La pluie glacée trempe sa cape et son visage sans qu’il s’en rende compte, tandis que ses pas le portent mécaniquement à travers les rues de Londres. Il trébuche légèrement avec un juron, se rattrapant au mur pour ne pas tomber. Quel idiot, mais quel idiot. Jamais il n’aurait dû tenter de suivre le rythme d’Aedrian, il aurait dû se douter qu’il finirait par se retrouver dans cet état, incapable de faire trois pas sans vaciller et de rassembler correctement ses pensées. Pourtant, il avait continué à ingurgiter les verres les uns après les autres, laissant l’alcool lui brûler la gorge jusqu’à ce qu’il ne sente plus rien, que sa vision se trouble et qu’il ne puisse plus articuler quoi que ce soit de sensé. Quand l’établissement avait fini par fermer, leur demandant de partir, il était encore en train de déblatérer un peu trop fort sur l’attitude déloyale et inexcusable qu’avait eu Léonard plusieurs années plus tôt. Avoir revu son frère quelques semaines auparavant dans les pires circonstances imaginables avait réveillé de nombreux souvenirs désagréables, et cette beuverie improvisée avait été l’occasion de récriminer encore et encore.
Même a présent, alors qu’il avance avec difficulté sous le vent froid et la bruine nocturne, ce sont les mêmes pensées qui tournent en boucle dans son esprit. Il se sent las, moulu, écoeuré. Une grande partie de ce sentiment est probablement liée à la trop grande quantité de whisky qu’il a ingéré, mais les bribes de nostalgie qui s’imposent à lui, entrecoupées de pointes de colère aiguës, n’y sont pas non plus pour rien. Foutu famille, foutues potions, foutu Léonard. Il aurait pu rester dans son trou, mais il avait absolument fallu qu’il joue au héros, au petit frère raisonnable. C’était deux ans plus tôt que Damocles avait eu besoin de son aide, et pourtant à ce moment là, pas de signe de Léonard. Il aurait du insister ce jour là, lui dire tout ce qu’il avait à lui dire. Mais Léonard avait préféré fuir, encore, il n’avait même pas pris la peine de lui dire au revoir. Peut-être parce qu’il ne tenait pas à le revoir non plus. Non pas que Damocles en ait envie non plus. Mais Léonard n’a pas l’air de comprendre, il ne comprend jamais rien. Il faut tout lui expliquer vingt fois avant qu’il ne se mette quoi que ce soit dans le crâne. Un miracle qu’il ait pu devenir médicomage, ce crétin. Et il se permet ensuite de lui dire que c’est lui, son aîné, qui est ridicule ? Damocles grince des dents d’un air furieux. Qu’est-ce qu’il en a à foutre de toute façon. Aedrian est de retour, et il a son chat maintenant, cette petite boule de poil chaude qu’il sent contre son torse. Il le tient serré contre lui, dans sa cape, pour le protéger de la pluie. Il ne lui a toujours pas trouvé de nom, à cette petite bête, il va bien falloir qu’il s’en occupe. Mais avant, il a deux mots à dire à cet abruti de frère.
Malgré le tangage de l’ivresse, il s’engage résolument dans cette rue familière qu’il cherchait à atteindre. Il ne sait pas exactement combien de temps s’est écoulé depuis qu’il a quitté la chaleur animée du bar, mais il sait qu’il est bien trop tard. D’ordinaire, l’appartement n’est pas très loin du Chemin de Traverse, dix bonnes minutes de marche tout au plus, mais il a l’impression d’avoir déambulé pendant beaucoup plus longtemps, confondant les rues et s’adossant régulièrement aux murs pour reprendre ses esprits et pour vérifier que le petit chat était toujours là. Et même s’il s’était cogné plusieurs fois a quelques boîtes au lettres et lampadaires suite à des écarts de direction, il avait fini par atteindre sa destination. Ses doigts composent mécaniquement le code de la porte, dont la serrure se déverrouille dans un claquement. Avec un grognement satisfait, il s’appuie de tout son poids sur le lourd battant pour entrer dans l’immeuble. Tout se serait bien passé s’il n’avait pas sous-estimé son élan. La porte heurte le mur dans un fracas retentissant qui résonne avec force dans la cage d’escalier. Damocles se fige, crispé, avant d’éclater de rire. Foutue porte. Le chat laisse échapper un miaulement et Damocles lui caresse le haut de la tête. « Chuut, on est presque arrivés. » Alors qu’il se dirige vers l’escalier, un grincement lui parvient. Il se retourne d’un bond pour fixer l’oeil qui l’observe à travers la porte entrouverte de la loge de la concierge. Beckett, cette affreuse commère. Toujours là, à laisser traîner ses yeux et ses oreilles dans tous les coins dans l’espoir de capter quelques bribes d’informations croustillantes. Il se souvient très bien d’elle, mais se souvient-elle de lui ? Elle entrouvre un peu plus la porte et le regarde d’un air horrifié. C’est qu’il ne doit pas avoir très fière allure avec ses vêtements trempé et boueux, ses yeux cernés et ce chaton dont la tête dépasse de son col. Elle l’apostrophe d’un air indigné. « Qu’est-ce que vous faites là, vous ? Ça va pas de faire du bruit comme ça, à cette heure ? Et en plus vous dégueulassez tout ! » Damocles veut lui répondre, mais il ne réussit qu’à ricaner en voyant les traces de neige et d’eau sale qu’il a semées derrière lui. A l’époque, Beckett ne l’aimait déjà pas, et c’était réciproque. A croire que les habitudes ont la vie dure. Il lui adresse un geste grossier sans un mot, et commence à monter l’escalier sous ses exclamations outrées. « Je vais appeler la police ! J’aurais dû le faire il y a bien longtemps ! » « C’est moi la police, connasse ! » La porte claque et il monte quatre à quatre les marches, avant de s’écrouler sur le premier palier, à bout de souffle. Il est allé trop vite et la tête lui tourne. Il s’assoit dos au mur et respire profondément pour ravaler sa nausée. Les yeux fermés, il se demande si la vieille Beckett a réellement l’intention d’appeler la Brigade. Si c’est le cas, il a plutôt intérêt à se dépêcher de monter le reste des étages avant que des collègues ne le découvrent presque ivre mort dans la cage d’escalier de son immeuble. Quelle idée d’être au quatrième. Il aurait pu transplaner directement, mais une petite voix lui avait déconseillé. Au vu de son état, il se serait probablement désartibulé quelque chose.
Damocles rouvre les yeux en sursaut en entendant le chat miauler et regarde autour de lui avec curiosité. Il a dû s’assoupir quelques secondes. Il se relève avec difficulté et reprend son ascension laborieuse, marmonnant pour lui-même, maudissant Beckett et trébuchant régulièrement sur le tapis qui recouvre les marches. Quand finalement les marches s’arrêtent, il est épuisé, son genou lui fait mal à force de l’avoir cogné et le chat s’agite de plus en plus. Il l’attrape par la peau du cou et l’extrait de sa cape pour le déposer sur le sol. Finalement, il franchit les dernières marches qui lui font face presque à quatre pattes avant d’aller s’effondrer contre la porte. Un fin rai de lumière filtre sur le sol. Parfait, il y a quelqu’un. Il fouille dans ses poches à la recherche de sa baguette sans la trouver, en commençant à grelotter sous sa cape trempée. Foutue pluie. Damocles se laisse glisser au sol, vidant ses poches les unes après les autres. Quelques chocogrenouilles, un flacon de philtre calmant, un jeu de cartes, un carnet couvert de notes, un couteau multilame, et enfin sa baguette. Mais alors qu’il se relève, prêt à faire sauter la serrure d’un sortilège, il se ravise. Beckett lui a dit de ne pas faire de bruit. Il se penche avec précaution pour ramasser le couteau et le déplie doucement. Il lui faut plusieurs tentatives avant de réussir à introduire la lame dans la serrure, qui finit par se débloquer avec un petit bruit satisfaisant. Il appuie alors sur la poignée et pèse sur la porte qui s’ouvre sous son poids et il trébuche à l’intérieur de la pièce.
Une silhouette se lève brusquement à l’autre bout de la pièce, alors que Damocles se débarrasse de sa baguette et de son couteau sur la table qui lui fait face. L’homme arrive rapidement vers lui avant de s’arrêter à quelques mètres, l’air alarmé. Damocles le fixe, haussant les sourcils. Qui est-ce gars, et que fait-il chez lui ? Il fouille à nouveau ses poches à la recherche de sa baguette, fébrilement. Où est-elle passée, il l’avait à peine trente secondes plus tôt. Il sert les dents, essuie les cheveux trempés qui lui collent au front et fait un pas en direction de l’intru, pointant un doigt menaçant vers lui. « T’es qui ? Tu fais quoi ici ? » L’homme le dévisage pendant quelques secondes sans lui répondre, fronçant les sourcils. Puis il recule d’un pas et appelle. « Léonard ! » « Ta gueule ! » L’homme écarquille les yeux et lève les mains dans un geste d’apaisement qui agace Damocles. Il n’a pas sa baguette et l’homme fait un moins une tête de plus que lui, mais il fait de nouveau un pas vers lui. « Oh, du calme… Est-ce que tout va bien ? » Damocles lève les yeux au ciel et laisse retomber ses bras le long du corps. Il fallait qu’il tombe sur un abruti, évidemment. Damocles se détourne et parcourt lentement la pièce, posant le regard sur ce qui a changé, pendant que l’individu se dirige vers la porte pour la fermer. Damocles se retourne d’un bond et se précipite vers lui en titubant. « ATTENDS ! » Son chat, son chat est toujours dehors. ! Et ce crétin allait fermer la porte et l’enfermer à l’extérieur. Damocles le pousse sans ménagement et se dirige sur le palier. Le petit chat renifle avec curiosité le tapis, sautillant maladroitement sur ses petites pattes, et Damocles le ramasse pour l’emporter avec lui à l’intérieur. Il entend derrière lui l’homme qui ramasse les affaires qu’il a laissées par terre et fermer la porte, et décide de l’ignorer pour s’intéresser à la pièce. Les murs sont les mêmes, les meubles sont les mêmes. Pas étonnant, c’est Léonard qui avait fait toute la décoration à l’époque. Pourtant, des choses ont changé. Damocles fronce les sourcils et dépose le chat sur un fauteuil avant de se débarrasser de sa cape lourde d’eau de pluie et de la laisser tomber au sol. Il se dirige vers l’étagère où trônent des bibelots étranges et des photos de gens qu’il ne connaît pas. Il passe son doigt sur la poussière de l’étagère et fait une grimace. Lorsqu’il était là, au moins l’appartement était toujours impeccable. Cet incapable de Léonard n’était jamais foutu de faire le ménage, alors qu’un simple sortilège était suffisant pour se débarrasser de cette couche de poussière. Il essuie sa main sur son veston, dégoûté, avant de poursuivre sa route vers la cuisine. Cela fait plusieurs heures que son estomac réclame quelque chose de solide, et il ouvre les placards un à un. Des verres, des ustensiles… Et sur le plan de travail, une tarte. Damocles fait une grimace de dégoût. Foutue tarte à la citrouille. « Léo, si ta tarte moisit encore tu viendras pas te plaindre ! J’en mangerai pas ! » Il crie. Incroyable cette incapacité qu’à Léonard de ne pas se souvenir de ce genres de petits détails. Toujours à faire cette tarte que Damocles déteste, tout ça pour lui reprocher après de ne jamais en manger. Fulminant, il pose sa main à plat sur la tarte et appuie, réduisant consciencieusement la pâte en miette entre ses doigts. Une fois que la tarte ne ressemble plus à un tarte, il s’essuie la main sans ménagement sur le torchon accroché à côté de l’évier. Vacillant, il retourne dans le salon. Le gars n’est plus à côté de la porte, il est parti, tant mieux. Damocles avise une petite statuette posée sur le bureau. Il s’en saisit et la lève à hauteur de ses yeux pour l’examiner. C’est très certainement la statuette la plus laide qu’il a jamais vue. Qu’est-ce qui a pris à Léonard de mettre cette horreur dans leur appartement ? Il n’avait jamais eu très bon goût, mais là on dépasse les limites. Il jette la petite statuette à travers la pièce de toute ses forces, la regardant se briser avec satisfaction.
