Veuve. Qui aurait cru que ce mot te collerait à la peau si jeune ? Vingt-trois ans. Toute juste entrée dans l’âge adulte et déjà confrontée à la mort de l’être aimé. Que le monde est cruel. Que les dieux sont sournois. Mais le plus triste dans tout ceci, c’est que tu n’es pas triste justement. Rien. Tu ne ressens rien. C’est comme si tes émotions s’étaient envolées. Ou peut-être est-ce à cause du chagrin trop important que tu as éprouvé en te réveillant à l’hôpital. Le chagrin provoqué par la perte de ton enfant. Par ton ventre bien trop vide. Par la trahison de ton mari et par l’irresponsabilité de ses actions. Tout est de sa faute. S’il ne t’avait pas trompé avec cette dégénérée, elle ne l’aurait pas assassiné. Elle ne t’aurait pas attaqué. Et surtout. Surtout, ton fils serait né. À moins que ce ne soit de la tienne pour avoir été trop naïve, trop amoureuse, trop aveugle. On ne t’y reprendra plus.
Toute vêtue de noir, ton visage est neutre. Il ne dit rien. Ne sourit pas. Un à un, des sorciers défilent face à toi. Des femmes éplorées. Des hommes indignés. Tous consternés par le destin tragique de Luke. Ce n’est pas juste. Il était si jeune. Je te présente toutes mes condoléances. Répétées en boucle, elles sont les seules phrases que l’audience semble connaître. Ils mentent. Ils n’en ont rien à faire de ton mari. Ils n’en ont jamais rien eu à faire. Ils sont là par politesse. Parce que c’est comme ça qu’on fait. On honore les morts en oubliant de s'intéresser aux vivants. Et on regrette plus tard. Eux ne sont pas de cet acabit. Demain ils auront oublié. Demain, ils parleront d’autres choses. Du dernier match entre Flaquemare et les Harpies. Du dernier décret absurde que pourrait pondre le gouvernement. Mais pas de ton mari. Luke Byrne ne sera pas évoqué sur leurs lèvres hypocrites.
Le monde te fait tourner la tête. La situation aussi. Si bien que tu te vois obligée de t’asseoir sur l’une des chaises qui entourent le cercueil. Fuir. Tu dois partir loin d’ici. Loin de ces gens. Loin de son corps sans vie. Loin de toute cette mascarade. Tu prends ta tête entre tes mains. Ces dernières remontent jusque dans tes cheveux dont elles finissent pas relever les tresses en un chignon approximatif. Tu as chaud. Ta tête tourne et une fanfare composée uniquement de tambour semble jouer dedans. Une migraine comme tu peux en avoir régulièrement. Mais celle ci est forte. Trop forte. Ou bien est-ce simplement que la situation particulièrement horrible t’ammène à la ressortir plus. Tu n’en sais rien. Tu t’en moques bien à vrai dire. Tu n’y réfléchis pas tellement d’ailleurs. Pas le temps pour ça. Pas la force non plus. Que tout ceci s’arrête ou que tu ne puisses plus le voir est la seule chose qui t’apporte. Alors tu fermes les yeux. Tu les fermes si fort que tu en vois des points blancs. Si fort que s’en est presque douloureux. Et pendant un instant, rien n’existe plus. Pendant un instant, tu es seule. Tranquille enfin. Tu ne vois d’ailleurs pas, ni n’entend, qu’une personne s’assied près de toi.
Léonard et Luke se connaissaient bien autrefois. Même maison. Même âge. Tu n’avais que peu rencontré l’ex serdaigle. Assez cependant pour t’en faire une assez bonne image. À chaque retour à Londres, ton mari passait le voir. À la fin de ses études, revenir en Angleterre était fréquent. Mais plus les années passées et moins lui revenait jusqu’à ne plus rentrer du tout. Il avait sa famille à Paris. Toi, sa femme trophée qu’il n’aimait pas. Ce bébé dans ton ventre, son fils qu’il attendait plus que tout. Sans oublier sa myriade de maîtresses, cause de sa chute. Finalement, tes yeux se rouvrent au bout de quelques secondes de répit. Et voir le jeune homme près de toi te tire un sursaut léger mais présent. Voir son visage familier étire tes lèvres en un petit sourire de tristesse. Le premier depuis longtemps. Lui n’est pas hypocrite. Lui n’est pas là pour faire semblant de rendre hommage à Luke. Lui n’est pas comme les autres.
