S’il y a bien un sujet sur lequel Carol-Ann Miller est incollable, c’est celui des cartes de chocogrenouille. Petite, elle avait amassé une collection impressionnante, qui avait malheureusement été détruite lors d’une littérale explosion de colère de la salamandre de son frère. Jour noir pour la Serpentard, dont le deuil avait été tel qu’elle s’était définitivement détournée de ce passe-temps qu’elle adorait pourtant. Définitivement ? Pas tant que ça, au final. Car depuis quelques semaines, les hiboux d’Honeyduke parcourent le ciel sans relâche, porteurs de plus ou moins lourdes enveloppes, chacune d’entre elle lestée de quelques cartes. Et en moins de temps qu’il n’avait fallu pour le dire, la fièvre du collectionneur s’était à nouveau emparée de la jeune assistante. Pour le plus grand bonheur de Carol-Ann Miller, nombre de ses collègues à la Brigade Magique s’étaient également laissés prendre au jeu. Tous les matins, alors qu’elle fait le tour des bureaux pour demander aux autres brigadiers et aurors quelles cartes ils ont obtenus, elle n’a qu’un objectif en tête. Un jour elle serait la meilleure collectionneuse, elle chercherait sans répit, elle ferait tout pour être la meilleure et gagner toutes les cartes or. Elle parcourrait Londres entier, cherchant avec espoir les autres collectionneurs, et leurs cartes les plus rares.
Ce matin, elle est guillerette. Elle a obtenu la carte Havelock Sweeting, et en or, s’il-vous-plaît ! Elle sait de source sûre que Grint est à la recherche de cette carte, et qu’il possède la carte Sacharissa Tugwood en or. Oh, elle a déjà Sacharissa, mais ce n’est pas le cas de Monroe, qui serait très certainement encline à lui proposer jusqu’à cinq cartes pour pouvoir la récupérer ! Le hibou avait en plus de cela amené une énorme tablette de chocolat, et elle sait que si quelqu’un aime le chocolat à la Brigade, c’est bien Erin McAllister, qui possède elle aussi de très belles cartes. Sans le vouloir, son pas s’accélère. Elle a hâte d’arriver et de contempler encore une fois sa magnifique collection avant de s’atteler à la tâche.
***
La Brigade est plutôt calme, ce matin. Il flotte dans l’air une effluve de café matinal, et les bavardages des agents reposés créent une douce atmosphère. Les pieds posés sur son bureau, Damocles savoure quelques minutes le calme qui règne, en tournant sa cuillère dans sa tasse d’un geste machinal. Pour une fois, il n’y a aucun titre sensationnel s’étalant en gros plan sur la couverture de la Gazette, il n’y a pas eu de soucis pendant la nuit, ni de plainte du bureau de régulation des créatures magiques au petit matin. La journée s’annonce paisible. Mais alors qu’il termine tranquillement son café, un cri perçant résonne dans les locaux, lui faisant dresser les cheveux sur la tête. En face de lui, Grint sursaute, renversant sa tasse de thé brûlant sur sa chemise avec un juron. Une seconde plus tard, Damocles est debout et se précipite en direction du cri, suivi de près par Pierson et Abbott. Il s’arrête soudain, le coeur battant. Devant lui, recroquevillée sur le sol au milieu de dossiers éventrés, de plumes brisées et d’encriers renversés, Carol-Ann Miller tient dans ses mains tremblantes une carte de chocogrenouilles en mauvais état. Elle lève vers Damocles des yeux remplis de larmes, ses lèvres balbutiantes incapables d’articuler un son correct. « M-Mes… Mes cartes… Elles ont… Ils les ont… » D’un geste hésitant, elle tend vers lui une enveloppe déchirée, qu’il prend avec prudence. Il en sort un papier froissé, sur lequel sont collées des lettres découpées dans la Gazette du Sorcier, assemblées pour former un message.
TRICHEUSE
Il reste quelque chose dans l’enveloppe. Carol-Ann sanglote de plus belle, tandis que Damocles échange un regard avec les agents présents. Doucement, il fait glisser le contenu de l’enveloppe dans sa main, avant de tout lâcher avec une exclamation. Sur la carte à moitié déchirée, on ne distingue plus qu’un faible reflet doré, tant l’image du personnage a été massacrée. Tâchée d’encre, griffée par ce qui semble être une plume acérée, et même brûlée, l’icône est illisible, rendant impossible toute identification. Derrière lui, Damocles entend Abbott réprimer un haut le coeur, et il croise les prunelles de Pierson, blanc comme un linge. Alors que Monroe réconforte l’infortunée, les chuchotements s’élèvent. Qui a fait ça ? Pourquoi ? Carol-Ann a-t-elle vraiment triché au jeu des chocogrenouilles ? Les minutes passent, et les agents retournent peu à peu à leur place, au milieu des sanglots toujours plus forts de Carol-Ann. Pourtant, il est difficile pour Damocles de se remettre au travail comme si de rien n’était. En menaçant ainsi un membre de la Brigade, c’est lui qu’on menace. Sans compter les hoquets de Carol-Ann, qui semble inconsolable. Décidément, il faut faire quelque chose. Même Carol-Ann ne mérite pas ça. Mais le cas est trop sensible pour qu’il s’y attaque seul. Non, cette fois, il aura besoin d’aide.