Il ne se souvient même plus pourquoi il est venu ce soir là. Il avait quelque chose à dire, quelque chose à faire, mais quoi ? Il se laisse tomber plus qu’il ne s’assoit sur le canapé, le regard dans le vague. Cela fait combien de temps, sept ans qu’il n’est pas venu ? Sept ans qu’il a plié bagages furtivement pour s’en aller dans la nuit comme un voleur, sans prévenir son frère ni qui que ce soit d’autre. Pourtant, cela reste chez lui, ici. C’est lui qui est arrivé en premier, il y a habité seul pendant deux ans avant que Léonard ne vienne lui imposer sa présence et son humeur exécrable, avec ses remontrances, ses exigences et ses conflits permanents. Et voilà que toute trace de lui a disparu désormais. Son frère l’a effacé, et il l’a remplacé par des statuettes hideuses et des livres stupides et sans intérêt. Il fait tourner les pages du livre posé sur la table basse, l’Envoûtement par les Figurines. Qu’est-ce que c’est encore que cette connerie ? Il jette le livre par terre avant de s’allonger sur le canapé. La pièce tangue autour de lui, lui donnant le mal de mer et il pose un bras sur ses yeux pour les protéger de la lumière trop vive. Il ne manquerait plus qu’il vomisse sur ce canapé pour parfaire la soirée. Un petit miaulement lui parvient. « T’es où le chat ? Viens, viens ici. » Il tâtonne au mieux du canapé jusqu’à sentir sous ses doigts la fourrure chaude et douce du petit chaton, qu’il ramasse et dépose à côté de lui. Le petit animal grimpe maladroitement sur son ventre, aussi léger qu’une plume, avant de venir se rouler en boule sur son torse en ronronnant. Il faudra qu’il lui trouve un nom, un de ces jours.
Léonard fixait le four, ou plutôt l’intérieur du four tout comme le gros chat assis sur la table avec lui, les yeux et le museau en alerte, frémissant des effluves de la tarte à la citrouille qui cuisait dans le four. Le maine coon aux poils long et beige était conscient que cette odeur signifiait qu’il allait avoir le droit à sa part, et Léonard ne pouvait s’empêcher de lui aussi se lécher les lèvres. La tarte à la citrouille était de loin son met préféré, c’est assez simple il en raffolait depuis qu’il était enfant. Son elfe de maison en préparait des succulentes, mais désormais Minty était vieille et occupée à prendre soin de la demeure presque vide des Slughorn. Et Léonard avait dû apprendre à cuisiner, ce qui à son grand étonnement était devenu une petite passion car très similaire, de bien des manières, aux potions qu’il devait préparer tous les jours. Un léger courant d’air porta jusqu’à ses narines le fumet de se met bien trop attendu. L’énorme chat ne pouvait plus résister, s’étirant il se frotta à son maître tout en ronronnant, espérant voir arriver sa part plus vite. Alors que Timothy parlait avec Nia dans l’appartement, il s’interrompit “Vous deux, vous connaissez les règles, on attend que la tarte soit froide et pas avant d’aller dormir.” Léonard souffla en caressant Serge qui semblait toujours pleins d’espoir d’avoir un dessert maison avant de se coucher sur sa banquette. Le jeune homme réfléchissait déjà à une manière de contourner la règle stupide de son compagnon qui lui interdisait de mettre le nez dans une tarte à la citrouille avant d’aller dormir, mais il savait déjà que c’était peine perdue. Timothy avait de bonne raison d’interdire ladite tarte, cela donnait des gaz au chat, et Léonard ne pouvait jamais refuser de donner un bout à leur pestilentiel chat, mais il devait admettre que Serge s’oubliait allégrement durant la nuit et avait plus d’une fois failli étouffer ses deux maîtres.
Léonard alla dans sa chambre, suivi joyeusement par l’énorme chat blanc, tournant en quête d’une activité à faire. 4 semaines de vacances imposées par la direction, soit jusqu’à la fin du mois de février, et voilà maintenant une semaine qu’il s’ennuyait à mourir, il était passé voir sa mère qui lui avait encore et toujours parlé de Damocles, et il s’était bien gardé de lui apprendre la rencontre inopportune qu’ils avaient eu au sein de St Mangouste et qu’il était la cause de ses vacances forcées, puis il avait passé du temps avec sa grand-mère l’aidant à préparer ses herbes et remèdes avant de se faire jeter dehors après avoir mis en doute certaines méthodes d’élaboration, puis il avait passé un peu de temps avec sa colocataire essayant d’en apprendre plus sur le vaudouisme, mais cette dernière l’avait, sans ménage, mis à la porte de son échoppe, affligée d’entendre le ton sceptique que prenait Léonard à chacune de ses questions. Le seul qui répondait à chacun de ses caprices était encore et toujours Timothy dont la patience était légendaire, il avait même réussi à placer deux semaine de vacance au dernier moment pour partager du temps avec Léo.
Après s’être posé sur le lit, Léonard fixait par la fenêtre les étoiles, tentant de lutter contre l’envie d’interrompre son petit-ami et son amie dans la conversation qui les animait. Il attendait, tapant son pied contre le parquet de manière inconsciente, de plus en plus bruyamment “ tout va bien ?” La tête de Timothy passa par l’embrasure. “ On fait une partie d’échec ?” Timothy jeta un coup d’oeil derrière lui “ Encore … mais j’ai du travail, dans 3 jours je suis en vacance, j’ai …” Le regard suppliant de Léonard eu raison du professionnalisme de Miller. “ Une seule partie et tu me laisses bosser.” Léonard se leva du lit, croisa les doigts “Promis mon tendre, promis.”
Léonard regardait l’échiquier posé au pied du lit, satisfait par la partie qu’il venait encore de gagner. Serge allongé de tout son long sur la méridienne en velour violet, positionnée en biais de la porte vitré donnant sur le balcon, semblait dormir d’un sommeil d’ange. Insensible à la vive lumière de la chambre et au désordre des deux garçons. Le jeune homme se laissait apaiser par les douces caresses sur son bras de son compagnon. “J’ai encore gagné” lança-t-il à Timothy un sourire sur le bout de ses lèvres pâles. Son partenaire avait les yeux fermés, fatigué par sa journée de travail, il était allongé sur le dos. Il émit un léger rire avant d’ouvrir les yeux et de prendre la parole “Ou je t’ai peut-être laissé gagner.” Léonard passa alors au-dessus de lui feignant d’être vexé et fit basculer son poid sur le torse de Miller “ Tu prétends que tu m’as déjà laissé gagner ?”. Timothy préféra ne pas répondre, bien conscient que son tendre était prêt à tout pour gagner la joute verbale qu’il tentait de mettre en place. “Je dois bosser ce soir” Léonard resta cependant où il était “ Léo, aller, sinon j’appelle Nia.” Piqué au vif Léonard se décala et descendit du lit. Ils avaient beau vivre tout les trois depuis 2 ans, Léonard était bien incapable de se montrer démonstratif devant Nia, la seule idée qu’on puisse voir de lui une quelconque facette plus douce, plus gentille, une facette amoureuse, résonnait comme une faiblesse. Il ne pouvait s’empêcher d’enlever ses jambes de Timothy quand elle rentrait dans une pièce, se décaler du canapé quand elle sortait de sa chambre, enlever sa main des cheveux blonds de l’ancien Gryffondor à chaque fois qu'elle passait. Chaque écart de Timothy blessait ce dernier et faisait culpabiliser Léonard, trop fier pour cependant l’admettre.
“Eh bien soit va donc te mettre à travailler Monsieur Miller.” Léonard esquiva un dernier geste d’affection et se glissa dans la salle de bain, fermant la porte à clé de colère. Il souffla et se glissa sous la douche brûlante, avant d’aller se coucher.
“Léonard” le jeune homme entendit une voix l’appeler au loin, son sommeil était cependant si lourd qu’un train ne l’aurait pas révéillé. Ses songes bien que brumeux étaient d’une douceur de coton. Un deuxième éclat de voix retentit. Léonard bougea légèrement dans son lit. Un poid lourd venait de s’abattre sur son estomac, il ouvrit les yeux et poussa un cri sans son. Serge alerté par les bruits venant du salon, venait de lui sauter dessus de tout son poid, soit 8,9 kg, les oreilles en arrière. Timothy murmurait son prénom derrière la porte tout en toquant à rythme pressant contre le battant. « Léo, si ta tarte moisit encore tu viendras pas te plaindre ! J’en mangerai pas ! ». Le coeur de Léonard loupa un battement, peut-être même deux, voire trois. Enfaite il en oubliait de respirer, et le gros chat n’y était pour rien. Il venait d'entendre la voix de son frère, au milieu de la nuit, dans son appartement, alors qu’il dormait, alors que Timothy était là, alors que son frère lui avait bien fait comprendre quoiqu’il se passe, il ne voulais plus jamais avoir à faire à lui. Léonard senti les picotements sur son bras instantanément. Les mains tremblantes il poussa Serge du lit et se leva. Ses pieds nus sur le parquet froid de la chambre, déclencha en lui un frisson sur tout son corps, peut-être était-ce de passer de la chaleur étouffante de sa couette au parquet glacé par le froid extérieur. Peut-être cela venait de l’angoisse grandissante de pousser cette porte, et d’y retrouver la voix qui lui avait semblé entendre. Il poussa la poignée, Timothy était là, le dos tourné, regardant en direction du salon, reculant jusqu’à entrer en contact avec Léonard, l’attrapant par les mains et murmurant “attend”.
Damocles était là au milieu du salon. La poupé de Nia dans la main. Et la jetant contre le mur, la brisant en mille morceau, la surprise fit reculer Timothy et la colère fit avancer Léonard bloqué dans son élan par son compagnon. *Damocles c’est ça qui veut ?! tout briser encore une fois !* pensa le plus jeune fils des Slughorn. Puis Léonard remarqua la démarche peu assuré de son frère, il balançait de gauche à droite, puis encore à droite avant de tanguer à gauche, dégoulinant de la neige gelée ayant fondue, donnant à son frère une allure pitoyable, le seul mot qui sortit des dents serrés de Léonard. La pression de la main de Timothy le rassura peu à peu. La porte en face de leur chambre s’ouvrit sur une Nia à peine éveillée. Timothy lui intima de se taire puis montra Damocles assis sur le canapé, entrain de s’allonger sur le canapé. Nia les rejoignit, ils commencèrent à discuter. Léonard ne pouvait s’empêcher de passer son regard entre son frère avachi et sale allongé sur le canapé et Timothy Miller, cherchant à comprendre comment cette situation rocambolesque avait pu se produire “Mais pourquoi tu l’as laissé rentré ?” demanda Léonard la mâchoire crispée “ Parce que tu crois que je lui ai ouvert la porte ?” dit Timothy sur la défensive. “ BAH, si la porte avait été fermée, il ne serait pas là à nous saloper le salon !” s’emporta Léonard en désignant son frère du doigts. Nia rappela sa présence en leur intimant de se calmer, avant de se diriger vers la cuisine. Alors que Léonard grommela une fois encore devant la solidarité dont les deux faisaient preuve, il se figea devant la tarte qui était censé attendre patiemment le repas du lendemain avant d’être dégusté. “mais qu’est-ce qui est arrivé à ma tarte ?” Timothy leva les yeux au ciel, exaspéré qu’on en vienne encore et toujours à cette foutue tarte dans cette famille. “C’est ton frère, il s’est lavé les mains dedans.” Alors que Nia ricanait à son habitude, Léonard lui lança un pique “Oui bas rigole, t’as pas encore vu l’état de ta poupée lo.” Son bras le démangeait de plus en plus, il commençait inconsciemment à se gratter quand Tim lui donna un coup sec pour qu’il arrête. “Désolé.” dit machinalement Léonard moitié boudeur, moitié reconnaissant. “Bon comment fait ?” demanda Léonard, prêt à mettre un plan machiavélique en place avec ses deux acolytes. Il fut fort déçu quand les deux tentèrent de se défiler. “Pardon ?! j’interdis à quiconque de me laisser seul avec lui ! Vous êtes malades, il va encore me sauter à la gorge.” Houpesta Léo et voyant qu’aucun semblait prendre une décision il proposa une alternative qui lui convenait tout à fait “On pourrait le jeter dans la cheminé et l’envoyer au Ministère ou mieux chez mes parents ?” C’est le moment parfait pour Tic et Tac de lui rappeler à quel point il ne remplissait aucun de ses engagements vis-à-vis de la coloc, tel que racheter de la poudre de cheminée. Voyant qu’il était en infériorité sur la prise de décision il se plia au groupe “Nieunieunieuniueniiue …. ok mais personne ne sort tant qu’il est là.” déclara Léonard bien décidé à ne pas rester seul avec son frère. “Mais je bosse moi demain. “ tenta de soulever Tim “Je m’en fou” lui rétorqua Léonard en se dirigeant vers la chambre “vous voulez qu’on le laisse dormir, très bien, mais vous n'échapperez pas au charmant Damocles bougon en gueule de bois. “
Léonard rentra dans sa chambre. Serge assis sur le lit, bien sagement, attendant le retour de ses maîtres en quêtes de quelques caresses. Léo le poussa du lit, insensible au regard suppliant du gros matou. Alors que Timo, arrivait dans la chambre, Léonard était déjà entrain de frotter la démangeaisons imaginaire. “Colle la porte” lui lança-t-il. Timothy se retourna et regarda Léo les yeux rond “ Quoi ?! mais on va pas coller la porte, on va être obligé de la défo…” il fut coupé par Léonard “Je ne veux pas qu’il nous trouve ici.” Grattant de plus en plus. “ Mais si tu veux je peux rentrer chez moi”. Du sang commençait à couvrir les doigts de Léonard. “Non !! Colle cette putain de porte merde.” “Ok ok ok, viens là” dit Timothy en prenant Léo dans les bras. “calme toi déjà, regarde, on va déplacer l’armoire devant la porte, comme quand il vivait ici, ok ?! et on va aller dormir tranquillement on verra demain.”