“Je suis content, tu sembles heureux” Léonard avait profité du départ de la jeune épouse de son ami pour parler librement. Ils étaient arrivés quelques jours auparavant dans la demeure de Luke. Bien qu’il y ait eu plusieurs correspondances au fil des années, ils n’avaient pas eu l’occasion de se revoir. Depuis le départ de Luke pour le monde et il semblait qu’il se fût trouvé une épouse, une épouse, un petit peu trop exotique et féminin aux goûts de Léonard qui ne voyait en Nia qu’une étrangère. Pourtant, lorsqu’il a perçu la jeune femme pour la première fois, il n’avait que pu admirer la beauté de la jeune femme, la lueur espiègle qui scintillait dans son regard l’avait fait sourire.
Pourtant, plusieurs jours étaient passés et Léonard avait dû admettre que Luke tentait l'inconcevable, au même titre qu’on ne peut dompter le feu, le jeune homme avait admis s’être lassé de la jeune femme. Prenant pour acquis leurs relations, il n’avait eu de cesse que d’évoquer les amourettes qu’il avait entretenues ailleurs. Léonard avait commencé à être gêné conscient de ses propres défauts, il avait espéré que le temps avait gommé de son doigt les traits de caractère juvénile de son ami, pourtant ceux-ci semblaient s’être exacerbé.
Puis un mot en avait dépassé un autre, laissant à Léonard le soin de voir le visage au sourire carnassier de l’homme affable qu’il avait un jour tenu en si haute estime.
*
Léonard venait de recevoir l’invitation à l’enterrement de Luke, la nouvelle lui était parvenue quelques jours auparavant. Il ne réussit pas à porter dans son cœur la peine que l’on peut avoir à la disparition d’un être proche.
Ses doigts dansaient sur la planche à découper, il attrapa son couteau runique et coupa sec les racines d'asphodèle, il avait besoin de s’occuper les mains, pour laisser à son esprit la possibilité de réfléchir plus posément. Alors qu’il se rendait à l’évidencee, il n’irait pas à cet enterrement, il sentait un regard lourd peser sur lui. “ Tu devrais y aller …il a été ton ami.” Léonard coupa plus sec, il avait toujours détesté qu’on lui dise quoi faire, il n’était pas son frère, il n’avait d’ordre à recevoir de personne. Ces premières pensées étaient directement allées à sa veuve qui devait pleurer son amour disparu, pourtant d’étranges rumeurs avaient circulé dans la communauté sur la disparition de Luke et les circonstances de sa mort. Léonard n’avait pas à un seul instant douté de la véracité de ses propos. “Je verrais…”
*
L’annonce qui était parue dans la gazette avait encore laissé une trace, c’était probablement ce qui l’avait poussé à prendre la décision de se rendre à la cérémonie, montrer qu’un Sang-pur de son rang, répond toujours présent quand ses devoirs l’y oblige. C’était un ami, ses parents avaient un jour fait affaire avec les siens. Il se tenait droit prêt de la porte, les mots de Timothy sonnait en écho et en boucle depuis des heures, dans son costume sombre au reflet émeraude, il attendait de pouvoir trouver assise dans l’assemblée. “ ... t’es pathétique Léonard.” Tim était parti en claquant la porte ce qui ne lui ressemblait que peu. Laissant à Léonard une rage sourde qu’il ne pu extérioriser, d’un mouvement de la tête il chassa le problème de ses pensées le temps d’un instant, le temps de trouver une place auprès de Nia. Sur ce siège vide que personne ne semblait vouloir occuper, pourtant n’était-ce pas elle qui devait le plus souffrir.
Sur la gauche la famille aussi démoniaque que leur engeance, feignait une tristesse exagérée, et aucun d’eux ne se tenaient près de celle qui avait perdu l’amour. A leurs habitudes ils souhaitent que les projecteurs soient braqués sur eux. Léonard était loin d’être de ces gens chaleureux capables de réconforter le monde d’un simple regard, il était plus de ceux qui fuyaient les regards tristes et les peaux de chagrin semées sur le chemin des rencontres, pourtant d’un geste un peu irréfléchi, il attrapa la main de Nia et lui prodigua un massage relaxant qu’il avait appris au cours de ses études. Quand bien même il ne savait pas soigner les âmes brisées, lui réparait les corps brisés, les sentiments humains étaient obscures alors que le corps n’avait quasiment plus de secrets à lui garder. “Tu dois avoir mille questions à poser… Si je peux t’y répondre.” Il fixait au loin, un point loin du cercueil, loin de la cérémonie, juste un point ancré dans son axe.
