Voici un mois que s’écoulent les vêpres et bourdonnent les matines pour rythmer les envolées de Nox et Dies. Jour et nuit. Lente agonie de flambées mourantes par-delà les culmens nébuleux. La mousson abreuve les terres d’Écosse lorsque les brouillards enveloppent d’un châle cotonneux les hectares du domaine. Chaque jour l’aurore se fait plus tardive. Chaque nuit le crépuscule frappe plus vite à notre porte. L’Huis ne demeurera pas clos éternellement sous les assauts de l’Automne. Meurent les frondaisons des arbres, se parant pour mon plus grand malheur, des mille teintes du cuivre liquide qui pouvait jadis effleurer mes paumes. Chaque cime, chaque ajonc, chaque racine profondément fichée en terre me rappelle l’aimée tombée de ma main.
Je suis toujours quelque peu mélancolique en cette saison. Est-ce le retour d’un règne nivéal ? Borées argentines scintillent déjà à l’horizon lorsque je relève la nuque roide d’une feuille de parchemin. Sommeillent mes augustes ancêtres dans leurs moulures précieuses tandis qu’un chaton roupille sur un fauteuil en compagnie d’un singulier père empenné de flammes. Fumseck veille sur Morsmordre. Curieuse assemblée. L’oiseau ardent et la noirceur féline. Legs d’Albus. Legs d’Archibald. Ma vie est-elle si triste que l’on se sente obligé d’offrir à l’austère patriarche un animal à défaut d’une lignée ? J’étire cervicales dans le chuintement discret d’un os claquant le long de la moelle. Voûté sur les abysses du devoir, l’épinière s’est encroûtée. Vieillesse guette les os. Bientôt poussière.
Un sursaut infime. Les phalanges ont tressauté contre la porte me rappelant douloureusement l’heure tardive déroulant sa débauche de minutes et de secondes jusqu’à la symphonie morbide d’une marche funèbre. Le temps a fui inexorablement. Je m’ébroue, me lève, déploie le dos douloureusement tenu voûté trop longuement. Il faut peut de temps pour que se dissipe la mollesse fragile d’un homme devenant vieux et que revienne le tonus du Directeur. Faut-il que nous soyons tous enchargés de nos croix. Doigts asséchés crochètent la poignée. Je me souviens, maintenant, ce qui m’attendait ce soir.
« Maître Wilson, entrez, je vous en prie. »
Le jeune américain sur le seuil. La roulure de son titre me reste entre les dents… Je suis trop peu accoutumé à donné les palmes honorables d’une titulature à si jeune être. Je conçois, désormais, combien il a du être dur pour mes aînés de précéder mon nom de la médaille d’une maîtrise trop vite gagnée. Ce petit est un coup de providence. Trouvaille désespérée à la veille de la rentrée lorsque Filius Flitwick s’est échappé vers d’autres contrées que l’enseignement. Qui pourrait lui reproché d’avoir choisi d’autres voies ? D’un geste, je l’invite à s’immiscer dans les hauteurs d’une tanière que bien peu aspirent à connaître. Venir ici est rarement signe heureux. Présages funestes rampent sur le parquet pour qui sait les observer. Bien trop de secrets se son divulgués, bien trop d’accords ont été passés ici en temps de guerre. Les murs résonnent encore des horribles étalages d’alternatives cornéliennes et de plans de bataille.
« Puis-je vous proposer quelque chose à boire, Magister ? Thé, tisane, café, digestif ? »
Si j’ai régné par la terreur depuis mon antre des cachots, prendre un peu de galon ont fait s’envoler mes manières. Que me reste-t-il à dissimuler derrière l’austérité d’un masque maintenant que ma vie a été désossée et passée au crible par cette vipère de Skeeter ? Que me reste-t-il de silences quiet et de jardins intérieurs lorsque les flammes de mon coeur s’en sont retrouvées étalées sous presse ? Procès. Victoire. Des copies funèbres fossoient pourtant encore le peu d’intimité que les Aurores m’ont laissé après mon passage entre leurs paumes. La politesse du désespoir peut bien s’exprimer dans les civilités d’usage. Mes doigts s’affairent autour de la boisson commandée et la poussent vers mon invité.
« Je souhaite faire avec vous le point sur ce premier mois d’enseignement. Je crois qu’il s’agit là de votre première expérience professorale, n’est-ce pas ? Dans une contrée qui vous soit étrangère, de surcroît... »
Quelques silences dansent dans l’air trouble d’une pause papillonnant aux corneilles.