Léonard n’avait pas beaucoup dormis, a dire vrai, il n’avait pas dormis du tout. Blotti contre son compagnon, il avait recasser mille raison de la venue de son frère. Aucune lui avait paru cohérente, logique. Damocles n’était pas du genre à s’excuser, Damocles n’était pas du genre à pardonner, Damocles n’était pas du genre à discuter désormais. La présence de Tim le rassura une partie de la nuit avant de l'étouffer, il alla sur le balcon, fumer une cigarette, puis deux, puis trois, le paquet y passa. Quand le soleil pointa son nez, il alla dans le salon. Et s’asseya sur la table basse en tailleur observant son frère, il avait l’air si apaisé, il le fixa longtemps, les minutes s’étaient étirés en heure. Le petit chaton qui respirait calmement dans le creux de son cou rassuré. Léonard songea un instant, un pincement au coeur, que lui aussi avait un jour été le petit chaton protégé par le puissant Damocles. Cette pensa lui resserra un peu plus le coeur.
Il entreprit de préparer du café pour tout le monde, laissant les autres se réveiller. Timothy fut le second à être réveillé. Après avoir bu une tasse de café, il alla prendre une douche. L’horloge venait d’indiquer midi juste passé, pas de signe de Nia, peut-être qu’elle était partie avant que Léonard ne sorte de la chambre, peut-être dormait-elle encore. Damocles émerge, dans l’embrasure de la porte de la cuisine Léonard, l’observait s’agiter. Il devait probablement chercher ses chaussures, Léonard les avait mis au soleil pour qu’elles sèchent naturellement afin de ne pas abîmer le cuir avec la magie. Quand le regard de Léonard croisa celui de Damocles, le plus jeunes de deux lui lança “Bien dormis ?” sans vraiment écouter la réponse de son frère, il lui lança un sourir timide et rajouta en pinçant du nez “Je t’ai mis des vêtements propres que tu avais laissé ici sur le fauteuil.” C’est à cet instant que la porte s’ouvrit pour le plus grand soulagement de Léo.
La chaleur de la tasse te brûle presque les doigts. Pourtant, les picotements que tu peux ressentir ne sont rien à côté du réconfort qu'apporte l’odeur de la tisane, bien trop chaude encore pour pouvoir la boire. Tant pis. Tu patienteras. Tu abandonnes ta boisson pour une cigarette. Elle au moins, tu pourras la consommer sans avoir besoin d’attendre. Tu roules la feuille en un cylindre avec dextérité, emprisonnant le tabac en son centre. Mais tu n’as pas le temps de l’allumer que Timothy te la dérobe déjà. Accompagné de son regard réprobateur, il l’écrase sans ménagement. Il déteste vous voir fumer, Léonard et toi. Il ne manque, d’ailleurs, pas une occasion pour vous le faire savoir et pour vous empêcher d’empoisonner vos poumons. Par Erzulie que ce comportement t’agace. « T’es vraiment qu’un con Tim ! » Pestes-tu. Ses épaules se haussent. Il se moque bien de ce que tu peux penser sur ce sujet. La réciproque est vraie aussi. Il est juste comme ça le jeune Miller. Il cherche à te protéger de cette addiction qui pourrait bien venir à bout de toi.Tu ne le sais que trop et ne peux pas vraiment lui en vouloir pour ça. Il en est conscient. Il en joue ce fourbe. « C’est pour ça que tu m’aimes tant. » Affirme-t-il alors que tu ne l’écoute déjà plus, trop occupée à rouler une seconde cigarette. Timothy aussi détourne son attention de toi pour se focaliser sur Léonard, son énorme chat et surtout sur cette tarte, dont tu peux sentir l’odeur alléchante depuis le canapé.
Le vent froid de ce mois de Février vient t'arracher un frisson. La fenêtre n'est ouverte que de quelques petits centimètres pourtant. Juste assez pour laisser s'échapper la fumée qui s'échappe d'entre tes lèvres. Dehors, il fait nuit noire. La rue est quasiment déserte. Elle n’est éclairée que grâce à quelques lampadaires te permettant ainsi de distinguer quelques silhouettes. Tu les observes comme si elles étaient intéressantes. Tu observes leurs démarches. Tu rêvasses, leur inventes une vie, devines leurs relations. Mais rapidement, tu te lasses de ce petit jeu finalement trop insignifiant. Ton regard délaisse le paysage morne qu’offre l'extérieur. D’un geste las, tu viens écraser ton mégot dans le cendrier. Passant par la table basse, tu récupères la tisane, nettement plus froide, et t’éclipses dans ton nid douillet. Ton petit espace personnel. Ta chambre.
Haute sur son perchoir, Noctis dort déjà. Pourtant, tu ne peux t’empêcher d’aller l’embêter un peu, venant caressant sa petite tête. Peu importe ce que peut dire ton colocataire, ton mainate est adorable. Même quand elle se secoue, bat des ailes et piaille de mécontentement. « Chut chut Noctis ! J’ai très peu envie que Léonard te fasse rôtir. » Ou bien qu’il la donne en pâture à Serge, son imposant maine coon. Dans tous les cas, le dénouement ne sera pas bien glorieux. Autant éviter la catastrophe et laisser l’oiseau retourner au pays des songes pour piafs. Et toi, tu rejoindras bientôt les bras de Morphée. Du moins quand tu auras fini ta boisson chaude ainsi que le chapitre du livre que tu es en train de lire. "De la métamorphose à l'amour." écrit par E. G. Changé. On te l'a recommandé. On t'a assuré qu'il était génial. Mais tu n'aimes pas ces écrits. Tu t'ennuies devant la longueur des phrases et la lourdeur des mots. Tu persévères dans ta lecture simplement pour connaître la fin, pour ne pas abandonner en cours de route. Mais diantre que c'est un navet. Ou bien est-ce seulement ta vision biaisée des choses, de l'amour surtout, qui vient altérer ton jugement. Peu importe. Ce bouquin est nul.
Si peu intéressant que tu t'es endormie en plein milieu de ton fameux chapitre, la lumière de ta lampe de chevet toujours allumée. Mais voilà qu'un brouhaha vient te voler ton sommeil. Tu te réveilles dans un sursaut, presque paniquée. Ce n'est sans doute que Léonard et Timothy. Ils ne vivent pas seuls ici ! Ils pourraient faire attention au bruit. Un minimum du moins. Tu ouvres la porte sur un salon quelque peu en pagaille. Sur des colocataires ébaubis et un étranger fortement alcoolisé. Bien que réduit par la fatigue, tes yeux s'écarquillèrent. Que se passait-il ici ? « C'est quoi ce bordel ? » Demandes-tu calmement, quoiqu'une pointe d'agacement de fait légèrement entendre dans ta voix. Ils t'ont réveillée après tout. Qu'ils ne s'attendent pas à te voir de bonne humeur. Les épaules de Timothy de haussent alors qu'il te fait signe d'approcher. « Je sais pas. J'étais là, à préparer ma journée de demain, parce que monsieur a voulu faire une partie d'échec, quand son charmant frère s'est pointé. » Tes sourcils se froncent. C'est à ne plus rien y comprendre. L'aîné Slughorn est un sujet tabou dans cet appartement. D'aussi loin que tu te souviennes, tu ne crois pas en avoir déjà parlé avec Léonard directement. Luke, en revanche, a déjà évoqué le sujet de son vivant. Parce qu'il était aussi commère que toi ton mari. Pourtant bien plus hypocrite.
Les esprits s'échauffent entre tes deux amis. Ce qu'ils peuvent être pénibles quand ils le veulent. Se prendre ainsi la tête pour des broutilles n'a aucun sens. Peu importe comment Damocles est entré, il est là maintenant et il va falloir composer avec. « Hé oh. C'est pas vraiment le moment de vous engueuler là. On va plutôt gérer ça comme des adultes et discuter dans la cuisine. Ramenez-vous. » Lances-tu aux deux hommes pour les calmer un peu. Le moment est vraiment mal choisi pour se chamailler. Tim te donne raison et c'est bien normal. Derrière lui, Léonard baragouine quelque chose que tu ne comprends pas. Ou bien à laquelle tu ne prête pas assez attention pour pouvoir la comprendre. C'est juste Léo faisant son Léo après tout. La vue de cette pauvre tarte à la citrouille si injustement massacrée ta tire une moue déconfite. C'est que toi aussi, tu l'attendais avec impatience ce foutu dessert. Pourtant, cela ne t'empêche pas de rire à la réplique de Miller face à l'interrogation de son conjoint. Rire qui ne passe vraisemblablement pas très bien auprès du guérisseur puisqu'il rétorque tout de suite quelque chose concernant ta poupée.
Ce qu'il appelle une poupée n'en est pas une. C'est un fétiche. Une statuette à l'effigie d'un Lwa que vous pouvez prier et honorer. Ici, Damballa, esprit de la bonté et de la connaissance, représentant des principes du bien quoi que cela veuille dire. Tu as essayé de l'éduquer à ce sujet. Mais Léonard s'est montré particulièrement hermétique et sceptique face aux explications de ta religion. Et comme tu n'es pas là pour jouer au professeure, tu as bien vite arrêter de parler de ton culte avec lui. Ce n'est qu'après t'être bruyamment offusquée que tu pars à la recherche de ton fameux totem. Fait de bois, il n'a manifestement pas résisté au choc du mur puisqu'il est complètement brisé. Si la situation avait été tout autre. Si cet homme n'était pas le frère de ton colocataire. Tu te serais fait un plaisir de lui lancer un envoûtement ou deux à cet idiot.
Balançant les morceaux de bois sur la table avec dépit, te voilà de retour dans la cuisine où semble se tenir un conseil de guerre. Enfin, un conseil de guerre mais pour une seule personne. Léonard. Ce dernier en vient à demander un plan. « Attends. C'est pas mon frère. C'est pas mon problème. » Affirmation soutenue par Timothy mais que son conjoint ne semble pas accepter. Si vraiment tu avais eu envie de jouer les bonnes soeurs, tu serais retournée dans ta tribu, là où vivent tes frères, soeurs et autres cousins et cousines. T'occuper d'un homme bourré de dix ans ton aîné ne fait pas tellement partie de tes projets. Et puis le jeune Slughorn propose une solution totalement farfelue. Totalement irréalisable aussi. « Avec quelle poudre ? » L'interroges-tu. « Celle que tu as oublié de racheter il y a une semaine ? Non, je croyais que tu voulais apaiser les tensions. Pas créer une guerre. » Renchérit son amant. Sans grand étonnement, l'un n'est pas réellement satisfait de cette décision. Damocles terminera sa nuit sur le canapé. Et personne n'aura le droit de se défiler et de quitter l'appartement tant que le brigadier y sera encore présent. Comme si tu allais respecter les ordres de Monsieur Léonard Slughorn. Absolument pas. Il fuit la cuisine et tu en profites pour l'imiter, rejoignant à nouveau ta chambre et ramassant ton livre sur l'envoûtement au passage. Pauvre Timothy, laissé à l'abandon au milieu de cette cuisine. Et surtout. Surtout devant cette pauvre petite tarte maintenant immangeable.
Au petit matin, alors que le soleil n'avait pas encore fait briller ses premiers rayons, tu t'es levée. Une heure bien trop tôt pour toi mais si tu peux contourner le drame familial de ton colocataire c'est tout ce qui importe. C'est avec le ventre vide et Noctis sur l'épaule que tu quittes l'appartement le plus silencieusement possible. À chaque grincement du parquet, ton coeur rate presque un battement. Si Léonard t'attrape en train de partir en douce, s'en sera fini de toi. Mais rien ne se passe et tu arrives sans encombres jusqu'à l'allée des embrumes. Il est si tôt encore que rien n'est ouvert. Tu ne peux même pas te plaindre à ton cher ami Rhys puisqu'il n'est pas là. Le petit ogre est fermé. Tant pis, tu passeras chercher ton café quotidien plus tard. Tes horaires sont flexibles. Tu te moques d'ouvrir plus tard et de fermer plus tôt. Ou l'inverse dans ce cas ci. Contre toute attente, tu as un client. Un vieil homme rabougri aux cheveux noirs corbeaux. Ses petits yeux bleus globuleux se posent sur chacune des étagères avec un intérêt incertain. Et lorsque tu oses lui proposer de l'aide, il s'exclame qu'il n'est pas un bon à rien et qu'il peut bien se débrouiller seul. Soit. C'est au bout de plus de vingt minutes d'aller retour entre les étagères qu'il se décide enfin à ne rien prendre et quitte ton magasin sans même te dire au revoir. Décidément, ces sorciers anglais sont spéciaux. Trop parfois.
