Dire que ta vie est partie à vau l’eau est sans doute un euphémisme. Tu as balancé une bombe plus grosse que toi dans le journal à une conférence de fucking Potter, tu as ensuite du quitter ton domicile précipitamment, chassé par des journalistes avides de scoop comme un sanglier par Obélix, tu crois même avoir vu Rita Skeeter rôder dans le tas, mais tu n’en es pas certain. Tu as ensuite été te bourrer la gueule dans un club moldu branché, est reparti avec un homme qui t’a fait l’amour comme on ne t’a jamais fait l’amour, appris au petit matin qu’il était ambassadeur d’Egypte, ancien – ou pas – tueurs à gages et Euthanatos… Et marié aussi. Deux fois. Et père aussi. De quatre enfants dont l’aînée est, semble-t-il, plus âgée que toi. Vous avez parlé, beaucoup parlé le lendemain, et fait l’amour, encore, jusqu’à ce qu’à la nuit tombée, il ne t’avoue avoir un rendez-vous urgent, une histoire de psy pour sa fille suivi sans doute par des retrouvailles avec ses femmes et que vous vous sépariez enfin. Et te voici en bas de cet hôtel moldu, la gorge encore marquée de ses suçons, son anneau à ton index, les pointes de cheveux humides de la douche que tu as prise après votre dernière étreinte passionnée. Tu pourrais rentrer chez toi… Tu as prévenu ton père que tu découchais, et il ne t’a pas posé de questions bien qu’il t’ait assuré qu’il était là si tu avais besoin de quoi que ce soit. Tu pourrais… mais tu crains déjà les réactions des membres de ta famille, tous choristes célestes, tous anglicans lorsque tu leur expliqueras que tu as commis le péché de sodomie avec un homme marié et père de quatre enfants… Et que tu as très envie de recommencer avec ce même homme dont l’image apparaît à ta mémoire à chaque fois que tu fermes les yeux.
Non. Rentrer est une mauvaise idée.
Tu dois reprendre le boulot le lendemain, les deux jours de congé que tu as pu poser s’étant écoulés à la vitesse d’un battement de cils dans les bras de ton amant. Bizarrement, tu n’es pas spécialement enthousiaste à l’idée de retrouver tes pipelettes de collègues et la foule du monde de la Magie, patients comme professionnels de santé, qui auront tous vu ta gueule dans le journal et la légende qui va avec. Alors tu fais ce que tu fais à chaque fois en période de crise à vingt heures passées. Tu passes au take-away moldu le plus proche pour prendre un délicieux assortiment de tout ce que la Thailande et le petit traiteur du coin a de meilleur et te rendre chez Adèle et @Erin McAllister, tes deux meilleures amies du monde entier. Tu supposes qu’à cette heure là, elles n’auront peut-être pas encore mangé, ou du moins l’espères-tu. Par acquis de conscience, tu fais un détour par une supérette aussi, juste avant sa fermeture et en ressors avec de la glace chocolat et straccatella que tu as pris soin d’enchanter d’un glacius discret pour qu’ils tiennent jusqu’à l’appartement des cousines. Tu t’éloignes jusqu’à un endroit désert, t’assures qu’il n’y a aucun moldu à l’horizon, et te volatilises dans un « pop » sonore.
Aussitôt, te voici, un sachet de bouffe thaï dans une main, les glaces dans l’autre, en bas du lieu où vivent les cousines. Tu équilibres tes paquets dans tes bras et libère une main pour sonner à l’interphone. Lorsque tu entends une voix féminine décrocher, tu annonces :
- C’est Uriel, je suis en bas de chez vous avec le repas !
Et il ne te reste plus qu’à retrouver les cousines dont tu imagines déjà sans mal la myriade de questions… Comme tout le monde, elles ont du lire le journal, et tu ne les a même pas contactées avant de disparaître pendant deux jours… Cette fois, c’est sur, Erin aura ta tête !
C'est ce qu'on pourrait appeler une soirée reposante. Les derniers jours ont été éreintants, bouleversants. Difficiles. Le monde magique semble aller de mal en pis, s'embourbant dans les décisions politiques, les révélations scandaleuses, les procès contestés, dans une atmosphère chaotique qui semble s’appesantir un peu plus chaque jour. Vous en avez longuement parlé avec Adele hier soir, échangeant vos impressions, témoignant des scènes observées dans la journée, et de voir ta cousine si peu sereine n'a fait que renforcer ton impression qu'une catastrophe imminente couve, n'attendant que quelques braises flamboyantes pour éclore sous vos pieds.