Il saisit la lettre de menaces et se dirige vers le bureau de McAllister, son duo du moment. Il aura besoin de toute la vivacité d’esprit de la brigadière pour résoudre cette affaire. D’un geste sec il plaque la note sur le bureau, fixant Erin dans les yeux. « McAllister. Ça aurait pu être ta collection. Ça aurait pu être la mienne. Ça aurait pu être celle de n’importe lequel d’entre nous. Celui qui a fait ça doit jubiler en ce moment même, en contemplant les cartes de Carol-Ann comme si c’était les siennes, heureux de son méfait et d’avoir pu l’accomplir si facilement. Est-ce qu’on peut vraiment laisser faire ça ? J’en appelle à ton esprit de Poufsouffle, vas-tu laisser ce crime odieux impuni, ou vas-tu te joindre à moi pour trouver celui qui a fait ça, et restaurer un peu de justice dans ce monde ? »
Un vent de folie souffle sur le respectable département de la Justice magique depuis quelques jours. Une nouvelle traque de mages noirs ? Un redoutable trafiquant de niffleurs à mettre hors d'état de nuire ? Oh non. Il s'agit de quelque chose de bien plus grave, de bien plus pernicieux. Une fièvre semble s'être emparée de chacun, du plus grand responsable au dernier des secrétaires... Les Chocogrenouilles. Elles sont partout, dans vos hiboux du matin, alimentant les rumeurs, les échanges sous le manteau et un trafic mené de main de maître par nulle autre que Carol-Ann Miller. Tableaux comparatifs, côtes de valeur, classeurs soigneusement rangés... Elle est partout. Sait tout. Impitoyable et rusée. Personne n'a pu y échapper. Pas même toi, qu'elle est venue voir un matin, armée de deux grenouilles chocolatées pour te négocier ce double d'Andros l'Invisible dont elle avait entendu parler la veille avec Pierson et... Oh, tu aimerais pouvoir dire que ton intégrité et ta probité de brigadière n'ont jamais été entamées par la corruption mais... Tu n'es qu'une femme. Et tu as cédé. Refusant toutefois d'entrer plus avant dans son petit jeu. Pas de spéculation. Avec toi, ce sera une carte pour une carte, une sucrerie pour un double.
***
Tu es en retard, ce matin. La faute à ce maudit hibou qui s'en est allé déposer ta précieuse enveloppe par la fenêtre d'Adele plutôt que la tienne. Le temps de récupérer ton bien, de découvrir tes nouvelles acquisitions avec avidité, tu t'es précipitée dans l'âtre en direction du Ministère. Aussi est-ce que la pointe des pieds que tu arrives aux portes du bureau de la Brigade, grignotant encore le patacitrouille de ce matin en guise de petit-déjeuner. Pourtant, alors que tu pensais essuyer les remarques et les quolibets, nul ne semble remarquer que tu te glisses discrètement sur ta chaise. Non, l'attention de tes collègues semble toute entière concentrée sur ces sanglots dont tu n'entends que l'écho sans en deviner la source. Jusqu'à ce que tel un Attrapeur fendant les airs, Slughorn ne s'en vienne vers toi à grands pas, plaquant sur ton bureau un message grossier dans un plaidoyer vibrant. Derrière lui, le regard embué de larmes de Miller t'en dit long sur la situation.
Dans un profond soupir, tu retires ta cape, époussette ton insigne brillant. Ta chaise balance légèrement vers l'arrière, l'ambiance plus raide que les cheveux graisseux de Rogue. Tes yeux s'ancrent à ceux du brigadier dans un regard qui en dit long, avant qu'enfin tu ne brises le silence. « Je vois. Cest d'accord, Slughorn. J'en suis. » Le hoquet de surprise de la victime te conforte dans ce choix. Tu as pris la bonne décision. « A-t-on des pistes ? Lequel d'entre vous a été le dernier à quitter le bureau, hier ? » Et comme pour mieux assurer ton autorité, tu te relèves gravement, les deux mains bien à plat sur la surface de bois patinée de ton bureau.
Au moment où les yeux de la brigadière croisent les siens, Damocles sait que l’affaire est gagnée. Après tout, il commence à connaître McAllister et sa légendaire soif de justice. Pourtant, elle ne dit rien, faisant tourner sa plume entre ses droits, sa chaises grinçant légèrement alors qu’elle se balance dans un mouvement tout aussi léger que le silence est pesant. Et alors que la tension ne pourrait être plus palpable, elle se redresse finalement, une lueur de défi dans le regard. Sous l’ensemble des regards, elle accepte de mener l’enquête.