C'est avec une bien trop grande lenteur qu'est passée la matinée. À dix heures, tu baillais déjà à t'en décrocher la mâchoire tant ta fatigue était grande. La perspective d'une petite sieste est alors née dans ton esprit. Oui, c'est ce que tu vas faire. Fermer plus tôt. Rentrer manger. Dormir pour récupérer les heures de sommeil que l'on t'a volées. Et puis, Léonard a déjà dû mettre son frère à la porte vu comme le soleil est haut dans le ciel. Aucun risque pour toi de te retrouver piégée entre ces deux là. Si seulement cela pouvait être le cas. Si seulement tu n'avais pas décidé de faire une sieste. Tes épaules s'affaissent en voyant que Damocles est toujours là. Misère de misère, te voilà dans de beaux draps. Tu te délestes de ton manteau trempé et de tes chaussures boueuses dans l'entrée, choisissant délibérément d'ignorer les deux frères. Au pire, Timothy est là non ? Comme c'est étrange, tu es persuadée d'avoir quelque chose à faire avec lui loin, très loin de cet appartement et de ce foutoir. Mais tu n'es pas invisible Nia. Et pour aller jusque dans ta chambre, tu es obligée de passer entre eux deux. Avec un peu de chance, le benjamin ne t'interpellera pas et tu pourras rester tranquille avec ton oiseau. Doux rêve et douce naïveté qui t'accablent. Ça ne coûte rien d'espérer. Espérer que l'on te laisse hors de ces problèmes qui ne te regardent en aucun cas et dont tu te fous pas mal. Utopie bien sûr. Mais tu tentes ta chance. Adresses un sourire crispé à l'un, puis à l'autre, en guise de salutation. Puis tu pénètres dans ta chambre. Dans ton cocon. Ton mainate quitte ton épaule pour son perchoir, parce qu'elle ne sait faire sur cela. Tandis que toi, tu refermes la porte derrière ton passage, priant presque pour ne pas entendre ton prénom sortir de la bouche de Léonard.
Un frisson lui parcourt le corps, l’arrachant brutalement à sa léthargie. A ses tempe, le sang bat si violemment qu’il a l’impression de l’entendre, et chaque pulsation lui frappe le front avec tant de force que pendant plusieurs minutes, il ne parvient pas même à ouvrir les paupières. Avec un juron silencieux, il tente d’ignorer le martel qui travaille joyeusement derrière ses yeux clos pour se rendormir et fuir cette réalité bien trop agressive. Dans son rêve, il suivait un petit chat qui lui avait apporté une lettre énigmatique et qu’il finissait par perdre de vue au détour d’un chemin poussiéreux bordé d’arbres. Il le retrouvait allongé sous un banc familier qu’il avait du mal à replacer, mais qui lui faisait penser à une partie d’échecs. Impossible de trouver un sens à ces images, pourtant il se sentait étrangement réconforté, jusqu’à ce qu’il se réveille.
Il a froid, très froid, partout en dehors d’une petite boule de chaleur vrombissante à la base du cou. Quand il parvient finalement à ouvrir les yeux, il ne voit qu’une clarté éblouissante, un blanc éclatant qu’il contemple pendant plusieurs secondes sans bouger, tentant de préciser son regard. Puis il comprend qu’il fixe un plafond inconnu, qu’il est allongé sur quelque chose d’inconnu et qu’il n’est pas chez lui. Une vague de panique le submerge, les questions se bousculent dans son esprit, s’entrechoquant sans qu’il réussisse à se focaliser pour en choisir une. Il ferme à nouveau les paupières et pose son bras sur ses yeux pour ignorer la luminosité et se concentrer. Ses doigts effleurent quelque chose de doux, si doux et des bribes de souvenirs lui reviennent. Il a ramassé le petit chaton, puis il a croisé Aedrian, qu’il n’avait pas vu depuis quinze ans. Ils sont allés boire un coup, plusieurs même, il revoit les verres de whisky pur-feu se vider les uns après les autres et s’accumuler sur la table. Puis, le noir total. Un trou, un gouffre dans sa mémoire jusqu’à ce plafond blanc. Avec une grimace, il réfléchit. Où a-t-il bien pu atterrir ? Chez Aedrian ? Non, Aedrian est à Poudlard, il lui a dit. Chez une fille ? Il espère que non, accompagner une fille pour finir sur le canapé a quelque chose de plutôt triste.
Il ouvre a nouveau les yeux, plus doucement cette fois pour s’habituer à la lumière avant de se redresser avec difficulté et de s’asseoir sur le canapé avec un grognement de douleur. Son regard se pose sur la cheminée et le mur en briques qui lui fait face et son coeur rate un battement. Il connait cet endroit, il y a habité pendant des années avant de le quitter précipitamment, sur un coup de tête. Il enfouit son visage dans ses mains, les coudes posés sur les genoux et cesse de bouger pendant un moment. Sa promenade enivrée l’a donc mené jusqu’à l’endroit où il a certainement le moins envie d’être, à part peut-être le manoir de ses parents. Son ancien appartement, celui qu’il avait occupé après avoir fui le domicile familial, et où Léonard avait fini par le rejoindre quelques années plus tard. Pourquoi ? Pourquoi son inconscient aviné avait-il décidé de l’emmener ici particulièrement ? Quelle était la logique de jugement qui avait l’avait conduit à penser que venir ici était une bonne idée ? Est-ce que Léonard habite même toujours ici ? Ou s’est-il introduit chez des inconnus ? Il regarde sa montre et l’heure affichée le désespère. Midi bien passé, combien de temps a-t-il dormi sur ce canapé, et combien de temps avant que la maisonnée ne se réveille ? Une odeur de café agréable flotte dans l’air, mais en dehors de cela, il n’y a aucun bruit dans l’appartement. A côté de lui, le petit chaton tacheté se lèche maladroitement la patte et Damocles lui caresse la tête, reconnaissant. Cette petite boule de poils l’a donc bel et bien élu, et après l’avoir suivi toute la journée de la veille, a décidé de rester collé à ses basques, même dans ses aventures alcoolisées, a veillé sur lui cette nuit agitée. Quel étrange petit animal.
Il remarque finalement le canapé sur lequel il est assis et touche le cuir un peu vieilli et familier sur lequel le chaton fait ses minuscules griffes. Ce canapé est le même, Léonard habite donc toujours ici. Il sent le soulagement l’envahir, en même temps que le désarroi. Même s’il préfère ça à tomber face à face avec des occupants inconnus, la perspective de croiser Léonard lui est particulièrement déplaisante. Il a envie de crier sa frustration, mais il n’a pas de temps à perdre. Il doit filer d’ici avant que quelqu’un ne le remarque. Ignorant houle nauséeuse qui monte en lui et les salves de migraines qui s’abattent sur son front, il se lève avec un équilibre incertain. Voir cette pièce familière lui réveille en lui des sentiments contradictoires, entre nostalgie et contrariété. Les couleurs des murs sont les même, la décoration n’a pas changé, de nouveaux objets se sont juste rajoutés à ceux qu’il connaît déjà. La table basse a changé, mais le canapé est le même. Mais il se désintéresse rapidement de l’habillage de la pièce pour établir un plan d’action dont l’objectif est simple : disparaître le plus vite possible en ne laissant rien derrière lui pour ne pas avoir à revenir. Damocles cherche des yeux des chaussures et les aperçoit rapidement près de la fenêtre, sèches malgré son escapade dans les rues londoniennes et pluvieuses. Il s’en empare et hésite une seconde, avant de finalement les jeter sur le canapé, à côté du petit chat dont les yeux bleus et ronds suivent son manège avec intérêt. Il veut rester le plus silencieux possible. Avec un soupir désabusé, il récupère sa cape qui gît sur le sol, froissée et encore humide, avant de la jeter sur son épaule. En temps normal, il porte toujours un soin particulier à ses affaires, alors pour avoir si négligemment jeté sa cape trempée sur le sol, il devait vraiment avoir été dans un état désastreux. Tentant de réprimer l’écoeurement qui lui monte aux lèvres et d’ignorer son mal de tête, il coince ses chaussures sous son bras et ramasse le chaton avant de se diriger vers la cheminée. Dans quelques secondes, tout sera terminé, il sera chez lui et s’enverra dans les bras de Morphée avec l’aide d’une petite potion de sommeil pour récupérer et se réveillera dans plusieurs heures en ayant la certitude d’avoir laissé derrière lui cette fâcheuse aventure dont il ne parlera à personne. Il soulève le couvercle du petit pot qui traîne sur la cheminée et réprime un juron. Pas de trace de la fine poudre verte qui aurait dû s’y trouver. Damocles lève les yeux aux ciels, les mauvais souvenirs refaisant surface. Léonard n’avait jamais pu s’astreindre à penser à refaire les réserves de poudre de cheminette lorsqu’ils habitaient ensemble, et manifestement il n’en est pas plus capable aujourd’hui. Tant pis, il devra transplaner. Ce n’est pas la solution la plus brillante lorsqu’on a l’estomac déjà retourné, le coeur au bord des lèvres et une puissante migraine, mais le temps file, et il est incapable de penser à une meilleure idée. Sa main se dirige instinctivement vers sa poche, mais au lieu de rencontrer le bois de sa baguette, ses doigts ne touchent que le tissu et son coeur rate un battement. Il laisse tomber le chat et ses chaussures sur le canapé pour fouiller sa cape, affolé. Non seulement il ne trouve pas sa baguette, mais de nombreux autres objets manquent également, à commencer par son couteau. Pour la seconde fois, il a envie de hurler, mais se contente de jurer à répétition sans bruit. Comment avait-il pu se mettre dans une situation pareille ? Qu’est-ce qui avait bien pu lui passer par la tête au moment de s’enfiler tous ces verres ? Et à quel moment avait-il bien pu se dire qu’aller chez Léonard était une bonne idée ? Il continue de fouiller, ses poches et constate qu’il lui manque également son carnet. Il en oublie sa migraine et sa nausée, pris par l’angoisse. Sur ce carnet, il note parfois ce qui lui passe par la tête, mais de nombreuses pages sont également couvertes de notes concernant son travail, des noms, des détails, tout cela confidentiel. S’il l’a véritablement perdu, il va au delà de gros ennuis. Il se baisse, fouillant les replis du canapé à la recherche de sa baguette. Elle a probablement roulé lorsqu’il dormait, et s’il peut la retrouver, il pourra récupérer le reste de ses affaires. Mais il n’y a pas de trace du précieux objet derrière les coussins. Il se prend la tête à deux mains en se relevant et regarde autour de lui, paniqué, avant de croiser le regard de son frère.
Il se fige, ne pouvant détacher les yeux de ceux de Léonard et baisse les bras, le coeur battant. La surprise s’efface rapidement pour laisser la place à la colère. Combien de temps Léonard l’a-t-il regardé ainsi s’agiter dans la pièce ? Pourquoi n’a-t-il rien dit, pourquoi n’a-t-il pas manifesté sa présence un peu plus tôt ? Quel plaisir malsain pouvait-il bien retirer de cette contemplation ? Damocles ne répond pas à sa question. Il ne veut pas parler à Léonard, il ne veut rien avoir à faire avec lui. La situation est déjà assez désagréable comme ça, entre la gueule de bois carabinée qui s’annonce et l’embarras de ses actions. Pourtant, le sourire qui s’affiche sur le visage de son cadet n’est pas moqueur, ni agressif et c’est avec une certaine douceur qu’il lui désigne le fauteuil où des vêtements sont posés. Damocles ne répond pas tout de suite, légèrement perturbé par la prévenance dont fait preuve son frère. Il s’attendait à des reproches, des insultes peut-être, des cris sûrement. Il imaginait une scène comme celle qui s’était déroulée quelques semaines plus tôt au sein des murs de Sainte-Mangouste. Mais il ne sait pas comment réagir face à cette sollicitude inattendue. Déstabilisé, il se dirige vers le fauteuil et observe les vêtements qui s’y trouvent. Cette chemise, ce pull, il les avait laissés dans l’appartement des années plus tôt, alors qu’il partait précipitamment, aveuglé par la colère et le chagrin, le coeur fermé par la trahison dont il avait été victime. Il n’avait emporté qu’une partie de ce qu’il possédait, laissant sans regret le reste, indifférent au sort que réserverait Léonard à ses affaires. Si on lui avait posé la question, il aurait probablement répondu que Léonard avait dû s’en débarrasser depuis longtemps. C’est ce que lui aurait fait s’il avait été dans cette situation. Pourtant, il se serait trompé. Tout ce temps, Léonard a gardé ses affaires. Il lève les yeux vers son frère. Il veut parler, mais il a la bouche pâteuse. Il se racle la gorge et tousse, avant de s’adresser à Léonard d’une voix éraillée. « Tu les as gardés ? » Curieux esprit que celui de Léonard. Tout ce temps, Damocles avait disparu de sa vie, effaçant minutieusement tout ce qui le rattachait à sa famille, et pourtant son frère n’avait jamais voulu le laisser partir complètement. Damocles hausse les épaules. Peu importe.