Alors ce soir, c'est repos. Merlin sait combien tu en as cruellement besoin ! Au moins, ta nuit de sommeil est assurée, avec les compliments de ton vendeur de rêves préféré. Le retour de Nasiya compte parmi les rares bonnes nouvelles de ces derniers jours – non, tu exagères, les retrouvailles avec Malachy ont également gonflé ton coeur d'émotion. Helga soit louée de sa réouverture providentielle, sans ses petites fioles miraculeuses, ce début de semaine aurait été plus insupportable encore. Rentrée tôt du Ministère, tu as abandonné ton uniforme pour une tenue où le confort n'admet aucune contestation de l'élégance, affalée sur le canapé, ton plaid aux couleurs de Poufsouffle sur les genoux. Même Súil semble réaliser ton besoin de tendresse. Installé, une fois n'est pas coutume, sur ton ventre, il ronronne doucement, sa tête blanche cherchant constamment tes caresses. La télécommande en main, tu zappes nonchalamment sur la télévision d'un quelconque talkshow à une rediffusion de série, du journal télévisé – pitié, non ! N'ajoutons pas les mauvaises nouvelles moldues à celles qui secouent votre univers – à une émission de cuisine. La vue des petits plats mitonnés fait monter un grondement sourd de ton estomac insatisfait. Tu n'as rien avalé depuis ce midi, et la faim commence à se faire sentir. Mais que le frigo est loin, que la flemme est forte, te clouant aux coussins qui s'amassent tout autour de toi. Que... Que cet interphone est bruyant !
Le son strident t'a fait sursauter, réveillant Súil en sursaut dans un feulement mécontent. Se lever ou non... Ignorer l'importun ou lui répondre. La question plane un instant avant que tu ne réalises qu'une personne bornée risque tout bonnement d'appuyer encore, faisant résonner encore cette maudite sonnette. Le confort de tes oreilles valant bien celui de ton corps fatigué, tu t'extirpes en ronchonnant de ta place pour rejoindre la porte d'un pas traînant. Mais la voix qui s'élève du combiné chasse aussitôt ton animosité. « Uriel ! Je t'ouvre, monte ! » Ton doigt s'écrase déjà sur le bouton déclenchant l'ouverture de l'immeuble. Inutile de lui préciser quoi que ce soit, il connaît trop bien votre troisième étage depuis le temps. À un regard sur le bazar environnant, tu hausses les épaules – il a déjà vu l'appartement en bien pire état – et déjà ses pas se font entendre dans l'escalier. Tu entrouvres la porte, déjà prête à l'accueillir. « Entre, entre ! Tu tombes à pic. Adele n'est pas... » Tu t'interrompts brutalement, les yeux rivés sur lui. Ses boucles blondes, ses yeux cernés, mais surtout, surtout, ce camaïeu qui s'étend sur sa gorge découverte. Oh douce Helga ! « C'est quoi, ça ? » La question s'est échappée avant que tu n'y penses, plus abrupte sans doute que tu ne l'aurais voulu. Oh qu'il semble perdu, désorienté... Déjà, tu regrettes ces mots sans retenue. Sans lui laisser le temps de s'appesantir dessus, tu avances d'un pas pour le libérer de ses fardeaux, vite déposés sur l'îlot de la cuisine. Et déjà, enfin, tu le prends dans tes bras, non sans inquiétude. De cette étreinte dans laquelle tu le sens si tremblant, tu le libères finalement, faisant un pas en arrière pour lui laisser le passage. Le porte-manteau n'a que le temps de bondir pour récupérer son manteau et ses chaussures avant que tu ne le guides vers le canapé, les sacs de victuailles dans une main, l'autre posée dans son dos. « Viens t'asseoir, je sens que tu as des choses à me raconter. » Ta voix s'adoucit, nouée d'une voile d'inquiétude. Vous vous attendiez à sa visite prochaine – quelle idée d'intervenir publiquement lors d'une prise de parole de Potter, par tous les fondateurs ! À l'évidence, ces jours derniers ont été aussi mouvementés pour lui que pour toi... Ce ne sera sans doute pas une soirée reposante, tout compte fait...
