On ne compte plus les soirées trop tardives passées par la Présidente-Sorcière dans son bureau au Ministère, illuminée par la chandelle éternelle à l’entêtant parfum de mûre qui embaume jusque dans le couloir. Quelques nouveaux témoignages venant étayer les dossiers de deux mangemorts incarcérés lui ont été transmis en fin de soirée. Elle les dissèque depuis maintenant trois heures, cherche les vérités et les incohérences, recoupe les indications qu’on lui donne avec celles qu’elle avait déjà en sa possession. Tant de sorciers disent avoir vu de « curieux hommes en noir » au détour d’une ruelle, jureraient avoir reconnu tel ou tel mangemort au quai numéro 2 de la gare de King’s Cross… Démêler le vrai du faux est la partie la plus fastidieuse des enquêtes, quand des témoignages fallacieux ne viennent pas davantage brouiller les pistes. Les partisans du Lord noir sont loin d’avoir tous disparu.
Soudain, un son trouble sa quiétude, comme un crissement aigu qui la fait sursauter. Les prunelles bleues de la Présidente-Sorcière parcourent rapidement chaque recoin de son bureau, s’agitent à la recherche de la source de ce bruit, jusqu’à ce qu’un second crissement attire son regard vers sa fenêtre. Perché, bien sage derrière sa vitre, un hibou au pelage sombre râcle l’obstacle sur sa route pour qu’on veuille bien l’en débarrasser. Les yeux de Moira s’écarquillent. Qui peut bien lui envoyer une missive aussi tardive ? Qui l’enverrait ici et non chez elle si ce n’est quelqu’un qui connaît assez son professionnalisme pour penser qu’il n’est pas encore assez tard pour que son bureau ne soit déserté ? Et surtout, qui ne passerait pas par le service de distribution de courrier du Ministère pour l’envoyer directement dans son bureau, évitant tous les intermédiaires ? Les questions qui s’entrechoquent dans son esprit la laissent interdite un instant, immobile sur sa chaise, jusqu’à ce que le volatile laisse échapper un piaillement agacé qui la force à se lever de son siège pour lui ouvrir. D’un battement d’ailes, l’émissaire s’envole jusqu’au perchoir qu’occupe habituellement Foul’camp, son nyctibius, et lui lance un regard courroucé. On n’a pas idée de laisser ainsi un hibou dehors avec un vent pareil ! Moira lève un sourcil et s’approche sans frémir.
A sa patte, une lettre scellée d’un cachet rouge pend fièrement. Le nom de Moira est écrit à la plume sur l’enveloppe. La destination ne peut donc être pas faussée. Mais le fait que l’oiseau n’ait pas été simplement envoyé au département de la justice la trouble. Quel expéditeur voudrait s’assurer que le pli lui soit ainsi remis en main propre, évitant les regards de ses secrétaires et des autres employés du ministère ? L’hésitation s’étire le temps d’une respiration avant que Moira ne libère l’oiseau de son fardeau, glissant près de son bec une récompense qu’il engloutit avant même qu’elle n’ait eu le temps d’entièrement retirer ses doigts.
La lettre en main, la juge se rapproche lentement de son bureau, faisant jouer ses doigts sur le papier, estimant son poids dans un réflexe aussi humain qu’inutile. Elle retourne le pli pour l’observer de chaque côté, les sourcils froncés, l’air sévère. Et ses yeux s’écarquillent soudain quand elle découvre les détails de l’armoirie incrustée dans la cire rouge. Son cœur rate un battement alors qu’elle demeure de longues secondes interdite, comme si une présence s’était brutalement matérialisée dans son dos, ricanant par-dessus son épaule et demandant : que vas-tu faire ? D’un geste, elle jette l’enveloppe sur le plateau de bois sombre de son bureau et s’empare de sa baguette. Ses doigts souples lui font désigner l’enveloppe et ses lèvres murmurent un ferme : - Finite Incantatem. Précaution résultant de trop nombreux souvenirs de guerre, et de la conscience d’être une cible toute désignée pour quiconque voudrait empêcher les braises des anciens conflits de s’éteindre. Qui donc pourrait mieux souffler sur le brasier agonisant de la révolte que les Malefoy ? L’idée fait glisser un frisson glacial le long de son échine alors que sa baguette s’exécute, la magie faisant légèrement vibrer le bois. Les secondes s’égrènent, interminables. Mais la lettre reste impassible et Moira ne sait pas, étrangement, si ce dénouement la rassure plus qu’il ne l’inquiète.
Laissant échapper un dernier soupir, elle repose sa baguette et observe l’enveloppe, refusant encore de s’en approcher, comme s’il s’agissait d’une bête dont elle évaluait la dangerosité. Les questions se précipitent dans son crâne, se poussent et s’entrechoquent en une cacophonie qu’elle est seule à entendre. Elle s’assied finalement sur son siège et s’empare de la missive d’un geste presque brusque. Ses doigts brisent le sceau avec une certaine satisfaction, la symbolique étant assez plaisante pour adoucir quelque peu le tranchant du piège qu’elle sent se refermer autour d’elle. Puis elle tire de l’enveloppe un papier dont elle reconnaît immédiatement le toucher. L’entête officielle du Ministère étale fièrement ses armoiries alors que ses yeux s’aimantent à la signature qui clôt le message : Lucius Abraxas Malefoy.
L’adrénaline pulse dans ses veines qui s’échauffent brutalement, comme embrasées par une colère sourde qui envahit sa tête et sa poitrine. Le félon se pavane au gré des paragraphes, sa calligraphie longiligne dessinant la preuve de sa survie et son intention de la clamer au nez de ses ennemis. Moira pensait trouver la signature de son épouse, découvrir au fil des lignes l’étalage de ses intentions politiques, pourquoi pas quelque menace l’intimant de démissionner ou de ralentir le plus possible la traque des insurgés sous peine de trouver une nouvelle fois dans son salon la visite imprévue de sorciers désireux de la mettre hors d’état de nuire. Mais il n’en est rien. Et après une dernière inspiration, la magistrate se plonge dans la lecture que sa curiosité l’empêche de refuser.
Son nez se retrousse de dégoût aux premières lignes qui défilent sous ses yeux. L’ironie transpire du papier à en rendre ses mains moites alors que les félicitations mielleuses sifflent à ses oreilles comme si Malefoy lui-même venait les lui souffler. Mais le reste des confidences fait délicatement se froncer ses sourcils, son intérêt piqué au vif par les indices épars qu’elle distinguent d’une phrase à l’autre. Ainsi Lucius est bien vivant, et caché quelque part en Angleterre, bien loin des pays exotiques où plusieurs Aurors pensaient le trouver. La hyène est restée tapie dans leur ombre, louvoyant dans leur sillage, attendant son heure. Le savoir si proche est à la fois une crainte et un soulagement : Malefoy est plus dangereux, mais également plus facile à atteindre.
Les railleries qui suivent parviennent miraculeusement à contracter sa lèvre en un rictus qu’elle peine à mater. Le timbre nasillard de Malefoy se rappelle à son esprit avec une facilité déconcertante, souvenir encore très net des nombreuses années qui les ont vus se fréquenter quand ils travaillaient ensemble au Ministère et que leurs piques rythmaient leurs rencontres quasi-quotidiennes. Les images qui lui reviennent se teintent d’une étrange nostalgie, comme un justicier réalisant la défaite de son adversaire et regrettant alors le temps de leurs luttes acharnées. Lucius avait le verbe tranchant, des idées radicales, une façon effrayante de les propager. Mais il demeurait chez lui comme un honneur presque chevaleresque qui l’empêchait de se livrer aux bassesses communes pour n’attaquer que là où l’ennemi aurait une occasion de se défendre, sorte de loyauté dans le combat qui était parvenue avec le temps à faire naître chez Moira une estime pour celui qui reste encore aujourd’hui son meilleur ennemi. Elle retrouve ce souci dans les mots qu’elle parcoure, une sensation qui détend peu à peu ses muscles alors qu’elle arrive en bas de la page.