Le sentiment de solitude qui t’accable est effroyable. Entourée de nombreuses personnes et pourtant si seule. Pas une fois on te demande comment tu vas. C’est peut-être mieux ainsi. Tu ne saurais pas vraiment quoi répondre à ce genre de questions. Ça va toi ? Interrogation sans personnalité et dont on n’attend pas vraiment une autre réponse que Oui. Je tiens le coup. On fait aller. Parce qu’il ne faut surtout pas montrer que l’on est faible. Que nos émotions se bousculent, s'entrechoquent pour mieux nous détruire. Et tu ne peux décemment pas avouer que tu ressens colère et mépris vis à vis du défunt. Tristesse aussi bien sûr. Tu as aimé Luke. Tu l’as aimé avec tant de passion que tu en fus aveuglée.Et aujourd’hui, cet amour n’est plus. Cette passion n’est plus. Ton mari n’est plus.
C’est qu’il jouait bien son rôle d’époux parfait le bougre. Ensemble, on vous comparait à un couple parfait. Et même s’il avait parfois des comportements inappropriés, personne ne lui en tenait rigueur tant son visage angélique avait ce pouvoir de duper autrui. Il t’a manipulé et tu n’as rien vu. Tu as tant changé pour coller un peu plus à son idéal féminin. Tu as maigri, modifié ton rythme de vie, troqué l’utilisation de ton médaillon pour celle d’une baguette. Attirer le regard mais pas trop. Surtout que l’attention soit sur lui et pas sur toi. Tu t’es laissée marcher dessus par un homme alors que tout dans ton éducation et ta culture est censée te rendre insoumise, imperméable à leur misogynie et leur patriarcat. Si seulement c’était si simple. Et si seulement on t’avait prévenu que ton homme n’était qu’un monstre d'égoïsme et d’égocentrisme.
Monsieur et Madame Byrne, les parents de Luke, n’ont pas daigné venir te parler, te réconforter. Ils n’approuvaient déjà pas le mariage de leur enfant avec une femme d’une culture bien trop différente et ayant, en plus, un goût bien prononcé pour la magie noire. Voilà à quoi il comparait le vaudou, à de la sorcellerie obscure alors qu’il n’en est rien. Tout autant hypocrites que leur cher fils, ils ne t’ont jamais insultée directement. Cependant, le dégoût qu’ils pouvaient éprouver chaque fois que tu utilisais ton médaillon; jugé comme trop fantasque; était si aisément perceptible sur leurs visages déconfits que tu avais vite compris. Des efforts ont été faits de ton côté pour te faire accepter. Car oui, c’était toujours à toi de changer, pas aux autres. Si ce sont tes différences avec les femmes anglais qui l’ont d’abord séduit, il s’en est rapidement lassé et tu t’es vue obligée de rentrer dans le moule si tu ne voulais pas le perdre. Peu importe désormais. Il reposera dans ce cercueil pour toujours. Jeune à jamais et surtout innocent aux yeux de tous.
Cette main qui enserre tes doigts te sort de tes pensées. C’est celle de Léonard. Le seul qui a bien voulu s’asseoir près de la veuve alors que le reste a préféré rester auprès des parents. Les mots qu’il te souffle, tu ne veux pas les entendre. Ce n’est pas ce dont tu as besoin. Alors que tu pensais trouver du réconfort dans sa présence, voilà qu’il te balance que lui aussi était au courant. Et qu’il est désolé ? Il est trop tard pour être désolé. Le mal est fait. Le jeune Slughorn n’y est pour rien pourtant tu ne peux t’empêcher de lui en vouloir un peu à cet instant précis. S’il savait, pourquoi n’est-il pas venu t’en parler ? Mais tu oublies qu’il n’est pas ton ami. C’est celui de ton mari. Tu le juges mais peux-tu affirmer que si les rôles avaient été inversés, si tu avais été l’amie de l’infidèle, tu aurais tout avoué ? Probablement pas. « Merci. » Chuchotes-tu. « Mais il n’y a pas vraiment de réponse à donner. » La seule question qui te vient ne peut pas trouver de réponse. Pourquoi ? Un pourquoi général. Pourquoi n’est-il pas parti ? Pourquoi s’est-il joué de toi ? Pourquoi eut-il fallu que cela coûte la vie de ton enfant ? Pourquoi.
