curieuse de voir ce qui sortirait de cet échange, ce que pouvait devenir ma relation avec cet ancien élève si particulier.
 
            Il me demande conseil, de professeur à professeur. Je ne tique pas à l’expression qu’il emploie, marquant notre égalité de statut dans sa tête ; je souris seulement. Il est bien décidé à ne pas se laisser marcher sur les pieds cette fois, et je veux bien lui laisser un peu de place. Ce n’était pas, de toute façon, comme si cela risquait de me faire perdre mon rang, ou me rendrait véritablement égale à lui, même en tant que professeur. Je suis simplement courtoise, n’est-ce pas ?
 
            Je l’écoute. Sa logorrhée est maîtrisée, claire, efficace, même si trop longue. Il semble qu’il ait besoin de parler, comme pour poser sa présence, comme pour me dire : je suis là, je te parle, moi aussi, moi aussi je suis un professeur. Il est malin, Lemony. Il me demande conseil par rapport à quelque chose qui a à voir avec sa matière. Et il doit se douter, le monde entier se doute — c’est écrit sur mon visage — du mépris que je voue à sa matière. Mais cela n’est pas un obstacle, au contraire, je pense que c’est pour me confronter à cela qu’il prend la parole, qu’il m’expose ce dilemme précis. Il sait ce que je pense de sa matière, et il sait que je sais qu’il sait. Alors ?
 
            Ce n’est pas une pique qu’il vient de me lancer, avec sa toute dernière phrase, n’est-ce pas ? les nombreuses années dont il parle, c’est une référence à mon âge ? Imbécile. Sans doute essaye-t-il de se venger, de paraître spirituel. Je ne dis rien. Je souris. Il reviendra dessus en temps voulu. Il s’excusera à genoux en temps voulu. Ou je prendrais simplement une autre revanche, aussi délicatement que lui. Après tout, je ne complexe pas tant que ça sur mon âge. Je pourrais. Enfin, cela m’arrive un peu. Mais je continue à plaire à des hommes, je le vois bien, et quand ils me fréquentent ils n’ont jamais l’air insatisfaits, alors, est-ce qu’il y a à avoir peur ? L’espace d’une seconde, je me demande ce qu’il pense de moi, de la femme que je suis, en tant qu’homme. Est-ce que mon âge saute tant aux yeux que ça ? Mais non, ne plus y penser. Je retiens à mon tour une pique trop facile sur l’impureté de son sang, sur le fait qu’il n’a aucune légitimité à être ici, qu’il enseigne le seul sujet totalement inutile de la formation d’un sorcier, qu’il est juste risible. Ce serait simplement grossier de lui balancer tout ça à la figure ; alors je me tais.
 
            Il termine de parler, et je le regarde un instant. C’est toujours étrange, d’avoir un ancien élève face à soi, et c’est aussi pour cela que j’aime mon métier : derrière chaque sorcier, je sais quel adolescent se cache, ou presque. Je fixe Lemony quelques secondes, et j’essaye de reconnaître les traits de l’enfant dans le visage de l’adulte. Et puis je prends une inspiration, qui est un demi-soupir de soulagement qu’il ait terminé de parler. Et je lui souris, délicatement.
 
            —Je crois que je vois bien les élèves dont tu parles. Hazel, Halmilton, et Brown, n’est-ce pas ? Tu vas t’habituer à retenir les noms, ne t’inquiète pas, après tout tu n’es là depuis que peu de temps, et on finit par croiser les mêmes têtes toute la journée. Quand au conseil que tu demandes…  
 
            Je soupire de nouveau. C’est vraiment délicat, je ne veux pas me prononcer sur sa matière, il sait que je pense que c’est de la merde, enfin, que ça n’a pas sa place à Poudlard, et surtout, que c’est quasiment dangereux de faire entrer ça dans les têtes ! Mais enfin, les élèves et les parents ont une responsabilité également, celle de ne pas faire trop confiance aux programmes, à la direction, au Ministère, à cet homme. Bref.
 
            —Tu as raison, ce sont des élèves qui peuvent être assez pertinents et motivés quand ils le veulent, mais les élèves, même les meilleurs, peuvent aussi décevoir.
 