Aussitôt, l’ambiance se fait plus sérieuse et Damocles regarde tour à tour les agents présents. Le coupable se trouve peut-être ici, parmi eux. Non, impossible. D’un coup de baguette, il fait venir à lui une feuille de parchemin et sort sa fidèle Plume à Papote. « Je suis parti en dernier avec Pierson hier soir, à vingt et une heure et trente-quatre minutes. Dans le hall aux cheminées, nous avons croisé Abbott qui prenait son poste. » La plume s’agite avec frénésie, notant diligemment toutes les informations. Damocles se tourne vers le jeune brigadier au regard apeuré. Cela ne fait pas très longtemps qu’Abbott a rejoint la Brigade, mais il fait désormais partie de la famille, et le choc causé par l’agression sauvage de la carte de chocogrenouille de Carol-Ann se lit toujours sur son visage. Damocles s’approche de lui et le prend par les épaules. « Ressaisis-toi, gamin. On a besoin de toute ta lucidité aujourd’hui. Tu étais seul dans les bureaux cette nuit ? » Abbott, pétrifié, le regarde quelques secondes, avant de prendre une grande inspiration et de froncer les sourcils, prenant son courage à deux mains. « Oui. Je n’ai pas quitté la pièce. J'allais rentrer chez moi quand Miller a crié. » « Pas même une seconde ? Réfléchis bien. » « Eh bien… » « Oui ? » « Je me suis peut-être absenté quelques minutes, le temps d’aller aux toilettes. Mais pas plus de deux minutes, je le jure ! » Un murmure parcourt l’assemblée et Damocles ferme les yeux, avec un soupir. Deux minutes entières pendant lesquelles quelqu’un avait eu tout le temps d’entrer, de subtiliser la collection de Carol-Ann, de mutiler la carte, de laisser cet odieux message et de repartir sans laisser de trace. Il serre brièvement l’épaule du brigadier Abbott. « Ce n’est rien. On fait tous des erreurs. C’est ce qui nous rend humains. » Il adresse un regard au reste de la Brigade, avant de s’attarder sur Carol-Ann, dont les bras sont crispés sur sa poitrine. La jeune assistante a bien des ennemis au sein de la Brigade, mais quelqu’un pourrait-il vraiment lui en vouloir au point de s’attaquer ainsi à sa collection ? Pourquoi pas, après tout. Avec un soupir, il frôle des doigts l'insigne de brigadier épinglé à son revers. S’il y a bien quelque chose qu’il a réalisé après toutes ces années à la Brigade, c’est que les sorciers sont capables du meilleur, mais également du pire. Les discussions ont repris, chuchotements frénétiques. Certains regards soupçonneux se perdent et Damocles lève les mains pour obtenir l’attention de tous. « Collègues, amis. Aujourd’hui, c’est l’une des nôtres qui a été victime d’un acte cruel. Afin de faire en sorte que cette barbarie ne se reproduise pas, McAllister et moi mèneront l’enquête. Nous trouverons le coupable, et nous feront en sorte qu’il paie pour ses crimes. » Un brouhaha approbateur suit ses paroles. Damocles se tourne vers Erin avec un hochement de tête entendu. « Je pense que nous devrions interroger Carol-Ann en premier. Elle pourrait avoir des choses à dire. »
L’affaire est grave et elle ne prête pas à sourire. Tu devines pourtant, sur les lèvres de Grint, l’ébauche d’un rictus. Nervosité ? Amusement ? Et ce tic de Monroe qui ne cesse de jouer machinalement avec son insigne ? Aurait-elle quelque chose à se reprocher, la respectable mère de famille ? Tandis que ton coéquipier commence à consigner ses premières observations, tu jauges l’un après l’autre les différents brigadiers présents. Oh, Miller ne fait pas l’unanimité, c’est certain. Tu serais bien la première à le dire haut et fort. Mais au point de ruiner des journées d’efforts et de travail ? Non, tu te refuses à y croire.
Bientôt, tous les regards se tournent vers celui qui a remplacé Miller au titre de dernier arrivé. Abbott. Bien qu’il ne vous ait rejoint que récemment, tu te souviens bien de lui. À peine plus jeune que toi, Poufsouffle lui aussi. Une soeur d’un ou deux ans sa cadette. Plutôt effacé, rigoureux. Une nouvelle recrue efficace, avec un véritable sens de la justice et une profonde envie de faire ses preuves. Difficilement un suspect valable, d’autant que n’ayant rejoint l’équipe que depuis un mois, le jeune homme n’a encore jamais eu ouvertement à maille avec l'irascible assistante. Son témoignage, pourtant est édifiant. Sous le regard implacable de Damocles, il finit par avouer un besoin humain somme toute naturel. À peine une erreur, mais qui a laissé le champ libre à vos adversaires pour s’introduire ici. Voilà qui réduit considérablement la fenêtre de tir du coupable. Reste à savoir qui pourrait en vouloir suffisamment à Carol-Ann pour aller jusqu’à commettre cet acte de barbarie inqualifiable.
D’un hochement de tête, tu acceptes la suggestion de Damocles. Sortant de ta réserve, tu contournes ton bureau, pose une main compatissante sur l’épaule de votre premier témoin. « Ne t’en fais pas Abbott, personne ne te reproche rien. » Ton sourire s’accompagne d’un clin d’oeil rassurant, tandis que tu glisses un petit carré de chocolat entre ses doigts tremblants. Puis, d’un signe de tête, tu désignes le bureau du chef, fort heureusement absent pour la journée. « Miller, suis-nous. » Tu refermes derrière vous la porte de bois sombre dont la vitre teintée vibre sous le choc. « Assieds-toi. » Sans discuter – Merlin, c’est un véritable état de choc qu’elle semble subir ! –, elle s’exécute d’un pas incertain, rejoignant la chaise désignée. Un globe lumineux s’éclaire, projetant un vif faisceau vers elle, laissant vos visages d’enquêteurs dans l’ombre. Aussitôt, tu t’adosses à la porte, le regard peu amène. « Arrêtons deux minutes ces fizwizbiz, Miller. Personne n’aurait eu la moindre raison de toucher à ta collection. En revanche… Toi, oui. Détruire une carte rare, dissimuler le reste, déposer ce mot sur ton bureau et jouer les éplorées le lendemain. Le stratagème idéal pour susciter l’empathie de chacun ici. Tu espérais sans doute que l’on s’empresse de te donner nos doubles pour reconstituer ta collection soit-disant perdue, n’est-ce pas ? Mais nous ne sommes pas dupes, Miller ! » Est-ce que ce scénario est plausible ? Sans aucun doute. Est-ce que tu y crois ? Non. Si machiavélique soit-elle, votre victime semble sincèrement désespérée. Mais tu es curieuse de sa réaction. Sera-t-elle indignée ? En colère ? Redoublera-t-elle de larmes ? Le suspens est insoutenable.
