‘Si tu ne pouvais pas t’exprimer.’
C’étaient les mots de Nigel. Je ne pensais pas qu’ils reviendraient comme cela, qu’ils tourneraient ainsi dans ma tête. Ce n’était une crainte que j’avais vraiment eu, avant. Si je devais ne plus pouvoir m’exprimer, c’est que cela serait une épreuve divine. Et pourtant, si le Tout Puissant m’a offert le don de la magie, Il m’a offert avec la possibilité de me protéger d’une partie de ce qui pourrait me rendre muet. Est-ce sage, de ma part, de ne pas vouloir faire usage de ce don, au cas où ? S’Il veut vraiment que je sois muet, rien de ce que je pourrais faire changera quoique ce soit, non ? J’ai tourné et retourné la question dans ma tête. C’est en observant d’autres Chœurs Célestes que je me suis décidé – ils étaient quelques-uns à porter accroché à leurs vêtements ou autour de leur cou des protections contre le mutisme. Il ne serait pas raisonnable de ne pas m’en sauvegarder aussi.

Je me suis demandé aussi, un moment, si l’épingle achetée, le protego, suffirait. Mais on n’est jamais trop prudent. Il me faut quelque chose qui protège spécifiquement ma voix contre des sortilèges puissants. Ça n’est pas un achat perdu, mais ça ne suffirait pas. Alors j’ai mis Maestro à contribution, et ensemble nous avons retournés l’intégralité de la bibliothèque de ma mère à la recherche d’un enchantement.

Elle était douée, ma mère, pour enchanter les objets. Cela me plaisait aussi, quand j’étais jeune. Insuffler de la magie à un objet qui en est dépourvu, l’inclure dans ce tout parfaitement harmonique, donner, et prendre. Je ne sais pas trop pourquoi, alors que je feuilletais une énième anthologie des sortilèges, un vieux souvenir est remonté à ma mémoire. Mon frère, tout sourire. « Paul enchante des objets, comme maman, et comme toi à l’époque. » Certainement pas comme nous, non. Ce n’est pas une matière que j’aimais beaucoup, à Poudlard, alors que je pouvais passer des heures à prêter main forte à ma mère. Ce n’est pas pareil. Je crois que c’est à ce niveau là que je ressens le plus la différence dans ma façon d’apprécier, d’envisager le monde, face à la vision des hermétiques. Et pourtant, combien de ces livres que j’ai feuilleté à la recherche de l’enchantement ont été écrits par des membres de ma tradition ? Trop peu, il me semble.

La nuit est avancée, alors que nous continuons les recherches. Je tourne sur mon doigt la chevalière Fawley. C’est elle, que je compte enchanter. J’ai hésité longuement, en songeant qu’elle n’irait plus sans doute au doigt d’un autre Chœur Céleste avant un long moment, qui que ce soit qui reprenne la charge de Lord après moi. Je suis le dernier. Mais il s’agit du seul objet dont je ne me sépare jamais, et d’un des seuls objets qui est appelé à me survivre aussi longtemps que mon nom existera. Ce sera mon présent, aux prochains Fawley – et une protection, même contre le mutisme, n’est jamais perdue. « Tu trouves quelque chose ? » Je me tourne vers l’elfe qui en seule réponse m’adresse un regard un peu triste – presque déçu. Je le connais trop bien pour savoir que ça l’agace, de ne pas réussir à m’aider. « Ce n’est pas grave. » Je me replonge dans l’ouvrage que je tiens dans les mains. La bibliothèque est grande, et si je ne trouve rien ici, je sais que je trouverais des réponses auprès de confrères ou de consœurs.  

Depuis combien de temps cherchons-nous ? J’ai l’impression d’avoir perdu la notion du temps plongé dans mes lectures. J’ai vaguement conscience que Maestro a rempli au moins deux fois ma tasse de thé entre deux livres qu’il dévore à une vitesse folle. Comment cet elfe fait-il ? Ne devrait-il pas avoir au moins la vue qui baisse, ou quelque chose ? Quel âge a-t-il ? Je ne saurais le dire, j’ai l’impression qu’il a toujours été là, aussi loin que je remonte dans ma mémoire. J’apporte à mes lèvres la boisson délicieusement chaude avant de me repencher sur le livre poussiéreux que je suis en train de déchiffrer – depuis combien de temps celui-là dort-il dans notre bibliothèque sans que personne ne soit venu l’en extraire pour le feuilleter ? A la poussière qu’il dégage à chaque page que je tourne et à la couleur jaunie de ces dernières, trop longtemps. Quelque chose pourtant dans la page au-dessus de laquelle je suis penché attire mon attention. « Maestro ! Viens voir ! » L’elfe se relève et s’approche de moi pour se pencher par-dessus mon épaule. Un rituel pour éviter aux prophétesses de subir un maléfice de mutisme, sensé fonctionner contre les sorts et contre les potions. C’est exactement cela qu’il me faut ! Je me redresse sur mon siège et reprend la lecture depuis le début de la page, pour m’assurer que je ne rate rien. Ça pourrait marcher. Le problème, c’est de transformer un rituel en enchantement. Et de comprendre très exactement quel genre d’enchantement fonctionnerait. Faut-il que l’objet que je prévois d’enchanter puisse jouer la partition si je suis atteint par une potion ou un sortilège de mutisme, ou est-ce que simplement il faut chanter pour enchanter l’objet ? En usant de notre magie pour enchanter les objets quand je travaillais avec ma mère, je me souviens surtout que je me concentrais sur l’harmonie générale, se concentrer sur l’altération à apporter… Mais c’est un tout autre type de rituel il me semble ce qui décrit là. « A ton avis, il faut que l’objet enchanté puisse produire la mélodie, où il faut simplement réussir à la maintenir assez longtemps en… » Je ne sais même pas comment évoquer ça. Se concentrant sur l’objet ? L’elfe me regarde avec de grands yeux. « Je ne sais pas Monsieur. » Il lève ses mains, sans répondre. Il ne comprend pas la magie telle que je la pratique – pas plus que je ne comprends la sienne. Et bien, je suppose que l’on aura la réponse qu’en essayant.

