Moira naquit avec les premiers rayons du soleil d'automne et les dernières chaleurs qui précèdent l'hiver. Il lui correspond bien, ce mois de septembre, tout en douceurs et en brises, le sourire qui cache le noir d'une vie marquée par la trahison, la tendresse qui maquille les blessures toujours suintantes sous les artifices. Elle l'aime, son mois de septembre, avec ses promesses et ses mises en garde, ses illusions et sa réalité abrupte. Il lui semble résumer à lui seul la trame de toute son existence.
Cette chaleur qui accompagna sa vie fut d’abord celle de son père, Duncan Oaks, le roc sur lequel Moira s’appuyait toujours, le regard plein d’admiration qu’elle avait toujours peur de décevoir. Née dans une famille de sorciers, seul son grand-père maternel faisait figure de délicate exception dans cette magie omniprésente, mêlant par son empreinte au sein de sa lignée à la fois son sang et sa culture à celle parfois trop étriquée des sorciers. De ce vieil homme partit l’année de ses 20 ans et Moira garda un amour inconditionnel pour la musique, les films et l’art moldu en général ainsi qu’un vif sentiment d’injustice envers les populations injustement déconsidérées. Elle conserve encore aujourd’hui un souvenir ému de ce vieil homme que sa grand-mère a chéri au point de priver sa descendance du statut prisé de « sang pur ».
Fille unique au cœur d’une famille aimante, la jeune Moira profita de l’amour sans partage de ses deux parents qui ne virent jamais vu en leur fille autre chose qu’une merveille à chérir et protéger. Accompagnée dans chaque étape de sa vie, soutenue quels que soient ses choix, Moira se construisit sur des bases solides et rassurantes sans jamais connaître la désolation qu’apportent les véritables solitudes. Elle reçut pour son onzième anniversaire sa première baguette : une baguette courte et fine en bois de peuplier, élégamment ouvragée avec un coeur en ventricule de coeur de dragon.
Comme pour tous les membres sorciers de sa famille, l’année de ses onze ans fut celle de son entrée dans la prestigieuse école de Poudlard. Le vénérable Choixpeau vit en elle le courage et la détermination dignes des Gryffondor. D’abord déçue par ce choix, le rouge n’ayant jamais été sa couleur, Moira s’appliqua par la suite à devenir un membre émérite de sa maison, étonnant le corps professoral par sa capacité de travail et son sérieux dans ses études sans pour autant en impacter sa popularité auprès des autres élèves séduits par son esprit malicieux, son regard pétillant et la mélodie de son rire. La jeune Moira se passionna rapidement pour le Quidditch et rêva un temps de devenir joueuse professionnelle avant qu’une frayeur ne lui fasse définitivement oublier cette idée – un cognard l’ayant frappée de plein fouet pendant un entraînement, la faisant lourdement chuter de son balai à plusieurs mètres de hauteur. Elle garde toutefois aujourd’hui encore un œil attentif sur les derniers résultats de ses équipes préférées, en particulier les Wimbourne Wasps qu’elle suit depuis qu’elle a 13 ans. Ayant délaissé son fantasme adolescent de carrière sportive, Moira se dédia plus sérieusement encore à ses études, toujours accompagnée par son fidèle Foul’camp, un nyctibius idiot acheté pour sa première rentrée et ainsi baptisé par son père qui ne supportait pas de voir le vide sidéral ancré dans ses gigantesques yeux jaunes. Le travail acharné pendant sept ans permit à Moira d’obtenir des résultats exemplaires aux BUSEs (hormis un D en botanique ! Amies les plantes, fuyez !), et aux ASPIC, ce qui lui permit d’entrer avec les honneurs au centre de formation juridique du Ministère de la Magie.
Repérée assez tôt par ses formateurs, Moira se vit donner rapidement l’occasion de faire ses preuves au sein du Département de la Justice Magique. D’abord assistante des avocats et autres juges dans la préparation des procès, elle acquit en deux ans un statut lui permettant de prendre part aux enquêtes en étroite collaboration avec les Aurors et de participer à l’élaboration des dossiers de l’accusation en prévision des procès. Reconnue pour son obstination et sa méthode méticuleuse, elle reçut les encouragements de quelques grands noms de la Justice Magique qui nourrirent son ambition et lui firent déjà rêver d’une place au sein du prestigieux Magenmagot.