La porte claque, bien plus bruyamment que d’habitude, et Carol-Ann sursaute. On pourrait presque entendre un couinement s’échapper de ses lèvres, tant son attitude ressemble en ce moment à celle d’une petite souris désireuse de retourner se cacher dans son trou, à des années-lumières de la Carol-Ann habituelle. Car depuis le début de l’affaire, Carol-Ann n’a pas prononcé un mot, tant le choc semble avoir été rude. Et face à l’autorité d’Erin, elle semble encore plus intimidée, tortillant nerveusement sa carte entre ses doigts, ne sachant ou poser les yeux. Tandis qu’Erin commence son interrogatoire, Damocles s’éloigne du bureau en direction du service à thé qui attend dans un coin de la pièce. Il s’affaire, faisant bouillir l’eau, tout en observant l’attitude de Carol-Ann face aux propos accusateurs d’Erin. C’est d’abord l’incompréhension qui passe dans ses yeux, alors qu’elle s’agite, cherchant son regard à lui pour implorer de l’aide. L’animosité entre les deux femmes est connu au sein de la Brigade, bien que son origine soit toujours sujette aux rumeurs les plus farfelues. Carol-Ann aurait un jour fait infuser un gnome de jardin dans le thé qu’elle a apporté à Erin, tandis que la brigadière, elle, aurait un jour pris un malin plaisir à teindre toute la garde-robe de l’assistante dans des couleurs évoquant un mélange entre la bave de véracrasse et la vase moisie. Il ajoute les feuilles de thé et deux sucres à la tasse, comme l’aime Carol-Ann. C’est le genre de détails dont il se souvient, et qui ont leur utilité dans des moments comme celui-là. Mais il garde le silence, et rapidement, l’indignation monte chez l’assistante. « Quoi ?! Jamais ! J’aime trop les cartes de chocogrenouille pour leur faire du mal ! » Les larmes pointent à nouveau dans les yeux de la jeune femme, dont la voix se fait tremblante. « Et puis… Q-Quel est l’intérêt… de faire collection si c’est pour o-obtenir des cartes de cette manière ? Ce qui m’intéresse, c’est la traque, le frisson de la recherche, cette satisfaction d’obtenir enfin une carte tant recherchée ! A Serpentard, on aime arriver à nos fins, mais ce qu’on aime encore plus, c’est de montrer aux autres qu’ils ont tort de penser qu’on ne peut y arriver qu’en faisant des coups bas ! » Damocles s’approche alors du bureau, et pose la tasse de thé devant Carol-Ann avec un sourire. L’hypothèse d’Erin, bien qu’envisageable en théorie, ne le convainc pas vraiment. Carol-Ann n’a pas besoin de faire cela pour obtenir plus de cartes, elle l’a prouvé maintes fois au cours des dernières semaines, réussissant à obtenir les cartes les plus rares à coups d’échanges habiles, de discours persuasifs et de cadeaux amadouant jusqu’aux plus intègres d’entre eux. Il tire à lui une chaise et s’assoit en face d’elle. La plume à papote le suit avec zèle, notant avec soin chacun des mots de la jeune femme dans une écriture nette et précise. Il lui lance un regard affectueux, avant de prendre la parole d’une voix rassurante. « Carol-Ann, nous ne mettons pas en doute ton intégrité. Personnellement, je trouve ça incroyable, ce que tu as réussi à faire à la Brigade. Réunir ainsi tous les agents dans la course aux cartes, c’était brillant ! Je pense que nous devrions même te dire merci, car l’ambiance n’a jamais été aussi bonne ! Tu te rends compte, j’ai réussi à discuter avec Gyte pendant une vingtaine de minutes sans avoir envie de l’étrangler ! Nous nous demandions si oui ou non, la distribution des cartes était biaisée en faveur des icônes de Poufsouffle, étant donné la grande quantité de leurs représentants que nous avons tous les deux reçus. Figure toi que ses enfants sont à Serpentard et Serdaigle, comme toi et moi ! » Il adresse un clin d’oeil à la jeune femme, qui semble reprendre des couleurs. Ses mains cessent de trembler, tandis qu’elle se redresse. Continuant sur la même lancée, il croise les bras sur son torse en fixant Carol-Ann. « Le problème, c’est que tout le monde ne partage pas mon avis. Certains trouvent que ce jeu est idiot, et d’autres que cela va trop loin. Certains pensent même que… -il sort le parchemin accusateur qu’elle a reçu le matin même, et le pose devant elle-… tu pourrais ne pas jouer selon les règles. Une idée là-dessus ?» Carol-Ann s’agite nerveusement, regardant les murs de la pièce, comme dans la crainte de soudainement voir quelqu’un d’autre apparaître. Damocles lui lance un regard encourageant, et l’assistante se penche en avant, hésitante. « Maintenant que tu parles de Gyte… Il s’est peut-être passé quelque chose… » Damocles se redresse, songeur. Gyte, Gyte, Gyte… Toujours Gyte. Il se retourne et lance à Erin un regard entendu. Quoi que dise Carol-Ann au sujet de l’auror, cela fera considérablement avancer leur enquête.
