La tête enfouie dans l’une de ses mains, elle lutte Angelina. Elle lutte pour ne pas s’endormir là, au beau milieu du terrain.
Parce qu’elle ne dort plus, Angelina. Elle ne dormait déjà pas beaucoup avant, c’était désormais devenu pire que tout. Le sommeil de la née Johnson avait toujours été en dents de scie. C’était au départ une vraie marmotte, dynamique à la limite de la pile électrique une fois éveillée, mais il lui fallait pour cela ses huit heures de sommeil. Elle tenait les entraînements à l’aube d’Olivier durant leur scolarité à Poudlard ponctués de ses baillements sonores et disgrâcieux pour preuve. Mais un grain de poussière dans l’engrenage et les douces nuits de la belle n’était plus que champ de ruines. Elle n’avait pas fermé l’oeil pendant des semaines au cours de la guerre et avait été frappée de terribles insomnies après la bataille de Poudlard. Il lui avait fallu de nombreux mois pour redonner un semblant de normalité à ses nuits, efforts réduits à néant avec le départ de George. Mais c’était une cause bien plus récente qui avait de nouveau tout bouleversé. Cela faisait dix jours qu’elle ne dormait plus, Angelina. Parce qu’elle avait de nouveau croisé la violence et la mort. Et que ce dont elle avait été témoin sur le Chemin de Traverse avait ressuscité ses cauchemars les plus terribles.
Dès qu’elle fermait les yeux, ils étaient là. L’un penché sur le corps inerte de l’autre. Un masque de douleur indescriptible sur le visage. Ses traits déformés par le chagrin la tétanisent. Elle veut s’approcher mais une force inconnue l’en empêche. Alors elle hurle à plein poumons, les appelant tous les deux, leur criant qu’elle est là. Elle rampe à demi, terrassée par le poids de la souffrance, luttant de toutes ses forces en vain. Une tâche de sang vint s’étaler sur le torse de George tandis qu’il tombe lui aussi. Et finalement, ce sont les yeux grands ouverts de Fred posés sur elle sans plus ciller qui la tirent du sommeil.
Comme autrefois. Comme autrefois, elle se réveille en hurlant, le visage trempé de sueur et de larmes. Et comme autrefois, sa mère débarque dans la chambre en titubant, sortie violemment pour sa part d’un sommeil sans rêves. Ce n’est pourtant plus une enfant mais elle n’a même plus la force de lutter et se laisse aller dans les bras maternels en se promettant de ne plus fermer les yeux pour ne pas avoir à les revoir.
Par deux fois, à défaut des jumeaux elle avait du faire face aux cadavres d’Alicia, Katie, Georgia et Olivier. C’était redevenu un enfer. Et pour se sortir de ce mauvais pas, elle avait décidé comme autrefois toujours, de ne tout simplement plus dormir. Voilà la seule parade de défense qu’elle avait pu trouver. Tout ceci encore une fois par la faute de la famille Malfoy… C’en était presque risible si ce n’était pas aussi pathétique et triste.
La nuit dernière n’avait pas dérogé aux autres et c’était une Angelina exténuée qui s’était retrouvée à Montrose ce matin-là. Et comme toujours lorsque la demoiselle Johnson n’avait pas son quota de sommeil, elle était exécrable. Tout l’irritait et les malheureux joueurs aux robes noires et blanches subissaient sans broncher la mauvaise humeur de leur entraîneur. Une passe manquée et vous pouviez l’entendre souffler sans ménagement. Une erreur de positionnement et vous l’entendiez vociférer contre le gardien qui n’avait rien demandé à personne.
« C’est n’importe quoi ! N’importe quoi ! Explique moi comment tu peux être à dix mètres du Souaffle, bon sang ?! » Elle jeta ses fiches à côté d’elle et passa une nouvelle fois les mains devant son visage.
« Désolée, je voulais pas m’énerver. Mais merde, faites gaffe. » lâcha-t-elle dans un souffle. Elle n’aimait pas être comme ça. Elle savait ses réactions disproportionnées et injustifiées. Déjà à l’époque où elle avait été joueuse, en plus de ses mauvais résultats, sa mauvaise humeur récurrente avait manqué lui coûter sa place (place qu’elle avait finalement lâché d’elle-même). Mais elle se sentait démunie face à cette situation, totalement prisonnière de ses cauchemars et de ses sautes d’humeur. Ce qui ne faisait que l’agacer davantage. Elle était épuisée, voilà tout. Mais elle n’avait personne à qui en parler. Parce qu’elle se maudissait d’être aussi faible, elle autrefois si forte. Parce qu’elle croyait avoir sorti la tête hors de l’eau et qu’une nouvelle vague, infime et insignifiante, venait de la renvoyer vers le fond.
Après de longues minutes à ordonner, conseiller (un peu brutalement), gesticuler, l’entraîneur principal mit un terme à la séance. C’est alors qu’elle l’aperçut à quelques pas de là. Une silhouette qu’elle reconnaissait entre mille. Une silhouette qu’elle n’avait plus vu depuis maintenant dix-huit mois. En dehors de ses cauchemars. Mais ce n’était ni rêve ni cauchemar, George Weasley était là devant elle. Quelques mètres séparaient les époux mais Angelina restait là, interdite. Incapable de savoir ce qu’il convenait de faire. Incapable de croire seulement que tout ceci était réel. Ne disait-on pas qu’un trop grand manque de sommeil pouvait conduire à des hallucinations ? Voilà c’était ça, elle hallucinait. Il n’était pas réellement là devant elle. C’était invraisemblable. Comme s’il venait de lire dans ses pensées, l’entraîneur des Pies s’approcha d’elle et désigna discrètement la silhouette d’un mouvement de tête.
« C’est pas… ? » « Si. Je crois. » répondit-elle simplement, encore sonnée.
Je crois... Incertitude feinte, maintenant qu'elle savait que son esprit ne lui jouait aucun tour. C'était lui, évidemment. Qui d'autre sinon, se prit-elle à penser avec une pointe de cynisme.
« Ça va aller, Angie ? » Un second papa, pour de vrai.
« Oui, oui, ça va aller. » lança-t-elle précipitamment.
« Je… Ça va aller. Je vous retrouve après. De toutes façons au vu de mon humeur, il vaut mieux que tu gères le brief en solo. » conclut-elle avec une moue qui se voulait taquine mais qui ne trompait ni lui ni elle.
« Bien. » finit-il par répondre avant de poser une main paternelle sur son épaule et se diriger vers les vestiaires en la laissant seule face à son passé.
Elle sentait son cœur battre à tout rompre au fond de sa poitrine. C’était comme si son esprit l’avait abandonné en même temps que son courage. Ses grands yeux noirs ne le quittaient plus. Elle craignait presque qu’il ne disparaisse si elle venait à ciller. Ce moment elle l’avait souhaité autant qu’elle l’avait redouté. Et ils étaient là désormais. Deux âmes brisées que seul un terrain de Quidditch séparait à présent.
(c) mars. | 1097 mots