En 1983, alors âgée de 23 ans, Moira rencontra un homme de huit ans son aîné dans les couloirs de son département. Il s’appelait Nathan Miles. Il avait les cheveux aussi noirs que ses yeux étaient clairs, des mains larges aux doigts noueux et un sourire que certains diraient trop charmant pour être honnête. On le disait spécialiste en artéfacts, appelé de temps à autres en tant qu’expert pour aider sur certaines affaires. Il était en réalité dans le commerce d’objets magiques, importateur de bijoux et autres outils ensorcelés vers sa chère Angleterre, toujours entre deux voyages vers les Balkans avec lesquels il faisait la plupart de ses échanges. Il avait l’air malicieux et le verbe agile. Moira se plaisait à écouter les récits de ses aventures, à feindre d’ignorer ses regards et à se perdre dans la solitude de quelques nuits à des rêveries bien différentes de celles qu’elle avait enfant. Car Nathan la faisait rire, et il la faisait danser, valse à mille temps qui l’enivrait et qui finit par irrémédiablement l’emporter. Elle l’épousa quatre ans plus tard, consécration au cœur de son ascension fulgurante. Moira était heureuse, Moira était amoureuse. Mais Moira se fourvoyait.
Oh ! Elle avait eu des soupçons, déjà, des questions lancées presque innocemment quelques soirs, lorsque les comptes de son mari montraient une santé insolente. Elle avait déjà eu comme un fourmillement au creux des mains, une sensation discrète mais entêtante qui lui faisait penser qu’elle ne savait pas tout. Mais Nathan l’avait rassurée chaque fois. Il avait eu de la chance. Il avait fait une affaire. Il avait été au bon endroit au bon moment. Et il l’avait convaincue chaque fois avec une facilité déconcertante. En quelques secondes. En quelques mots. Pendant sept ans, Moira ferma les yeux. Jusqu’à ce que les picotements à l’arrière de sa nuque deviennent impossibles à ignorer.
Elle entra dans son bureau. Sa pièce. Celle où elle n’entrait que rarement. Nathan était en Albanie depuis trois jours. Il devait rentrer en fin de semaine. L’air sentait le papier ancien et la poussière venue d’ailleurs. Mais l’odeur lui parut âcre ce jour-là, sèche et agressive, comme pour chasser cette femme inconnue qui entrait ici comme par effraction. Moira sentait quelque chose, une impression que ne connaissent pas les moldus, une sensation qu’elle avait appris à reconnaître à force d’y être confrontée. Il y avait quelque chose dans cette pièce. Quelque chose qui renfermait un pouvoir. Un pouvoir terrible. Il ne fallut que quelques minutes à Moira pour trouver la source, enfermée derrière la porte close d’un petit placard impossible à ouvrir. Un sort de protection. Dans son propre appartement. Il lui fallut plusieurs heures pour le briser, un effort considérable pour vaincre le sortilège de Nathan et parvenir enfin à forcer l’ouverture. Elle mit plusieurs secondes à faire tourner le battant, craintive, honteuse de ses actes alors qu’elle avait l’impression de violer l’intimité de son mari. Mais la sensation était là, criante, obsédante. Son cœur rata un battement. Elle ouvrit, et tout en elle s’effondra.
- Moira ?Nathan est rentré, chargé de deux valises, son lourd manteau encombrant ses gestes. Il dépose son chapeau, repousse ses bagages contre le mur du couloir, jette des regards autour de lui pour trouver la chevelure blonde qui vient habituellement l’accueillir.
- Moira ? Tu es là ? Sa voix ne tremble pas encore. Il tire sur le col de son manteau pour le réajuster et se dirige machinalement vers le salon, les sourcils légèrement froncés mais un rictus encore fiché sur ses lèvres fines qui se fane brutalement quand il trouve soudain son épouse. Il se fige, hésite un instant et sa voix balbutie :
- M… Moira ?Elle est à moitié dissimulée dans la pénombre, seulement éclairée par les réverbères au dehors qui peignent des rectangles orange à l’intérieur de l’appartement. Elle semble attendre dans ce fauteuil depuis des heures. Nathan se tend. Ses yeux se plissent pour tenter de reconnaître les traits de son épouse. Il remarque le verre de whisky à moitié vide que Moira tient mollement sur l’accoudoir. La sueur froide qui coule le long de sa nuque lui arrache un frisson terrible.