La porte s’ouvre soudainement et Damocles tourne la tête. La nouvelle arrivante ne ressemble à rien de ce à qui il pouvait s’attendre. Avec sa peau mate, ses cheveux tressés et son oiseau sur l’épaule, elle est à des années lumières du tableau que peuvent offrir les sorciers anglais. A quoi joue Léonard ? Si Anthénia Slughorn avait vent de cela, elle en mourrait probablement d’indignation, sans parler de leur père. Damocles la fixe, étonné, mais elle se contente de lui adresser un sourire tendu qu’il tente de lui rendre, soulagé qu’elle ne pose pas de questions, avant de la regarder traverser la pièce d’un air assuré et disparaître derrière la porte de la chambre qu’il avait un jour occupée. Une colocataire, donc. Ce qui explique la multitude d’objets exotiques qui traînent un peu partout. Damocles regarde de nouveau Léonard, prêt à dire quelque chose, mais à nouveau, une porte s’ouvre et cette fois, c’est un homme qui apparaît. Mais combien sont-ils donc à vivre ici ? Déjà qu’à deux ils se sentaient bien trop souvent en manque de place, Damocles a du mal à s’imaginer trois personnes partageant l’espace. Et il n’y a que deux chambres. L’individu jette un regard à Léonard avant de regarder Damocles et de s’avancer brusquement vers lui, main tendue et un sourire gêné aux lèvres. « Bonjour, vous êtes le frère de Léonard, c’est ça ? On s’est croisés hier soir. Timothy Miller. » Damocles fronce les sourcils en regardant la main que lui tend Timothy. Miller, il connaît ce nom et un frisson d’horreur le parcourt. Si c’est un proche de Carol-Ann, la commère de la Brigade, il a intérêt à faire attention. Il n’a aucune envie que cette histoire devienne l’un des sujets de discussion des prochaines semaines. Il finit par serrer prudemment la main de l’individu, sans lui répondre et le dévisage. Et soudain, les connexions se font. La société des sorciers de sang-pur est restreinte, et malgré le détachement que Damocles tente de préserver vis à vis de ce milieu, les rumeurs arrivent régulièrement jusqu’à ses oreilles, que ce soit pas des amis, des bruits de couloirs où de la bouches de personnes pensant -à tort- que cela peut l’intéresser. Quand il avait commencé à entendre le nom de son frère, il s’était immédiatement fermé à tout type de discussion. Léonard ne faisait plus partie de sa vie, il n’avait pas envie d’en savoir plus, il ne voulait pas s’y intéresser et il avait menacé de jeter un sort à tous ceux qui voudraient s’immiscer dans sa vie privée et qui tentaient de l’intégrer à ces histoires. Alors les gens avaient cessé de parler, en sa présence tout du moins. Malgré tout, il avait continué à percevoir à droite et à gauche certaines volutes de rumeurs. Et en voyant ce Timothy Miller adresser un regard incertain à Léonard avant de se dépêcher de s’éloigner pour attaquer la vaisselle, Damocles laisse échapper un rire narquois. Il est prêt à parier que quand Horace et son père apprendront qu’il n’est plus utile d’espérer obtenir un beau petit héritier de sang-pur de la part de Léonard, ils se montreront tout à coup bien plus conciliant avec lui. Ou peut-être qu’ils décideront d’interdire à Léonard de vivre sa vie comme il l’entend comme ils l’ont fait avec lui, et qu’à ce moment là, peut-être, cet abruti de frère pourra comprendre. Et lorsqu’il viendrait voir Damocles pour lui demander son soutien, peut-être qu’il se heurtera à son tour à un haussement d’épaule et à une grimace désolée.
Une bouffée de colère nauséeuse l’envahit à nouveau et il ferme les yeux en respirant par le nez pour la faire passer. Lorsqu’il rouvre les yeux, le petit chat se frotte à ses jambes, montant sur ses pieds et griffant le bas de son pantalon. Il n’a qu’une envie, c’est de ramasser ce chat et de quitter les lieux le plus rapidement. Mais il doit d’abord récupérer sa baguette. Son mal de coeur augmente et il frotte ses yeux fatigués. Il n’arrive même plus à penser correctement. De son pied, il écarte doucement le chat avant de montrer du doigt la porte de la chambre de Léonard. « J’arrive pas à penser, je vais prendre une douche. Si tu trouves une baguette, c’est la mienne. » Sans attendre l’autorisation de son frère, il se dirige vers la pièce et s’enferme dans la salle de bain, fermant la porte au nez du chaton qui encore une fois l’avait suivi. Cet animal est bien trop collant, ça ne pourra pas continuer comme ça. Mais il n’y connait rien en chats, il n’a aucune idée de ce qu’il doit faire. Il ne sait même pas si l’attitude de ce chaton est normale. Il s’en occupera plus tard.
En voyant son visage dans le miroir, il a un mouvement de recul. S’il était un étranger qu’il croisait dans la rue, il changerait probablement de trottoir pour ne pas passer trop près. Outre ses cheveux en bataille et ses yeux rougis et soulignés de cernes foncées, une bosse ornée d’un hématome tirant sur le violet lui est apparue sur la droite du front. Il pousse un soupir avant de se débarrasser de ses vêtements avec une grimace de douleur. Son genou est également bleui, et il a l’impression d’avoir le corps entièrement courbaturé. Qu’a-t-il bien pu fabriquer la veille ? Est-ce qu’il s’est battu ? Ou simplement cogné dans tous les murs qu’il a croisés ? Question qui restera sans réponses. L’eau brûlante lui fait du bien et il reste un moment sans bouger, appuyé contre le mur de la douche, savourant la chaleur qui lui coule dessus. La situation lui semble sans issue. Il ne peut pas rester éternellement sans adresser un mot et un regard à Léonard dans son propre appartement. Il n’est pas obligé d’être poli avec son frère -ils ne l’avaient jamais vraiment été l’un envers l’autre, de toutes façons-, mais Léonard avait fait des efforts. Il aurait pu le mettre dehors, l’abandonner dans le froid et la neige -Damocles est prêt à parier que l’idée lui a tout de même traversé l’esprit-, et pourtant, il ne l’a pas fait. Tant qu’il n’aura pas retrouvé sa baguette, il sera obligé de se montrer un minimum courtois.
En sortant de la douche, Damocles se sent bien mieux. Si la migraine continue de pulser à ses tempes, elle est moins forte, et la nausée a quant à elle pratiquement disparue. Il enfile rapidement les vêtements que Léonard lui a fait passer avant de sortir de la salle de bain, cheveux humides et visage apaisé. En ouvrant la porte, il découvre le chaton roulé en boule sur le sol qui lève vers lui ses yeux ronds et il pousse un soupir avant de le ramasser. Alors qu’il s’apprête à retourner dans la pièce principale, il s’arrête. Après tout, maintenant qu’il est là, il peut peut-être essayer d’en apprendre un peu plus sur la vie de Léonard. Il fait le tour de la pièce silencieusement. Sur le lit, un chat gigantesque le fixe du regard et Damocles fait la grimace. Quelle idée d’avoir un monstre pareil chez soi. Pourvu que son chat ne grandisse pas trop. L’idée même de partager son espace avec une créature comme celle qui perd ses poils sur l’édredon de Léonard le fait frissonner. Il contourne le lit et fouille dans la table de nuit, dans les tiroirs qu’il trouve, sans rien trouver d’intéressant. La vie de Léonard a l’air terriblement banale. Il regarde les objets qui trônent, déçu. Des clés, une plume, une pile de lettres, et s’il ne pousse pas le vice jusqu’à aller lire leur contenu, il jette un oeil curieux sur l’expéditeur. Il extrait une cigarette d’un paquet froissé qui traîne sur la table et la cale au coin de ses lèvres, cherchant des yeux de quoi l’allumer. Cela fait des années qu’il n’a pas fumé régulièrement, mais il ne sait pas pourquoi, voir la tête de Léonard, ça lui donne envie. Sans trouver ce qu’il cherche il fourre le paquet dans sa poche et finit par laisser tomber et repasser dans le salon.
Alors qu’il sort, un éclat attire son regard et une vague de soulagement l’envahit. Sur la table qui fait face à l’entrée, droit dans son champ de vision, sa baguette, son couteau et son carnet attendent sagement, entourés d’une quantité d’autres objets qu’il reconnait. Il remercie silencieusement Rowena de lui avoir permis de garder un minimum d’esprit, même dans son ivresse et traverse la pièce sans un regard pour ses occupants pour récupérer ses affaires. Sous son bras, le petit chat lance des miaulements de plus en plus forts et Damocles le regarde en fronçant les sourcils. Qu’est-ce qu’il a, ce chat ? Le silencio lui démange la langue, mais il se rend soudain compte que depuis qu’il a trouvé l’animal, il ne l’a pas vu manger quoi que ce soit. Il fait la moue, ennuyé. Il comptait lancer un au revoir à la ronde et disparaître avant que qui que ce soit ait le temps d’intervenir, mais il n’a rien pour le chat chez lui. Un instant, il envisage de le laisser ici. Après tout, Léonard a déjà un chat, il saura s’occuper de celui là bien mieux que lui. Lui il n’en veut pas, le chaton sera plus heureux là, avec un ami. Aedrian le tuerait. Il lance un regard de reproche au chaton qui miaule en retour et se dirige vers la cuisine.
Léonard est là, lui tournant le dos, occupé à préparer quelque chose, en pleine discussion avec la jeune femme de tout à l’heure. Lorsque Damocles croise les yeux de la fille, le silence se fait, ne laissant aucun doute sur le sujet de la conversation. Décidant de jouer la carte de l’indifférence, Damocles s’avance et pose le chaton sur la table. « Merci pour les vêtements. J’imagine que tu ne voudras pas les récupérer après. » Il n’a de toute façon pas l’intention de remettre les pieds ici ou de recontacter Léonard dans le futur. Le voir deux fois en deux semaines, c’est déjà largement plus que ce qu’il ne peut endurer. Damocles fait le tour de la table, aussi à l’aise dans cette cuisine que s’il était chez lui. Après tout, il a vécu ici assez longtemps pour pouvoir se le permettre. Et il sait que cela agace son frère. Arrivé près du café, il agite sa baguette pour faire venir une tasse à lui et la remplir. Le liquide est froid dans la tasse et il pointe sa baguette dessus pour le réchauffer avant d’aller s’asseoir à la table calmement. Il n’aurait jamais imaginé de trouver un jour à nouveau dans cette pièce, assis à cette table à regarder Léonard tenter encore une de ses expériences culinaires. D’un coup de baguette, il allume la cigarette dérobée et aspire une bouffée avant de souffler la fumée vers le plafond pour ne pas gêner le chat. La situation a un désagréable goût de déjà-vu, en dehors du chaton qui tourne en rond sur la table et de la jeune femme présente. Elle n’a pas dit un mot depuis qu’il est entré dans la pièce, d’ailleurs, se contentant de regarder ailleurs d’un air faussement détaché. Damocles se redresse et prend une gorgée de café. Le liquide chaud coule dans sa gorge, revigorant. « Je peux avoir du lait ? Pas pour moi, pour le chat. Ou autre chose, mais faut qu’il mange un truc. » Hors de question qu’il parle de la nuit, hors de question qu’il interroge sur les événements. Décidé à faire comme si de rien n’était, il fixe l’un après l’autre son frère et la jeune femme, sourcils froncés. Ils ne vont quand même pas laisser un petit chaton mourir de faim, ces monstres, si ?