« Comment ces premières semaines se sont-elles déroulées ? Parvenez-vous à trouver vos marques dans le château ? »
Sous l’augure d’une soirée bien entamée, la silhouette troublante du jeune hère attire mon attention. D’un naturel suspicieux, je ne peux m’empêcher de trouver les accents de cette voix vaguement familiers, quand bien même le maniérisme américain m’en semble insupportable. Enfin, après le recrutement de Hieronymus Vasiliev, il était presque de bon goût d’ouvrir les portes de l’école au grand Ouest. La voix roule, presque Angelus pour qui sait l’écouter. Ses intonations mènent l’auditeur jusqu’aux portes du paradis : l’enfant est en odeur de sainteté.
« Vous me faites trop d’honneurs à rappeler mon titre, Magister Rogue. Votre réputation seule relayée par vos articles plus que par la biographie que vous a allouée Madame Skeeter m’a invité au voyage : je voulais voir de mes yeux le plus jeune maître ès Potions du dernier siècle. »
L’esquisse d’un sourire effleure les lèvres de l’austère admiré. Peu enclin à apprécier les flatteries ou les flagorneries lorsqu’elles viennent d’en bas, je ne peux m’empêcher de ressentir une vague chaleur de par le cœur. L’être qui me fait face a gagné justement sa place parmi mes professeurs : j’ai lu son travail de maîtrise, ai été ébloui par son approche de la magie toute teintée des charmes de Célestes Choristes. Recevoir des félicitations de lui a certainement un effet différent des ovations disséminées par le grand public. J’incline le col en remerciement, et fais venir à moi deux verres à pied et une bouteille de vin au miel. J’aurais pu opter pour le pur feu bien entendu… mais il est parfois bon de varier, et les moldus ont un inégalable savoir-faire lorsqu’il s’agit d’alcool. L’écarlate dégoutte dans les ballons tandis que je pousse l’une des coupes vers lui.
« Vous me fîtes la grâce de mon premier poste de professeur, c’est exact. Je vous en remercie, Monsieur le Directeur. Jeune carrière ne pourrait mieux commencer que dans ce cadre prestigieux. »
Remerciements, encore. Faire boire le jeune homme pourrait sans doute être une façon de le désosser du carcan de politesse exquisement maîtrisée dans laquelle il s’engonce. Son attitude me rend curieux : un mélange de convenances parfaitement lissées et d’élans de spontanéité. Présence troublante, presque illisible. Moi qui suis accoutumé à cerner avec aisance les gens, je ne sais par où attraper cet étrange jeunot à la crinière aussi pâle que celle de Malefoy jadis.
« Je sais reconnaître l’excellence quand je la vois, Magister Wilson, il aurait été sot de ma part de ne pas vous engager. Appelez-moi Severus, toutefois. Nous sommes collègues après tout. »
Sourire avenant. L’âge m’a rendu habile pour les turpitudes relationnelles, bien que j’ai passé la majeure partie de ma vie à me cacher sous le masque de l’ours cynique. Douce ironie, j’ai toujours eu trop peu d’affection pour les plantigrades… La voix mesurée du jeune homme reprend le cours de son chemin jusqu’à mon esprit, écartant les pensées parasites tandis que je porte aux lèvres mon verre le temps d’une infime gorgée. L’âcreté de l’alcool dénoue les muscles tandis que la voix se fraie un chemin jusqu’à moi.
« Mes premières entrevues avec les jeunes gens furent idéales. Ils sont avides de pratiquer, frileux de théoriser, mais respectueux tout de même dans l’ensemble. J’ai toutefois remarqué que les rivalités entre maisons de l’école semblaient un sujet à prendre au sérieux. Hier encore, il me fallut assigner des retenues à deux élèves, un Gryffondor et un Serpentard de sixième année qui se disputaient. Ces inimitiés semblent préoccupantes, ne pensez-vous pas, monsieur le Directeur ? »
Hochement grave de la tête.
« Cela s’explique aisément, à vrai dire, par les deux dernières guerres que nous avons essuyées, mais je comprends que cela vous étonne. Le Seigneur des Ténèbres, Tom Jedusor, avait fait de son illustre descendance de Salazar Serpentard un argument de recrutement. Dès lors, nombre des sorciers issus de cette maison ont été stigmatisés… ce qui a, ironiquement, conduit nombre d’entre eux du côté du mage noir, renforçant ainsi l’impression que tous les Serpentards étaient des adeptes des forces du mal… Ce qui est idiot, naturellement. »
Mains croisées posées en équilibre sur le rebord du bureau.