“... à donner “ Léonard lève un œil intrigué vers la veuve. Des picotements se faisaient ressentir sur sa main, il souffla. Il était là, avec la main de cette inconnue dans la sienne, il ne savait même pas quoi en faire. Il fixait cette main sombre cherchant désespérément un moyen , il commence alors à la détailler, à imaginer chacun des vaisseaux sanguins reliant les deux artères, le cubital et le radiale. Il passa son doigt sur la couvrance de la peau la plus fine pour le trouver, le nerf cubital. Après avoir senti le nerf rouler sous ses doigts, il exerça une légère pression et de son autre main, il massa la paume qu'il tenait. De la réflexologie moldue, au grand dam de Léonard qui avait vu plusieurs infirmières exercer ce type de massage sur des patients, intrigué et sceptique il s’était alors documenté, et avait admis qu’un certain bénéfice pouvait être tiré pour apaiser les patients. Et quitte à avoir cette main dans la sienne et ne savoir quoi en faire, autant essayer d’apaiser naturellement la veuve, pas si éplorée que ça, du défunt.
Le malaise de la situation commençait à créer une petite boule d’angoisse dans le creux de son sternum. Il commençait à regretter de ne pas avoir demandé à Thimothy de venir à cet enterrement et il semblait oublier la dispute qui les avait séparé quelques jours auparavant et qui était la dernière fois où Slughorn avait eu des nouvelles de Miller. “tu ne vaux pas mieux qu’eux, pas mieux que le ministère, pas mieux que les Sang-purs, pas mieux que ma famille”. Le coeur de Léonard se serra, il avait été loin comme à son habitude, trop loin, trop con pour l’admettre et trop fier pour avouer que ce n’était pas la première fois qu’il dépassait la ligne. Pourtant il avait été persuadé que Thimothy reviendrait, il revenait toujours après tout, mais les heures se sont transformés en jours, et il n’était pas revenu.
C’est étrange comme le son peut vous laisser vous bercer. La voix du maître de la cérémonie n’était plus qu’un écho lointain, lui laissant le luxe de somnoler en songeant à la meilleure manière de s'éclipser pour aller retrouver Tim. Un reniflement sonore et dégoutant sorti Léo de sa transe de pensée, il ne réprima qu’une grimace de dégoût. “Qui donc peut bien chialer comme ça pour cet abruti ?” Murmura-t-il, avant de se retourner vers la jeune femme à qui il était en train de prodiguer un massage apaisant faute de savoir faire autre chose lors d’un contact. “Sans vouloir t’offenser.” Au même instant, l’homme sur l’estrade invita l’assemblée à venir rendre un dernier hommage en laissant sa place. La mère de Luke se dirigea vers l’estrade, d’un pas faussement hésitant, un voile noire sur son visage blême qu’un trait de rouge criard venait rehausser. Madame Byrnes était sans nul doute l’une des femmes les plus méchantes que le monde est porté, elle était manipulatrice et menteuse, rien de bienveillant émanait de ses mouvances, jamais un geste compatissant, une parole douce, tout chez elle n'était qu'affable. Léonard la détestait et n’avait pu s’empêcher de voir certaines similitudes apparaître peu à peu, avec le temps, chez son feu ami.
“Mon fils” lança t elle à l’assemblée dans un sanglot étrangement criard. “Il était ma seule raison de vivre. Que vais-je faire maintenant. Je n’ai plus rien de lui.” Sur ces derniers mots, elle sembla lancer un regard au travers de sa dentelle à la veuve assise à la gauche de Léo. La mère de Luke continua son monologue, sa complainte écrite avec soin, mais dont aucune tristesse ne se dégageait. La colère était peu à peu monté chez Slughorn, il avait envie de tous les insulter, il ne savait même pas ce qu'il faisait ici, il avait voulu rendre un hommage à son ami de jadis, mais cette assemblée était à l’image de ce qu’il était devenu, un être faux et méprisable.