Pas de cris, pas de mine outragée ni de récriminations. Miller est connue pour sa capacité à s’indigner plus vite que son ombre, mais aujourd’hui il n’y a pas l’ombre d’un haussement de sourcil mécontent chez l’assistante. Seulement de grosses larmes qui font trembler sa voix et secouent son corps mince. Elle semble sincèrement touchée par la destruction de cette carte rare et la disparition des autres, abattue de voir le fruit de tant d’efforts volatilisé. Cette honnêteté tranche avec ses habituels sourires de façades et t’émeut. Un peu. Mais l’heure n’est pas aux atermoiements. Vous avez une enquête à résoudre et pour l’heure, ton rôle de composition a davantage d’utilité qu’un quelconque soutien que tu pourrais lui apporter.
En revanche, tu savais que Damocles serait parfait dans le rôle du gentil brigadier qui réconforte la victime explorée tandis que tu dardes sur elle un regard accusateur. Mais tout de même : la tasse de thé, le petit sourire, la proximité... Et voilà qu’il la félicité, louant son travail et son opiniâtreté. Est-ce qu'il n'en fait pas un peu trop ? Toi qui le pensais immunisé contre les tentatives de séduction de Carol-Ann... Il semble bien trop heureux de se poser en chevalier servant auprès d'elle. Peut-être va-t-il falloir réviser ton jugement ? Nul doute qu’il y aura là un nouveau mystère à éclaircir en temps et en heure… Quoi qu’il en soit, ses petites attentions maniérées semblent porter leurs fruits. Après avoir déblatéré pendant un temps interminable sur ses papotages avec Gyte – Gyte, par Merlin ! –, ton collègue oriente la conversation vers cette accusation de tricherie si grossièrement formulée.
Il s’est passé quelque chose avec Gyte, donc. Mais quoi ? Les tergiversations de Miller n’en finissent pas et ta langue claque, agacée. Mais avant que tu n’aies pu la rabrouer, elle se met finalement à table, peut-être convaincue par le regard langoureux que Damocles lui adresse. « Et bien… Voilà. En fait… Je savais qu’il avait reçu la carte en or de Hengist de Woodcraft il y a quelques jours et c’est l’une des plus rares qui soient ! Il n’en existe que quelques exemplaires ! Du coup, je lui ai proposé de l’échanger contre un paquet de crapauds à la menthe et la carte en Or de Helena Serdaigle, je savais que ça lui plairait vu que c’est son ancienne maison… » Elle se tord les mains, dans un parfait modèle de contrition qui ne t’atteint pas le moins du monde. « Et donc ? » Ses yeux restent rivés à Damocles, tandis qu’elle balbutie. « Et donc, il a accepté. Mais ses enfants lui ont dit que ce n’était pas du tout à la hauteur, parce que la carte de Woodcroft est vraiment beaucoup plus rare que celle de Serdaigle et… Enfin, il m’a demandé d’annuler l’échange mais j’ai refusé parce qu’elle faisait partie de ma collection maintenant et que j’ai eu tellement de mal à obtenir cette carte ! » La jeune femme semble se liquéfier un peu plus sur sa chaise à chaque nouveau mot sous ton regard implacable et sursaute presque tandis que ta voix résonne. « Je vois. Autant pour la belle idée de ne pas faire de coups bas, hin ? Et y’en a d’autres, que tu as arnaqué comme ça, en jouant sur le sentimental plutôt que sur la valeurs réelles des cartes ? » « Je… Oui… Quelques uns… » « Qui ? » « Et bien, Gyte… Pierson. Et euh… Monroe, aussi. Grint. Et puis… » Elle se tait, semble hésiter. Tu la relances, impatiente. « Oui ? » « Mrs @Moira A. Oaks aussi. Et… » La litanie des noms n’en finit plus. En fin de compte, ce n’est pas loin de la moitié des employés du Ministère qui sont tombés dans les combines de Miller, et un bon quart d’entre eux s’est fait embobiner par ses belles paroles.
Lorsqu’enfin elle se tait, tu pousses un profond soupir, ton regard noir ne la quittant pas un instant. Passant devant Damocles, tu poses les mains de part et d’autres de Carol-Ann, t’appuyant aux deux accoudoirs pour approcher ton visage à quelques centimètres du siens. « Écoute moi bien, Miller. On va t’aider. Mais à une condition : quand on aura retrouvé ta collection, tu rendras chaque carte arnarquée à son propriétaire légitime. Je suis sûre que tu sais exactement à qui elles appartenaient, avec tous tes petits parchemins. Sinon, je me barre, tu ne reverras jamais ta collection et je déchirerai de mes mains la prochaine carte que j’aperçois dans ce bureau. Est-ce que c’est bien clair ? » Son hochement de tête pour toute réponse, tu te redresses et quitte le bureau à grands pas, lançant au passage : « Abbott ! Tu nous la surveilles. Elle ne doit pas sortir du bureau. » Un bloc de post-it échappé de ton bureau te poursuis et tu le glisses dans ta poche avec la plume à papote – un bon enquêteur a toujours besoin de post-it et d’une plume ! Enfin, une fois dans le couloir du département, tu te tournes vers Damocles. « On commence par Gyte ? ».
Slughorn et McAllister sont sur l’enquête, et nul ne saura les empêcher de la mener à bien.