« Je travaille à apaiser ces tensions en poussant les maisons à se mêler les unes aux autres le dimanche soir, comme vous le savez, mais les rancoeurs sont tenaces, en particulier chez nos septièmes années : la plupart d’entre eux ont subi de plein fouet la guerre en étant dans les murs de Poudlard au moment de la dernière bataille pour leur première année. Certains ont été torturés par des camarades de classe ou des mangemorts… Il faudra du temps pour que la maison Serpentard cesse d’être diabolisée, j’en ai peur. »
Tandis que nous devisons, une nuée de plumes incandescentes explose dans mon champ de vision. Fumseck est venu se poser sur le dossier du siège où s’est installé le jeune professeur, l’observant avec insistance. Sur le fauteuil voisin, Morsmordre sommeille, apaisé, comme seuls les chatons savent le faire.
« On dirait que vous l'intriguez... Ah ! Par ailleurs, il faudra également que vous vous rendiez, à l'occasion, à l'infirmerie pour le check-up annuel des employés. Rien de grave, il s'agit de quelques menus enchantements de diagnostic. »
Les instants coulent, dégouttent le long de la lente trame du réel. Vasques se remplissent, se désemplissent, et les secondes filent, irrattrapables. Le Retourneur de temps même n’a jamais permis totalement de s’abstraire de ses effets. Qui voyage et vit deux fois vieillit aussi deux fois. La lénifiante sensation d’une conversation depuis longtemps entamée déferle, presque grisante dans son implacabilité. Je laisse mes doigts courir sur le ballon qu’ils enserrent. Le verre frais se réchauffe au contact de la palpitante pulpe et de la liqueur. Le rouge du sang. Le rouge du vin. Le Christ en secouerait sa couronne d’épines de contentement.
« Ernst, alors. »
Murmure à mi-voix. Le prénom roule, chargée d’une obsession. Quelque chose de familier, quelque chose d’étranger. Je n’arrive pas mettre la main sur ce que m’évoque cet étrange sorcier venu de l’Outre-Atlantique. Profil inconnu, œil vif. Un sentiment de familiarité m’assaille, se dilue dans ma mémoire. Sur mes gardes, en confiance. Deux états d’esprit s’affrontent sans que je ne parvienne à trancher en faveur de l’un ou de l’autre. Le maître des sortilèges, Ernst Wilson, auréolé de sa maîtrise, de sa puissance, de son allure, demeure pour moi une énigme à décrypter, un puzzle à résoudre. Et Merlin sait que j’aime les mystères.
La voix profonde et juvénile résonne encore, calme, lente et posée, rehaussée de l’exotisme de cet accent que nombre d’anglais jugent vulgaire. En fait de grossièreté, les tintements de Chicago se font presque mélodie à mon oreille. Il y a dans cette désinvolture de langue un accueil fait au tout venant. Écouter parler Wilson, c’est avoir l’illusion, au moins un temps, d’être environné de cette douce chaleur que l’on ressent lorsque l’on est le bienvenu dans une maisonnée.
Alchimie. La chose est dangereuse. Puis-je ainsi baisser ma garde en présence de ce jeunot qui paraît être la transparence même ? Sous ses dehors maniérés, chaque sentiment, chaque crainte, chaque joie bourgeonne et éclot sur son visage avec la fraîcheur d’un champ de fleurs. Wilson est charmant, un peu trop peut-être. La gorgée de vin, pourtant, relaxe mes muscles et me laisse aller à l’écoute attentive de ce tourbillon de candeur mussée sous la puissance d’un génie encore vierge de toute corruption inhérente au pouvoir.
« J’espère que vous avez raison... »
Inhalation des fragrances flottant dans l’office. La liqueur sanglante embaume au côté des lys. Explosives effluves de fleurs et d’alcool mêlées. Une note de lavande, lointaine, échappée d’on ne sait où vient offrir rebuffade aux arômes de spiritueux.
« Mes collègues, pour la plupart, soutiennent l’entreprise, heureusement. En tant qu’école, Poudlard a un devoir de neutralité dans les conflits politiques passés et présent, cependant... »
Cependant, les réminiscences de la bataille de Poudlard sont encore fraîches. Tombes jetées dans l’enceinte de l’établissement. Mémorial, plaques, symboles de reconstruction. Le château a vécu, et les acteurs de cette existence passée ne sont encore assez oublieux pour rebâtir sur les vestiges d’inimitiés, de combats, de traque, de haine. Nul besoin d’achever cette phrase. Changer de sujet, vite. La visite médicale tombe comme une évidence, sujette à de nouvelles controverses.