Son pouce roule sur le dessus de ta main avec douceur. Il presse ta paume. Le contact humain ne te dérange pas particulièrement mais dans le cas présent, tu as bien du mal à le comprendre. Pourquoi lui, Léonard, t’apporte-t-il son soutien ? Il aurait toutes les raisons de ne pas le faire. Tu n’es pas son amie. Tu ne le connais pas vraiment en réalité. Le peu d’information que tu pourrais avoir sur lui, sur sa famille, sur son passé, vient des commérages de Luke. Et comme tu le sais désormais, il n’était qu’un menteur manipulateur. Ce ne serait pas étonnant qu’il ait déformer la réalité pour faire passer les Slughorn pour pire qu’ils ne le sont réellement. Il n’hésitait jamais à les juger, à donner son point de vue biaisé sur une éducation qui n’était manifestement pas la sienne. Hypocrite qui ne crachait jamais son venin en face. Qui venait se plaindre, à toi, que la famille de son ami était bancale. Que lui ne l’aurait pas supporté. Que l’aîné de la fratrie était une honte pour ses ancêtres. Il déblatérait encore et toujours sur les potins qui l’entourait, des potins dont tu te fichais royalement à l’époque, pendant que toi, tu souriais en hochant la tête, lui servais son thé et restais plantée là comme une cruche. Quelle était triste ta vie Nia. Et comme il est affligeant de ne s’en rendre compte qu’avec un drame comme celui que tu as vécu, comme celui qui a coûté la vie à ton époux.
Il y en avait pourtant eu, des signes avant-coureurs de sa mauvaise foi et de sa négativité. Des démonstrations de sa vilenie. Des preuves si évidentes et que tu avais pourtant choisi d’ignorer complètement. Comme le jour où il a mis les pieds en territoire Zierbawa pour la première et unique fois. Bien que méprisé par tes pairs pour le crime d’un autre, il avait été accueilli plutôt chaleureusement. Mais les esprits se sont échauffés et Luke a décrété que ta culture était bizarre. Il ne comprenait pas le principe même du matriarcat, se sentait offensé par tant de misandrie alors que lui même avait porté atteinte à la gente féminine toute sa vie sans jamais s’en rendre compte. Il ne voyait pas non plus comment il était possible de vénérer des statuettes ni même de faire de la magie puissante avec seulement un petit bijou. D’ailleurs, il t’en a voulu lorsque tu lui as avoué que non, ta bague de fiançailles ne serait pas ton nouveau focus, que ce n’était pas ainsi que la magie extatique fonctionnait. Luke se vexait toujours d’un rien. Il boudait dans son coin, attendant patiemment que tu viennes t’excuser. Il était plus vieux que toi, pourtant il semblait si jeune, si immature. Un véritable enfant. Ces souvenirs, tu les avais enfouis au plus profond de ton être. Ton subconscient avait décidé de les éluder avec soin. Ainsi, Luke pouvait toujours te paraître merveilleux. Et puis il est mort. Et puis tu as appris la vérité. Et puis tu t’es remémorée ce que tu avais un jour su avec une certaine amertume. Tu y penses tout le temps. Nuit et jour, de nouvelles anecdotes refont surface. Comme en ce moment.
Léonard n’a pas lâché ta main. Tu aurais peut-être voulu retirer la tienne. Mais tu n’en as rien fait. Au contraire même, tu as oublié son contact pendant quelques instants jusqu’à entendre un reniflement dégoûtant. Jusqu’à ce qu’il parle dans un murmure, réprimant lui aussi un semblant d’écoeurement face à ce bruit disgracieux. Tes épaules se haussent. « Je ne suis pas offensée. Tu as raison, je ne comprends pas non plus. » Avoues-tu simplement à voix basse. Nia, tu es las de cette situation. Épuisée par l’hypocrisie et les faux-semblants ambiant. Éreintée des discours absurdes rendant, soi-disant, hommage au défunt alors qu’ils ne font que dépeindre une facette de lui irréaliste et surtout inexistante. Une facette de sa personnalité qui n’a jamais été que de la poudre aux yeux pour les plus naïfs comme toi. Quelque chose qu’il a appris de ses parents. Qu’ils ont pris soin de lui inculquer. Parce qu’il faut arranger la réalité et manier les mots à la perfection pour réussir. Ce n’est pas ta vision des choses. Ça ne l’était pas du moins. Duper autrui ? Trahir ses camarades ? C’est qu’il faudrait être incroyablement égoïste pour s’autoriser à dériver ainsi. Mais à trop donner de toi, à ne pas être assez individualiste, tu as fini par te perdre dans les méandres d’un mariage bien artificieux.
