Les entrailles semblent prêtes à jaillir hors de l’abdomen tant les nuées d’angoisse se sont intensifiées à mesure que l’heure du glas approche.
Mortifère strige perdu dans les étages du Ministère. Vampire. Monstre. Toute mon échine se dresse d’un frisson de terreur. A-t-on idée de ce qu’inflige la noire présence de ces bêtes assoiffées à qui peut
voir le monde magique ? Si la cécité gangrène la tradition dominante, il n’en va pas de même de ceux qui ont conservé, pour leur pratique magique, une approche des plus mystiques. Percevoir. Déceler. Deviner. Comprendre. Tant de choses que ne font plus ceux qui n’ont que la connaissance pour étendard et l’enquête pour inaccessibles nuées. Je ne suis pas de ceux qui
savent. Je suis de ceux qui
perçoivent. Douce rêverie que de la clairvoyance absolue permettant au pas hasardeux de ne s’échoir dans aucun cahots sur le chemin. J’ai beau ouvrir mirette et laisser le monde résonner dans le crâne, secouer le squelette et entrechoquer les os, je n’en suis pas moins un rat empêtré dans la souricière tandis que les alarmes claironnent danger.
Une silhouette ténue.
Postée devant la porte du bureau d’Augustus Rowle.
L’hésitation démange l’esprit.
Nuit tombée après des soliloques tremblants. Fuite en avant, tintamarre sous le crâne. Je suis en retard. De vingt-quatre heures, très précisément. Ma rencontre étrange avec
@Archibald Rosier aux vêpres de l’attentat m’a fait tituber dans la nuit.
J’ai véritablement songé à fuir. Tout mon être, toute mon âme m’ont tempêté de prendre la poudre d’escampette au point du globe le plus éloigné de l’Angleterre.
Soit l’Australie.
Les phalanges refermées dispensent mignardises sur le bois. Deux coups doucereux frappés sur l’huis. Ô comme je le désire enclos, scellé sur le mort sans qu’il ne puisse réchapper de son ultime sarcophage. Je lui offrirais bien volontiers une carte postale des contrées où je me serais exilé pour échapper à son courroux en guise d’épitaphe… Et pourtant, je me suis avancé dans ces corridors jusqu’à l’imprenable forteresse d’une créature impie.
Qu’est-ce qui m’a pris ? Frappé d’une curiosité au moins aussi grande que celle qui l’a poussé à me donner ce rendez-vous, je n’ai pu m’empêcher de m’en aller côtoyer les babines du fauve assoupi. Plût aux cieux qu’il n’en profite pas pour claquer mâchoire sur mes chairs.
Si Snejana me voyait, elle me tuerait… Que m’avait-elle dit, encore ? Ah oui : « Ne va pas te mettre en danger ». La réussite dans l’accomplissement de son commandement est éclatante.
Au moins aussi éclatante que la lumière émanant du bureau de Rowle lorsque celui-ci m’ouvre la porte. La dernière fois que je me suis retrouvé dans l’office d’un grand ponte du Ministère, cela m’a mené dans de bien étranges contrées : nouveau travail, infiltration ratée, découvertes des plus intéressantes sur Archibald Rosier. Toutefois, pour dangereux que soit ce dernier, ce n’est pas un vampire. Sitôt le monstre mussé sous l’esthétique d’une jeunesse affriolante devant moi, je laisse la frayeur ondoyer le long de l’échine comme un basilic rampant sous le derme et faisant s’entrechoquer les vertèbres. Les ombres coudoient soudainement la clarté. Lorsque je me force à reconnaître dans un élan de modestie qui sied si bien au subalterne :
« Pardonnez-moi mon retard, Monsieur Rowle. Je n’ai pu honorer notre rendez-vous hier soir. Un enterrement. » L’Attentat a laissé quelques cadavres sur la route, l’excuse est excellente, et le vêtement noir de circonstance.