- Moira, qu’est-ce que…- Est-ce que tu m’as aimée ? La coupure est brutale, sèche comme une gifle, arrête net son geste alors qu’il allait appuyer sur l’interrupteur pour allumer le plafonnier. Ses yeux s’ouvrent grand, regard de coupable pris sur le fait. Sa voix tremble :
- Qu’est-ce que tu dis ? - Est-ce que… tu m’as aimée ?Elle insiste sur les mots, reste d’un immobilisme terrible, le visage toujours à moitié dissimulé dans le noir. Celui de Nathan ploie légèrement sur le côté, ses sourcils se froncent, mais sa voix se fait moins vacillante à mesure que son instinct de survie prend le dessus sur son trouble. Car il sent déjà cette menace qui louvoie dans l’ombre, comme la froideur d’un métal qui glisse sur la peau, prêt à entamer la chair sans qu’on puisse prédire le moment où il frappera. Sa main droite se resserre discrètement sur le tissu de son manteau. Il gronde, tel un fauve débusqué au fond de sa tanière :
- Moira, qu’est-ce que tu as ?Elle ne flanche pas, et son timbre se calque sur celui de son époux.
- J’ai trouvé quelque chose. Frisson glacial. Nathan lève le menton, comme un mouvement de recul qu’il se force à mater, faisant luire dans son regard une étincelle agressive que Moira reconnaît pour l’y avoir déjà trouvée plusieurs fois. Mais jamais dirigée contre elle. Il garde le silence, pourtant, refuse d’entrer dans son jeu. Alors son épouse insiste, appuie de sa langue le poignard qu’elle fait courir sur sa peau, si semblable à celui qui lui a transpercé le dos quelques heures plus tôt.
- Je te pensais meilleur en sorts de protection. - J’avais quelque chose à cacher ? - A toi de me le dire.Son dos se détache du fauteuil et elle avance le visage jusqu’à entrer dans la lumière ocre des réverbères. Son regard le transperce, dur, impitoyable, et Nathan se raidit plus encore, manque de faire un pas en arrière qu’il se force à ne pas compléter. Les secondes s’étirent, prolongent son supplice alors qu’il finit par dérober ses iris sous ses paupières closes. L’arrogance se dissout dans son silence, glisse de ses épaules pour choir inerte à ses pieds. Il prend une inspiration lourde, semble souffrir chaque battement acharné de son cœur. Sa main gauche passe sur son front pour aller s’enfoncer dans ses cheveux, aveu silencieux que Moira reconnaît aussi bien que s’il le lui avait crié. Sa main fine se crispe autour du verre qu’elle tient toujours et son murmure serpente jusqu’à son mari :
- Depuis combien de temps ?Nathan lève les yeux vers elle, mais ses lèvres restent scellées.
- Depuis combien de temps ?!La colère fait trembler son timbre alors que sa patience se fissure, fait se crisper son visage, le déforme jusqu’à lui donner une dureté implacable. Nathan soupire. Il souffle :
- Depuis toujours. Moira secoue légèrement la tête. L’amertume qui s’empare de sa bouche lui tire une grimace ignoble alors qu’elle se voit brutalement mise face à son propre aveuglement. Et Nathan reste immobile, accablé comme un enfant impuissant. Le voir ainsi l’enrage. Elle rugit :
- Et tu pensais que je ne le verrais jamais ? Mais le regard de son mari s’enflamme alors qu’il lui répond :
- Oh… Mais tu l’as déjà vu.Moira se fige alors que Nathan regagne de sa superbe. Son buste se redresse et il fait un premier pas dans sa direction.
- Tu ne t’en souviens pas, mon amour ? Toutes ces questions que tu as déjà posées, tous ces doutes qui ont déjà navré tes merveilleux traits… Tu savais déjà, Moira. N’est-ce pas ? La sorcière peine à respirer. Les questionnements se bousculent dans son esprit, tirent de sa mémoire des souvenirs brumeux, comme incomplets. Falsifiés.