            Je fronce les sourcils pour réfléchir un instant à un conseil véritable que je pourrais lui donner — je ne peux pas jouer autre chose que la carte de la sincérité, de la franchise à ce moment-là — réagir autrement serait grossier, et je n’ai pas envie de l’être. Il m’a eue, à m’obliger à l’écouter, à me parler de sa matière. J’essaye de faire abstraction de sa matière : faisons semblant qu’il enseigne les Bavboules, ou les farces ou attrapes magiques ? Ce serait déjà un peu plus utile, un peu plus à sa place, et lui donnerait un peu plus de valeur. Bref, faire abstraction de sa matière, faire comme s’il s’agissait d’un sujet normal. Je réfléchis, plisse les yeux, penche légèrement la tête sur le côté, toujours en le regardant, avant de lui répondre doucement :
 
            —Tu connais mes méthodes. Je ne suis pas connue pour être une enseignante particulièrement sympathique, n’est-ce pas ? On dira que je suis élitiste, et on critiquera cela, mais je condamnerais les élèves sans hésiter. Tu n’es pas obligé d’être si sévère que je le serais, ce n’est pas utile que tu te fasses détester à peine arrivé ; quelques points en moins pour Poufsouffle, et une mauvaise note. Tu l’as dit toi-même, après tout, tu as mis des livres à leur disposition, et je ne doute pas que tu aies été ouvert et à leur disposition également s’ils avaient des questions. Et comme tu le dis, il est des disciplines où il faut croiser ses sources, et s’assurer de leur réalité. Si ce livre est aussi mauvais que tu le dis… cela doit se voir qu’il n’est pas fiable, sauter à la figure Ils auraient pu t’interroger, demander à consulter d’autres sources, et ils ne l’ont pas fait. Ils ont donc bien agi par paresse, ou été trop sûrs d’eux, et si tu ne veux pas que cela se reproduise, il faut le leur montrer, et être ferme. Ce sera une leçon pour eux. Si tu veux mon avis, ne perds pas plus de temps que ça avec cet immonde grimoire.
 
            Je marque une petite pause avant de reprendre :
 
            —En effet, souvent avoir de nombreuses années d’enseignement derrière soi aide, et je pense que parfois la fermeté stimule les meilleurs élèves, que même si on est durs avec eux en leur montrant leurs fautes, les plus avisés sauront rebondir, que cela les poussera à mieux faire la prochaine fois, à apprendre et corriger leur travers. Bien sûr, c’est mon avis, mon avis personnel, mais tu me demandes un conseil, et le voilà.
 
            Je rajoute enfin :
 
            —Quand à la bibliothèque, il est évident qu’elle n’est pas équipée en ce qui concerne ce genre d’ouvrages. Ce n’est tout simplement pas son rôle, je pense, mais il n’en demeure pas moins scandaleux qu’on y trouve ce genre de livre, si comme tu dis c’est un tissu d’inepties. On devrait retravailler sur l’inventaire, et bannir une certaine sélection, n’est-ce pas ?  
 
Des livres moldus, et en plus mauvais ? Vraiment, quel intérêt ? Qui se moquait d’eux ? Si Anderson voulait continuer à enseigner sa matière — beurk — qu’il ramène et fournisse au moins ses propres livres. Je lui souris de nouveau : tu vois, tu ne m’auras pas, petit Lemony. Tu vois, je peux parler de ta matière sans montrer mon animosité, en la cachant bien profondément, et pourtant tu sais que mon dégoût et mon incompréhension existent, qu’ils sont réels. Mais que peux-tu y faire ? Mon sourire est simple et cordial.
 
            —Bon courage en tout cas. J’espère que tu t’en sortiras. J’étais pour ma part en train de lire une œuvre runique, sur les révoltes et l’obtention d’indépendance des premiers sorciers. Ca me rappelle que je t’avais conseillé de prendre l’option études des runes, il y a bien longtemps, n’est-ce pas ? j’ai toujours pensé que tu avais un certain potentiel, et que cela te permettrait de briller davantage en histoire de la magie.  
 
                                            
1552 mots.

CODES BY RAINBOWSMILE 

Lemony Anderson

Lemony Anderson
Super vilain
hiboux : 536
Ven 8 Mar - 17:57

   
Et nous alimentons nos aimables remords
La plupart des hommes savent mieux vivre avec leurs supérieurs et leurs inférieurs qu'avec leurs égaux.