Il ne faut pas longtemps à Carol-Ann pour céder et passer aux aveux. Elle, l’assistante de la Brigade, escroque depuis plusieurs semaines ses collègues ignorants et infortunés, et cela jusque dans les plus hautes sphères du Ministère ! Damocles retient son souffle en considérant la jeune femme, en proie au doute. Fait-il lui aussi partie des ses malencontreuses victimes ? Aurait-elle été jusqu’à le faire marcher, lui ? Il est vrai que ses connaissances en chocogrenouilles ne sont pas les plus larges, mais il avait assez confiance en elle pour lui échanger ses cartes sans se méfier. C’était probablement le cas de Pierson et Grint aussi… Il lance un regard désappointé à Carol-Ann, et approuve les paroles d’Erin d’un ton lourd de reproches. « Je dois avouer que je suis déçu, Carol-Ann. Je n’aurais pas cru cela venant de toi. Mais comme l’a dit Erin, nous te laisseront une chance de réparer tes torts. En revanche, il nous faudra du temps pour réussir à te faire confiance à nouveau. » Il se lève et se dirige vers la sortie du bureau à la suite d’Erin. Mais avant de passer la porte, il se retourne une dernière fois. Carol-Ann, s’est affalée sur le bureau, la tête dans les mains. Secouant la tête, il s’arrache à cette vision et quitte la pièce, prêt à poursuivre l’enquête.
Prochaine cible, Gyte. S’il n’est pas le seul à avoir été victime de Carol-Ann, son tempérament est bien connu. Il est prompt à l’emportement et aux réactions extrêmes. Et après l’humiliation de l’arnaque, se venger en subtilisant la collection de Carol-Ann, cela lui ressemble totalement. Mais Gyte n’est pas une cible facile. C’est un auror, et même si ça n’est pas le meilleur, il ne se laissera pas coincer aussi facilement que Carol-Ann. Il leur faudra ruser. Il prend la direction du bureau des aurors d’un air dégagé. Il ne faudrait pas que qui que ce soit se demande ce que deux brigadiers font ici, cela sonnerait la fin de l’enquête. Mais heureusement, personne ne fait attention à eux. Arrivé à destination, Damocles jette rapidement un coup d’oeil à l’intérieur. Il n’y a nulle trace de Gyte. Seuls trois autres aurors sont présents. Damocles se tourne vers Erin. « Il faudrait qu’on puisse fouiller dans le bureau de Gyte, voir si on trouve quelque chose. C’est bientôt l’heure de la pause déjeuner, une fois que les quartiers des aurors seront vides, on pourra y aller. » Il fouille quelques instants dans son sac pour en sortir sa cape d’invisibilité désillusionnée. Moins ils se feront remarqués, mieux ce sera, et si Erin peut facilement disparaître sous sa forme d’écureuil, ça n’est pas le cas pour lui. Il étend la cape sur leurs têtes, et se prépare à l’attente.
Il ne faut pas longtemps aux aurors pour quitter les lieux une fois les douze coups de midi sonnés, et alors que le dernier passe la porte d’un pas pressé pour rattraper le reste du groupe, les duo de brigadiers se faufile par l’ouverture, ne signalant leur présence que par un léger froissement de cape que personne ne remarque. Lorsque la porte claque derrière eux, Damocles se débarrasse de la cape. « Vite, le bureau de Gyte est là ! » De tous ceux qui sont dans la pièce, c’est bien le bureau le plus en désordre. Des papiers froissés traînent sur toute la surface, accompagnés par des emballages souillés de chocogrenouille, patacitrouilles et autres friandises, ainsi que divers objets en mauvais état : des multiplettes sans verres, un scrutoscope cassé, un pendule en argent terni… La bric-à-brac recouvrant le bureau arrache une grimace désapprobatrice à Damocles. Cela ne va pas leur faciliter la tâche.
Les résultats de la fouille ne sont pas très probants. Entre de nombreux dossiers en cours, des notes de service vieilles de plusieurs semaines et des cartes de visite de toutes les couleurs, rien n’est très intéressant. Jusqu’à ce que… « J’ai trouvé son agenda ! Regarde, il était de garde cette nuit, jusqu’à minuit. Cela veut dire qu’il était dans les locaux lorsque le crime a eu lieu. Et il reprend son service dans une heure, après la pause déjeuner. » Damocles parcourt rapidement les colonnes de l’agenda, jusqu’à ce qu’une note griffonnée à la hâte attire son attention. « Il avait rendez-vous hier à 11h avec une certaine Felicity Fwooper. En dehors de ses heures de service. J’ai déjà entendu ce nom quelque part… » Au même moment, un bruit lui fait lever la tête, et il regarde avec horreur la poignée de la porte tourner lentement.
Il est grand temps de porter votre enquête au stade suivant : les suspects. Autant dire, une bonne partie du Ministère, dont la moitié du département de la Justice Magique. Carol-Ann ne vous facilite pas la tâche ! Mais ce n’est pas le genre de considération qui saura vous arrêter. Reste à trouver comment vous infiltrer chez les aurors… Une problématique que ton coéquipier de choc ne tarde pas à résoudre : il a raison, l’heure du repas approche et les aurors présents ne tarderont sans doute pas à rejoindre le self pour être servis dans les premiers et s’approprier les meilleures parts ! À l’approche de leur couloir, Damocles étend sur vous deux sa cape d’invisibilité, vous dissimulant aux regards indiscrets et curieux. Et comme de bien entendu, la parade des aurors affamés s’en vient. Elle s’achemine pesamment, le nez en avant, les oreilles au vent et circule militairement.