Tes yeux se lèvent sur la frêle silhouette d’Adelaïde. Tu t’es toujours demandée si ton ex belle-mère n’avait pas des problèmes de santé tant elle est rachitique. Comme si son corps dépérissait mais que son âme refusait de quitter son enveloppe charnel. C’est qu’elle n’est plus toute jeune Madame Byrne. Ses racines grisâtres et ses rides qu’elle tente désespérément de cacher sont là pour lui rappeler son âge. La plus belle des fleurs fanera. Même la Joconde subit les outrages du temps après tout. Il n’y a aucune raison pour que cette vieille harpie en réchappe. Tu avais été impressionnée par son teint incroyablement blanc. Mais pas une belle pâleur de porcelaine non. Plutôt blafard. Presque translucide, à la limite de fantomatique. Et ce n’est pas ce rouge à lèvre bien trop voyant à ton goût qui pouvait venir le réchauffer. Il ne lui donnait rien d’autre qu’un air un peu plus malade, un peu plus chétive. Alors que chétive, elle ne l’est pas. Loin de là même. Elle a l’air fragile Adelaïde. Elle le sait. Elle en joue. Tu connais par coeur la façon dont ses lèvres se meuvent pour exprimer le dégoût qu’elle peut éprouver à ton égard. Tu connais par coeur ses hoquets de surprise lorsque tu as le malheur de digresser, d’évoquer un sujet qu’elle ne souhaite pas aborder. Mais ce n’était pas ta mère. Seulement celle de Luke. Alors tu as longtemps pris sur toi pour ne rien dire. Tout encaisser pour devenir la belle-fille parfaite, l’épouse parfaite, bientôt la mère parfaite. Ce n’était jamais assez. Jamais suffisant pour avoir l’approbation de la vieille femme. Son unique fils était tout pour elle. Elle lui vouait tant d’amour que cela en devenait parfois malsain. Rien n’était assez bien pour lui. Personne n’était assez bien pour lui. Et peut-être que si elle n’avait pas formulé l’hypothèse selon laquelle tu n’es qu’une pauvre femme sans intérêt, il ne serait pas allé voir ailleurs. Le cas échéant, il ne serait pas mort. Mais tout cela n’est qu’une pure théorie qui ne pourra pas être avérée.
La voix tremblotante de la mère s’élève. Tu sais reconnaître quand elle est sincère et quand elle ne l’est pas. Et là, elle ne l’est très certainement pas. Ses sanglots sont si faux. Bien sûr qu’elle est triste d’avoir perdu son fils. Qui ne le serait pas ? Toi aussi tu es abattue d’avoir perdu le tien. Mais elle n’en avait rien eu à faire de ce petit être qui avait perdu la vie et qui aurait dû être son petit-fils. Aucune compassion n’émanait de sa personne. Aux yeux des Byrne, ce n’était qu’un enfant illégitime qui n’avait pas lieu d’être et qui ne devait surtout pas venir souiller le sang de leur précieuse petite famille. Ils ont toujours vécu en se pensant de la haute bourgeoisie. De vrais sang-pur qu’on avait décidé de punir pour une raison quelconque et d’exclure du registre Nott. Mais ils n’étaient ni purs, ni bourgeois. Ils ont toujours eu rêve de grandeur et de mondanité sans jamais en faire partie. Et s’ils ont, aujourd’hui, autant d’argent, ce ne que grâce au mariage entre Adelaïde et Edgar. Cette dernière te lance un regard des plus méprisants à la fin de sa petite tirade. Elle te hait. Elle hait Léonard. Et surtout, elle hait voir ta main prisonnière des siennes. Comme si tu trahissais Luke. Comme si la méchante c’était toi. Comme si tu étais responsable de sa mort.
Elle continue son monologue pendant de longues minutes. Tu aimerais pouvoir te lever, quitter l’assemblée sans que l’on ne te pose de questions ni ne te le reproche. Mais tu es la veuve. Tu es la femme supposée être la plus abattue en cette instant. Et ce n’est pas le cas. Tu n’es plus que l’ombre de toi même, trop fragilisée par les événements récents pour véritablement jouer un rôle. À quoi bon faire semblant ? Luke a fait semblant avec toi, avec les autres femmes, avec le reste du monde sorcier, et voilà où ça l’a mené. Quelle stupidité pour un ancien serdaigle. Et quelle perfidie pour un homme n’était même pas à serpentard. Si tu en avais le courage, tu partirais oui. Tu rentrerais dans ton pays, dans ta tribu, pour rejoindre Sierra et Nkechi. Mais le reste des Zierbawa t’avais prévenu. Ils t’avaient mise en garde. Les anglais sont tous des hommes mauvais. Et par deux fois tu avais prouvé qu’ils avaient raison de douter. D’abord avec Alabaster en 2000. Maintenant avec Luke. Tu ne veux pas entendre leurs inlassables “je te l’avais bien dit.” C’est bien la dernière chose dont tu as besoin. Pourtant, c’est ce qu’ils feront. Parce que tu as toujours décidé de n’en faire qu’à ta tête et que tu en subis aujourd’hui les conséquences.