Je crois qu’elle soupire. Je ne sais pas. Ou était-ce une inspiration ? J’aimerais être au-delà de tout cela, j’aimerais m’en moquer, répondre par l’indifférence au mépris. Je n’y arrive pas. J’étais en sixième année en 1992. J’étais à Poudlard. Je les ai entendus me dire que j’étais l’un des ennemis de l’héritier, que les nés moldus allaient tous mourir : et en effet, j’ai vu mes camarades pétrifiés par ce qui été scellé dans la chambre de secrets. Jusque-là, j’avais compris que mon sang était un problème pour certaines personnes, j’avais entendu l’insulte sang-de-bourbe ; mais je n’avais imaginé que l’on puisse vouloir me tuer pour cela. Et ils m’avaient traité de lâche quand j’étais parti en Allemagne ! Que serait-elle, Yolanda, si depuis son plus jeune âge elle avait nourri la crainte que l’on s’en prenne à elle juste par sa naissance ? Qu’elle soupire ! Qu’elle me méprise. Ça ne doit pas m’atteindre. Ça ne devrait pas m’atteindre.
Elle est charmante, elle se prête au jeu, elle répond. Elle a l’air fière, comme si elle aussi, elle avait quelque chose à prouver. Comme si…

J’ai cette impression, comme si quelque chose de très clair était à portée de main. Une réponse, une explication. Quelque chose d’évident que je m’apprête à atteindre. Ma tête est envahis de pensées, mon cerveau vide ses archives brusquement et les souvenirs jaillissent et s’enchainent dans le chaos de mon esprit. Le 12 janvier 1998, maman avait déjà été attaquée mais je l’ignorais encore. J’étais à au bureau de mon appartement à Berlin, et la chouette était arrivée, le journal était tombé devant moi : Edition spéciale La Menace Sang de Bourbe. Le 10 février 1992, j’étais à la bibliothèque et je lisais un livre pour le cours d’études des moldus, et un élève plus jeune s’était approché « Cela arrive parce que vous n’avez rien à faire ici. » Le 14 février 2002, je tente d’expliquer la théorie de la relativité à Arthur Weasley en tremblant de rage, persuadé qu’il se moque de moi. Le 24 juillet 1985, papa est pâle comme le marbre, maman rit aux éclats et leur étrange invitée les regarde gravement « Tu es un sorcier, Lemony. » Le 3 novembre 2003, dans la bibliothèque, Yolanda Yeabow tente de prouver quelque chose. Et il y a une semaine, j’ai justement reçu… Aha ! Pauvre Yolanda, tu penses que tu es au-dessus de tout cela, n’est-ce pas ?

Je hausse les épaules. Je suis las. Elle n’a rien compris. Elle a essayé de faire abstraction, je crois, mais elle n’y a pas réussi. Elle n’a pas saisi le cœur de ma question. Elle parle de punitions, de noms, de ses méthodes… Elle parle des sources, elle parle des livres, de la bibliothèque. Oui, oui, mauvaise note, cinq points de moins pour leur maison. J’ai déjà fait cela. Mais comment enseigner cette façon de réfléchir, cette nécessité à vérifier, ce regard critique ? Punir, d’accord, mais pour aller vers quoi ? Je sais, Yolanda, que s’il ne tenait qu’à toi je ne serais pas là et il n’y aurait pas un seul livre sur les sciences moldues ici. Je sais quel genre de sélection tu ferais si tu devais bannir certains ouvrages de ce temple du savoir. Ne te crois pas plus spirituelle que tu ne l’es.

« Bon courage en tout cas. J’espère que tu t’en sortiras. J’étais pour ma part en train de lire une œuvre runique, sur les révoltes et l’obtention d’indépendance des premiers sorciers. Ca me rappelle que je t’avais conseillé de prendre l’option études des runes, il y a bien longtemps, n’est-ce pas ? J’ai toujours pensé que tu avais un certain potentiel, et que cela te permettrait de briller davantage en histoire de la magie. » Elle change de sujet. Je ne me force plus à lui rendre son sourire, cette mascarade polie et cordiale m’assomme. Je pose le livre à côté de moi, il faudra quand même que je le lise entièrement pour voir s’il y a d’autres informations que je devrais revoir avec mes étudiants. Effectivement, je m’en souviens. Je n’avais aucune idée de quelles options prendre, elle m’avait conseillé les runes et l’arithmancie, mais, étant décidé à faire de l’étude des moldus, je ne l’avais qu’à moitié écouté. Une réussite certainement, j’avais adoré l’arithmancie. Et en terme magique, l’étude des runes m’aurait ouvert un nouveau champ de possibilité, surtout si j’avais fait les deux. « Effectivement, je m’en souviens. Vous aviez sûrement raison d’ailleurs, je me suis rendu compte de l’importance de lire une source dans sa langue et son écriture première en lisant Einstein ! Mais qu’est-ce que je raconte, vous ne savez sans doute pas qui est Einstein, n’est-ce pas... » Je ris pour moi-même. Quelle pitié ! Le monde magique est privé de tant de merveilles pour l’orgueil d’un si petit nombre. Je ne me souviens pas avoir un jour regretté d’avoir pris runes, si on oublie bien sûr par simple appétit intellectuel. Mais j’aurais regretté de la même façon l’étude des moldus, il était fascinant de savoir comment ce monde voyait le mien. Pas plus que je ne regrette d’être un né moldu ou ne renonce à mon héritage culturel et universitaire. Mon monde ne risque pas de s’effondrer, et le tien, Yolanda ? « Cela correspond à quelle époque exactement ? » Comparer l’histoire magique et moldue est un exercice délicieux, et il est passionnant de découvrir dans quel repli de l’Histoire ces univers se croisent sans se mélanger. Je retire mes lunettes, ferme les yeux et inspire. J’ai envie de l’atteindre, mais elle n’en vaut pas la peine. Je le sais, sa fille elle-même me l’a dit, et plusieurs fois. « C’est amusant de vous croiser ce soir, je crois que j’ai reçu la dernière lettre d’Ariane il y a une semaine exactement. Comme pour me prévenir… Elle aussi, elle étudie une œuvre runique. » Je garde mes yeux fermé et lève la tête, il y a une pudeur en moi qui m’interdit de voir quel effet ont eu mes mots sur mon ancien professeur.