Ni une, ni deux, vous vous faufilez plus vite que le vif d’or entre les bancs du stade, pour refermer prudemment la porte du bureau de votre cible derrière vous. Mais par où commencer, dans ce capharnaüm ? Avant toute chose, surveiller les alentours. Tu déposes sur une étagère encombrée ton petit strutoscope, avant d’entamer un examen méticuleux de chaque papier accessible. Jusqu’à ce nom, qui attire votre attention. « Fwooper… » Ce nom te dit quelque chose, sans que tu parviennes à remettre le doigt dessus. Il t’évoque une grande brune, métisse… et comme dans un éclair de lucidité, son identité te revient. « Mais oui, Fwooper ! Tu sais, elle travaille au département de régulation des créatures magiques. Il me semble que son grand-père était un magizoologiste célèbre, ou quelque chose dans ce goût-là. » La jeune femme est d’ailleurs l’une des rares qui soit toujours aimable à votre abord, comme si elle comprenait que les aléas de votre métier rendent parfois difficile la sauvegarde de toute créature magique rencontrée… comme des niffleurs.
Tout à votre découverte, vous n’entendez pas chantonner le strutoscope qui carillonne joyeusement pour vous avertir. Ce n’est qu’en entendant le grincement de l’huis que vous relevez la tête dans un éclair de panique. « Ta cape, vite ! » chuchotes-tu en attrapant ton instrument pour le fourrer dans ta poche, l’étouffant du plat de la main. Merlin tout puissant, qui donc t’a refilé cet instrument qui manque singulièrement de discrétion ? Accroupie dans un coin, près de Damocles qui a rabattu de justesse sa cape sur vos deux têtes, tu regardes Gyte – parce que c’est lui ! – entrer dans le bureau, suivi de près par… « Fwooper ! » articules-tu en silence à l’adresse de ton compagnon. Quant à la raison de leur présence à cette heure… Les mains baladeuses qui s’en suivent en disent long sur leurs intentions, et tu échanges un regard paniqué avec ton collègue, peu désireuse d’assister à la scène que tu imagines suivre… Helga, pourtant, doit être de votre côté puisque bientôt, d’autres pas se font entendre à proximité, séparant instantanément les deux protagonistes. « Et, hum. Vous trouverez dans ce dossier l’intégralité des notes prises par l’équipe des Brigades concernant ce malheureux incident de niffleurs. » Le ton est formel, bourru. Un brin trop sérieux pour la circonstance. De ton humble avis, l’auror est moins bon acteur encore que toi…
Felicity ne tarde pas à refermer la porte derrière elle, le visage sans doute un peu déconfit de cet acte manqué, et sur une hésitation, tu te révèles à l’auror. « Gyte… Je crois qu’il faudrait qu’on parle… » Tu te relèves tout doucement, pour ne pas susciter de réaction disproportionnée, les mains bien en évidence. Tu sais que Gyte t’apprécies, parce que tu fais partie des rares à n’avoir jamais médit de lui – dans les couloirs du Ministère, du moins. Mais tu ne tiens pas à te faire attaquer pour autant.
Accroupi derrière le bureau, la tête recouverte par la cape d’invisibilité, Damocles s’applique à respirer le plus doucement possible. C’était moins une ! Une seconde de plus et vous étiez faits comme des rats. Heureusement, les nouveaux arrivants sont trop absorbés par leur conversation pour avoir remarqué quoi que ce soit. C’est donc elle, la fameuse Fwooper ! Damocles se souvient désormais, elle avait pris le relais dans l’affaire des niffleurs. Beaucoup plus aimable que son prédécesseur, cet abruti qui avait presque réussi à le faire sortir de ses gonds. Les Niffleurs sont nos amis on n’y touche pas ! Quelles brutes vous faites, à la Justice Magique, il faut toujours que vous vous retrouviez à tout faire sauter pour arriver à vos fins ! Trois neurones devraient pourtant suffire ! Tous ça pour trois poils de museau brûlés par un sortilège passé légèrement trop près. Mais quelle affaire amène donc Gyte à rencontrer le Bureau de régulation des créatures magiques ? La réponse ne se fait pas attendre, et le regard d’Erin en dit long sur l’inconfort de la situation. Soudain, ça lui revient. Fwooper, c’est également l’un des noms que Carol-Ann a prononcé un peu plutôt alors qu’elle faisait la liste de ses entourloupes. Serait-elle également liée à l’affaire ?
