Trois qualités ?  précis, dans le dosage des potions, dans le coup fatal de ses manipulations de l'esprit, dans le venin qui fait vriller sa langue, Noah est d'une précision infaillible;
doux, qualité étrange, peut-être, pour un assassin, mais c'est un homme qui sait écouter, justement, qui sait entendre ce qu'il faut, pour le réutiliser après coup, pour torturer grâce à cela, car sa douceur fait qu'on s'ouvre à lui, fait qu'on accepte ses regards, sa gentillesse apparente ;
passionné, avide de découvertes, de comprendre toujours plus, il repousse les limites de sa magie, de celle de Nasiya, de toutes leurs expériences, restant jusqu'au plus tard de la nuit, allant jusqu'au bout du monde, s'il le faut.
Trois défauts ? secret, trop secret, peut-être, car personne ne sait grand chose sur Noah, s'imaginant une vie sage, une vie de commerçant, de potioniste, une vieille famille oubliée, faite homophobe par facilité, même si surement réaliste, pour expliquer leur absence, secret car il ne dit rien de ses douleurs, de son passé, de sa magie, même aux hommes les plus proches de lui ;
déloyal, finalement, car il s'enfuit, il s'échappe de son clan, de la vie qu'il devait leur dédier, pour ne penser qu'à lui, ses propres promesses, cet homme qui a capturé son âme, cet enfant qui a pris sa vie entre ses deux mains, le faisant abandonner les siens : il essaie de justifier cela, s'assurant que c'était écrit, quelque part, mais il sait, au fond de lui, que ce n'est pas digne d'un lieutenant ;
orgueilleux, bien qu'on ne s'en douterait pas forcément, mais c'est ce qui lui fait prendre plaisir, adolescent, à tuer ce premier fils d'une autre famille, à tuer ces politiciens corrompus, qui pensent valoir davantage qu'une bourse de mornilles pleines, un défaut, aussi, qui le pousse à repousser sa magie de l'esprit, à perfectionner ses poisons, parce qu'il doit être le meilleur, dans son domaine, et ne s'entourer que des meilleurs.
Quelques dates marquantes dans la vie du personnage
1958 — naissance, né à huit mois de grossesse, symbole de l’union des clans Kasra et Bensaïd, marquant l’unification de l’Algérie et de la Syrie en la République Arabe Unie. Ellie Kasra est conseiller du président sorcier, son clan se spécialise, d’abord, dans l’assassinat sur mesure, quand officiellement, il développe l’import-export du pays. Marwa Bensaïd est la première fille d’un des lieutenants du clan Bensaïd, famille d’hommes de mains et d’assassin, spécialisés dans les combines politiques. À la scission de l’union moldue des deux pays, les clans font le choix de préserver leur alliance, introduisant les contrats maghrébins aux contrats du levant. Chrétiens, les deux clans font le voeux de ne pas s’investir dans les combats religieux qui peuvent diviser les moldus. Cette promesse faiblit en 1970, alors que Al-Assad fils prend le pouvoir, soutenu en majorité par les alaouites, dont la présence prioritaire dans le Tartous oblige le clan Kasra à basculer se mêler à des crimes religieux, parfois contre leur foi, mais, semble-t-il, suivant l’ordre établi. Telle est, tout du moins, la justification que glisse Ellie Kasra à son fils. Noah ne la rejette pas — c’est ainsi que vont les choses.
9 octobre 1973 — son premier crime, conscient, celui auquel il participe activement, un des seuls pour lesquels il se salira directement les mains, c’est à l’aube de ses 15 ans. Une famille secondaire essaie de monter en grade, de convaincre la coupole qu’ils représenteraient mieux la zone que ne le feraient les Kasra — son père juge l’occasion idéale. Noah tue leur premier fils, de ses mains, et empoisonne l’épouse, d’une décoction spéciale, fabriquée de plantes locales. Il a toujours eu l’œil, pour les poisons.
1983 — il a 25 ans, Noah ; il aide son père, officiellement, à tenir les boutiques de potions, une à Tartous, une à Homs, une à Damas, pendant que ce dernier tente de grimper dans les conseillers d’El-Assad, il se fait une place, sympathisant avec les alaouites voisins, mais ils contrôlent le port, ils contrôlent la ville, ils contrôlent la politique, glissant poisons ça et là, rendant fous ici et là. Noah est lieutenant, maintenant, et il se sent à l’étroit, dans le clan paternel. Il veut explorer plus large. L’Algérie lui tend les bras.
1985 — 27 ans, un contrat part en vrille, à Oran, l’ambassadeur français lui pose soucis, et son clan maternel le fait fuir, le sort du Maghreb, le temps que les choses se calment ; il ne peut pas retourner en Syrie, c’est trop facile, on l’y attendrait, tout le monde sait de qui Noah est le fils — alors il accepte l’exfiltration que lui propose le chef de clan Bensaïd, il se cantonne à ce poste de chargé de cours, à Uagadou, il en profite pour se renseigner, sur les magies, sur les cultures, il emmagasine les savoirs qu’il peut, jusqu’à ce qu’il soit temps de rentrer au pays, reprendre sa place de lieutenant.