Ses yeux s’élèvent pour recroiser ceux du hibou qui, se sentant épié, cesse presque immédiatement de se gratter sous l’aile pour fixer résolument la Présidente de ses yeux jaunes. - Si seulement tu pouvais me dire où se trouve ton maître… lui murmure-t-elle. L’oiseau feule en se réinstallant sur son perchoir. Aurait-il donc intégré les principes d’une loyauté sans faille ? L’idée fait sourire la magistrate alors qu’elle relit rapidement les passages les plus intéressants de la lettre. Se renfonçant dans son siège, elle réfléchit de longues minutes sur le comportement à adopter, la façon la plus sage de répondre à ce qui s’apparente moins à une fanfaronnade qu’à une première tentative d’approche de la part d’un homme en fort mauvaise posture. Les rangs des mangemorts ont fortement dégrossi depuis la fin de la guerre, et ce malgré les récentes défections recensées parmi les anciens soutiens de Potter. Elle devrait transmettre la lettre aux Aurors, fournir à ses enquêteurs toutes les informations disséminées dans les lignes, traquer le hibou, pourquoi pas ? Tout faire pour retrouver Malefoy et lui offrir une place en cellule à la hauteur de ses exploits mortifères. Ou alors, elle pourrait lui répondre, satisfaire sa curiosité tout en l’encourageant à de nouvelles confidences, favoriser un contact pour glaner le plus d’informations possibles, seulement elle, pour éviter tout risque de fuite, et mener la barre comme elle l’entend. Un tel choix déplairait fortement au Ministre s’il devait être découvert, à n’en point douter. Peut-être irait-il jusqu’à lui coûter sa place ? Peut-être, oui…
Elle soupire, son pouce frottant distraitement un de ses sourcils. Elle recroise le regard de l’oiseau qui s’ébroue de l’autre côté de la pièce, comme s’il s’impatientait. D’un geste de baguette, elle fait léviter vers lui une seconde friandise qu’il dévore sans rechigner. Ses doigts tapotent frénétiquement sur le bois du bureau. Moira se relève, fait quelques pas dans la pièce pour s’aider à réfléchir. Elle s’étire et se rassied, relit la lettre, la repousse, puis la replie dans son écrin qu’elle porte jusqu’au coffre-fort disposé dans un coin de son bureau. Elle lève le sortilège de protection, elle tourne le verrou pour entrer la combinaison connue d’elle seule et ouvre la lourde porte métallique donnant accès aux dossiers les plus sensibles en sa possession. Elle repousse les classeurs d’un geste précautionneux pour atteindre une petite boîte en bois sombre poli. Deuxième sortilège. Une formule à peine murmurée. La petite clé tourne d’elle-même dans son verrou, et l’écrin s’ouvre pour recueillir la lettre ainsi dissimulée. Puis, tout se retrouve scellé comme il l’était.
Retournant à son bureau d’un pas déterminé, Moira s’empare d’une feuille en tout point semblable à celle qui lui a été envoyée, prolongeant la plaisanterie sous sa propre plume. Les armoiries du Ministère lui semblent bizarrement risibles désormais. Elle débouche un encrier, prend de quoi écrire et dessine ses premières lettres à qui veut tant la contacter. Courbes féminines s’élancent en douces arabesques sur le papier.
« Cher Lucius,
vous ne serez sans doute pas surpris de l’étonnement qui m’a étreinte à la découverte de votre missive. Serait-il possible que dans votre fuite, vous ayez trouvé le temps et les moyens de m’écrire ? Je ne saurais dire à quel point vos efforts me flattent, surtout lorsqu’il s’agit de me féliciter pour mes nouvelles attributions. Vous n’avez après tout que trois petites années de retard, ce qui, de là où vous êtes, représente certainement un exploit. Suis-je la seule à bénéficier d’un tel traitement de faveur, dites-moi ? Je suis soudain curieuse…
Tant de bruit court à votre encontre, que l’on cherche à deviner le lieu de votre retraite ou que l’on vous croie mort, oublié quelque part, abandonné de tous, jusqu’à votre femme. Vous fascinez bon nombre de mes collaborateurs, je crois. Mais cela change-t-il de ce dont vous avez l’habitude ? Nul doute que Harry Potter s’intéresse tout particulièrement à votre cas, comme beaucoup de ceux que vous saluiez autrefois dans les couloirs de cette institution, mais n’ayez crainte : votre cas particulier n’est devenu qu’une tache d’encre noyée dans une autre bien plus grande que votre chère épouse s’applique à étaler. Dormez donc tranquille, pour quelques jours encore. Nous ne vous retrouverons pas demain. Mais cela ne saurait tarder.
Que donne votre salvatrice introspection ? J’imagine l’exercice ardu pour qui a tant d’erreurs à reconnaître sur son parcours. Ne soyez pas trop dur avec vous-même : les plus graves d’entre elles suffiront bien à vous tenir occupé pour les dix années à venir. Ne vous encombrez pas des quelques trahisons et autres broutilles qui les accompagnent. Après tout, la plupart de ceux qu’elles concernent auront tôt fait de vous les faire payer. J’y veillerai sans doute, comme vous l’avez souligné, car telle est la lourde charge que j’ai choisi de porter.
Je ne m’étonne guère de votre opinion sur la dernière stratégie du Ministère, ni de votre examen de ses faiblesses qui se trouve en vérité assez proche du mien. Il semblerait que notre département vous ouvre donc la petite porte. J’aimerais tant vous voir vous y engouffrer. Vous dévoilerez-vous un jour prochain, le visage affublé d’un masque de métal, drapé dans une longue cape noire que vous repousserez d’un geste théâtral pour annoncer le début de votre règne ? J’ai toujours rêvé d’assister à pareille mise en scène. Ne vous jouez donc pas ainsi de ma patience. Infiltrez les Aurors, cher ami, que j’aie le plaisir de vous y dénicher moi-même.
En attendant votre retour dans nos couloirs (dont je me languis, soyez-en certain), nous voilà donc à nous écrire. Et je ne cesse de me demander ce qui peut bien légitimer pareille prise de risque pour vous. Je ne doute pas que ma personne vous fascine, mais de là à mettre en péril votre cavale exemplaire… Vous ennuyez-vous tant dans votre prison sans barreaux que la simple idée de me savoir en train de vous écrire adoucit vos insomnies ? Qu’aimeriez-vous donc savoir de moi, monsieur Malefoy ? Ma couleur préférée ? Le prénom de ma mère, peut-être ? Ou la date de mon anniversaire pour que votre hibou m’apporte un petit quelque chose le jour venu ?
Allons, étouffez ces interrogations qui hantent déjà ces minutes que je passe à vous écrire. Quelle raison a bien pu vous faire accepter de prendre le risque de m’envoyer ce hibou ? Nous n’avons jamais pris l’habitude de nous cacher nos intentions, n’est-ce pas ?
Dans l’attente de votre réponse, je vous prie d’agréer l’expression de mes sentiments les mieux choisis.
Bien à vous,
M. »
Une seule lettre clôt sa réponse, ronde et sensuelle, à l’image de toute son écriture. Elle ne se relit qu’une fois avant de sceller son pli d’un cachet de cire aux armoiries du Ministère. Autant emmener l’ironie jusqu’au bout de la procédure. Elle n’écrit pas le nom du destinataire sur l’enveloppe, ne tient pas à risquer plus qu’elle ne le fait en répondant déjà à celui qui s’approche un peu trop de ce qu’on appellerait « l’ennemi public numéro 1 ». A la place trône un majestueux « L. » qu’elle écrit avant de se relever pour rejoindre l’impatient hibou qui semble n’attendre que de rentrer chez lui. La magistrate attache solidement la missive à sa patte avant de le guider jusqu’à la fenêtre. - Va donc retrouver cette crapule. Et sois heureux que personne ne te suive cette fois. Comme s’il s’indignait, le volatile s’ébroue une en émettant un cri perçant avant d’étendre ses ailes et de sauter de son bras pour s’élancer dans la nuit sombre. Moira le suit du regard jusqu’à ce qu’il disparaisse au loin. Il est parti vers le Nord. Mais ce nouvel indice est si maigre qu’elle ne peut s’empêcher de sourire.
