flashback - juin 1998
Les phrases fusent comme des coupures, lames émoussées qui taillent l’épiderme jusqu’à l’os, creusent jusqu’à écorcher son orgueil et tirer de ses chairs putréfiées un dernier soubresaut, un dernier élan, pour l’empêcher de se laisser mourir. La surprise de Severus bouleverse ses traits. Moira doit se faire violence pour conserver la dureté de son timbre et de son regard. Marque des ténèbres révélée au grand jour, la preuve de choix malheureux incrustée dans la peau, la juge dessine les contours de son pouce, cautérise les plaies. La douleur qu’elle inflige se veut salvatrice, aiguë pour enflammer les sens. Mais Moira ne veut pas injustement blesser celui qui l’a tant de fois relevée. Alors ses gestes s’adoucissent, redeviennent consolateurs quand elle sait son attention pleinement acquise. Sa main rejoint sa joue maculée de larmes qu’elle efface de son pouce. Le cœur palpite au bout de ses doigts. Depuis combien de temps n’a-t-elle plus eu un geste comme celui-là ? Mais la douceur n’élude pas la dernière question qu’elle lui pose, et le coup qu’elle assène est dévastateur.
Ultimatum glissé comme une caresse. Abrupte vérité donnée comme une offrande. La nécessité d’un choix laisse l’amertume tapissée sur la langue. Le silence qui retombe dans la cellule tremble comme le souffle de Severus. Secondes assassines. Hésitations flagrantes. Il n’y a plus que la terreur dans les yeux sombres qui la toisent, et alors que Moira sent son ami perdre pied, elle change délicatement de place pour venir s’asseoir à côté de lui, sur le bord du lit qu’il lui a laissé. Ses mains viennent entourer ses épaules et il s’appuie sur elle, laissant céder les digues qui retenaient ses derniers sanglots. Les mâchoires de Moira se serrent alors qu’elle se force à ne pas flancher, rester droite quand Severus ne le peut plus. Jamais elle ne l’aurait cru si affaibli. Et jamais elle n’a eu si peur de le voir tout abandonner. Alors elle le retient, le presse contre elle pour l’empêcher de s’effondrer. Une de ses mains s’échoue sur sa nuque, l’invite à se reposer dans le creux de son épaule valide. Les muscles injustement sollicités relancent une douleur qui fait vriller les nerfs de sa blessure, mais elle ne l’écoute pas. Ne reste que celle qu’elle partage avec l’homme qu’elle sent trembler entre ses bras.
Moira laisse le temps s’appesantir, recueille chaque larme qui échoue sur ses vêtements. Ses mains le pressent toujours, lui rappellent qu’elle est là comme lui l’a été pour elle. Elle ne dit pas un mot, ne presse pas les siens, et quand la voix éraillée de Severus se fraye péniblement un chemin jusqu’à ses lèvres, elle murmure en réponse :
- Tu apprendras. Nous le faisons tous. Mais tu n’auras pas à le faire tout seul. Evidence étrange qu’elle formule sans même y penser, certitude inexplicable quand les aveux de Severus font encore frémir les muscles de son dos. Il y a dans chaque battement de son cœur ce besoin viscéral qui pulse dans ses veines, cette envie de savoir près d’elle les rares soutiens qu’elle peut encore compter, qu’importent les actes qu’ils ont perpétrés. Son retour est trop récent, son état trop faible. Elle n’a pas encore la force d’affronter toutes les horreurs que ce monde a traversées. Un autre jour, peut-être. Mais pas aujourd’hui.
Elle sent les paumes de Severus passer une caresse délicate sur ses épaules qui l’invite à achever l’étreinte. Moira s’écarte, bouleversée mais contenue. Ses prunelles passent sur les traits tirés du potionniste, reconnaissent une carnation légèrement empourprée qu’elle ne lui a que trop rarement connue. Son sourire attendri s’élargit encore quand Severus balbutie une excuse qu’elle ne trouve nullement justifiée.
- A n’en point douter, glisse-t-elle en retrouvant l’étincelle de malice qui avait depuis longtemps quitté ses yeux.
L’ombre d’après-guerre ne leur fera pas perdre toute leur complicité.