La maître de cérémonie reprend sa place une fois le discours longuet terminé. Son doigt se pointe en ta direction alors qu’il t’invite à prendre sa place. « Peut-être souhaitez-vous prendre la parole Madame Byrne. » Demande-t-il avec une certaine douceur, sous le regard désapprobateur d’Adelaïde. « Madame Babajaro. » Le reprends-tu. Vous avez été mariés oui. Mais jamais tu n’as été Madame Byrne. Jamais tu n’as accepté d’être appelée ainsi et jamais ce ne sera le cas. Tu es bien trop attachée à tes origines et ton matronyme pour qu’un homme ne te le vole. « Je crains de n’avoir rien à dire. » Ajoutes-tu en secouant la tête de gauche à droite. Il n’y avait rien à exprimer de toute façon. Rien de positif en tout cas. Et tu n’es certainement pas un monstre au point de ruiner les obsèques d’un jeune homme, aussi mauvais eût-il été. Tu as encore trop de respect pour lui, pour toutes ces personnes rassemblées en ce jour funeste. Trop de respect aussi pour toi même. Laver ton linge face à ces gens que tu ne connais pas alors que le seul concerné repose dans un cercueil est bien inimaginable. Ta décision n’est surtout pas aux goûts de ses parents. Adélaïde pousse son fameux hoquet d’indignation quand le gros bonhomme moustachu gronde à ses côtés. « Une veuve qui ne pleure pas son mari et qui n’a rien à dire ?! A-t-on jamais vu pareille preuve de mépris ? Mon fils, ton époux, est dans cette vulgaire boîte de bois, et tu n’as rien à dire ? C’est une honte ! Une véritable honte ! » S’égosille Edgar, jusque là plutôt calme, devant le regard médusé de l’assemblée. Tes doigts se resserrent un peu sur la paume de Léonard alors que tu restes silencieuse. Tes yeux se baissent, humiliée. Et dans ceux-ci, des larmes minuscules naissent. Une boule désagréable prend place dans le fond de ta gorge et un poids atroce accable ta poitrine. Il te faut bien de contrôle pour ne pas tout simplement exploser en sanglot. Pas de tristesse. Non. Mais plutôt de la colère. Une haine acide et douloureuse qui te tire les entrailles à mesure qu’ils t’accablent pour un crime dont tu n’es pas la responsable mais plutôt la vraie victime.
La gorge toujours bien trop serrée, tu te tournes vers Léonard alors que le maître de cérémonie a pris la décision de continuer sans ton discours. « Il faut que je quitte cet endroit. » Articules-tu difficilement. Comme si Slughorn pouvait te sauver de quoi que ce soit. De cette abominable famille. De cet abominable endroit. Surtout de tous ces abominables souvenirs qui te rongent un peu plus chaque jour. Mais tu as confiance en lui, en ce moment même. Sans trop savoir pourquoi d’ailleurs. Il a été le seul à te tendre la main. Le seul à se soucier un minimum de ton état. Et probablement aussi le seul à connaître et à avoir vu la véritable nature abject de Luke. En somme, l’unique personne qui puisse te comprendre en cet instant.
“Putain” ces mots étaient sortis de sa bouche d'un souffle, à demi-conscient, à demi-audible, il n’y avait plus rien à dire d’autres, il s’était rendu compte que bien trop tard que sa place n’était pas ici, il aurait dû être ailleurs, et qu’importe l’endroit, tant que cela aurait pu être loin d’ici. Il n’en avait que trop entendu, il attendait sagement fixant un point devant lui.
Léonard n’avait jamais pu supporter la présence de cette femme qui transpirait d’une aura malsaine et mauvaise, elle était de ces gens qui n’ont rien pour être parent. Ne pouvant s’empêcher de la comparer à son paternel, pendant un instant, il les mit sur le même pied d'égalité pourtant, c’était impossible, bien que tous deux avaient un besoin quasi-névrotique de contrôler leurs enfants, Rodolphus avait la certitude d’agir au mieux pour le bien de ses fils, ce qui n’avait jamais été le cas de la mère de Luke, qui ne voyait en son fils que le moyen de parvenir à ses propres besoins.