Moira aimerait dire qu’elle n’a pas attendu la réponse, que la lettre de Lucius est tombé dans les méandres les plus obscurs de sa mémoire, oubliée comme un détail noyé dans le rythme acharné de ses journées. Elle aimerait dire qu’elle n’a pas désiré cette réponse, qu’elle n’a pas attendu ce hibou tous les soirs, qu’elle n’a pas fréquemment regardé dehors pour surveiller son arrivée. Elle aimerait dire que cette correspondance l’agace plus qu’elle ne l’amuse.
Mais Moira n’a pas pour habitude de se mentir.
Alors, son rictus fend largement son visage quand les serres d’un hibou reviennent crisser sur sa vitre, et c’est presque en hâtant son pas qu’elle vient quérir sa nouvelle missive. La feuille de parchemin dévoile cette fois les armoiries de Dumbledore. Les sourcils de la magistrate se haussent, son incompréhension criante sur son visage. Comment cette fouine est-elle parvenue à se procurer un tel papier ? Mes ces questionnements futiles sont vite oubliés quand ses iris bleus se mettent à parcourir les lignes de son bien aimé rival.
Le nez se retrousse. Les soupirs s’amusent. Le verbe de Malefoy est encore une fois intact, ses répliques aussi piquantes qu’autrefois. L’inverse l’aurait certainement déçue.
Revenant à son bureau, elle s’empare d’un papier tout en relisant la lettre, et note d’une main à la manière d’un brouillon les informations qu’il laisse filtrer entre ses phrases. Si son hibou met quelques heures à lui arriver, Malefoy ne peut se trouver à Londres. Mais il ne peut pas non plus se terrer très loin. Elle note :
« Voyages de L. Malefoy en Europe (?) – Russie, Hongrie, France. Lestrange à Londres depuis l’automne. Malefoy en Angleterre. Pas à Londres. Etendre les recherches en campagne. »
On frappe à sa porte. Sa secrétaire passe timidement la tête dans l’interstice de la porte. - Madame Oaks ? - Laissez-moi deviner. Un détournement d’oiseau ? La petite écarquille les yeux alors que sa patronne n’a même pas encore levé les siens. - Mais comment le savez-v… ? - Il vient de rentrer à la maison. D’un vague signe de la main, elle désigne le perchoir sur lequel le hibou étend fièrement ses ailes en observant l’intruse de ses grands yeux jaunes. La secrétaire reste interdite de longues secondes avant de demander : - Mais… Qui voudrait détourner un hibou pour nous le rendre si vite ? Moira lève le regard vers elle. Elle fait passer son hésitation pour un moment de réflexion avant d’ajouter simplement : - Je n’en ai aucune idée. La petite pince les lèvres. Son imagination ne semble pas plus productive que celle de sa patronne. - Très bien. Je vais essayer de me renseigner. Voulez-vous que je m’occupe du hibou ? - Non, laissez-le là. J’aime assez sa compagnie. La secrétaire fait un dernier signe de tête et glisse en refermant la porte du bureau : - D’accord. Je vous laisse travailler. - Holly, attendez une seconde... Tenez ! Donnez cela à Sanders, vous voulez bien ? Elle lui tend alors son papier et ajoute : - On a de nouvelles pistes. La source est anonyme, mais ça vaut le coup de jeter un oeil. La secrétaire lit rapidement avant de souffler en repartant : - Ce sera fait. Et la porte se referme délicatement derrière elle.
Feuille. Plume. La lettre de Malefoy retrouve sa grande sœur dans le coffret sous clé. La magistrate regagne sa place et griffonne sur une nouvelle page que le hibou semble déjà attendre de porter à son précédent envoyeur. Les mots viennent plus facilement qu’elle ne l’aurait cru.
« Cher Lucius,
la visite de votre oiseau ce matin a rassuré ma petite secrétaire qui s’inquiétait de le savoir dehors, capturé par un mystérieux scélérat. Dieu sait quels sévices elle a bien pu imaginer pour ce pauvre volatile. Aucun qui ne rivalise votre ingéniosité en la matière cependant, j’en suis certaine. Il est des domaines dans lesquelles vous excellerez toujours plus que le commun des mortels.
Vos réveils sont-ils tous si cruellement matinaux ? Je m’inquièterais presque pour votre santé si votre confort n’était pas le dernier de mes soucis. Quelles pensées vous empêchent donc de dormir ? Serait-ce des regrets de vos exactions passées ? La crainte qu’un mangemort plus fourbe que vous ne se décide à vous trahir un jour prochain ? Avez-vous encore des alliés sur qui compter Lucius ? Ou êtes-vous si incertain soudain que c’est vers moi que votre désespoir vous tourne ? Je me demande si votre chère épouse est au fait de cette correspondance que vous avez débutée avec moi. Sait-elle également pour cet œil que vous traînez sur les coupures de presse pour peu qu’une photo de mon profil s’y trouve ? Que dirait-elle de votre fidélité si tout lui parvenait aux oreilles ? Oh, n’ayez crainte. Elle n’a rien à attendre de moi, pas plus que le Sacré Cœur. Il est de notoriété publique que j’ai toujours préféré les bruns.
Je suis heureuse que dans votre fuite vous ayez au moins trouvé à vous distraire, même si la compagnie de Lestrange n’est pas de celles que j’apprécierais le plus. Mais je suis surprise de vous voir vous adonner à des provocations si faciles dans vos écrits, d’autant que votre conception du deuil me semble bien restrictive. Si j’ai eu la chance, il est vrai, de ne connaître aucun drame au sein de ma famille, j’ai, comme bien trop de sorciers, perdu moi aussi des proches, et ce bien avant la bataille de Poudlard. Je suis certaine que le nom de Lily Evans ne vous est pas étranger. Après tout, elle est la mère du jeune homme qui a vaincu votre maître. Je n’ose croire que parmi les victimes que vous avez compté dans vos rangs, aucune n’ait fait naître chez vous l’ombre d’une tristesse au prétexte qu’elle ne portait pas le nom Malefoy. Astoria Greengrass a-t-elle eu l’honneur de vous voir la pleurer ou n’était-elle, elle non plus, pas digne de votre deuil ? La famille par alliance compte-t-elle dans votre vision si sélective de la peine ? Je vous ai toujours cru moins insensible que vous en avez l’air. Je serais étonnée d’apprendre que j’avais tort. Mais comme le monde entier le sait, vous ne seriez pas le premier à tromper mes instincts.
Votre sollicitude pour notre jeune ministre serait presque touchante si elle ne sortait pas de votre bouche. Pour adoucir vos inquiétudes, et peut-être faciliter votre sommeil, je tiens à vous assurer que Potter n’a rien à craindre de moi, et surtout pas ma défection. Nos possibles désaccords n’affaiblissent guère notre détermination à remplir notre but commun qui vous concerne bien évidemment au premier plan. Les soutiens de Potter sont en effet confortés par ses dernières décisions et notre travail pour un retour à la paix continuera de porter ses fruits. Je ne doute pas que l’accalmie actuelle vous sied, mais je serais bien hypocrite si je vous disais que vous en profiterez longtemps. Nulle paix durable ne s’est construite sur un sol vicié, et votre arrestation ainsi que celle de tous vos camarades constituent le socle sur lequel nous comptons évidemment nous appuyer. Je ne peux donc vous laisser votre confort et vos oiseaux, j’en ai peur. Quoique, si vous m’êtes aimable, je pourrais faire un effort sur la literie de votre cellule.
Je tenterai de ne pas laisser au temps le plaisir de vous prendre avant moi. Notre rivalité dure depuis si longtemps, Lucius… Il serait triste que nous terminions sur un match nul, ne pensez-vous pas ?
Je reconnais par ailleurs votre délicieuse malice, bien que je ne pensais pas la retrouver dans pareilles circonstances, quand un refus catégorique de ma part briserait sans doute tous les plans que vous avez en tête pour la suite des événements. Mais vous savez que ma curiosité m’a souvent poussée à suivre les voies les moins sages, et le jeu que vous proposez a le mérite de me sortir quelque temps des dossiers de vos acolytes qui encombrent mon bureau.