Entre mes doigts, je fais tourner le sceau familial en déchiffrant la partition. Cela n’est pas trop difficile pour moi, mais j’espère ne pas faire d’erreur. Bien, et maintenant ? Je rapproche la bague de mon visage, détaillant celle-ci, scrutant. Il n’y a normalement aucun effet magique sur cette dernière, mais ça ne me coûte rien de vérifier. « Revelio. » Je marque une pause en hésitant. J’imagine que chacun d’entre nous avons eu nos secrets, je pourrais tout aussi bien ne pas être le premier à avoir ce genre d’idée. « Specialis Revelios. »

J’inspire et regarde les notes que je viens de prendre. Ça ne me coûte rien d’essayer. J’approche la bague de ma bouche, comme pour chanter spécialement pour elle, et j’entreprends de chanter le morceau découvert en gorgeant ma voix de magie.

Si mon premier sort ne produit rien, le fait que la bague ne réagisse pas plus à mon second revelio me fait soulever un sourcil. Ça, ça n’est pas normal. La bague est-elle vraiment ensorcelée ? Je jette un regard à l’elfe. « Tu as une idée de ce que cela pourrait être ? » Il hausse les épaules, sans répondre. Je fais tourner le sceau familial entre mes doigts, songeur. Combien de Fawley l’ont porté avant moi ? Combien de génération de Lord l’ont arboré fièrement pour faire savoir qui ils étaient ? Je me surprends à sourire en me demandant comment ils étaient, ces anciens, ce qu’il y avait dans leurs cœurs, dans leurs esprits… Et petit à petit, ma rêverie me ramène à un souvenir bien plus réel : je vois l’anneau à la main de mon père, assis précisément où je le suis ce soir. Son air calme, son sourire entendu, ses manières… Si j’ai toujours été plus proche de ma mère que de lui, je l’admirais certainement, peut-être moins que mes frères, peut-être moins qu’il ne l’aurait voulu… Le souvenir des correspondances retrouvées me revient, rangées à l’époque dans l’un des tiroirs de ce même bureau. Hector Fawley avait été remercié du rôle de Ministre, parce que trop peu actif dans la lutte contre Grindewald – la vérité était bien plus sombre. Mon père aurait-il ensorcelé l’anneau, lui, pour servir ses ambitions ? Maestro me le dirait-il, si mis au courant il avait reçu l’ordre de garder le silence ?

« Monsieur ? » L’elfe me sort de mes pensées, et je m’ébroue comme réveillé tout d’un coup. « Je prendrais bien un thé s’il te plaît. » Il attrape la théière maintenant vide et disparaît sans un mot, alors que je m’étire. Si la bague est bien ensorcelée, est-ce une protection, une arme, une malédiction ? Je ne peux en tout cas pas me permettre de continuer d’essayer de l’enchanter sans en avoir le cœur net – l’harmonie que je vise, je ne la trouverai pas sans cette information. Je ne peux que persévérer. « Specialis revelio. »

Une protection contre le poison… Je souris, presque malgré moi – c’était attendu. Quel genre pourtant de secret de famille est-ce cela, une protection dont on ne parle pas, qu’on n’explique pas, qu’on oublie ? C’est stupide. Le moyen est pourtant ingénieux : une goutte de sang pour vérifier, c’est sans doute plus fiable qu’un sort de base, et ça permet sans doute de veiller à la santé des siens en plus de la sienne, quoique ça a le défaut certain de ne se voir qu’après ingestion… Je fais tourner la chevalière entre mains doigts – cette protection, c’est un héritage, au même titre que la bague, offerte par un ancêtre inconnu qui a eu la même idée que moi pour le mutisme… J’hésite sur la marche à suivre maintenant, je ne veux pas priver ceux qui viendront après moi de cette idée, elle pourrait leur être plus utile que le mutisme, mais je ne veux pas risquer un tel bijou non plus… Je pourrais enchanter ma croix, peut-être, à la place… Je secoue la tête, j’ai passé l’âge d’avoir tant peur d’échouer et de douter ainsi de mes capacités. J’attrape pourtant les livres que je feuilletais tout à l’heure, pour relire rapidement les précautions d’usage pour doublement enchanter un objet. Tout de même, on n’est jamais trop prudent, et j’ouvre mon bureau pour sortir d’une tiroir une potion de puissance que j’avale rapidement. Après une inspiration, un regard à Maestro qui n’ose plus rien dire depuis un certain temps maintenant et me regarde faire, j’approche la bague de mon visage et me remet à lui chanter la partition.