Pendant quelques secondes Léonard resta figé sur Nia, bien qu’il se soit levé avant que le soleil ne commence sa course à l’horizon, la chipie avait réussi à se faufiler hors des murs de cet appartement, de surcroît avec son oiseau de malheur probablement posé sur son épaule tel une pirate des contes pour enfants, et qui passait, habituellement, son temps à croasser tel un corbeau à la vue d’un festin, sans que personne ne remarque l’absence de la maîtresse et de son animal. En dehors du contexte qui régnait dans l’appartement londonien, il aurait pu rire de cette histoire, rire du soin que Nia avait pris pour sortir de cet appartement sans prendre le risque de voir sa demeure se transformer en zone de combat. L’angoisse qui était montée en lui avait peu à peu disparut aux fils des heures, bien que toujours présentes, il regrettait un peu d’avoir voulu imposer aux deux autres le caractère hirsut de son frère. Il laissa passer la jeune femme en se demandant si il ne devrait pas, à un moment ou l’autre, s’excuser auprès d’elle d’avoir voulu la séquestrer dans son propre appartement, bien qu’au fond de lui, il était prêt à tout pour ne pas avoir à se retrouver seul face à son frère. A peine avait-il songé à s’excuser auprès de Nia, qu’il avait balayé cette idée d’un mouvement de tête, s’excuser était trop d’implication pour Léonard, s’excuser était un signe de faiblesse, un signe d’attachement, voire même d’attention. Et le simple fait d’y avoir songé démontrait qu’il tenait beaucoup à elle, cependant Timothy avait dû attendre 10 ans avant d’entendre un « je suis désolé » sincère, Nia n’y aurait probablement pas le droit avant 7 et 9 mois.
Lorsque Nia referma la porte de sa chambre, Léonard s’était rassis sur le rebord de l’évier portant sa tasse sur le bord de ses lèvres, laissant ainsi le saint-liquide amer se glisser entre ses lèvres, il ne pu s’empêcher de faire une grimace, ce n’était pas assez sucré, à dire vrai, si il avait eu du lait il aurait pris un thé noir, mais il n’y avait plus de thé noir non plus, c’était pourtant bien écrit sur le liste de course que Nia et Timothy lui avait donnés, juste inscrit en-dessous de la poudre de cheminée. Son regard se posa sur la table, faute d’avoir quelque chose à dire d’intéressant, il admirait, déconfit, la tarte qui avait été écrasée presque démolie la veille par son frère, songeant au futur festin du gros matou qui n’avait probablement pas encore fini sa nuit.
La porte de sa chambre laissa passer Timothy, ses mains se crispèrent sur sa tasse, Léonard avait déjà réfléchis à une excuse qui aurait justifier la présence de Timothy, « nous n’avions plus de poudre de cheminée et il habite en-dehors de la ville, donc je lui ai proposé de dormir ici. » « son appartement est entrain d’être redécoré. » « une armée de Doxy a envahi ses rideaux. » Pourtant Léonard ne parvint pas à faire sortir un mot, son compagnon le regardait attendant une directive à suivre, ils auraient probablement dû en parler avant, mais Léo avait fui la conversation, comme toutes les conversations qui avait pour but d’évoquer son ressenti, d’évoquer son frère, et encore plus quand il s’agissait d’évoquer les deux à la fois. Timothy lisant la panique s’afficher dans les yeux de Léonard, pris les devant, se présentant le plus naturellement possible auprès de Damocles. Ce dernier ne dit rien, aucun son ne sortit de sa bouche, il se contenta de regarder Tim, l’œil levé, Léonard sentait la colère l’envahir peu à peu. Il fixait Damocles, il attendait le moindre commentaire de la part de son frère pour le jeter dehors, pour le mettre à la porte, pour tirer un trait définitif sur lui. Il tolérait toutes les réprimandes et rabaissement que son frère avait à son égard depuis des années, là multitudes de reproches injustifiées qui empoisonnaient son esprit malade, mais il ne tolérait pas une seconde, une quelconque critique à l’égard de Nia qui avait déjà tant eu à traverser sans recevoir en plus une critique d’un inconnu chez elle et encore moi à l’encontre de Timothy, qui était la gentillesse, la patience et la bienveillance incarné. Mais aucun commentaire ne vient, non, alors que Timothy lui tourna le dos pour commencer la vaisselle qui était posée derrière Léonard. A peine avait-il le dos tourné que Damocles laissa apparaître un sourir moqueur allant jusqu’à pousser le vis en ricanant.
C’en est trop pour Léonard, dont les yeux étaient devenus humides, dont la main tremblait à la recherche de sa baguette, son frère venait dans sa maison, dans son cocon, il venait pour se moquer, pour rire de Léonard, pour rire de Timothy. Une main alla bloquer son geste, Timothy regardait par la fenêtre les yeux rivés sur l’horizon, "laisse" un murmure à peine perceptible. Lui aussi semblait affecté, désemparé par la situation, incapable de savoir quoi faire, Timothy l’homme capable de résoudre tout les conflits, Timothy l’homme capable de voir le meilleur en tous. Léo s’est alors pris de remord, désolé de lui avoir infligé la présence de son frère, il aurait dû le laisser retourner dans cette appartement dans lequel il ne vit plus, attendre le départ de son frère, c’était la règle. Règle qui avait été mis en place par Léonard, règle qui lui avait demandé d’enfreindre pour ne pas se retrouver seul avec le grand méchant loup solitaire de la famille Slughorn, et voilà qu’ils se font moquer par ce dernier.
Damocles désigna la chambre, imposant encore sa présence, se considérant comme chez lui, il voulait prendre une douche, Léo s’en moquait, qu’il sorte de sa vue, de cette pièce, qu’il laisse le soufflet redescendre, car à défaut de baguette, il peut encore se saisir de la tarte et lui éclater la céramique sur le visage. Léonard ne répond pas, il aurait été incapable de parler tant la boule qui s’était logée au milieu de sa gorge était épaisse. "Allez-y" dit la voix serré de Tim, rocailleuse et plus basse qu’à l’accoutumée. " Je reviens, je vais voir Nia " Léonard tenta de poser sa main sur son épaule, mais il n'arriva qu’à effleurer un petit instant le tissu épais de sa chemise à carreau. Alors que Tim prenait la direction de la chambre, Léo ouvrit le frigo en sortie des blancs de poulet récupéré plutôt dans la semaine, il commença à les tailler en lamelle à l’aide d’un couteau finement aiguisé , il continuait sa préparation l’esprit occupé ailleurs, incapable de vraiment réfléchir laissant plus son instinct dicter ses mouvements, des mouvements qu’il avait effectué des centaines de fois dans cette cuisine qu’il connaissait par cœur. Ne voyant pas revenir le jeune Tim de la chambre de Nia. Il alla toquer à la porte de la jeune femme, une odeur reconnaissable entre mille, de terre brûlée et de buisson citronné envahit son organe olfactif, il poussa la porte avec précaution et admira la scène, Tim posé près du balcon avec l’une des cigarettes « spéciales Nia» à la main, il laissa plusieurs secondes de stupéfaction passer, amusé par la situation et fit un signe à Nia de le suivre.
Une fois dans le salon, il referma la porte à l’aide de sa baguette, "C’est lui qui t’a demandé ? " questionna Léonard stupéfait. Nia avait cette facultée de croire que tout problème pouvait être soluble si on rentrait dans un état second et elle avait tendance à avoir la main lourde sur ses préparations. Alors qu’il se dirigeait vers les préparatifs de repas de midi, abandonné quelques instants auparavant, il répondit distinct à la question informulée "du poulet au parmesan c’est le plat préféré de Tim, et je crois que t’aime ça aussi ?" Il continuait à ouvrir ses pots, pour récupérer ses branches de thym séchées afin de les broyers. Toujours un peu perdu concernant le comportement de son compagnon il interrogea son amie " Qu’est-ce qu’il t’a dit ? Parce que moi il est juste partie comme ça te voir ? Le visage fermé, un peu boudeur " il baissa le ton et rajouta à voix basse "j’ai presque cru qu’il allait pleurer. J’ai toujours dis que Damocles était un connard." Le couteau glissa de la planche et alla effleuré sa paume, laissant derrière son passage une estafilade rouge. " Aïe !!! Attend, Nia ne me dit pas que cet idiot pense encore que l’opinion de mon frère ou de ma famille à de l’importance ?" Alors que la conversation se prolongeait, que Léonard avait soigner la fine trace du couteau dans sa chair, il se rappela soudainement. "Eh, tu as vu Monsieur Oak, un vieux type rabougrie et moche, il a des yeux bleu sortis de ses orbites. C’est un ancien patient, il voulait une poupée vaudou pour empêcher sa femme de le tromper, je l’ai croisé hier matin, il devait passer dans la matiné. Il est drôle non ? "
Puis un vent glacial s’engouffra dans la pièce, faisant frissonner les poils de Léo. Damocles avait enfin fini sa douche. Nia s’arrêta de parler. Léonard ne se retourna pas, il attendait que les patates finissent de cuire, il attendait que Damocles s’empresse de partir, il pouvait partir Léonard lui ouvrirait la porte, ferait appeler un carrosse, il pourrait inviter la garde national si ça pouvait précipiter le départ de son fabuleux grand frère. Léo ne doutait pas à un seul instant que son frère allait pestiférer trouvant le moyen, par un stratagème habile, un lien de causalité que seul son aîné était capable d’établir, que si hier soir il était soûl, c’était de la faute de Léonard, que si hier soir il s’était trompé d’appartement, c’était de la faute de Léonard, que si il avait froid, c’était la faute de Léonard, après tout il avait passer 10 ans de sa vie à reprocher aux autres tout ce qu’il y avait de mal dans sa vie. Aujourd’hui Léonard laisserait les sarcasmes de son frère, les reproches et autres foutaises lui glisser dessus, il ne se mettrait pas en colère, ne rentrerait pas dans le jeu malsain qui permettait à Damocles de justifier ses erreurs. “Ce sont tes affaires, tu en fais ce que tu veux.” Il se retourna, sans regarder Damocles, il attrape la tarte détruite la veille et appela Pantoufle, lui posant près des gamelles “Aller mon gros c’est l’heure du festin.” murmura-t-il en lui appliquant une caresse avant de retourner se laver les mains.
Damocles s’alluma une cigarette au milieu de la cuisine, projetant sa fumée en direction du plafond, le plus naturellement du monde. Léonard jeta un regard consterné à Nia. Cette maison était entrain de partir en vrille, Timothy était entrain de sombrer dans un état second dans la chambre de Nia, fatigué par les frangins Slughorn et Damocles, qui agissait le plus naturellement du monde au milieu d’un appartement qu’il avait fui sans un adieu, fumant une cigarette dans la cuisine sans même se préoccuper de savoir si c’était autorisé ou non, toléré ou non, *Putain mais y’a des balcons dans cet appartement* songea Léonard et se mordant la langue pour ne pas provoquer de conflit.
Damocles exiga du lait pour son chat à Nia. Léonard évitant soigneusement le sujet du lait qui manque dans le frigo, oublié plutôt dans la semaine, montra à Nia une des boîtes de sardines natures sans huiles acheté exprès pour le gros matou. Des sardines pour le chaton serait un repas nutritif et sain, qui éviterait des coliques au chaton qui seraient dus au lait.
Le silence dans la pièce était lourd, personne ne parlait vraiment, Léonard enfourna le poulet au parmesan quand Timothy sorti de la chambre de Nia, se figeant sur le pas de la porte, il fixait Damocles, le corps chancelant. "Bas écoutez, moi je vais rentrer vous laisser en famille.” indiqua-t-il d’une voix tremblante autant que ses jambes. “Bas j’ai fais du poulet au parmesan, tu vas pas partir voyons.” dit Léonard un peu sèchement. “Nia dis-lui ? il arrive à peine à marcher en plus.” Pour une fois il espérait que Nia ne prendrait pas la défense de ce cher Timothy et se mettrait dans l’équipe de la sainte-raison, c’est à dire celle de Léonard.
Se faufiler entre les meubles. Pincer les lèvres. Feindre un sourire. Surtout se faire petite et s’échapper de ce salon. Ficanasse oui mais jusqu’à un certain niveau. Tu écouteras probablement la conversation à travers la porte. Jugeras ce que tu ne peux pas comprendre sans pour autant intervenir, à moins qu’ils en viennent aux sortilèges. Mais tu as de gros doutes quant à cette finalité. Tu ne connais pas Damocles. Et pour être tout à fait honnête, tu n’éprouves pas le besoin de changer cela. Ton ami c’est son frère, pas lui. Les relations entre eux sont assez tendues sans que tu ailles y mettre ton grain de sel en venant copiner avec l’aîné de la fratrie. Puis de toute façon, tu n’as vraiment aucune envie de jouer les gentilles sorcières avec un homme qui ne respecte pas tes affaires dans ta propre demeure. Non, tu n’as toujours pas digéré l’histoire du fétiche brisé. Fétiche que tu remplaceras de toute façon vu la multitude d’objet du genre que tu peux posséder dans ta petite boutique.