Vous souhaitez donc savoir mon plus grand désir ? Je pourrais vous répondre comme beaucoup le retour d’un être cher perdu dans cette guerre, l’arrestation de tous les fugitifs que nous n’avons pas encore retrouvés, la paix, tout de suite, pour toujours… Je pourrais désirer la gloire, la reconnaissance de mes pairs au-delà de ma nomination à la tête du Mangenmagot, marquer de mon nom les pierres éternelles du Ministère. Ou simplement que votre plume se brise pour que vous cessiez à jamais de m’écrire. Mais tout cela, en plus de manquer d’originalité, aurait des répercussions si grandes que je préfère m’en tenir à un souhait moins effrayant.
Une heure. Je crois que je voudrais une heure loin de tout questionnement, une heure loin de cette incertitude permanente qui nous étrangle tous depuis la fin de la guerre. Une heure où je ne doute de personne, en particulier pas de moi. Une heure sans craindre que mes alliances ne soient que des illusions, sans m’inquiéter de ce que vous et vos acolytes pouvez bien fomenter à quelques lieues d’ici. Juste une heure, sans peur ni réflexion. C’est un luxe dont je me sens privée depuis de longues années, et Lord Voldemort ne peut s’attirer tout le mérite de cette privation. Tant d’autres ont fait s’immiscer les doutes dans mon esprit, rongeant peu à peu tout ce qui pouvait s’apparenter à de réelles convictions. Alors j’aimerais une heure remplie d’insouciance, sans autre considération que de savoir que je respire et que mon cœur bat toujours.
Je ne sais si ma réponse vous satisfera. La sincérité n’est pas toujours gage de récompense. Ce n’est certainement pas vous qui me contredirez.
En attendant vos confidences après les miennes, je vous promets de penser à vous ce soir quand la fatigue m’emportera et que je dormirai profondément quand vos regrets continueront de vous tenir éveillé. Cela réduira, je l’espère, le poids de votre solitude le temps que je vienne vous trouver.
Prenez bien soin de vous. J’arriverai bientôt pour prendre le relais
Bien à vous,
M. »
Le pli revient à la patte du coursier que Moira relâche tant que personne n’est là pour l’épier. Elle le regarde une nouvelle fois disparaître, le visage affublé d’un sourire étrange qui a du mal à la quitter.
- Madame Oaks ? Le visage de Holly passe dans l’interstice de la porte de son bureau, l’air soucieux. Le tremblement dans sa voix ne plaît pas à sa patronne qui sent son dos se tendre presque immédiatement. - Qu’y a-t-il, Holly ? - C’est… un jeune homme, madame. Il demande à vous voir. Un sourcil de Moira se hausse. - Qui est-ce ? - Je ne sais pas. Il dit s’appeler Andy Swedon. Il ne veut parler qu’à vous. - A-t-il au moins dit ce qu’il voulait ? Une hésitation. Puis la petite lâche : - Il dit avoir des informations sur Malefoy. Adrénaline pulse dans le sang. Les battements de son cœur s’emballent. Il faut une seconde trop longue à Moira pour ordonner, d’une voix qu’elle peine à maîtriser : - Faites le enter.
La secrétaire s’efface et tient la porte à un jeune sorcier, le teint pâle, les cheveux bruns, qui entre d’un pas machinal sans une fois croiser son regard. Moira se lève et contourne son bureau pour se rapprocher, ses prunelles détaillant l’intrus comme s’il cachait une bombe dans l’une de ses poches. Elle glisse à Holly, sans la regarder : - Laissez-nous. La secrétaire hésite mais s’exécute après un dernier regard vers l’inconnu. La porte se referme discrètement derrière elle, laissant la magistrate avec son mystérieux informateur.
Moira n’a pas le temps de demander quoi que ce soit que le petit fait entendre sa voix monocorde, dépourvue de toute émotion. Il veut s’assurer qu’elle est bien la destinatrice de son message, répétant une fois encore qu’il n’acceptera aucun intermédiaire. La respiration de la juge se trouble un instant alors que les pièces du puzzle s’assemblent devant elle. Ses sourcils se froncent. Elle approche encore de deux pas en murmurant : - Oui, c’est bien moi. Le sorcier lui tend alors une lettre et la chaleur qui envahit le corps de la magistrate répand son ire jusque dans son moindre capillaire. Il ne lui faut pas plus longtemps pour tout comprendre, et alors qu’elle dévore les derniers mètres qui la séparent du jeune homme, sa main fébrile vient quérir la lettre si brutalement qu’elle en froisse le papier. Armoiries de Durmestrang. Plus rien ne la surprend. Mais cette fois, elle ne sourit pas. Son regard revient au jeune sorcier qu’elle devine déjà ensorcelé par ce scélérat. Son air s’attriste un instant. Elle lui glisse en s’éloignant : - Ne bougez pas, Andy. Je reviens tout de suite. Puis elle ouvre le pli sans ménagement pour lire la missive. Son regard dur devient enragé au fil de sa lecture. Un claquement de langue clôt son déchiffrage avant qu’elle n’aille s’installer à son bureau et s’emparer d’une plume qu’elle trempe sèchement dans l’encre. Son écriture est saccadée, abrupte comme ses pensées.
« Avez-vous perdu l’esprit ?
Je pensais pouvoir compter sur une prudence réciproque, mais vous défiez une fois de plus mes prévisions mêmes les moins sages. Ai-je largement surestimé votre intelligence à croire que la discrétion ferait partie de l’accord tacite que nous avons conclu à poursuivre cette correspondance ou vous amusez-vous sincèrement à m’imaginer soupçonnée d’accointance avec vous et votre misérable clique ? Je n’arrive pas à croire que vous veniez vous pavaner jusque dans les couloirs du Ministère, en faisant s’infiltrer un pauvre garçon sous Imperium pour livrer vos messages comme un vulgaire hibou. Vous n’en êtes pas à votre premier impardonnable, me direz-vous, mais pensez-vous sincèrement que ces agissements jouent en votre faveur ?
Et vous osez ensuite me rappeler les droits de votre famille ? Gardez vos rappels à la loi et autres leçons de bonne morale. On ne saurait rêver pire professeur. Sachez que je ne laisserai jamais à votre femme, pas plus qu’à votre fils, l’occasion d’humilier mon département grâce aux lois qu’il a lui-même créées. Je compte en revanche rapidement leur rappeler celles qu’ils ont oubliées, et peu m’importe qu’ils apprécient le traitement que je leur réserve. Cela vous contrarie-t-il ? J’aimerais m’en assurer.
Et puisque nous en sommes réduits à écrire clairement les règles du jeu, gardez les noms de sorciers bien plus honorables que vous hors de vos esprits viciés. Je ne supporterai ni vos sarcasmes ni vos présomptions quant à mes fréquentations. Vous dépassez des limites que je compte bien préserver et je crois que vous paradez au point d’oublier qui est en position de force. Car vous semblez penser que je ne saurai jamais vous trouver sans que vous l’ayez vous-même décidé. L’isolement vous rend bien prétentieux. Ne pensez pas un seul instant que votre traque soit ralentie par nos échanges, vous risqueriez d’être surpris un beau matin à la porte de votre planque. Et autant vous dire qu’il serait dangereux pour vous que cette correspondance m’ennuie, car si mes plaidoyers peuvent prêcher la mesure, vous savez tout aussi bien que tous les sorciers passés devant moi n’ont pas bénéficié du même traitement. Je ne suis pas du genre à me laisser attendrir par votre santé fragile ou vos légitimes regrets de père, que les choses soient dites. Je m’en voudrais que vos illusions ne soient brisées qu’une fois votre carcasse entravée sur la chaise qui vous attend au Magenmagot.