- Allons, mon amour. Ne me dis pas que tu n’as pas compris. Un esprit aussi agile que le tiens… Réfléchis. Les pièces du puzzle se meuvent avec une lenteur maladive, car elle sent la situation lui échapper, la vérité se dessiner progressivement sous ses yeux alors qu’elle refuse toujours d’y croire. Le visage de Moira se recule, cherche à revenir dans l’ombre, mais Nathan continue d’avancer et sa voix tourne autour d’elle, perfide, moqueuse.
- Comment ai-je fait, Moira ? Dis-le-moi. Tu le sais. Toi, la grande Moira Amber Miles du Département de la Justice Magique, tu n’as pu que voir, sentir, comprendre. Tu savais depuis longtemps, mais tu n’as rien dit. Pourquoi ? Comment ? … Tu le sais Moira. Alors dis-le moi. Il s’approche encore jusqu’à la rejoindre. Moira s’enfonce dans le dossier de son fauteuil alors qu’il se penche, les deux mains sur ses poignets, jusqu’à ce que son nez frôle dangereusement le sien :
- Dis-le-moi !- La légilimancie. Sa voix l’a à peine soufflé, comme si prononcer le mot à haute voix le rendrait plus ignoble encore, et le sourire de Nathan se fait carnassier. Il allège sa prise sur ses poignets, glisse de ses pouces des caresses fourbes à travers les mailles du pull de son épouse. Et sa voix siffle, cinglante :
- Je te pensais meilleure pour protéger ton esprit. Il crache un soupir acide avant de se redresser lentement et de s’éloigner, pivotant à moitié pour dénigrer à sa femme tout ascendant. Moira reste inerte de longues secondes, abasourdie, avant de trouver la force de lui demander :
- Pourquoi ? Le rire de son mari se fait sépulcral, tonne dans tout le salon alors qu’il revient l’écraser sous son regard.
- Pourquoi ? répète-t-il, comme si la réponse tombait sous le sens.
Sais-tu combien se vend le moindre artéfact que j’ai ramené d’Albanie ? Combien ici tueraient pour avoir le moindre objet maudit que j’ai déniché dans les Balkans ? Capes, talismans, baguettes de seconde main… Tout cela vaut une fortune dès que le Ministère décide que c’est illégal. Ingrédients interdits, bijoux ensorcelés… On trouve tellement de merveilles de l’autre côté des frontières pour peu qu’on sache où chercher. - Et j’étais la parfaite couverture. Le dégoût filtre sans chaque mot qu’elle prononce et le regard de Nathan se trouble un instant. Une phrase semble s’évanouir dans le fond de sa gorge. Il frotte distraitement un de ses sourcils avant de reprendre :
- Oui. Tu étais parfaite. La mâchoire de Moira se crispe. Elle le regarde marcher de manière hasardeuse dans le salon, le regard perdu, jusqu’à ce qu’elle le voie plonger une main dans la poche intérieure de son manteau. Son dos se tend avant même qu’il n’en sorte sa baguette et elle entend sa voix résonner, plus basse, si basse…
- Et tu le seras encore. Une seconde. Une seconde qui s’étire jusqu’à la déraison. Une seconde où elle croit voir dans ses yeux l’étincelle de celui qu’il a toujours été pour elle. Une seconde. Avant qu’il ne pointe sa baguette en sa direction, le regard fou de douleur, fou de rage, fou d’impuissance…
- Ca ne durera qu’une seconde, mon amour. Je te le promets. Tu oublieras encore. Tu oublieras et tout redeviendra simple, si simple, Moira… Seulement ton sourire quand je rentre le soir, cette façon que tu as de me regarder. Que coûte l’ignorance quand elle n’apporte que du bon ? Tu retrouveras ton sourire, et je continuerai de te rendre heureuse, parce que c’est ce que je fais depuis que tu me connais, n’est-ce pas ? Je le ferai encore. Fais-moi confiance. Mais tu dois oublier, mon amour. Oublier ce qui te ferais souffrir. Comme chaque fois. Je le fais pour nous, Moira. Je le fais pour toi. Alors tu oublieras encore… Mais son murmure l’atteint en plein ventre.