Lorsque la voix d’Erin résonne de l’autre côté de l’interphone, à peine troublée par le grésillement électrique, tu sens une vague de soulagement te traverser et tu esquisses même un demi-sourire. Erin McAllister, toujours là pour sauver la fête ! Tu as toujours adoré la jeune Pouffsouffle et sa cousine, même à l’école. Elles ont été là pour te soutenir, et te sortir parfois de quelques mauvais pas tendus par tes camarades de classe (y compris parfois des Serpentards plus jeunes que toi). Alors tu ne peux t’empêcher de sentir une vague de soulagement te déferler dessus… Oui, vraiment, tu as bien fait de venir ici. Tu empruntes l’escalier jusqu’au troisième étage, et tu parviens, au bout d’un couloir convenablement éclairé à la porte du Paradis où t’attend déjà la frimousse avenante et la cascade de rousseur d’Erin. Tu as beau être fatigué tu es sincèrement heureux de la voir et tu te maugrées de ne pas lui avoir écrit tout de suite. Si Adèle était là, nul doute que tu en aurais entendu parler toute la nuit !
Au moment où tu t’apprêtes à la saluer, elle te prend de vitesse, les yeux fixés sur ta gorge. Instinctivement, tu te raidis, te souvenant de l’empreinte laissée par les lèvres de Djouqed sur ta peau même pas vingt quatre heures auparavant. Tu frissonnes un peu, incapable de lui répondre de suite. Elle s’empresse de te libérer de ton fardeau, et te pousse directement dans l’appartement qu’elle partage avec sa cousine en prenant soin de refermer la porte derrière vous. Tu déposes ta veste sur un cintre libre, tes chaussures bondissent jusqu’au rangement adéquat et lorsques tu passes rapidement devant la surface réfléchissante la plus proche, tu en profites pour aviser ta gorge d’un battement de cils. Tu rougis jusqu’à la racine des cheveux… Pourquoi n’avais-tu pas de foulard ?
C’est encore vaguement embarrassé que tu arrives dans la cuisine et qu’enfin, tu retrouves ton amie. Tu la serres contre ton coeur, les mains un peu tremblantes.
– Salut Erin.
Un souffle pendant votre brève étreinte. Retrouver Erin, c’est comme retrouver une sœur… Et Retrouver Adèle, c’est toujours retrouver une tornade ! Tu souris, sincèrement. Malgré la pression des derniers jours, rien ne te fait plus plaisir en ce moment que de retrouver l’une de tes plus proches amies. L’une de celles, en tous cas, vers lesquelles tu te tournes en cas de pépin. Mais te voici déjà, avant même d’avoir pu cligner des yeux, assis dans le canapé à côté d’Erin qui a ce même air sérieux que lorsqu’à l’école, Adèle et elle, les mains sur les hanches, t’ordonnaient de parler après des journées particulièrement difficiles. Tu ne peux pas réfréner un gloussement de rire en te souvenant de ces périodes bénies de l’adolescence. Ces périodes où tu ne savais encore rien de celui par qui tu es né
– Est-ce qu’il serait de nature à te rassurer si je te dis qu’en dépit de ça – tu montres le suçon sur ta gorge – je vais bien et que je n’ai été agressé ni par un journaliste, ni par une folle, ni par un mangemort ?
Tu as toujours eu cette habitude de faire dans le sarcasme lorsque les choses sont trop dures pour toi. Erin le sait. Combien de fois ne lui as-tu fait le coup après avoir pris des bleus, courtoisie de tes camarades de Serpentard ? Tu redeviens plus sérieux, cependant.
– Est-ce que ça te dit que je te raconte tout ça autour d’un bon repas ? Il faudrait peut-être mettre les glaces au frais, je ne suis pas trop sur de la durée de vie de mon glacius.
Tu te lèves pour aller mettre au congélateur les glaces, et laisse à Erin le soin de commencer à déballer les sachets contenant ce que tu as acheté pour vous deux – trois si Adèle était là – au resto Thaï près de l’hôtel où Djouqed et toi avez pris du bon temps. C’est les joues un peu empourprées d’avoir repensé à Djouqed que tu reviens t’installer à côté d’elle avec un pichet d’eau et deux verres. Tu l’aides à déballer le reste du repas et, comme à ton habitude, t’asseois en tailleurs sur le canapé. Ça aussi, tu l’as bien souvent fait planqué dans une salle de classe désertée à des heures indues avec Erin et Adèle alors que ni Adèle ni toi n’auriez du être là. Mais les Pouffsouffles ont toujours été les plus accueillants des quatre maison, et tu te souviens bien d’une nuit ou deux passées sur un canapé transformé d'après un bureau, une couverture empruntée aux poufsouffles sur l’épaule… Et du savon que les préfets de Pouffsouffle t’ont passé le lendemain lorsqu'ils se sont rendus compte que le plaid avait disparu suspicieusement dans une salle de classe du premier étage !