Mais même si vous bafouez la bienséance depuis des années déjà, je ne peux vous cacher ma sidération à la lecture de vos derniers mots. Je devrais pourtant être habituée à votre désinvolture depuis des années, me direz-vous. Mais de là à vous voir me demander un entretient avec Harry Potter… Je n’ose imaginer les excès qui sont dorénavant les vôtres pour que vous puissiez imaginer un seul instant que je vous laisse approcher le Ministre à moins d’un kilomètre. Et surtout, que gagnerais-je à vous faire une telle faveur ? Les questionnements philosophiques de Potter sont le cadet de mes soucis et je ne sers que la communauté magique que vous avez meurtrie. Pourquoi vous donnerais-je l’opportunité d’approcher le Ministre, dites-moi ? Que vaut votre parole ? Comment l’évaluer ? Vous ne m’avez à ce jour pas donné une seule preuve de bonne foi et je commence à me demander l’intérêt de cette correspondance. Ne vous méprenez pas : j’apprécierai toujours la lecture que vous m’offrez. Mais vos nouvelles exigences changent assez le ton de nos échanges. Alors comprenez que je vous fasse part des miennes.
Vous dites aspirer à la paix. Les Choristes célestes ne sont visiblement pas parvenus à vous montrer le chemin. Qu’avez-vous donc trouvé auprès d’eux si ce n’est cet apaisement que je ne suis pas sûre de vous souhaiter ? Je vous avoue ne rien connaître à ce culte… Eclairez donc ma lanterne, cher Lucius.
Et une dernière chose : je vous renvoie votre jeune émissaire afin que cette lettre vous trouve aussi facilement que les dernières. Je vous conseille de me le renvoyer dès demain accompagné d’un hibou, que je le libère moi-même de l’Imperium que vous lui avez jeté. Vos derniers agissements m’empêchent de croire en votre bon traitement le concernant, j’en ai peur. Je vous demanderais donc de me le renvoyer sain et sauf, que je m’assure personnellement qu’il regagne sa famille sans plus rien risquer de votre part. Il va sans dire que je vous interdis d’user de nouveau de moyens aussi infâmes pour me joindre, et que je vous conseille fortement de ne plus jamais prendre le risque d’impliquer d’autres témoins de vos combines. Vous ne devez la pérennité de nos échanges qu’à la vivacité d’esprit de ma secrétaire qui a eu la bonne idée de ne pas faire passer ce pauvre garçon par la grande porte. Qu’il se présente discrètement à Holly demain, comme aujourd’hui. Elle saura quoi faire.
Soyons clairs. Ce manège ne concerne encore que vous et moi, et je compte bien conserver les choses ainsi tant que rien ne me convaincra de les changer. Alors, convainquez-moi.
N’oubliez pas qui dépend de l’autre dans cette relation que vous avez initiée, Lucius. Je ne sais pas encore la finalité que vous avez imaginée pour cette correspondance dans votre fameuse tête blonde. Mais contrairement au plan que vous fomentez dans votre coin et dans lequel je dois sans doute avoir un rôle quelconque à jouer, je n’ai pas besoin de vous pour continuer ma traque. Et je vous trouverai, Lucius. Soyez sûr que je vous trouverai.
M. »
Pas de politesse, cette fois. Un « M » jeté comme un crachat en bas de la page. Elle ne prend pas la peine de se relire, pas plus qu’elle ne ménage l’enveloppe au moment de sceller le pli. Elle se relève vivement pour rejoindre Andy Swedon et son visage se fait plus doux, plus triste, quand elle arrive à sa hauteur. Elle prend délicatement sa main pour y glisser sa missive, l’air contrit. Elle murmure : - Tenez, Andy. Prenez ceci, et apportez-le à votre maître. Revenez-moi sain et sauf. Faites attention à vous… Son regard est si vide… Le voir ainsi est un crève-cœur. Mais Moira se fait violence : elle veut savoir ce qui se trame dans le cerveau perfide du patriarche Malefoy et n’a que cette seule piste pour y parvenir. Elle guide alors le jeune sorcier jusqu’à la sortie et appelle Holly pour qu’elle le raccompagne, aussi discrètement qu’elle l’a fait venir.
Trois coups rapides sur sa porte qui pivote avant même qu’elle n’en ait donné l’ordre : il n’en faut pas plus à Moira pour comprendre que son petit messager est revenu du repère du serpent. Sa nuque se hérisse alors que Holly fait entrer le jeune sorcier. Sa démarche est toujours aussi raide, son regard toujours aussi vide. L’emprise de l’Imperium est intacte, mais le garçon ne semble pas blessé. Le soulagement de la magistrate s’entend dans les profondeurs de son souffle alors que son regard se pose que la petite chouette que Swedon tient à l’épaule. Malefoy aurait-il respecté à la lettre chacune de ses instructions ? Elle n’arrive pas à y croire. D’un signe de tête, elle congédie pourtant la secrétaire qui referme consciencieusement la porte derrière elle, laissant retomber un silence dans le bureau qui met quelques secondes à se dissiper.
Le garçon tend une enveloppe d’un bleu délavé quand Moira s’approche de lui et sa voix monocorde perce de nouveau, identique à celle qu’il avait la veille. Un rictus mauvais étire la lèvre de la magistrate alors qu’elle s’empare du pli qu’il tient, reniant d’un froncement de son joli nez ce manque de dérision dont elle est accusée. La suite des confidences du messager pique cependant son intérêt et c’est avec un air légèrement désabusé qu’elle observe ses traits pâlots et inexpressifs. Quelle tristesse de voir de jeunes sorciers dévier ainsi des chemins les plus sains… Un soupir quitte ses poumons avant qu’elle ne tire sa baguette de sa poche. Elle invite le garçon à s’asseoir sur une chaise et le regarde s’exécuter sans mot dire. Son bras s’élève, désigne l’imprudent qui s’est perdu le mauvais jour dans l’Allée des Embrumes. Le geste est souple, la formulation impeccable. - Finite Incantatem. Et avant même que l’effet de l’Imperium ne se dissipe entièrement, elle lance d’une voix ferme : - Incarcerem. Les cordes ensorcelées se matérialisent au bout de sa baguette et s’enroulent entour des pieds et des accoudoirs du siège avant d’entraver les membres du garçon qui retrouve difficilement conscience. Le sorcier cligne des yeux plusieurs fois avant de sentir la morsure de ses liens et sa respiration s’emballe. Il tente de libérer ses poignets, laisse échapper un grognement aigu, assez pathétique, avant d’enfin lever le visage pour découvrir la silhouette de sa geôlière, élégamment perchée sur ses escarpins. Moira l’observe un instant, la bouche légèrement pincée. Il a un regard bovin. Elle le préférait presque sous Imperium. D’un pas suave, elle retourne à son bureau sur lequel elle s’appuie quand elle entend le petit marmonner : - Qu’est-ce que… ?! - Bienvenue au Ministère. Je suis Moira Oaks, Présidente du Magenmagot. Et vous êtes Andy Swedon, voleur à la tire sur le Chemin de Traverse. Vous avez tendance à vous perdre dans des ruelles peu fréquentables, jeune homme. Votre dernière rencontre sur l’Allée des Embrumes n’a pas été votre plus fameuse. Vous avez passé les dernières 24 heures sous Imperium. Vous risquez de vous sentir un peu vaseux pendant quelque temps. Mais, croyez-moi sur parole, vous n’y penserez bientôt plus car nous avons tous les deux beaucoup de choses à nous dire. Sachez d’ores et déjà que je connais bien plus de vous que vous ne le voudriez sûrement, comme votre petit faible pour la jeune Veredis Beurk, ce qui est de loin votre écart le plus compréhensible. Un café ? Moira récupère son mug hurleur sur le côté de son bureau pour aller le remplir sans même jeter un œil à son prisonnier qui éprouve encore, incrédule, la solidité de ses liens. Il peine à retrouver l’usage de la parole, mais finit par bredouiller : - Qu’est-ce que je fais ici ? Lentement, Moira revient prendre place contre son bureau, son mug fumant délicatement tenu dans sa main droite. Elle gronde : - Vous tentez de sauver vos miches. Les yeux de Swedon s’écarquillent. Son teint devient livide. La sensation pour Moira est assez plaisante. Elle prend une gorgée de café avant de reprendre : - Nous savons pour vos petits trafics rue de Traverse et autant vous dire que vu le temps dont nous disposons pour les petits délinquants dans votre genre, votre procès risque fort d’être expéditif. Laissez-moi vous dire que cela est rarement en la faveur de l’accusé. Or, il se trouve que vous avez peut-être des informations qui pourraient nous être précieuses et je suis donc prête à vous offrir un marché. - Un