À peine la porte refermée derrière toi, que te voilà déjà étalée sur ton lit. Un long soupir s’échappe d’entre tes lèvres. La situation est tendue. Tu le sais. Tu le ressens surtout. Une ambiance lourde pèse sur tout l’appartement. Quelque chose de désagréable. Tu n’aurais pas dû rentrer finalement. Fatiguée oui mais jusqu’à un certain point. Et si tu avais su, tu te serais contentée de prendre sur toi. Peut-être d’aller passer du temps avec Rhys. Avec n’importe qui d’autre. À des lieues de cet appartement et de cette fratrie plus dysfonctionnelle encore que la tienne. Rien que ça, ce n’est pas une mince affaire. Cinq dans cette famille de fou. Un aîné et trois cadets. Des frères et soeurs que tu n’as pas vu depuis plusieurs années. Pour certains d’entre eux, tu n’as même pas de nouvelles. Ayodeji, le plus âgé, se targue en permanence d’avoir raison. Il sait tout, ou du moins croit tout savoir. Il avait été l’un de ceux à te mettre en garde face à Luke. L’un de ceux à railler votre relation en permanence. Surtout l’un de ceux à voir clair dans le jeu du jeune anglais. Si seulement il n’avait pas été si moqueur. Si seulement il s’était posé pour t’expliquer à quel point ton époux était toxique. Mais non. Il préférait l’insulter, lever les yeux au ciel à chacun des mots prononcés par celui-ci, créant un climat douloureux et problématique à bien des niveaux. À l’époque, tu avais justifié le comportement de ton aîné en utilisant l’excuse de la protection fraternelle. Ce n’était pas le cas. Ça ne l’avait jamais été. Parce qu’Ayodeji n’a toujours été qu’un être rongé par une profonde jalousie pour ses frères et soeurs. Encore plus envers toi. Sierra est partie deux ans, abandonnant son rejeton de six ans à l’époque derrière elle. Et quand elle a enfin daigné revenir, tu étais là. Tu n’avais pas demandé à naître. Personne ne le demande. Pourtant, il t’en a voulu, persuadé, pour une raison stupide, que tu lui avais volé sa chère maman pendant ces deux années. Cette rivalité absurde qui l’abêtit un peu plus chaque jour que les Dieux font t’a amené à couper complètement les ponts avec lui après l’annonce de ton veuvage.
Repenser à ces événements après tant d’années à fuir tes souvenirs t’arrache le coeur. Ton frère est ce qu’il est mais tu te mentirais à toi même en disant que tu ne l’aimes pas. Que tu n’éprouves que haine et dégoût à son égard. Les relations sont bien souvent trop complexes et celle-ci l’est tout particulièrement. Cependant, ce n’est pas en t’apitoyant sur ton sort que les choses s’arrangeront, si tant est qu’elles le puissent un jour. Qu’importe. Tu n’as pas besoin de lui. Ici, tu as tes amis. Léonard, Rhys, Timothy… Des gens qui tiennent à toi pour qui tu es et à qui tu tiens beaucoup en retour. C’est d’ailleurs le dernier homme énoncé qui fait irruption dans ta chambre après avoir frappé à la porte. Il n’a pas attendu ta réponse pour entrer. Il t’impose sa présence afin de trouver un refuge. Quelle bien piètre amie ferais-tu pour lui demander de partir ? Et puis en as-tu seulement envie ? Non. Passer un peu de temps en sa compagnie ne peut pas te faire de mal, au contraire. Tu te redresses, désormais assise en tailleur sur le matelas alors que lui vient se poser près de toi. Un long soupir lui échappe. Quand tu lui demandes s’il va bien, il ne répond pas, se contente de hausser les épaules. Son mutisme a quelque chose d’angoissant. Il le sait, pourtant, que le silence entre deux personnes n’est vraiment pas ta tasse de thé. Tu te sens toujours obligée de parler, de combler les vides et autres blancs. C’est plus fort que toi. « Il est toujours là son frère ? » Demandes-tu dans une tentative de lui faire fonctionner ses cordes vocales. Tu connais déjà la réponse. On l’entend, la porte d’entrée, quand elle s’ouvre et se ferme. Et là, tes oreilles n’avaient rien ouï pouvant s’apparenter de près ou de loin au grincement significatif de cette porte. « Oui. Dans la salle de bain. » Finit-il par avouer.
Timothy s’arrête de te fuir du regard et pose ses yeux clairs sur ta silhouette. Puis, sur le tiroir de ta table de chevet. Il sait ce qu’il s’y cache. Il sait ce qu’il renferme. Tabac et feuille à rouler oui. Mais surtout des plantes venues d’une autre contrée. Des herbes que l’on fait pousser dans ta tribu. Des psychotropes utilisés pour entrer en transe lors des cérémonies et autres prières vaudou. Les effets sont divers et variés en réalité. Certains sont assez inoffensifs, s’apparentant au cannabis moldus, quand d’autres, bien plus puissants, seraient dangereux pour les non-initiés. « Tu veux pas… ? » Demande le jeune homme, mimant avec ses mains les gestes pour rouler une cigarette. Tu lèves un sourcil, perplexe. Mais lui semble tout à fait sérieux. C’est qu’il ne fume pas d’habitude. Ou bien très rarement. Et la dernière fois que vous avez fait ça ensemble remonte à plusieurs mois. Il est le premier à râler sur ce sujet en règle général. Soit. Monsieur aura ce qu’il désire. Rien de trop aventureux cependant. Quelque chose de doux, juste assez pour le mettre dans un état confortable.
À nouveau, on frappe à la porte de ta chambre. Elle s’ouvre sur un Léonard silencieux, fixant son compagnon. Lui est près du balcon. La fenêtre ouverte laisse passer un courant d’air frais mais pas glacé comme l’on pourrait s’y attendre en plein mois de Février. Toi, tu es toujours installer sur ton lit. Fumer ne te dit rien. Pas maintenant. Pas tant que tu peux supporter cette mascarade. Et puis, avec un Timothy peu habitué aux stupéfiants, autant rester maîtresse de soi pour pouvoir le gérer au besoin. Le cadet Slughorn te fait un signe de la main, t’invitant à le rejoindre dans le salon. Ou t’obligeant, c’est selon. Sa baguette tourne entre ses doigts et la porte se ferme dans ton dos. Celle-ci est à peine close que Léo te pose déjà des questions. « Oui. De moi-même je n’aurais rien proposé vu comme il est d’habitude quand on fume. » Réponds-tu en suivant ton colocataire jusque dans la cuisine. Tu lances un regard intrigué au plat qu’il prépare. Lui semble le remarquer directement puisqu’il te répond avant même que tu n’aies eu le temps de l’interroger. De ton côté, tu te contentes d’acquiescer à sa question. Tu aimes ça oui. Pour être totalement honnête, tu n’es pas très difficile en ce qui concerne la nourriture alors peu importe.
Adossée au mur, tes bras sont croisés sur ta poitrine. Bien que porté sur Léonard, ton regard reste légèrement détaché. Un peu distraite. Pas vraiment attentive. Tu ne veux pas spécialement lui répondre. Vous avez discuté, Timothy et toi, c’est exact. Mais il te fait confiance. Tu n’as aucune envie de gâcher ton amitié avec lui. De toute façon, ça ne te concerne pas. C’est leur couple, leurs problèmes. Toutes interventions de ta part ne ferait que les accroître, tu en es persuadée. Une grimace dégoûtée se peint sur ton visage alors que le couteau ripe de la planche et érafle la main de ton ami. Ce qu’il peut être imprudent ! Le sang ne te fait pas particulièrement peur mais tu ne peux pas dire que tu aimes particulièrement ça. Pour autant, tu ne bouges ni ne viens l’aider. Pourquoi faire ? Tu n’y connais pas grand chose en médicomagie et lui en a fait son métier. Il saura se réparer tout seul. « À ton avis Léonard ? » Réponds-tu d’un soupir las. « Evidemment qu’il doute. Tu n’en as parlé à personne. Ça, il l’a accepté je crois. Mais là, ton frère débarque de nul part. Et Tim ça le fait flipper mine de rien. Tout ce qu’il en sait c’est ce que tu as bien voulu lui dire. Si Damocles est autant un connard que tu le décris, il pourrait tout à fait ruiner ta réputation, celle de ta famille et ta relation avec Timothy. » Tu ne peux pas dire que tu le comprends. Ce n’est pas le cas. Chez toi, dans ta tribu, on se moque pas mal du genre de l’être aimé. L’âme prime sur le sexe. Tu n’as jamais pu concevoir qu’il en soit autrement. La vision de la sexualité dans les autres cultures est bien trop carrée. Trop restrictive. Presque malsaine à ton sens.
Tu n’as quitté ton mur que quelques secondes seulement. Juste le temps d’attraper un vers pour le remplir d’eau. Tu t’etouffes presque avec ta gorgée en entendant les paroles du jeune Slughorn. Monsieur Oak. Quelle angoisse cet homme. Rien d’agréable n’émanait de lui. Absolument rien. « Ah ! C’est donc à toi que je dois sa charmante visite ? Son physique est drôle oui. Le reste n’est qu’un amas d’animosité et d’impolitesse ! Je comprends que sa femme veuille le tromper. » Balances-tu sans langue de bois. Tu es si mal placée pour tenir de tel propos. Toi, celle qui a été la cocue. Toi, celle qui ne le méritait certainement pas. Pourquoi en serait-il différent de cet homme que tu juges sans connaître ? Peut-être que sa femme est tout autant nocive que l’était Luke. Tu n’en sais rien vraiment. Et tu ne comptes pas le découvrir. Tu resteras sur ta première impression de cet homme et n’en garderas qu’un très mauvais souvenir. Tu ne comptes pas faire amie-ami avec lui de toute façon.
Le silence se fait automatiquement lorsque Damocles entre dans la pièce. Tu n’oses rien dire. Tu n’as surtout pas envie de parler. T’effacer serait une bonne option. Quitter cette cuisine, rejoindre à nouveau ta chambre comme tu l’avais fait un peu plus tôt dans la journée. Tout pour t’extirper de cette situation embarrassante. Mais tu sais que tu ne peux pas. Tu n’en as pas le droit. Léonard te reprochera toute sa vie de l’avoir laissé seul avec son aîné. Si tu te moques bien de ce dernier, ton colocataire tu dois vivre avec, le supporter tous les jours. Se retrouver à la rue à cause d’une broutille pareille serait fortement déplaisant. Lui et toi, vous vous échangez des regards en voyant Damocles se mettre à son aise et circuler comme si cet appartement était encore le sien. Le genre de regards qui veulent tout dire. Pas besoin de télépathie pour le coup. Tu es tout autant consternée que ton ami. Pourtant tu restes plongée dans ton mutisme inhabituel. Il ne vit plus ici et même si un jour ce fût le cas, ça ne justifie pas son comportement impoli. Tu tends la main pour ouvrir la fenêtre afin qu’il n’enfume pas toute la pièce avec sa cigarette. Autant que tu aimes le tabac, tu hais l’odeur froide qui stagne sur tous les tissus après. Heureusement que cet homme est le frère de Léonard parce que dans le cas contraire, tu l’aurais dégagé de chez toi sans autre forme de procès. Pas que cette option ne déplaise à ton ami, tu en es persuadée.
Pour la première fois, le brigadier s’adresse à toi, brisant ainsi le silence plus que pesant qui s’était installé. Tu te saisis de la boîte de sardine que l’on t’a désigné. « Il a quel âge ? » Demandes-tu innocemment comme pour détendre l’atmosphère, discuter de choses sans intérêts. Ce chaton est très mignon mais tu ne le reverras probablement plus jamais et tu n’as pas grand besoin de savoir de combien de mois il est âgé en réalité. Dans une petite assiette à dessert, tu émiettes le poisson en morceaux assez petit pour être mangé facilement pour le minuscule animal. Tu déposes sa nourriture sur la table, juste en face de lui et il se rue dessus pour le dévorer. « Bon appétit p’tit bonhomme. » Dis-tu en étirant tes lippes en un sourire doux et véritables. Tu as un faible pour les animaux depuis enfant, ce n’est un secret pour personne. Noctis est là pour le prouver. Tu l’as ramenée un jour sur un coup de tête sans même prévenir Léonard. Il ne fut pas spécialement ravi de cette nouvelle arrivée mais n’eut pas d’autre choix que de s’en accommoder.