(1020 mots)
   
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Yolanda Yeabow

Yolanda Yeabow
MEMBRE
hiboux : 132
pictures : Et nous alimentons nos aimables remords | Yolanda & Lemony Tumblr_pec5eo45Q11uzomqmo1_500
Mar 12 Mar - 12:57
 
    La ténacité, la détermination de Lemony forcent la détermination. C’est étrange de dialoguer avec un ancien élève, c’est un exercice difficile aussi. Toute la hargne et le ressentiment qu’ils ont emmagasiné pendant des mois, parfois des années, ressort maintenant qu’ils ont grandi, qu’ils croient que l’on peut discuter d’égal à égal. Lemony essaye de me prouver que sa matière est légitime, que j’ai tort de n’y rien connaître. Mais enfin, n’y a-t-il pas de quoi devenir fou ? J’essaye de faire abstraction de ce différent, de parler d’autre chose ; tu pourrais faire un effort pour demeurer poli et ne pas revenir à la garde, comme un chien revient ronger son os. C’est cela que tu es, Lemony : un chien. Tu veux t’infiltrer chez nous, et nous réapprendre notre conception du monde ; tu crois que tout changera, parce que tu es là et tu as toute la bonne volonté du monde ? Mais la bonne volonté ne suffit pas, mon cher ami. Et notre univers est trop fragile aujourd’hui, à la fin de la guerre, pour qu’on puisse se permettre d’engager des clowns comme toi qui croient pouvoir refaçonner notre culture !
 

Effectivement, je m’en souviens. Vous aviez sûrement raison d’ailleurs, je me suis rendu compte de l’importance de lire une source dans sa langue et son écriture première en lisant Einstein ! Mais qu’est-ce que je raconte, vous ne savez sans doute pas qui est Einstein, n’est-ce pas...
  
            Je ne réponds pas à la nouvelle pique que tu me lances ; tu te moques de moi parce que je ne connais pas le nom de tel illustre moldu. Qu’il y a-t-il à répondre ? Qu’ai-je d’autre à faire que te lancer un regard noir, en te signalant que tu dépasses les bornes ? Je refuse de mettre des mots sur mes sentiments. J’ai essayé de passer à autre chose, de changer de sujet, de camoufler la gêne ; voilà que tu y reviens ; que reste-t-il à faire ? Je me vengerai plus tard. Je refuse de te dire clairement : ta matière est ridicule, dangereuse, et je vous méprise tous les deux, elle et toi, ta culture, ton univers, et ta volonté de tous nous mélanger autant que nous sommes ! Je refuse d’entrer dans un débat véritable avec toi. Pour moi, ce serait te faire gagner, te donner une place que je te refuse. Mais je sens quelque chose en moi qui hurle, s’énerve, vacille à ton éclat de rire. Quelque chose me démange, il n’y a pas si longtemps encore je lançais des Doloris pour moins que ça. Est-ce que je regrette que ce temps se soit terminé ?
 