- Pas cette fois. - EXPELLIARMUS !La puissance du sortilège le propulse en arrière alors que sa baguette va s’écraser contre un mur de la pièce et trois Aurors sortent de la cuisine, baguettes dressées sur le mari dont les yeux s’écarquillent à l’instant où il comprend tout. Son regard passe tour à tour sur chaque sorcier qui l’encercle avant de revenir croiser celui de son épouse dont le bleu ne lui a jamais paru si froid. Le temps semble s’être figé autour d’eux, suspendu à ces mots que le couple ne prononce pas. Le cœur de Moira bat dans ses tempes, la colère et la peur se mêlent à l’adrénaline qui pulse encore dans ses veines alors qu’elle se lève pour rejoindre son homme. Son regard ne cesse de l’accabler, pas même quand les mots de l’Auror qui a désarmé Nathan brise enfin le silence lourd qui les écrase.
- Tout va bien, Moira ?- Ca va. Je n’ai rien.Timbre décharné, intonation monocorde. Elle semble s’être éteinte quand la lumière blanche du sortilège a frappé son mari. Le seul feu qui demeure est emprisonné dans ses yeux alors que Nathan reprend lentement conscience.
- Qu’est-ce que tu as fait… ?Il a à peine murmuré, comme une pensée échouée sur ses lèvres blêmes. Mais Moira ne tremble pas. Son impassibilité le tue. Il éructe :
- Qu’est-ce que tu as fait ?!- Je te prive de ta précieuse couverture. La colère de Nathan se dissout presque aussitôt dans ses yeux, brutalement remplacée par une peur viscérale qui fait trembler son souffle et s’affoler son cœur. Sa voix se précipite, implorante :
- Moira, attends… - Tu es arrêté sur ordre du Ministère.- S’il-te-plaît… - Tu attendras ton procès à Azkaban… - Non. Moira…- … et tu y resteras jusqu’à ce que le Magenmagot décide de ton sort. - Moira, je t’en prie ! Un silence. Une seconde suspendue pendant laquelle elle s’approche jusqu’à frôler son visage avant de lui asséner son dernier coup.
- J’espère que tu m’as aimée. Et que ça te hantera toute ta vie. Nathan blêmit alors que sa femme se détourne sans plus de cérémonie.
- Emmenez-le.Deux des Aurors l’empoignent sans ménagement et le guident à l’extérieur alors que les supplications de Nathan deviennent des cris qui résonnent dans tout l’étage.
- Moira ! Tu ne peux pas faire ça ! Je t’en prie ! Moira ! MOIRA ! Les hurlements s’affaiblissent à mesure qu’ils s’éloignent. Moira tremble de tout son corps, mais elle reste droite, le regard toujours fixé sur la porte d’entrée. Plusieurs secondes s’égrainent avant que le dernier Auror encore près d’elle n’ose demander :
- Ca va aller ? - Il y a deux valises dans le couloir. Tu devrais les emmener aussi. Son timbre est glacial et l’Auror sursaute un instant bien qu’il sache que sa froideur n’est pas dirigée contre lui. Il acquiesce finalement d’un signe de tête avant d’emboîter le pas de ses collègues après avoir récupéré dans le couloir les deux valises de son mari. La porte se referme derrière lui et le silence retombe comme une chappe de plomb sur l’appartement vide.
Moira vide son verre de whisky d’une traite avant de l’abandonner sur un meuble. Ses jambes tremblent. Elle doit s’appuyer aux murs pour s’empêcher de chanceler. Lentement, elle retrouve la baguette de Nathan abandonnée sur le plancher. Elle l’observe de longues secondes avant d’oser la ramasser. Ses doigts caressent le bois, reconnaissent ses aspérités. La baguette de Nathan est plus longue que la sienne. Le bois d’orme est clair, très peu orné. Elle sent le caractère de la plume de phoenix qu’il renferme. Un rejet qu’elle n’a pas besoin de tester pour reconnaître. Mais elle se le promet ce soir-là : elle arrachera cette baguette à celui qui lui a arraché le cœur.
La trahison laissa des traces qu’aucun artifice ne put combler. Qu’importent les dispositions prises par les Aurors pour éviter que la rumeur n’enfle au sein du Ministère, il ne fallut pas plus de quelques jours pour que tout le Département de la Justice apprenne la nouvelle : le mari d’une des figures montantes de la justice magique était parvenu pendant sept ans à se livrer à un important trafic juste sous le nez de sa femme. Qu’elle ait elle-même livré son époux aux autorités ne changea rien aux premières prises de position et le nom de Moira Miles évoquait un mélange saugrenu d’admiration teintée de moqueries. Quelques jours seulement après l’incarcération de Nathan, la sorcière fit officialiser son divorce pour se débarrasser de ce nom maculé par l’opprobre. Mais surtout, elle commença à se rendre régulièrement dans son ancienne école pour s’assurer que plus personne ne puisse jamais violer les barrières de son esprit.