Timothy sort enfin de ton petit espace de vie personnel. Sa démarche est peu assurée. Le blanc de ses yeux est devenu rougeâtre. Et ses phrases sont incohérentes. La cigarette spéciale n’était pas censée le mettre autant dans le mal. « Tu as tout fumé ? » Les poings sur les hanches, les sourcils froncés, tu te fais sévère. Tu l’avais prévenu pourtant. Tu l’avais mis en garde. Lui avais dit de ne consommer que la moitié. Mais évidemment, il n’en a fait qu’à sa tête. Ça semble être quelque chose de bien trop récurent dans le coin. « Léonard à raison. Tu ne tiens pas debout. Hors de question que tu rentres dans cet état. » Tu lui attrapes le bras, tentant d’être la plus douce possible et l’aide à s’asseoir avant de lui servir un verre d’eau fraîche. « Et puis tu vas certainement pas me laisser toute seule ici. Je sais pas où tu as vu que j’étais “en famille” moi. » Tim est ton issue de secours. Ou du moins il l’était avant d’être trop stone pour comprendre quoi que ce soit. Pour ton bien et pour celui des deux autres zigotos, tu te refuses à le laisser partir. Sait-on jamais, il pourrait être d’une aide précieuse quand sera venu le moment où les frères Slughorn élèveront la voix l’un sur l’autre pour savoir lequel a eu la pire vie et lequel est le plus mal aimé. Encore une fois, ce n’est qu’un jugement hâtif basé sur aucun fait et des rumeurs qui te sont revenues aux oreilles. Qu’importe pourquoi ils sont fâchés en réalité, tant que Tim et toi pouvaient les empêcher de s’entre tuer, c’est le principal.
La fatigue le submerge par vagues, s’abattant brusquement sur ses épaules, puis se retirant brièvement avant de revenir à la charge dans une boucle incessante. La cigarette pend sur ses lèvres et se consume doucement, s’évaporant dans des volutes de fumées qui tourbillonnent lentement vers le plafond. Il fixe un bout de la table sans vraiment le voir, avec l’impression de me pouvoir en détacher les yeux. Car regarder ailleurs, cela veut dire regarder Léonard ou cette femme inconnue qui le regarde avec une aversion non dissimulée. Il essaie de s’imaginer à sa place, découvrant dans son appartement un parfait inconnu dans un état comme le sien. Et qui sait ce qu’il a pu dire ou ce qu’il a pu faire durant ces heures qui semblent avoir disparu de sa mémoire. En voyant le plat que Léonard dépose près de l’énorme chat qui se dresse, les yeux pleins d’espoir, Damocles a le sentiment désagréable qu’il n’est pas sans rien avoir à voir avec la charpie qu’est devenu le plat qui avait un jour dû être une tarte à la citrouille. Ce ne serait pas étonnant, il déteste la citrouille, ce fruit malheureusement adoré par les sorciers. En dehors du jus de citrouille, agréable lorsqu’il est bien frais, il refuse d’ingérer la moindre miette de ce cucurbitacé honni, encore plus lorsqu’il est cuisiné sucré. Dans son enfance, cela avait été une source de bonne entente entre lui et Léonard, Damocles lui cédant volontiers sa part de tarte à la citrouille, de friand à la citrouille ou de n’importe quel autre met comportant cet ignoble produit automnal. Pourtant, Léonard n’avait jamais réussi à retenir ce simple détail à propos de son frère, continuant à cuisiner régulièrement son dessert préféré, cette tarte à la citrouille, et à lui en offrir une part avec un enthousiasme qu’il avait fini par trouver suspect. Sans faillir, Damocles refusait encore et encore d’en manger et la moitié de la tarte finissait invariablement par partir à la poubelle au bout de quelques jours. Son frère avait dû s’en donner à coeur joie lorsqu’il était parti, et c’est toujours le cas aujourd’hui, apparemment. Le claquement de la fenêtre qui s’ouvre le ramène à la réalité et il pose ses yeux sur la femme qui vient d’un geste nonchalant de lui faire comprendre que la fumée de la cigarette dérange. Il reste immobile quelques secondes, surpris, avant d’éteindre la cigarette d’un coup de baguette. « Désolé. » Sans l’être vraiment. Il a fumé tant de cigarettes dans cette cuisine, assis sur cette chaise, que l’idée que cela puisse déranger qui que ce soit ne lui a pas même effleuré l’esprit. Mais à l’époque, Léonard et lui se croisaient rarement, chacun trop pris par leur travail respectif. Quand il partait aux aurores rejoindre le Ministère, il croisait Léonard, les yeux fatigués, qui rentrait de ses gardes de nuit. Et lorsqu’il revenait enfin plusieurs jours plus tard, il trouvait la plupart du temps l’appartement vide ou son frère concentré au milieu de ses livres, complètement sourd à ce qu’il se passait autour de lui. Et quand le jeune guérisseur finissait par revenir dans le monde réel, c’était pour trouver à son tour Damocles endormi à la table de la cuisine, café à moitié bu et cigarette à moitié fumée, écroulé sur des piles de dossiers à traiter. Au final, ils avaient vécu plusieurs années au même endroit, mais pas vraiment ensemble. Était-ce à ce moment là que leurs relations avaient commencé à se détériorer ? Ou cela datait-il d’avant, d’après ? A bien y réfléchir, il est incapable de statuer exactement sur un moment ou même une période. Il a a l’avant, où ils sont frères, inséparables, fusionnels, puis il y a l’après, où ils sont étrangers, désunis, divergents. Impossible de définir avec certitude quand est-ce que l’avant était devenu l’après.
Dans un crissement de métal, la jeune femme ouvre une conserve, et le fumet des sardines se répand dans la cuisine, arrachant un haut-le-coeur à Damocles. La lumière, la fatigue, les odeurs. Tous ses sens sont beaucoup trop agressés en cette matinée. Ou après-midi, plutôt. Sans parler de cette sensation de malaise insoutenable qui flotte dans les airs, sans paraître vouloir se dissiper. Mais le chat est satisfait au moins. Il déchiquette les morceaux de poisson de ses dents minuscules, mastiquant et avalant le fretin dans un bruit répugnant. Damocles détourne le regard de ce spectacle qui lui soulève le coeur. Il n’ai aucune idée de l’âge de ce chaton, en dehors du fait que c’est un bébé. Il ne sait même pas si c’est un mâle ou une femelle. Aedrian lui a probablement dit, mais il n’en a aucun souvenir. Il hausse les épaules, admettant son ignorance. « Je n’en sais rien. Je l’ai trouvé hier dans la rue. Ou plutôt, c’est lui qui m’a suivi. » L’instinct de survie de cette bestiole doit être particulièrement peu développer pour qu’il ait choisi parmi tous les humains de jeter son dévolu sur Damocles. Un miracle qu’il ne l’ait pas oublié sur la table du bar ou qu’il ne l’ait pas écrasé en dormant. Et heureusement, car il sent bien que ce chaton est le seul petit gardien de l’équilibre précaire de la situation. Tout la journée de la veille, il avait occupé l’ensemble de ses collègues. Ils s’étaient tour à tour étonnés de cette association incongrue entre le brigadier revêche et la boule de poils curieuse et avenante qu’il tenait sous son bras. Même la serveuse du bar, au début renfrognée à l’idée de voir l’animal déambuler sur sa table avait fini par oser lui prodiguer une caresse. Et à présent, l’oeil courroucé de la colocataire de Léonard s’est attendri en voyant le chaton s’attaquer joyeusement aux sardines, indifférent à la pesanteur de l’ambiance environnante.
De nouveau le silence a repris sa place dans la cuisine. Tous les yeux sont fixés partout, sauf sur les uns et les autres. Damocles fait rouler sa baguette sur la table, distraitement. En apparence, seulement. Dans son crâne, les pensées se bousculent, les plans s’élaborent en un éclair et sont abandonnés tout aussi rapidement. Tout serait si facile s’il se saisissait de cette baguette, qu’il se levait d’un coup pour attraper son chat, récupérer ses affaires d’un bond et transplaner chez lui pour ne plus jamais revenir, ne plus jamais y penser. Il fixe la baguette, de plus en plus déterminé à chaque seconde. Maintenant. Mais il ne bouge pas. Il aurait probablement dû avant que la porte ne s’ouvre à nouveau et que le dénommé Timothy Miller n’entre dans la pièce d’un pas incertain. Damocles soutient son regard embué cerné de rougeurs dont il identifie la cause sans peine. A en juger par la réaction des deux autres, c’est quelque chose d’assez inhabituel pour provoquer l’alarme. Pourtant, son intervention a le don de détendre légèrement l’atmosphère. A peine prononce-t-il quelques mots que Léonard et sa colocataire se précipitent vers lui, apparemment trop heureux de se jeter sur cette occasion de briser le malaise ambiant.
La jeune femme fait assoir Miller, et ses derniers mots tirent une grimace cynique à Damocles. Léonard a beau être son frère par le sang, cela fait longtemps qu’il ne le considère plus comme quelqu’un de proche. Quant aux deux autres, ce sont tout simplement de parfaits inconnus. Il ne les connais pas, ils ne le connaissent pas. Ils ne savent rien du lui, à part ce que Léonard a dû leur raconter, et s’il connaît son frère, il ne doute pas qu’il a dû brosser de lui un portrait bien médiocre. Ils s’agitent tous dans cette cuisine, Léonard enfourne son plat un peu trop brusquement, la colocataire s’occupe de Timothy, le chat se lèche les babines, indifférent à cette effervescence soudaine. Damocles appuie son front sur son poing fermé pour enfoncer la migraine loin à l’intérieur de sa tête. C’est une maison de fous ici, entre Léonard, son monstre de chat et ses tartes à la citrouille, sa colocataire et son oiseau sur la tête et ce gars là, l’esprit flottant à des kilomètres dans des vapeurs réconfortantes.
Un verre glisse vers lui, poussé par Léonard. Le geste de son frère est sans équivoque. Bois ça. Damocles regarde le verre et le liquide qu’il contient. A première vue, il ne s’agit que d’un simple verre d’eau, mais il s’en dégage une légère odeur inhabituelle. Il jette un regard soupçonneux vers Léonard. Il ne peut pas s’empêcher de se demander si son frère n’a pas une sale idée derrière la tête. Cela ne l’étonnerait pas la part de Léonard. Ce serait tout à fait lui de se venger de la destruction de sa tarte à la citrouille en lui faisant ingurgiter à son insu une potion faisant grandir les oreilles. Mais il sent sur lui les regards pensants des autres, épiant ses faits et gestes. Le chaton vient se frotter à sa main posée sur la table et il le repousse d’un geste agacé. Il serait parti depuis longtemps s’il n’y avait pas eu ce chat, et au lieu de cela, il se retrouve assis à cette table, entouré de gens avec qui il n’a aucune envie d’être, à se demander si son propre frère cherche à l’empoisonner. Il regarde tour à tour les occupants de la pièce, sourcils froncés, mais personne ne semble vouloir croiser son regard ou lui expliquer quoi que ce soit. Il préfèrerait les voir s’énerver contre lui, qu’ils comblent ce trou manquant dans ses souvenirs, plutôt que ce silence.
Il finit par lever le verre jusqu’à ses lèvres et prendre une gorgée du liquide. Aussitôt, le martèlement de son front s’atténue pour ne devenir qu’une pulsation plus sourde, moins douloureuse, et la nausée s’évanouit légèrement pour ne laisser qu’un léger écoeurement. Comme s’il n’attendait que ce signal pour se mouvoir, Timothy Miller se lève et se dirige d’une démarche plus assurée vers le placard pour en sortir plusieurs assiettes. Damocles regarde avec étonnement le couvert que l’homme pose devant lui, puis Léonard, les sourcils froncés. L’odeur du plat s’élève dans la cuisine, et soudainement, c’en est trop. Damocles se lève brusquement et dévisage avec stupeur les personnes présentes. Il n’a pas la moindre envie d’être ici. Il ne veut pas parler avec Léonard de quoi que ce soit, pas plus qu’il ne veut faire connaissance avec ses proches. Il ne veut pas de son aide, ni de sa potion, ni de sa cuisine. Il ne supporte plus le mutisme de son frère, l’air benêt de son amant drogué et le regard accusateur de cette folle dingue. Il ramasse le chat et le serre contre lui. « Je ne peux pas. » Il ne veut pas. Il fait un pas en arrière pour sortir de la cuisine et agite sa baguette pour faire venir à lui ses affaires. Il regarde une dernière fois l’appartement, avisant les traces de boue séchée qui maculent le sol, et après une hésitation, donne un nouveau coup de baguette pour les faire disparaître. Léonard pourra lui reprocher tout ce qu’il veut, son débarquement nocturne, sa fuite, mais pas ça. Il ne veut même pas jeter de dernier regard vers les autres, il quitte cet endroit maudit pour la dernière fois, et il n’a pas l’intention d’y revenir, jamais.