 J’ai envie de me mettre en colère, mais ce serait te laisser gagner ; je change de sujet, encore. Tu n’es qu’un petit prétentieux qui ne mérite pas cette attention. Mais tu enchaînes sur les runes, tu veux voir où les époques sorcières et moldues se croisent, toujours revenir à ce qui t’intéresse.
 
Hm, cela correspond à l’Empire romain, à l’époque de Cicéron et Lucrèce.
 
            J’aurais pu me retenir aussi de la précision, mais je n’ai pas pu la laisser échapper, comme une gamine, histoire de dire : je connais ce que je connais de ton histoire et de ta littérature. La littérature moldue… Les sorciers en lisent. Pas publiquement, on n’en discute pas forcément entre nous, mais c’est une donnée connue dans certains milieux particulièrement cultivés. Il y avait un rayon caché, secret, dans la bibliothèque familiale du Manoir, empli d’œuvres de Tolstoï, de Baudelaire et de Dickens. Je me cachais pour les lire, mais je n’ai jamais regretté. Combien de sorciers ont-ils écrit de la littérature moldue, d’ailleurs, mais ont été obligé de taire leur identité magique et leurs origines pour être lus du plus grand nombre, pouvoir être publiés ? Enfin, en tant qu’historienne, je suis obligée de savoir ce qui se passait dans l’histoire moldue, je suis obligée d’effectuer des croisements pour mieux comprendre le contexte dans lequel nous avons évolué, et contre quels genres de moldus, quelles morales, quels idéaux nous nous sommes battus. Et l’histoire le dit, d’ailleurs : les mélanges, l’amitié, le partage n’ont jamais marché entre Moldus et sorciers. Cela a toujours fini en carnages, en persécutions. Alors pourquoi ne pas nous protéger ? C’est une stabilité, mise en place par une certaine hiérarchie et la fidélité à certaines valeurs, qui nous permettra de sortir du chaos et de retrouver un monde sorcier serein.
  
            Peut-être que je devrais me taire, maintenant. Pas me lever, pas quitter la bibliothèque, cela serait lui donner raison. Mais il me fatigue, et je me retrouve à renchérir, sans vraiment entrer dans le vif du débat, sans vraiment lui dire ce que je pense, sans vraiment me mettre en colère. Je n’aime pas cet entre-deux, il a le goût d’un vomi qu’on ravale, la sensation d’une odeur nauséabonde qu’on prétend ne pas sentir, en se bouchant à moitié les narines. Il retire ses lunettes, on dirait qu’il a renoncé à continuer, que la conversation va s’arrêter là, mais c’est à ce moment qu’il mentionne… Ariane.  
 
            Je me suis maîtrisée. J’ai tenté de ne pas trop montrer mon émotion. Avec Carys, la semaine dernière, je n’ai pas pu m’empêcher de faire voler des objets en éclats, de montrer ma colère. Ici, avec Lemony, ma magie se maîtrise instinctivement. Cela me fait si étrange, qu’un collègue, que je connais finalement si mal, ait plus de contact avec la chair de ma chair que moi. La jalousie me brûle, ce n’est pas la première fois, et si ma douleur est plus encadrée, si j’ai appris à la gérer au fur et à mesure des années, il n’en demeure pas que j’ai mal. Je revois sa chevelure blonde, ses yeux bleus malicieux, pétillants d’intelligence. Je me reconnais dans ses traits. Je reconnais aussi Jonathan. Je la revois éclater de rire. Je me damnerais pour sentir encore son odeur, que seule j’oublie, que seule je suis incapable de convoquer. On ne peut pas mettre de mots sur une odeur, n’est-ce pas ? on peut décrire des teintes et des éclats de voix, mais les odeurs sont volatiles. Je ne me suis pas rendue compte que Lemony a fermé les yeux, par lassitude ou par pudeur. Je le trouve encore plus ridicule, de ne pas oser me regarder dans les yeux alors qu’il sait ce qu’il vient de me lancer. Qu’il sait très bien quelle bombe vient exploser en moi.
 
            Lemony était un ami d’Ariane, à Poudlard, c’est vrai, j’avais oublié ça. Pour cela, peut-être que je lui dois plus de respect. Si ma fille pense que c’était un ami digne, elle devait avoir raison. Au fond de moi, je ne désapprouve pas ce choix ; c’est quelqu’un de bien, et certainement pas stupide.
 
            Il y a un silence, j’attends un instant avant de répondre — j’ai trop peur que ma voix tremble encore. Et si le filet qui sortirait de moi était brisé, faible, si je me mettais à exploser devant lui ? Je respire une fois, deux fois, puis j’articule doucement :
 
Oh… Vraiment ? Je suis heureuse que… enfin, elle a toujours eu un immense potentiel, je suis heureuse qu’elle le mette à l’œuvre. C’est une jeune fille brillante.
 