Combien de temps était-elle restée sur l’estrade à prétendre que la mort lui avait retiré son unique raison de vivre, alors même que sa voix se voulait tremblante, ses yeux humides, la raideur de se nuque ne laissait rien apercevoir d’une femme acculée par le deuil d’un fils disparut, son menton était droit, sa nuque parfaitement alignée avec son dos. Léonard regarda l’assemblée curieux de voir qui se laissait prendre au jeu de cette piètre actrice, les regards convergent vers lui, sans vraiment comprendre pourquoi Léonard, mît quelques secondes à comprendre que tous la fixaient Elle. Nia. “Madame Babajaro”. Léonard ne put s’empêcher de sourire, il trouvait apaisant de voir que Nia restait une guerrière, peut-être qu’elle ne s’était pas aperçue de son ton impérieux, de la posture de défi qu’elle venait de prendre face au maître de cérémonie. Pourtant, c’était de droite que venait le danger, Adélaïde continua sa comedia del arte en solitaire et il était temps pour le petit Edgar de monter sur scène pour son propre show, de pouvoir briller par sa verve poisseuse et toxique.
Léonard sourit, un peu involontairement, mais la satisfaction qu’il éprouvait à entendre Edgar prétendre sortir de ses gongs avait été jouissive. Le vieil homme venait de lui donner l’occasion de pouvoir aussi cracher son venin, sans porter la culpabilité d'avoir dégradé la cérémonie. Le jeune Slughorn avait grandi entouré des familles puristes, de la société sorcière élitiste de l’époque, où les joutes verbales et les bassesses étaient un sport aussi appréciées que le Quidditch. Les étaient de ces sorciers à se prétendre purs, sans jamais pouvoir un jour en atteindre le rang, rêvant de vivre dans les cercles restreints qu’avait subi, dans sa jeunesse, Léonard et son grand frère.
Mais avant que Léonard, soucieux de laisser à Nia le temps d’attaquer la première, puisse prendre la parole, le maître de cérémonie lui vola la chocogrenouille avant qu’elle est sautée. La colère grossissante de ces derniers jours avec son compagnon, cette cérémonie, le ministère, son père, son frère, et maintenant de la sordide humiliation qu’on tentait de faire subir à cette femme, présente à l’enterrement de cet être répugnant. “ Il faut que je quitte cet endroit.” Léonard se leva pour la faire passer, conscient que la décision lui appartenait et qu’elle était sensée, pourtant remonter l’allée sous les regards et les murmures allait probablement être la partie la plus dure de la journée. Alors qu’il laissait Nia passer devant lui, Edgar s'étant probablement enorgueilli lui-même de son propre éclat et se demandant un rappel et ce bien que personne n’eut applaudis à la fin de la grossière première partie du sordide spectacle, reprit la parole. “Espèce de sale petite ingrate…” Léonard se tourna alors vers Edgar désireux de passer sur cet être abject son venin lui aussi. “Miséreux petit être repoussant que vous êtes, vous et votre vieille bigote. Cette femme a eu le courage de venir ici, par respect, par croyance, par courage qu’en-sais-je. Venir contempler dans le dernier petit carton de l’être immorale et abject, que deux sang-mêlés ont par malheur un jour mis au monde. Ne dites plus mots que vous pourriez regretter, essayez d’avoir le quart du deuil que vous prétendez avoir. Sachez que je me chargerais moi-même de rapporter à tous, l’immondice de vos actes. Vous êtes déjà morts Byrne.” Remontant l’allée pour rejoindre Nia qui passait la porte, Léonard souriait à l’assemblé, fier de lui, le cœur léger, le pas souple, insensible au quelques regards belliqueux. Qu’importe que ce soit vrai ou non, que les Byrne ai où non une influence, Léonard mettrait un point d’honneur à ce que ces derniers deviennent les persona non grata des futurs réceptions mondaines, ou du moins celle qui serait tenu chez les Slughorn, et comme tous savaient, les meilleurs réceptions sont toujours chez les Slughorn.
Arrivant à proximité de Nia, il s’étira en demandant à la jeune femme “Bon maintenant, on va aller boire non ?” Finalement il était satisfait d’être venu à la petite sauterie.