marché ? répète-t-il, l’air bêta. Deuxième gorgée de café. Moira se redresse et énonce avec une gravité presque troublante. - Vous me dites ce que je veux savoir, et nous oublions tout de votre petit recel. Les sourcils du jeune sorcier se froncent. L’hésitation qui le parcoure est palpable. Moira lui laisse quelques secondes pour ordonner ses idées, ce qui, vu l’énergumène, doit prendre un peu plus de temps que la moyenne. Une troisième gorgée de café plus tard, elle lance d’une voix énergique : - Alors ? On s’évite un vilain procès ? Swedon soupire. Ses yeux balayent la pièce sans bien savoir ce qu’ils cherchent à trouver. Il semble complètement perdu. Le silence s’alanguit de longues secondes avant qu’il ne revienne croiser le regard de la magistrate. - Qu’est-ce que vous voulez savoir ? Le sourire de Moira est triomphant. Elle repose sa tasse et croise les bras sur sa poitrine avant d’avancer son premier pion sur l’échiquier. - Que faisiez-vous dans l’Allée des Embrumes hier ? Il réfléchit un instant. - Je me suis perdu. - Faux. Vous achetiez de la poudre d’obscurité du Pérou chez Barjow et Beurk. Les yeux de Swedon s’écarquillent. Il semble se liquéfier. - Je vous répète les règles du jeu : vous me dites tout ce que je veux savoir ou vous passez les six prochains mois à Azkaban avec des camarades bien moins impressionnables que vous. Pas de tricherie. Un seul joker. Vous venez de le jouer. Nous sommes d’accord ? Le sorcier déglutit et répond : - Oui. - Bien. Alors reprenons. A quoi vous sert cette poudre ? Il se racle la gorge et se met à zyeuter les lacets de ses chaussures. - C’est pratique pour disparaître en cas de pépin. Si jamais je manque de me faire prendre. Et… Ca me permet d’approcher mademoiselle Beurk. Rictus de la magistrate. - Très bien. Qui était avec vous hier dans la boutique ? - Personne. Rien que moi et mademoiselle Beurk. La voix de Moira s’agace. Elle siffle. - Vous vous souvenez de ce que je vous ai dit concernant notre accord, n’est-ce pas ? - Oui, oui. Je sais, madame. Je vous jure qu’il n’y avait que nous ! Je vous le jure ! Les sourcils de la magistrate se froncent. Incohérence. Le garçon ne semble pourtant pas mentir. - Comment expliquez-vous que vous vous soyez retrouvé sous Imperium dans ce cas ? - Je suis sorti de la boutique sans encombre. C’est un peu plus loin qu’il y a eu… ce trou noir. - Avez-vous remarqué quelqu’un dans la ruelle avant cela ? Une seconde interminable. Puis le sorcier balbutie. - N… Non. Le soupir de la juge est plus éloquent qu’elle ne le voulait. Ses mains viennent s’agripper au plateau en bois de son bureau alors qu’elle grogne, désabusée : - Faites un effort, Swedon. Il va falloir me donner plus que cela. - Je vous assure, madame Oaks. Il n’y avait personne. Je veux dire… Personne qui ait attiré mon attention plus que cela. Il y a juste eu ce murmure et plus rien… - Une formule ? - Je ne sais pas… C’est possible. Un soupir encore, et le jeune homme se tend sur sa chaise. Sa voix se précipite. - Je ne mens pas, je vous assure. - Et je suis censée vous relâcher parce que vous avouez avoir acheté une poudre que je savais déjà en votre possession et que vous avez entendu un murmure indiscernable de la part de quelqu’un que vous n’avez pas vu ? Allons, Swedon, soyons sérieux… - Je vous le jure, il n’y avait personne, à part une vieille femme et un homme que j’ai dépassé en voulant retourner au Chemin de Traverse. - A quoi ressemblait cet homme ? - Je ne sais pas… Vous savez, on évite de dévisager les gens dans l’Allée des Embrumes… Un claquement de langue. Les deux mains de Moira claquent en tombant sur ses cuisses alors qu’elle se lève pour se diriger vers la porte. - Eh bien, c’est dommage. - Attendez. Attendez ! C’est vrai que je ne l’ai pas vu mais… Il portait un long manteau sombre et… - Cela ne me suffit toujours pas. Elle pose une main sur la poignée quand la voix du jeune homme l’arrête, implorante. - Il était blond ! Il avait de longs cheveux blonds, très clairs… Madame Oaks, je vous en prie. C’est tout ce que j’ai pu voir, je le jure. La nuque de la magistrate se hérisse. - Des cheveux blonds ? Le sorcier sent l’ouverture et s’y engouffre. Il sue à grosses gouttes. - Oui ! Oui, j’en suis sûr ! Des cheveux blonds qui tombaient plus bas que ses épaules. Il était mince et… et je ne sais pas quoi vous dire de plus. S’il-vous-plaît… Moira réfléchit un instant. Elle ne lui a pas dit l’identité de son assaillant. Il ne peut pas avoir inventé un tel détail. De longs cheveux blonds… Quelle meilleure caractéristique que celle-ci pour désigner son meilleur rival ? Lentement, la main de la juge quitte la poignée et Moira s’adosse au mur, recroisant les bras sans laisser une seconde de répit au jeune sorcier. - Vous souvenez-vous de quoi que ce soit d’autre des vingt-quatre dernières heures ? - Tout est très flou, je… Je ne suis pas sûr. - Savez-vous si vous vous êtes déplacé ? - Déplacé ? - Avez-vous pris le train ? Volé sur balai ? Transplané ? - Non… Non, je ne me souviens pas. Je crois que j’ai seulement marché. - Vous êtes donc resté à Londres ? - C’est possible, mais je n’ai aucune certitude. Madame Oaks, je vous en prie… Je ne comprends rien à ce qu’il se passe. Je vous ai dit tout ce que je savais. J’aimerais vous aider plus mais… Il hésite une seconde avant d’oser demander : - Ai-je fait quelque chose de grave quand j’étais sous Imperium ? La voix est tremblante, bouleversé. Swedon semble sincèrement terrorisé. Le visage de Moira se penche légèrement sur le côté. Pour la première fois, le petit arrive presque à la toucher. Sa voix s’adoucit. Elle murmure, rassurante : - Non. Ne vous inquiétez pas. Vous n’avez rien fait qui puisse vous être reproché. Un profond soupir de soulagement s’échappe de la gorge du jeune homme qui laisse ses épaules s’affaisser. Sa tête se penche en avant comme pour étirer toute sa nuque. Ses poings se détendent enfin pour laisser ses mains reposer, inertes, sur les accoudoirs. Moira ne le presse pas. Elle imagine aisément l’angoisse qui doit être la sienne, brutalement réveillé d’une léthargie dont il ne se souvient presque de rien et catapulté dans le bureau de la présidente du Magenmagot pour un interrogatoire auquel il ne s’est pas préparé. La peur du jeune homme demeure encore accrochée à son ventre, mais ses tiraillements s’apaisent. Il ne relève le visage qu’après de longues secondes, le regard éclairci d’une lueur d’espoir. - Vous me croyez alors ? Je ne vous cache rien madame Oaks, je vous le promets… Elle réfléchit un instant avant de souffler : - Oui. Nouveau soupir de soulagement. - Merci… Merci beaucoup. Le garçon respire mieux. Sa voix tremble moins. Il déglutit une fois encore avant de demander : - Vous allez me libérer alors ? Une seconde. Une seule seconde avant que tout espoir ne se brise. D’un geste, Moira ouvre la porte de son bureau pour lancer d’une voix forte dans le couloir : - Sanders ! Swedon s’étrangle. - Qu’est-ce que vous faites ? Son rictus fait dévaler un frisson glacial le long de sa colonne. - Mais vous m’aviez promis ! - Pour le vol à la tire, oui. Sourire carnassier de la juge. Swedon panique et réessaye maladroitement de se libérer de son siège. Sa voix se fait suppliante. - Attendez ! Mais la carrure imposante d’un Auror se dresse bientôt dans l’embrasure de la porte et le jeune homme se fige, tétanisé. Sanders passe la tête dans le bureau pour chercher le regard de sa supérieure. - Moira ? La Présidente-Sorcière l’accueille avec un sourire chaleureux. Elle désigne Swedon du menton. - La petite agressée derrière Gringotts la semaine dernière. Je crois que ce jeune homme a quelques petites choses à te dire sur le sujet. - Ah oui ? L’Auror fronce légèrement les sourcils, un rictus intrigué flanqué sur le coin des lèvres. Il s’approche de quelques pas avant d’enfoncer ses mains dans les poches de son pantalon. - Je te demande pas comment il s’est retrouvé là ? - Non. - Parfait. Un haussement d’épaules et le voilà à hauteur du jeune sorcier. D’un coup de baguette, il le libère de ses liens magiques et l’attrape sous le bras pour le guider hors du bureau en grognant un ferme : - Allez, bonhomme ! On va discuter tous les deux. Puis il glisse en refermant la porte derrière eux : - Je te tiens au courant, Moira. A plus tard.