Sans prévenir, Erin se débarrasse de la cape pour apparaître devant Gyte, qui a un mouvement de recul. La main de l’auror file vers sa poche, avant de s’interrompre quand il reconnaît la brigadière. « McAllister ? Qu’est-ce que vous faites là, comment êtes-vous entrée ici ? » La panique s’entend légèrement dans la voix de l’agent. Est-ce le fait d’avoir été pris la main dans le sac en flagrant délit d’amourette professionnelle, ou est-ce autre chose à se reprocher ? L’homme s’agite, nerveux. Sa main atteint sa poche et Damocles se tend, près à bondir, mais c’est un grand mouchoir blanc qu’il attrape et avec lequel il essuie la sueur qui lui perle sur le front. « Je n’ai rien à vous dire, vous ne devriez pas être ici ! Vous allez avoir de gros ennuis ! » C’est le moment que choisit Damocles pour se débarrasser à son tour de la cape d’invisibilité et apparaître devant Gyte, dont les yeux ronds s’écarquillent brusquement, le faisant brièvement ressembler à un monstrueux veaudelune. Secouant la tête, il darde sur l’auror un regard accusateur. « Gyte, Gyte, Gyte… Ce ne serait pas très malin de votre part. » Pendant quelques secondes, Gyte ne répond pas. Puis son visage rougit, tandis qu’il semble s’étouffer sous l’affront. Il pointe vers Damocles doigt menaçant. « Comment osez-vous me manquer de respect ainsi ? » « Je suis sûr que c’est ce que Madame Gyte vous dira, lorsqu’elle apprendra à quel point les relations entre le Bureau des aurors et celui de la régulation des créatures magique se cont améliorées ces derniers temps ! » En moins d’une seconde, le visage de Gyte se décolore, passant d’un rouge brique à un blanc crayeux. Il balbutie, jetant tour à tour un regard affolé sur Erin et Damocles, chancelant légèrement. « Vous… Vous n’oseriez pas ! » Mais les regards qu’il rencontre sont sans équivoque. Après quelques instants de silence interminables, l’auror cède enfin, et se laisse tomber sur sa chaise, s’essuyant à nouveau le front d’un geste tremblant. Damocles fait un léger signe de tête en direction d’Erin. Une fois encore, ils devront montrer toute l’efficacité de leur duo en matière d’interrogation de suspect. Cette fois, c’est lui qui ouvre le bal. Sortant à nouveau sa plume à papote et son carnet, il dépose devant Gyte la lettre envoyée à Carol-Ann, guettant sur le visage de l’auror la moindre réaction. « Dites-moi, Gyte, il paraîtrait que vous avez eu de la chance en matières de cartes de chocogrenouilles ces derniers temps. Sans les tromperies de notre chère Miller, vous seriez l’heureux détenteur de l’une des cartes les plus rares de la collection ! » Les sourcils de Gyte se froncent brièvement, tandis qu’il regarde la lettre posée devant lui. « Cette vipère ! Une intrigante, une menteuse sans scrupules, une… » « Tricheuse ? » Gyte cligne des yeux plusieurs fois, sans répondre, et Damocles frappe du plat de la main sur la table, faisant sursauter l’auror. En insultant Carol-Ann, c’est toute la Brigade que Gyte insulte, et il en a assez d’entendre ces maudits aurors les rabaisser encore et encore. « Gyte, fini de rigoler maintenant. Vous haïssez Carol-Ann Miller car vous n’arrivez pas à supporter le fait qu’elle vous ait berné ! Vous n’êtes pas le seul, d’ailleurs… Votre amie également, si je ne m’abuse. Est-ce cela qui vous a rapproché, votre désir de vengeance commun ? Répondez ! »
La surprise de l’auror est manifeste – et bien compréhensible. Nul n’est censé pénétrer en ces lieux sans l’aval de l’un des membres du corps d’élite, tant de dossiers sensibles sont conservés ici, à commencer par ceux des anciens mangemorts encore en cavale… Mais Gyte ne vous dénoncera pas, tu en es certaine. D’abord parce qu’il a trop à perdre si vous veniez à révéler ce que vous venez de voir, mais aussi parce que cela ne ferait qu’empirer sa réputation auprès de la Brigade, dont il pourrait bien avoir besoin pour l’une ou l’autre de ses futures missions. Non, dans son regard incertain, tu peux lire qu’il restera coi.
Déjà, Damocles entre dans la danse, se dévoilant à son tour pour confronter l’auror à l’infortune de votre victime. Il n’en dit pas beaucoup, cela dit. Juste assez pour tenter de lui tirer les vers du nez. Mais la méthode peine à porter ses fruits. Gyte est encore trop indigné, trop en colère pour vous être d’une aide quelconque. Mais il n’est pas mauvais qu’il se sente acculé par la pression que lui inflige ton collègue en plaquant ce message grossier sur le bureau, que tu contournes pendant ce temps. Profitant que son attention soit toute entière tournée vers les accusations implacables qui fusent, tu poses une main délicate sur la sienne. Ta paume est agréablement tiède, maintenue à une douce température par les boutons de manchettes qui brillent à tes poignets. « Gyte… » commences-tu d’une voix calme. Vous n’êtes pas tout à fait assez proches pour que tu utilises son prénom mais tu as besoin de créer cette connivence entre vous deux, aussi tu reprends « Antonin… Nous ne te voulons aucun mal, pas plus qu’à elle. Un crime a été commis cette nuit, qui concerne les Chocogrenouilles. Les arnaques de Miller ne peuvent rester impunies, mais elle ne pourra pas réparer ses torts si le mystère n’est pas résolu. Et nous avons besoin de ton aide pour en démêler les fils. Pour que tu puisses retrouver cette carte hors de prix, car tu la récupèreras, je m’y engage sur mon honneur de Brigadière ! »
L’argument est de poids. Reprendre sa carte rare, restaurer son honneur auprès de ses enfants. Il semble hésiter, tergiverser avant de finalement lâcher. « Qu’est-ce que vous voulez savoir, exactement ? » « Tu étais de service cette nuit, n’est-ce pas ? As-tu vu qui que ce soit dans les couloirs du département ? » Il secoue la tête, peu convaincu. « C’était calme cette nuit. J’ai même eu le temps d’aller m’en griller une vers 2 heures du mat’. J’ai croisé le gamin d’ailleurs, le dernier arrivé chez vous ! » « Abbott. » complètes-tu pour toi-même. « C’est ça. On a discuté deux minutes, puis il est retourné dans votre bureau pendant que je sortais. Ah tiens, et dans les ascenseurs, il y avait l’une des archivistes qui avait fait des heures supp’. Je ne sais plus comment elle s’appelle… Ce n'est pas celle qui est bridée, c'est l'autre. »
Une archiviste ? Intéressant. Tu te tournes vers ton coéquipier, qui connaît bien le service pour y avoir passé quelque temps avant d’intégrer le vôtre. Est-ce que ça lui évoque quelque chose ? Sait-il seulement si ses anciens collègues sont amateurs de Chocogrenouilles ?