            Je me reconcentre un instant sur le contenu de ses paroles. Ariane fait des runes ? Je me rends compte que je ne sais rien d’elle, qu’elle pourrait jouer de la guitare à l’autre bout du monde, ou étudier les runes au Ministère, que je n’en saurais rien. Elle m’a effacée de sa vie, violemment. Et je n’ai même pas l’énergie de lui en vouloir. Mais Ariane fait des runes. Forcément, elle doit penser à moi, n’est-ce pas ? Comme Lemony, c’est moi également qui lui avait conseillé de prendre cette option, devant son appétence d’étudier, son désir de savoir, et même si elle s’en dérobait et le niait, sa passion pour l’Histoire de la Magie. Bien sûr, pas de vive voix, nous parlions peu à cette période, et je savais qu’elle aurait pu mal le prendre et ne pas m’écouter si j’avais lancé une discussion sur son avenir. Non, j’avais simplement rédigé, en appréciation de son bulletin de fin de troisième année : « Bon travail. Option runes conseillée l’an prochain si vous voulez aller au bout de votre potentiel ». Un peu ridicule, mais c’est tout ce que je pouvais faire — et j’avais eu raison, elle m’avait écoutée, et ses résultats avaient été assez brillants d’ailleurs. Elle doit penser encore à moi, n’est-ce pas ? Même si elle ne lit pas mon courrier, même si elle ne veut rien savoir de moi. On n’oublie pas sa mère ainsi, n’est-ce pas ? Quand est-ce qu’elle reviendra, Lemony ? Que fait-elle ? Carys ne m’en a jamais dit autant. Elle étudie ? Elle enseigne ? Je ne peux pas m’empêcher de la voir comme un miroir de moi, avec ce que tu me dis d’elle, un miroir, encore.  Involontairement, je m’attache encore plus au parchemin runique, comme si c’était devenu l’unique lien d’avec ma fille.
 
Je suis contente que vous soyez encore en contact. Elle va bien ?
 
            Je n’aurais pas dû poser cette question. Je n’aurais pas dû poser cette question. Je n’aurais pas dû poser cette question. Je m’humilie en posant cette question. Quelle honte, Yolanda, tu te mets quasiment à genoux devant un Sang-de-Bourbe. Mais elle va bien ? Elle va bien, Ariane ?  
La conversation sur Ariane m'épuise. C'est émotionnellement trop dur à tenir, et je n'ai pas envie de m'effondrer devant lui. Après qu'il m'ait répondu, je désigne le parchemin sur lequel je travaille et explique calmement : 

Je vais devoir retourner à ce parchemin, je crois. Je vous avais fait étudier sa traduction d'ailleurs, tu t’en souviens, j’en suis sûre. Ce sont les premières persécutions importantes dont les sorciers ont été victimes. Il y a eu plusieurs batailles pour retrouver leur indépendance, d’abord contre les Moldus et puis contre les autres créatures magiques. Les sorciers de l’époque avaient des conceptions totalement différentes des nôtres, d’ailleurs. Il n’y avait pas de statut de sang véritable, à l’époque, juste les sorciers qui choisissaient le camp des sorciers, et ceux qui refusaient d’assumer leur identité de sorciers. 

Lemony Anderson

Lemony Anderson
Super vilain
hiboux : 536
Mar 12 Mar - 16:10

   
Et nous alimentons nos aimables remords
La plupart des hommes savent mieux vivre avec leurs supérieurs et leurs inférieurs qu'avec leurs égaux.