1986 — Sa vie était écrite, pensait-il : alors, si elle met Nasiya sur son chemin, c’est qu’il devait en être ainsi. Il ne sait pas encore pourquoi ce gamin, 13 ans, trop têtu, trop provocateur, lui attrape le cœur, comme cela, mais il sait qu’il a un talent, un talent fou, que sa magie fait des choses qu’il n’a jamais vu, et cela sublime ses potions, à Noah. Alors ça le titille, forcément, et ça rend la vie plus intéressante, loin du sang et de la corruption.
1987 — C’est Wassim, la raison de sa rencontre avec Nasiya — il en est sûr, Noah, aussi sûr qu’on peut l’être à presque 30 ans, quand on rencontre la personne de sa vie, et que cette personne est un homme, un tunisien, un extatique, l’homme de sa vie. Il ne devrait pas, ils ne comprendront pas, dans son clan — mais il peut disparaître, il peut profiter de cette vie exfiltrée, pour devenir autre. Personne ne saura. Il n’y aura que lui, Wassim, et Nasiya. Il ne se doute pas qu’en faisant ce choix, c’est un autre chemin de vie, qu’il enclenche.
Septembre 1993 — Quand Nasiya termine Uagadou, Wassim et Noah n’ont plus aucune raison d’y être. Cela fait trop d’années, déjà, que Noah aurait quitté l’endroit, s’il n’avait pas été captivé par ce gamin devenu adulte. Il joue, encore, toujours, aux disparus, auprès de son clan, acceptant simplement des contrats hors du continent africain, hors du levant, quand ils parcourent le monde, avec Nasiya, pour développer sa magie. Il le fait discrètement, mais il renfloue ses caisses, il cultive sa magie, brisant des esprits contre des gallions — alors quand Wassim propose un retour en Tunisie, une maison avec piscine à Tunis, une boutique de potions, à gérer à deux, Noah n’est pas certain. C’est trop proche, trop dangereux, on pourrait le retrouver. Il n’a jamais su dire non, seulement, quand Wassim demande.
Décembre 1996 — Wassim n’est plus vraiment le même, depuis le jeune Léonardo, laissé pour mort, en Italie. Il a réalisé combien Noah n’avait pas bronché, il a réalisé la panique dans le cœur de Nasiya, les tremblements dans sa magie, depuis, alors qu’ils expérimentaient toujours plus loin, et quelque chose a changé, en lui. Ils ont toujours consommé, Noah et lui, les plantes magiques de leurs potions laissant juste assez de place, dans leur verrière, à des créations plus hallucinogènes. C’était pour le plaisir, seulement, pour la détente, pour l’extase, jamais par besoin. Ça le devient, pour Wassim, et Noah sent qu’il se perd.
22 juillet 2001 — Il est mort. La mort n’a jamais touché Noah, bien trop habitué, bien trop jeune. C’est une circonstance de la vie, quelque chose qui arrive, qui doit arriver, pour que le monde tourne, pour que les actions s’enchaînent. Seulement, c’est Wassim, qui est mort, et cela brise quelque chose. Il se demande si c’est de sa faute — s’il a déclenché la mauvaise boucle, en attrapant sa main.
Décembre 2001 — Si en Tunisie, il est facile de vivre reclus, loin des clans, arrivé sur Londres, Noah n’a pas pu se tenir éloigné des conseils, ne dépendant plus de sa zone maternelle. C’est une question d’honneur, de responsabilité, que de se présenter au chef de clan local, puis au conseil. Il le fait, parce qu’il reste premier fils Kasra, il le fait, aussi, parce qu’il oublie ses croyances, à s’abandonner au deuil, et il ne peut en être ainsi. Il fait promettre au chef de clan de taire sa présence ici, jusqu’à ce qu’il ressente le besoin de se signaler auprès des siens, et promet de ne pas prendre de contrats, de ne faire aucun geste suspect, qui mettrait en péril les euthanatoï d’ici.
2004 — Ça couve, au fond de lui, le besoin de se ré-approprier ses origines, le besoin de s’ouvrir à sa vraie nature, alors que le Royaume-Uni gronde, que les choses vont de mal en pis, et qu’il ne peut rien faire d’autre que rester apathique. Il est temps, pense-t-il, de s’investir à nouveau. Il commence par aller au conseil, sommé en mai, à écouter, sagement. Il repère Djouqed, réalise que des liens avec le Maghreb sont là — qu’il pourrait faire comme lui, au nom des Kasra, au nom des Bensaïd, sur ces terres. Il y pense, alors qu’il vend, sourire discret, les nouveaux flacons de Nasiya. Son courrier part, début juin, alors que la Coalition annonce ses envies de recensement, alors que Potter tente de défendre les traditions, comme il peut. Son courrier part, prévenir son père, prévenir sa mère : Prêt, maintenant. Ils comprendront.
Une position politique ? La politique, pour Noah, se justifie comme son père le lui a toujours justifié : si les choses se passent, c’est qu’elles sont vouées à être. Si une demande est faite, c’est qu’il faut l’accepter, la tourner à l’avantage de l’histoire. Seulement, les positions britanniques le laissent coi. Il ne sait quelle demande doit être écoutée, tant elles arrivent en même temps, cacophonie terrible. Il préfère garder l’œil ouvert, ne rien dire, encore, et simplement prévenir les siens qu’il est là, au cœur des colons, prêts à développer les liens avec sa patrie s’ils le souhaitent. Il sait, qu’ici, certains apprécieront cette possibilité.