Redevenue Moira A. Oaks, elle se mit en retrait au sein du Ministère pendant deux ans pour s’adonner entièrement à sa formation à l’occlumancie. N’ayant plus que son seul avenir à considérer, elle laissa libre cours à son ambition la plus flamboyante : entrer avant ses quarante ans au Magenmagot et pourquoi pas en briguer la présidence. Fermer son esprit aux sorciers auxquels elle ferait face devint une priorité qui motiva tout son engagement. Elle s’éreinta à la tâche, se blessa parfois et dormit peu. Mais elle parvint au fil des mois à fermer entièrement ses pensées à quiconque tenterait d’y entrer. Comme une reconnaissance silencieuse de ses nouvelles capacités, la baguette de son ex-mari se laissa enfin conquérir et Moira n’utilisa alors plus qu’elle. Reprenant à bras le corps ses travaux au sein du Ministère, Moira mit malgré tout des années à faire passer la trahison de son ex-mari derrière ses hauts-faits juridiques. Proche des Aurors, toujours minutieusement préparée avant un procès, elle refit sa réputation de rien jusqu’à convaincre ses pairs qui en firent un des dix juges du prestigieux Magenmagot en 1997.
Occlumens aguerrie, elle ne cessa cependant pas ses nouveaux apprentissages et s’adonna sans tarder à l’étude de la légilimancie, pour tirer à son tour tous les bénéfices du sortilège qui rongea ses souvenirs pendant des années. Arracher de l’esprit d’un autre la vérité qu’il cache… L’idée manquait d’éthique, mais pas d’attrait. Elle travailla avec autant d’acharnement que pour maîtriser l’occlumancie. Mais son apprentissage était plus difficile, et l’instabilité politique qui frappait la communauté magique ralentissait d’autant plus ses progrès en la matière.
L’ombre de Voldemort s’étendait déjà depuis des années à l’intérieur du Ministère de la Magie et, si Moira ne s’était jamais caché l’abrupte vérité, elle gardait depuis le début de sa carrière une neutralité de façade qui lui permettait d’influencer officieusement la politique de l’institution plutôt que d’être préventivement mise sur la touche, lui ôtant tout pouvoir. Mais elle ne put se taire lorsque le danger pour le pays devint trop grand. Connue pour sa discrétion très professionnelle, Moira se mit à affirmer des positions en complète opposition avec la ligne officielle du Ministère. Résolument opposée à la hiérarchie du sang, n’hésitant pas à apostropher certains de ses collègues aux allégeances douteuses, elle devint rapidement une cible à abattre pour de nombreux sorciers. Elle résista aux menaces deux longs mois, confiante en la protection que lui conférait son statut, une erreur qui faillit lui coûter la vie quand deux Mangemorts pénétrèrent un soir chez elle pour la mettre hors d’état de nuire. Blessée par un
Repulso qui lui fractura une épaule, elle parvint à s’enfuir in extremis et s’exila avec ses parents dans la campagne anglaise, bien loin du tumulte de la capitale et du combat qui opposa le Seigneur des Ténèbres à son Némésis quelques semaines plus tard.
A l’annonce de la mort de Voldemort, elle revint sur les ruines du Ministère pour participer à sa reconstruction. Saluée pour ses prises de position avant la chute du mage noir, elle fut nommée à la tête du Magenmagot en 2000 et acheva de se forger une réputation de femme sévère et incorruptible. Pourtant, le retour de Potter l’inquiète car trop d’engouement empêche la clairvoyance et celui qui entoure l’élu est trop prégnant pour qu’elle ne se montre pas soucieuse. D’autant que sa fougue lui fait prendre des décisions hâtives, bien qu’assurément justes. Alors, elle se prépare, recommande la prudence, continue de servir le Ministère aussi fermement qu’auparavant. Mais elle sent la tempête qui s’annonce, et elle sait qu’il n’est pas paix plus fragile que celles qui reposent sur un seul homme.