Severus recouvre lentement ses esprits. Elle lui laisse le temps qu’il faut pour retrouver un peu de sa prestance, redresser sa carcasse et replacer le masque impassible qu’elle lui connaît. L’épreuve qu’elle lui inflige est bien assez difficile pour ne pas lui refuser le confort d’habitudes forgées depuis l’enfance. Les coups les plus durs enfin encaissés laissent place à des questionnements moins douloureux, mais tout aussi graves. Poudlard… L’ultime champ de bataille. Elle n’a pas encore eu le temps de s’y rendre, mais les bruits de couloir se font nombreux. La magistrate se réinstalle sur le bord du lit, le regard bas.
- Je ne sais pas… La rumeur dit que les dégâts sont importants. On n’est pas sûr de pouvoir ouvrir pour la rentrée prochaine. Je dois monter en Ecosse dans quelques jours pour me rendre compte de l’importance des travaux. Mais je dois passer à Sainte-Mangouste ce soir…Grimace difficile à contrôler, la douleur dans son épaule revient irradier son bras, la forçant à modifier subtilement sa posture. Sa résistance s’effrite d’heure en heure. Elle ne pourra plus repousser ses soins très longtemps.
Ses yeux reviennent alors à Severus pour redécouvrir l’angoisse imprégnée dans chaque trait se son visage. Elle comprend sans difficulté les interrogations sous-jacentes, cette porte de sortie qu’il n’est pas certain d’avoir et qu’il espère distinguer entre les pierres brisées de l’école qu’il n’a jamais vraiment quittée. Tant que sa fonction demeure, son nom ne peut être entièrement sali, et la réaction du château à l’absence de son directeur pourrait être un des arguments penchant le plus en sa faveur. Les informations dont Moira dispose sont bien maigres. Mais il en est une sur laquelle elle n’a aucun doute :
- Tu es toujours le directeur de Poudlard. Et pour le moment, rien n’indique que la situation changera. Un sourire d’encouragement adoucit ses traits. Elle ajoute :
- Cette école a toujours eu une grande influence sur le monde magique, même au-delà de l’Angleterre. Si elle te considère toujours comme son directeur légitime, elle doit avoir de bonnes raisons pour cela et personne ne pourra les ignorer. Alors ne perds pas espoir.Je t'en prie, ne perds pas espoir... Car là est le plus gros risque à ses yeux, celui qu'elle craint le plus et contre lequel elle se trouve bien impuissante. Laisser Severus dans cette cellule est un crève-coeur, ne pas savoir quand il en sortira, une infamie. Alors elle se jure de multiplier ses visites autant qu'elle le pourra, même si le temps leur sera toujours compté.
Des bruits de pas dans le couloir lui annoncent déjà le retour des Aurors. Son regard se pose sur la porte une seconde. Ils ont la décence de ne pas frapper, mais le soupir de la juge est éloquent. La visite est terminée. Une dernière caresse passe sur le dos de la main de son ami et Moira se relève lentement, réajustant son imperméable pour retrouver ses allures de magistrate inébranlable. Il semble qu’elle n’en ait jamais eu tant besoin. Son regard s’obscurcit d’une légère tristesse quand elle recroise les iris de Severus. Elle aimerait rester de longues heures à ses côtés, lui éviter autant qu’elle le peut la solitude de sa cellule qui doit le fragiliser plus encore que les interrogatoires interminables des Aurors. Mais son attention est requise ailleurs et elle ne voudrait pas que son amitié avec le directeur devienne trop évidente aux yeux des autres employés du département, de peur que cela ne leur soit dommageable à tous les deux : elle ne veut pas être écartée du jugement de Severus, sans quoi elle ne pourra le protéger d’aucun abus. La légalité n’est malheureusement pas toujours gage de justice… Son visage se penche quelque peu sur le côté alors que son ami doit déjà se douter de son départ tout proche. Elle parvient à lui faire un demi-sourire en murmurant :
- Y a-t-il quelque chose que je puisse faire pour toi ? N’importe quoi… s’empêche-t-elle de dire, ce qui n'empêchera pas Severus de le lire dans ses yeux.
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ACIDBRAIN