Il y a de l’émotion dans la voix de mon ancien professeur, même si elle fait attention à parler lentement pour se calmer surement. Je connais ça. Je suis content d’avoir fermé les yeux, je ne suis pas certain de comment elle aurait pu vivre ma pitié. La relation entre Ariane et sa mère a toujours été… particulière pour le moins, et je sais que Yolanda paie cher le ressentiment de sa fille. Ariane, Ariane, Ariane… Tu pourrais l’amadouer, tu pourrais l’adoucir… Tu pourrais rendre service à tellement d’étudiants ! Mais je suis mal placé, bien sûr, pour donner ce genre de conseils. Moi aussi, je suis parti, j’ai fui la guerre là où elle a fui ses parents – une autre forme de conflit. Je peux comprendre, elle peut comprendre. C’est agréable de pouvoir en parler à quelqu’un… « Je suis contente que vous soyez encore en contact. Elle va bien ? » J’ouvre les yeux et lui adresse un regard surpris. Contente ? Vraiment, de toutes les formules, de toutes les façons de le dire, c’est de bien loin la pire. Contente, que moi, un né moldu, je sois encore en lien avec Ariane ? Contente que sa fille ait coupé les ponts avec elle mais pas avec tout ce qu’elle méprise ? D’ailleurs, maintenant que j’y pense, ça ne me semble pas très sain cette histoire, il faudra que j’en parle à Ariane. Je ne trouve pas la force de rire à cette énormité, je suis encore plus las. Elle ne pensait certainement pas en mal, elle est émotive parce que c’est de sa fille que tu lui parles Lemony… Tu pourrais comprendre, c’était assez mesquin d’évoquer Ariane alors que…

« Je vais devoir retourner à ce parchemin, je crois. Je vous avais fait étudier sa traduction d'ailleurs, tu t’en souviens, j’en suis sûre. Ce sont les premières persécutions importantes dont les sorciers ont été victimes. Il y a eu plusieurs batailles pour retrouver leur indépendance, d’abord contre les Moldus et puis contre les autres créatures magiques. Les sorciers de l’époque avaient des conceptions totalement différentes des nôtres, d’ailleurs. Il n’y avait pas de statut de sang véritable, à l’époque, juste les sorciers qui choisissaient le camp des sorciers, et ceux qui refusaient d’assumer leur identité de sorciers. »

Le camp des sorciers, et ceux qui refusaient d’assumer leur identité de sorciers.

Refuser. D’assumer. Identité de sorcier.

Assumer. Sorcier.