– Bon, je suppose que tu as vu mon petit coup de sang à la conférence du Ministre…
Tu ne sais pas trop par où commencer, alors autant y aller au début.
– C’est vrai. Ma mère a été… elle a été violée par Lucius Malefoy, et neuf mois plus tard, je suis né. Tu sais que j’ai jamais connu mon père, que Jonas Lewis n’est que mon père adoptif… Il s’est marié avec ma mère quand j’avais trois ans. Mais je ne savais pas… pour Malefoy.
Et pourtant, tu as une certaine ressemblance avec Lucius et Drago, la chose est indéniable. Le patriarche Malefoy et toi avez en commun les traits altier, la mâchoire carrée, les yeux pâles. Tu as les cheveux bouclés et un peu plus foncés que ceux des Malefoy, mais même… cela ne change pas grand-chose aux signes visibles. Tu es à peu près sur que Severus Rogue a du frôler l’arrêt cardiaque la première fois qu’il t’a vu et quand tu as été réparti dans sa maison. Parce que lui savait ce qui est arrivé à ta mère. Etrangement, ça, tu n’as pas envie d’en parler à Erin. Tu en veux à Rogue, c’est indéniable, mais il a paru si brisé par ses propres actions que tu ne parviens pas à être totalement et irrémédiablement en colère contre lui. Il y a autre chose. Tu te sens trahi mais tu n’arrives pas à le haïr, surtout pas quand il a formulé des regrets aussi sincères. Alors tu passes sous silence son implication et ses révélations.
– Je l’ai appris en découvrant le testament de ma mère, enfin, un peu avant, mon père – Jonas – m’en a parlé. Il savait, et il savait que ma mère avait raconté son histoire dans son testament.
Ta voix tremble un peu et tu te tords les mains machinalement. L’anneau autour de ton index est tiède entre tes doigts, il te procure un drôle de sentiment de réconfort, comme si Djouqed était là, à côté de toi, pour te chuchoter à l’oreille que tout va bien se passer.
– Alors quand le Ministre s’est pointé là, sur la place publique, pour parler d’Engel et ses potes qui ont certes fait les couillons mais qui ne sont probablement pas à l’initiative de toute cette connerie, j’ai eu l’impression qu’il en oubliait les vrais responsables… Et j’ai pété un câble.
Tu sers de l’eau dans les verres pour te donner un peu de contenance. Tu prends le verre entre tes mains, en bois une gorgée puis le fait tourner entre tes doigts.
– Évidemment, à l’instant même où j’ai parlé, j’ai su que j’étais complètement débile et que j’avais fait la connerie de ma vie, mais… Je pouvais pas laisser passer l’occasion. Je pouvais pas me taire. Ma mère a choisi de se taire toute sa vie… je… je pouvais pas. Dès que la conférence s’est achevée, j’ai transplané à l’hôpital, j’ai fini ma journée de boulot, posé deux jours de congés, parce que je savais que la nouvelle serait placardée partout dans le journal, et je suis rentré chez moi. J’en ai parlé à mon père, évidemment, et on a pris la décision d’aller chez son frère dans le Londres Moldu pour éviter d’avoir trop de journalistes aux basques… on a bien fait, il paraît qu’il y en a toujours qui traînent devant la maison…
Tu hoches la tête, finis le verre. C’est maintenant que les choses difficiles commencent.
– Le soir, j’étais tellement mal que j’ai voulu me changer les idées. Alors je suis sorti dans un bar moldu, histoire de ne pas être reconnu, avec la ferme intention de danser, picoler et peut-être rencontrer une nana.
Tu as les joues un peu empourprées. Tu imagines très bien comment ça peut sonner. Ça ne ressemble pas vraiment à l’Uriel que tout le monde connaît. Oh, tu avais ton petit succès avec les filles à Poudlard, mais ce n’est jamais allé beaucoup plus loin que le bisou et la sortie à Pré-au-Lard… Enfin, sauf une fois ou deux… Mais ce n’est certainement pas le moment de penser à cette fois dans la salle de métamorphose… Surtout pas. Trop tard, tes joues ont viré rouge feu.