De nouveau seule, la juge s’accorde quelques secondes avant de rejoindre son siège et de récupérer l’enveloppe bleutée que Swedon lui a livrée. Son regard croise un instant celui de la chouette hulotte venue emprunter le perchoir de Foul’camp. Elle est bien plus mignonne que leur précédent messager, à n’en point douter. Un sourire étire le coin des lèvres de la juge alors qu’elle déchire l’enveloppe pour en tirer la nouvelle lettre de Malefoy. Armoiries de Beauxbâtons. Compte-t-il lui faire faire un maudit tour du monde ? Un soupir amusé s’échappe des narines de Moira alors qu’elle se plonge dans sa lecture.
« Cher Lucius,
êtes-vous réellement surpris de voir nos sens de l’humour toujours si différents ? Nous avions pourtant déjà goûté maintes fois par le passé nos divergences sur ce point, ce qui ne nous empêchera jamais, je l’espère, de tenter toujours de nous convertir l’un l’autre. Ne vous offusquez donc pas de mes multiples rebuffades. Dites-vous seulement que vous peinez encore à trouver la faille dans mon armure. Je vous sais assez opiniâtre pour retenter votre chance à l’occasion.
Je prends bonne note de vos conseils concernant le traitement de votre précédent messager. Son séjour au département de la justice vient d’être légèrement prolongé, mais j’imagine que vous vous en doutiez. Je me demande comment de telles informations concernant ce jeune homme vous sont parvenues aux oreilles. Avez-vous de petits espions cachés dans les bas-fonds de notre bien-aimée capitale ou vous infiltrez-vous vous-mêmes dans toute l’Angleterre dans l’espoir d’y dénicher de quoi marchander avec les Aurors ? Si vos talents suffisent à vous faire entrer en conférence de presse avec notre cher Ministre, je ne doute pas de votre capacité à pénétrer où bon vous semble. Je devrais sans doute m’en inquiéter.
Quel visage portiez-vous aux côtés de Potter, dites-moi ? Je ne cesse de me demander si j’aurais été capable de vous démasquer si j’avais été présente. Nous ne le saurons certainement jamais, à moins que vous ne vous risquiez encore à venir rôder sur mes terres. Avez-vous été tenté par une autre action malheureuse, si proche du rival de votre fils ? Des picotements ont-ils assailli vos paumes, vous quémandant d’empoigner votre baguette pour occire l’incarnation de tous vos malheurs ? Ou cette incarnation a-t-elle depuis changé de peau ? Car je crois lire au fil de vos lignes des questionnements incessants dans votre retraite, un flot d’incertitudes qui, je le crois, vous trouble tant que vous sentiez le besoin de les conter aux vieilles femmes de Doagh. Je ne connaissais pas l’existence d’Abaigh Kelly, et je crois, une fois n’est pas coutume, qu’il est de bon ton de vous remercier pour cela. Si vous en doutiez, sachez que je suis heureuse que, malgré l’infortune que je peux parfois vous souhaiter, vous ayez trouvé pendant quelque semaines un calme que toute âme doit pouvoir connaître à une époque comme la nôtre. Peut-être ce sentiment est-il quelque peu égoïste : je serais sans doute déçue de vous savoir trop affaibli. La victoire ne peut devenir éclatante que quand elle était incertaine.
Ne vous méprenez pas sur mes convictions, cher Lucius. Je sais que dans l’entourage de Potter, nombre de sorciers sauraient prêter oreille attentive à vos propositions saugrenues et que si vous avez choisi de frapper à ma porte, rien ne vous empêchera demain de frapper à une autre. Je vous crois cependant un esprit trop vif pour ne m’avoir choisie qu’en raison d’une affinité de caractères. Est-ce pour la place que j’occupe ? Pour ma capacité à atteindre facilement Potter ? Pour la confiance qu’il pourrait me vouer ? Ou pour la simple satisfaction de vous jouer de votre ennemie toute désignée par le système que j’ai embrassé ? Je ne saurais dire. Mais il y a quelque part une motivation autre que mon verbe qui vous a mené jusqu’à moi, sans quoi vous auriez prolongé votre cavale en vous frottant à d’autres esprits plus malléables que le mien. Vous savez que Potter ne compte pas que des alliés, y compris au sein du Ministère. Mais vous savez également que le Ministre a grandi et que le jeune lionceau s’est mué en créature à la fois plus méfiante et plus dangereuse. Combien de ses collaborateurs accepterait-il de suivre s’ils lui demandaient de rencontrer le célèbre Lucius Malefoy à l’abri des regards ? Et combien de ceux qu’il suivrait accepteraient de se livrer à pareille correspondance avec vous ? Si vos possibilités sont si nombreuses que vous le prétendez, je devrais sans doute donner dès aujourd’hui ma démission car mon œil ne serait alors plus aussi acéré que je me plais à le croire.
Je vous en prie, Lucius, ne vous abaissez pas à des menaces si triviales. Je vous ai toujours connu plus raffiné que la plupart de vos frères d’armes et je serais triste de vous voir vous perdre dans d’autres méfaits même une fois votre maître renvoyé aux ténèbres auxquelles il appartient. Et voilà que vous me blessez à m’imaginer moi aussi capable des pires félonies dans le seul but de vous voir enfermé dans une cellule du ministère. Voyez-vous, mes idéaux de justice ne s’arrêtent pas aux portes de mon département, et s’il m’est déjà arrivé de frôler l’immoralité pour arriver à mes fins, je ne suis pas adepte des trahisons. J’aime à penser que j’ai toujours tenu mes engagements, et que je ne donne jamais ma parole pour la sacrifier par la suite. J’ose croire que nous partageons la même droiture, sans quoi cette correspondance s’avèrera bien stérile. Aussi, si nous finissons contre toute attente par donner lieu à cette rencontre avec Potter, soyez sûr que vous en sortirez aussi indemne que vous serez arrivé. Je peux m’y engager dès maintenant si cela nous permet d’échanger sur des bases plus saines. Ne craignez donc ni pour vous ni pour les vôtres concernant cet entretien.
Vous me demandez ce que je désire en échange de cette faveur que je pourrais vous faire ? La réponse est simple : je veux Lestrange. Sans bavure et sans conditions. Vous qui avez eu la chance de le croiser il y a quelques semaines à peine en plein Londres, je ne doute pas que vous saurez facilement retrouver sa trace. Et comme vous l’avez vous-même souligné, un individu si grossier ne sera une réelle perte pour personne. Alors donnez-le-moi, de la manière qui vous conviendra le mieux : transmettez-moi l’heure d’un de ses prochains passages dans un lieu précis, donnez-lui rendez-vous quelque part où mes hommes l’attendront… Abandonnez ce simulacre de loyauté qui vous enchaîne à la vermine et aux tortionnaires. Vous méritez de meilleurs compagnons que ceux que Voldemort vous a offerts. Livrez-moi Lestrange et j’envisagerai de glisser un mot en votre faveur à notre ministre. Si, comme vous l’affirmez, vous n’avez rien à voir dans l’attentat qui a manqué de lui coûter la vie, il se pourrait qu’il vous laisse votre chance comme je vous en ai laissé une.