Mes paumes se crispent un peu à la mention de l’indisposition de Wilson. Prudence s’étiole sous le coup de la surprise, de la colère. Comment un si jeune homme peut-il déjà se percevoir comme condamné ? Trouver le contresort s’il existe. La nuance ne m’échappe pas. Infléchissement de la voix.
« Sans être maître en la matière, je connais assez la magie noire, les enchantements létaux, les malédictions, voudriez-vous me raconter les circonstances de l’obtention de cette blessure ? »
Un brouillement de perception, un manque de clairvoyance peut-être, me pousse à proposer mon aide plutôt que celle de Camille Nott ou du personnel médical. un peu de curiosité morbide, aussi. J’ai, en fin de compte, toujours aimé les énigmes.
C’est avec horreur que mes yeux découvrent le côté blême du jeune Wilson. Si poupon encore, et déjà dévoré par le mal. La tâche d’ombres gangrène la côte, cantonnée à cette seule surface infime par la puissance magique de l’homme. Ténèbres siphonnent ses forces. Mon visage demeure impassible, masque de glaise flamboyant dans les ombres nocturnes. Comment diable vais-je pouvoir lever ça ? L’expérience de @Camille Nott ne serait probablement pas de trop. Nul désespérance, toutefois, ne s’amourache de mon coeur. Il doit y avoir un moyen de ralentir… d’empêcher ce qui semble inévitable. Un homme aussi jeune ne peut souffrir d’un trépas aussi douloureusement infamant.
J’ai passé des décennies à empoisonner et tuer. Puis-je employer mon savoir, ne serait-ce qu’une fois, pour raviver les flammes de l’espérance ? L’image de @Moira A. Oaks flotte un temps dans mon esprit avant que l’hébétude dans laquelle m’a placée la révélation de la blessure magique ne se dissipe. Je me lève, précautionneux, me suis approché du jeune homme, penché sur sa silhouette gracile, agenouillé à son côté. Les doigts écartent le pan de chemise, parcourent la peau, l’étirent dans une caresse pour mieux voir l’étendue des dégâts. Baguette à la main, les charmes de diagnostic menacent de s’exhaler des lèvres. Je choisis de le prévenir, pourtant.
« Je vais faire quelques charmes de diagnostic. J’ai vu plusieurs malédictions de ce type… Comment en avez-vous été victime, encore ? »
Ces volutes noirâtres me rappellent par trop les délices que pouvait prendre le Seigneur des Ténèbres à l’infliction d’un compte à rebours sur le derme d’autrui. Quel plaisir, sans doute, pour une âme aussi tortueuse que la sienne, de connaître l’heure et le jour du trépas de ses jouets pour les avoir lui-même programmés. Un frisson s’éprend de l’échine, dévale la colonne. Je ne me remémore que trop d’avoir trouvé, parfois, un jeune mangemort dévoré par une malédiction, se tordant de douleur alors que les ténèbres engloutissaient sa peau d’une impie nécrose. Est-ce pareil destin qui attend l’homme dont la peau flambe sous mes doigts ? La magie noire imprègne ses tissus, couvre son derme d’une encre luisante et menaçante. Je renouvelle ma demande, intrigué.
« Quel sorcier vous a gratifié de cette marque ? Il est parfois courant que seul le lanceur puisse défaire ce type d’enchantement, mais vous le savez probablement. »
Je ne veux lui donner trop d’espoir. Il n’en semble pas déborder, de toute manière. J’aimerais toutefois pouvoir le sauver. L’imminence de son trépas me semble intolérable. Un sourire d’excuses flotte sur mon labre. Mine pensive s’étiole en une supposition :
« Peut-être un élixir de Mandragore pourrait-il vous aider à contenir le mal ? Ses propriétés régénérantes devraient vous permettre de stabiliser votre corps et votre magie afin d’éviter de trop importantes déperditions. Je crains cependant que ce ne soit qu’une manière de gagner du temps. »
Une manière onéreuse.
La baguette effleure la marque dans la douceur d’un geste.
« Specialis Revelio ».
Une bonne façon de commencer, présumé-je. Sourcil froncé dans l’attente du résultat. Et cette question de virer à l'obsession : Qui donc peut lui avoir causé pareil mal ?
Succès critique | L'enchantement frappe la côte de Lucius et l'auréole d'une noire énergie bien trop familière aux deux sorciers. Il semblerait que ce soit bien le Seigneur des Ténèbres qui ait laissé sa marque sur le jeune Wilson... mais il semblerait que l'enchantement ait révélé une autre chose intéressante : le curieux individu, Monsieur Wilson, serait sous l'emprise d'une potion.