– Bon, je m’en suis tenu au programme, j’ai dansé, j’ai picolé, j’ai rencontré quelqu’un. J’ai passé une nuit à l’hôtel, puis une journée complète en sa compagnie et une… deuxième nuit à l’hôtel.
Sur la fin ta voix est devenue un murmure inaudible. Si Erin fait le compte des jours depuis la parution dans le journal de cette sombre affaire, elle ne pourra qu’en déduire que la nuit dernière, tu étais encore dans les bras de ta conquête dont tu as soigneusement, si soigneusement tu le genre jusqu’à présent. Et si elle observe plus attentivement ta mine gênée, peut-être pourra-t-elle supputer que cette chambre d’hôtel, et cet amant mystère, tu ne les as pas quittés il y a si longtemps que ça. Pas longtemps du tout, en vérité.
code by EXORDIUM. | 1680 mots
PS : j'ai pris deux trois libertés sur la relation à Poudlard entre Adèle, Erin et Uriel, s'il y a la moindre chose qui ne te paraît pas cohérente, dis le moi, j'édite
Sous les boucles blondes d’Uriel, son regard bleu qui s’évade loin du tien, tu retrouves tant de ce gamin tremblant qui se dissimulait dans l’alcôve d’une armure pour y pleurer loin des regards. Loin, surtout, des quolibets et de la mesquinerie de ses camarades de dortoir. Comme espérant que l’empreinte du chevalier ainsi dressé suffirait à le protéger de tous les maux promis par ses condisciples si enclins à juger un statut de sang, à un nom plutôt que de s’intéresser à celui qui le porte. C’est ainsi prostré que vous le retrouviez généralement, allant de cachette en cachette jusqu’à apercevoir sa silhouette frêle roulée en boule. Partagées entre l’envie de faire ravaler leur venin à ces maudits serpents et celle de le réconforter avant tout – inutile de préciser que vous étiez régulièrement en désaccord quant à la manière de traiter la situation, ni vers quelle solution vous tendiez respectivement. Oui, il a grandi ton petit Uriel depuis les couloirs de Poudlard, et les années lui ont amplement profité. Avec cette chevelure lumineuse, sa mâchoire volontaire, ses lèvres pleines et ses yeux tendres, il doit en faire tourner des têtes. Tes yeux sont certes généreux à son égard, sans doute peu objectifs, de cette partialité presque fraternelle qui autorise toutes les indulgences – et d’ailleurs, il est bien trop blond à ton goût, ton coeur s’émeuvant généralement bien davantage pour des boucles brunes. Alors ce suçon, dans son cou… au fond, il ne te surprend pas tant que ça. Bien qu’il pique ta curiosité de mille et unes questions à peine retenues. L’ébauche de réponse à peine esquissée peine à te rassurer, mais enfin puisqu’il t’assure n’avoir subi aucune agression… C’est l’essentiel. Le reste des explications peut bien attendre que vous soyez attablés.
Ce qui ne tarde pas, du reste. Ce qui ne tarde pas, du reste. Le dessert dûment sécurisé dans le congélateur – les moldus se montrant tout de même bien au point que les sorciers sur le sujet – et chacun de vous installé à un bout du canapé, verre à la main. De l’eau, semble avoir décidé Uriel en revenant vers vous carafe en main. Mais tu conserves ta baguette à portée de main, toute prête à vous fournir en jus de citrouille, voire en whisky selon le tour que prendra la conversation. Sur la table, les effluves de basilic thaï et de légumes grillés te mettent l’eau à la bouche, mais avant cela… La voix de ton ami se fait tremblante, hésitante, les mots butant sur ses lèvres tandis qu’il débute son récit. Assise en tailleur, jouant discrètement avec le contenu de ton verre, tu l’écoutes sans mot dire – sans toutefois retenir le cri d’horreur, le hoquet de stupéfaction qui te saisissent face à l’horreur qu’il dépeint. Tes yeux restent rivés aux siens, empreints d’une lueur mi-inquiète, mi-stupéfaite face aux révélations qu’il t’assène comme autant de sortilèges impardonnables. Et lorsqu’enfin le flot se tarit, tu restes un instant silencieuse. Choquée. Uriel. Un viol. Malefoy. Tu dévisages ton ami, cherchant à redécouvrir les traits de ton ami sous un jour