Je vous remercie d’ores et déjà de m’avoir confié ce que vous savez du commanditaire de l’attentat. Vos impressions ressemblent fort à celles de plusieurs Aurors dont j’ai plusieurs fois reconnu les excellents instincts. Je ne sais pas si le fait que Potter puisse ne pas avoir été la cible de cet attentat me rassure… Les temps sont si troublés, Lucius. Je crains qu’une attaque, d’où qu’elle vienne et qu’importe qui elle vise, puisse rallumer les flammes d’un incendie éteint à grand peine. Je pense que ni vous ni moi ne souhaitons voir basculer l’équilibre chancelant que nous maintenons depuis la mort du Seigneur des Ténèbres. Notre but est le même. Nous n’avons aucune raison de nous opposer frontalement.
Je ne crois pas avoir déjà pris le temps de vous transmettre mes condoléances pour la perte d’Astoria Greengrass. C’était une jeune femme habile et élégante, comme on en compte de nombreuses dans votre famille. Elle y faisait honneur, j’en suis certaine. J’ai été peinée d’apprendre sa perte. J’espère que vous accepterez de me croire.
Cette époque n’est charitable avec personne. Je n’espère pas en sortir inchangée. Personne n’est fait pour subir autant que nous le faisons depuis le début de cette guerre et je sais ne pas être la plus à plaindre. Je ne peux vous promettre de vous garder de tous les tourments qui vous guetterons, Lucius, mais je puis vous assurer que je vous protègerai de quelques-uns si vous me donnez une bonne raison de le faire. Vous me connaissez assez pour savoir que je ne dis jamais ce genre de choses à la légère.
Prenez votre décision, Lucius. Ne vous trompez pas d’allié.
M. »
Lettre pliée, l’enveloppe scellée retrouve la patte de la chouette hulotte qui attend patiemment son fardeau. D’un geste délicat, Moira la guide jusqu’à sa fenêtre en murmurant un doux : - Va, Proserpine. Hâte- toi. Beaucoup de choses dépendent de toi. L’oiseau s’envole et la magistrate retourne dans le couloir pour rejoindre le bureau de sa secrétaire. - Holly ? - Oui, madame ? - Monroe… C’est un nom qui vous dit quelque chose ? - Heu… Eh bien, il y a Pavel Monroe, le secrétaire de monsieur Rosier. Et il y a un second monsieur Monroe au service de réparation des accidents magiques. Je ne me souviens plus de son prénom… Guy ? Giles ? Non… Gideon ! Gideon Monroe. Je crois qu’il s’agit du père de Pavel. - Mmmh… Sa secrétaire fronce un peu les sourcils. Elle se permet de demander : - Voulez-vous que j’essaye de les contacter ? Moira revient croiser son regard, l’air préoccupé. - Non, je vous remercie. Puis elle lui offre un discret sourire. - Pas encore.
La petite chouette l’observe depuis son perchoir, faisant cliquer ses serres sur le métal en dévorant la friandise dûment glissée dans son bec. Les mains de Moira tremblent, quelque peu fébriles. Mais c’est son cœur qui s’alarme quand elle déplie enfin la missive ainsi livrée. Le toucher du papier l’avait déjà alertée. Mais c’est la découverte de l’entête qui achève de réveiller ses peurs. « Moira. A. Oaks » Son papier. Sa réserve.
Avant même de lire les premiers mots, la magistrate court à son coffre-fort, lève les enchantements et plonge sa main à l’intérieur à la recherche des dossiers les plus sensibles qu’elle garde ici. Les feuillets s’étalent sur son bureau. Elle en parcourt chaque titre, vérifie que toutes les pages sont à leur place, complètes et intactes. Rien ne semble avoir disparu. Elle vérifie alors son coffret où les premières lettres de Malefoy sont prudemment dissimulées. La clé tourne dans la serrure et Moira tire le paquet de missives. Une. Deux. Trois. Quatre. Elles sont toutes là. Le soupir de la juge est encore plus profond qu’elle ne l’aurait cru. Sa main passe sur son front, tente de lui faire reprendre pied et, d’un coup de baguette, elle remet tout en place avant de réinstaller chaque sortilège de protection. Mais son regard continue de parcourir son bureau à la recherche du moindre élément manquant, du plus petit bibelot déplacé. Carnets, grimoires, photos, plumes enchantées, cartes de visite et tenues officielles… Tout est passé au crible, minutieusement vérifié pour être certaine que rien n’ait été volé. Ou ajouté. Mais elle ne trouve rien. Rien que cette feuille de papier à l’entête si insolente. Malefoy aurait-il poussé le vice jusqu’à risquer toute sa cavale au nom d’une simple provocation ? A moins qu’il n’ait un complice au sein du ministère ?
Les réflexions de Moira s’emballent. Les visages de tous ses collègues passent dans son esprit en une fraction de seconde avant qu’elle ne fasse un effort colossal pour mater son accès de paranoïa. La juge secoue doucement la tête. Cette correspondance la rend folle. Il faut qu’elle reprenne ses esprits, et vite. D’un las lent, elle revient à son bureau où elle récupère la feuille. Echappant un soupir las, elle s’appuie sur le meuble pour débuter sa lecture, et les premières lignes excitent son ire qui pulse dans toute sa poitrine. Elle imagine le sourire narquois de Malefoy quand ses doigts caressaient le papier, passant sur son nom comme on cajole un trophée. Un juron siffle entre ses dents alors qu’elle se force à poursuivre son déchiffrage. Les battements de son cœur s’accélèrent, se saccadent. Puis s’arrêtent, soudain.
« Lestrange. Soit. »
Dénouement brutal. Victoire abrupte. Il lui faut quelques secondes pour réussir à dévier les yeux de ce dernier mot. Un acquiescement si simple. Si rapide. Et si dangereux. Les mains de la juge se crispent sur la lettre, froissant le papier. Elle se force à lire la suite, y découvre tous les conseils qu’elle pouvait espérer, et sa main plonge finalement dans l’enveloppe pour y trouver le dernier présent de son rival : un cheveu blond, si clair qu’elle ne doute pas un instant de sa provenance. Un moment, ses yeux observent le crin qu’elle tient entre le pouce et l’index, songeuse. Tant de risques à prendre. Tant de gains à en tirer. Comment croire en un homme qui l’a tant de fois défiée ? Comment savoir si le traquenard qu’il propose ne sera pas au détriment de ses propres hommes ? Mais comment se détourner d’une occasion pareille ?
Une respiration. Moira remet le cheveu dans l’enveloppe avec la lettre qu’elle cache dans la poche intérieure de sa veste de tailleur avant de sortir en trombe de son bureau pour trouver sa secrétaire qui sursaute à son appel. - Holly ? La petite se lève, les yeux écarquillés. Elle balbutie : - Madame Oaks ? - Contactez Kingsley Shacklebolt immédiatement. Je veux une réunion exceptionnelle avec nos meilleurs Aurors. Tout de suite. Moira va pour continuer sa route quand la surprise de Holly la fait s'arrêter. - Tout de suite ? Mais… Moira fait volte-face et répète d'une voix très basse. - Holly. Tout de suite. La secrétaire reste une seconde pantoise, mais le regard de sa supérieure est trop profond pour qu’elle émette la moindre objection. Elle sent l’urgence, l’appréhension, et la crainte de la magistrate comme rarement auparavant. Quelque chose se passe, il ne peut en être autrement. Alors elle acquiesce, répondant un grave : - Je m’en occupe. Un dernier signe de tête et Moira s’échappe. Son pas déterminé claque sur le carrelage du couloir, dur comme son regard. Dans ses veines, la hargne des premières traques est toujours intacte. On ne se lasse pas de la chasse. Jamais.