Je pourrais faire voler la bibliothèque en éclat. Je pourrais y mettre le feu. Je pourrais souiller ce lieu de connaissance d’un sortilège impardonnable, si je m’écoutais, là maintenant, tout de suite. J’ai envie de la frapper, comme j’ai rarement eu envie de frapper quelqu’un. Est-ce qu’elle se rend compte de ce qu’elle dit ? Est-ce qu’elle se doute seulement de ce que cela signifie ? De quel côté pense-t-elle qu’elle aurait été ? Lui faire mal, lui faire mal… « Vraiment ? Ça a l’air d’être un livre abominable. Pourquoi lisez-vous cela ? A moins qu’il ne soit plus complet que la lecture binaire que vous m’en faîtes, et il s’agirait là d’une lacune de votre esprit ? Ça ne me surprendrait pas. Je pensais me souvenir qu’il y avait aussi, et surtout, une grande question économique et politique à l’époque – le monde sorcier n’avait pas encore développé une économie comme aujourd’hui, il restait donc le choix de vivre parmi les moldus en conservant un rang et une fortune et de se battre quitte à être massacré au pire, ou au mieux déshérité et chassé de chez soi. Un monde sexiste, pratiquant l’esclavagisme, une magie qui n’était pas encore aussi développée qu’aujourd’hui et des écoles inexistantes pour en étudier les bases… La question n’est pas être dans le camp des sorciers ou assumer son identité, ce n’est pas de la liberté. D’un côté, les enfants sorciers de sorciers apprenaient avec leurs parents la magie et pouvaient se défendre et se battre, ils pouvaient choisir – même si beaucoup étaient encore mêlés en secret aux moldus et tissaient des liens étroits eux, l’économie du monde sorcier n’était pas encore ce qu’elle est aujourd’hui. Les sorciers qui naissaient dans les familles moldues par adultère ou hasard n’avaient eu pas ce choix par exemple. Personne pour apprendre, des capacités magiques sans apprentissage ni focus… Le choix était donc de réussir à le cacher ou de partir très loin pour ne pas devenir esclave ou être envoyés amuser les lions et les spectateurs aux jeux… Assumer son identité de sorcier ? Vous pensez vraiment que cela doit se penser dans ces termes ? Mais quel genre d’idiote êtes-vous exactement, professeur Yeabow ? » Les mots quittent ma bouche avant d’avoir eu le temps de se former dans ma tête. Je ne lui laisse pas le temps de me répondre, je continue, et ma voix monte et la colère avec. « Je sais qu’il est important de ne pas penser l’Histoire avec un regard trop contemporain, mais comme c’est exactement ce que vous êtes en train de faire, je vous propose un changement de perceptive, pour vous éveiller. Prenez par exemple une enfant née de parents sorciers qui aurait décidé de ne pas assumer son identité parce qu’elle refuse d’être lié à sa famille. Cela a existé dans l’Histoire bien sûr, et j’imagine quel mépris vous devez concevoir pour ceux qui ont fait ça. Mais comment pouvez-vous espérer avoir un jour un lien avec Ariane alors, puisque vous méprisez son choix ? Et si ces générations passées que vous méprisez tant, ce n’était que de jeunes sorcières aux parents incompétents et mauvais qui décider de se mettre en lieu sûr ? Vous ne pourriez comprendre cela peut-être ? Parce qu’il faudra vous décentrer un peu si vous voulez un jour faire la paix avec votre fille vous savez. » Je me suis levé, je pourrais lui jeter ce très mauvais livre moldu au visage maintenant, ou aller l’étrangler. Non. Je dois partir. Je suis en train de me mettre en colère. Je suis trop impulsif. Je ne devrais pas. Je saisis mon livre et part d’un pas décidé jusqu’à la porte, mais ma rage m’arrête en chemin et je me retourne. « Pour ce que ça peut vous faire, je n’ai pas choisi d’être sorcier. J’avais dix ans, j’étais heureux, et les fleurs se sont mises à voler autour de ma mère. Et on est venu me dire que j’étais sorcier, que c’était mon univers, ma place maintenant, ici. Que je devais quitter mes amis et mes proches pour venir vivre au milieu de personnes qui me méprisaient pour quelque chose dont je n’avais pas encore conscience à l’époque. Est-ce que vous avez la moindre idée de ce que c’est d’être un enfant né moldu ? De ne pas pouvoir raconter à son ami le plus cher que l’on connaît depuis ses trois ans ce que l’on vit en classe, de le voir s’éloigner ? De devoir mentir aux repas de famille, de quitter Poudlard sans aucun diplôme reconnu pour retourner dans ce monde moldu duquel vous voudriez, vous et les gens comme vous, que je ne sois jamais sorti ? De ne pas pouvoir partager le plaisir d’un bon résultat en sortilèges ou potions avec ses propres parents, ni les tableaux, ni les échecs, ni rien de tout ce que l’on voit ici parce qu’ils ne peuvent pas le comprendre ? D’être à cheval sur deux univers que quelques aristocrates arriérés veulent tenir séparés parce qu’ils ont trop peur de perdre leurs privilèges et avantages ? De ce que cela demande comme énergie si l’on ne veut pas se couper ni de ses origines ni de ce que l’on est maintenant ? De la haine gratuite, du mépris et de la colère d’imbéciles peureux ? Vous savez Yolanda, vous avez raison de me mépriser, vous avez raison d’avoir peur. Si la société change, et une société finit toujours par changer, ce n’est pas mon monde qui est en danger, c’est le vôtre. Je n’ai aucun privilège à défendre en dehors de ma vie, et la plupart de sorciers ne connaissant rien au monde moldu, je peux m’y cacher à leurs yeux sans souci. Votre culture est en danger, parce que vous voudriez qu’elle reste et demeure inchangée par le temps, mais vous êtes historienne, vous savez que rien ne reste jamais éternellement pareil et que les sociétés qui tentent d’empêcher la marche du progrès finissent systématiquement par s’effondrer sur elles-mêmes ou se faire détruire par leurs voisins. Les sciences moldues sont en train de rattraper la magie sorcière, nous pouvons les laisser nous devancer et accumuler les tensions, ou nous pouvons travailler de concert et œuvrer pour la paix – mais ce serait renoncé à ce qui est votre vie, votre sang, votre statut… Ce serait devoir appréhender une nouvelle culture qui vous enrichirait, mais vous avez trop peur de ne pas la comprendre, alors vous préférer serrer la vôtre jusqu’à ce qu’elle étouffe sous votre poids plutôt que de vous adapter, c’est moins risqué, c’est plus confortable… De quel côté pensez-vous que vous auriez été vous, dans ce livre que vous lisez ? Du côté des sorciers qui assument, ou de ceux qui se complaisent dans le confort de leur situation et se cachent ? Vous ne valez pas mieux que nous, ni Ariane, ni moi. Vous êtes aussi perdue et pathétique et effrayée que nous, mais nous, nous avons décidé d’avancer malgré cela, et nous nous supportons en cela… Sur ce, bonne nuit Yolanda. » Je ne lui ai pas seulement laissé placer un mot, et je pars avant de saisir sa réaction. La colère tambourine dans la tête, j’ai besoin d’un whisky.

Je n’aurais pas dû faire ça.  

(1617 mots)
   
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