nouveau. Et l’implacable vérité te heurte – douce Helga, est-il possible que tu n’aies jamais fait le rapprochement, à voir placardé le portrait de Malefoy sur les murs du bureau depuis des années ? À la lumière de ces révélations, tu retrouves effectivement en lui un peu de l’ancien mangemort, la morgue en moins. « Merlin tout puissant… Oh Uriel, tu… » Tu te mords la lèvre, réfrénant ton réflexe premier : pourquoi n’es-tu pas venu nous en parler ? Il sait que vos oreilles lui sont toujours acquises, votre porte toujours ouverte. S’il n’a pas souhaité venir y frapper, c’est qu’il n’était pas prêt. À quoi bon lui rappeler en ce qui pourrait passer pour un reproche voilé ? L’essentiel, c’est qu’il soit là aujourd’hui. Oubliés les odeurs délicieuses qui montent à vos narines, la fatigue comme une chape de plomb sur tes épaules, l’absence d’Adele qui se reprochera sans doute de n’avoir pas été présente ce soir. Écartée ta curiosité quant à cette amante dont tu devines encore la présence dans son cou marbré de rouge, dans ses joues empourprées, dans sa posture pleine d’émotion. Tes innombrables questions peuvent attendre. Manger, boire, badiner… Rien ne presse. Tes doigts cherchent les siens, se referment sur sa main que tu serres de toutes tes forces. Cherchant à lui transmettre tout cet amour, ce soutien qu’aucun mot ne saurait exprimer à la hauteur du regard tendre dont tu l’enveloppes. Et finalement, tu poses la seule question qui soit vraiment pertinente, la seule qui ait la moindre importance au milieu de ce chaos que semble devenue sa vie. « Comment tu vas ? » Tes prunelles sont ancrées aux siennes, inamovibles. Fortes et immuables. Plus fortes qu’elles ne l’ont été depuis longtemps. Immuables dans leur infinie certitude : quoi qu’il se passe, quoi qu’il advienne, tu es là.
En parlant à Erin, tu n’avais certainement pas anticipé le mélange d’horreur, de soulagement et de terreur qui t’assaillirait. Il faut dire que pendant les derniers jours, tu n’as pas eu beaucoup le loisir de te poser. Tu as parlé à Djouqed. Presque une folie. Mais tu lui as parlé. Tu as mis des mot, audibles, des murmures, des larmes, sur cette expérience qui fut celle de ta mère. Tu as enfin ouvert la porte à ces sentiments contraires qui t’agitent. Tu as cessé de tout planquer sous un tapis en attente de t’en occuper plus tard. Tu affrontes la réalité qui, à force de déni, a fini par t’exposer au visage en pleine interview du Ministre.
Oui, tu es le produit d’un viol. Non, tu n’as pas été un enfant né de l’amour. Non, tu n’as pas été un enfant désiré. On t’a gardé, élevé par devoir, en voyant dans tes traits ceux d’un bourreau. Un souvenir perpétuel de celui qui t’a engendré. Aurais-tu pu faire ce que ta mère a fait pour toi ? Tu n’en sais rien. Les mots de Djouqed résonnent dans ta mémoire, une pommade sur tes plaies « à sa manière, elle a du vous aimer ». Peut-être. Elle t’a donné un père, en tous cas, Jonas a toujours été le roc sur lequel tu t’es appuyé pour grandir et devenir celui que tu es aujourd’hui. Assurément, tu as eu une vie plus belle que celle que l’on te promettait : ni abandon, ni avortement, et un père aimant en lieu et place du monstre qui a détruit la vie de ta mère.
Pourtant, tu n’as pas pu t’empêcher de te sentir déchiré de l’intérieur lorsque la vérité s’est faite. Tu es le fils d’un monstre, d’un homme à abattre. Le fruit d’une guerre qui a détruit des vies de bien horribles façons. Tu es le produit de cette guerre, marqué par ces combats et ces idéologies qui souillent le monde de la magie d’une haine rampante. Comment pourrais-tu te regarder dans un miroir en sachant cela ? En sachant d’où tu es né ? Et pourtant, tu as pu, en te préparant, tout à l’heure, te regarder dans une glace et y voir autre chose. Y voir un homme enlacé par son amant, y voir la douceur de tes traits, tes épaules allégées d’un poids. Tu as pu y contempler la peau de Djouqed blottie contre la tienne, et ses bras autour de ta taille. Tu as pu voir ta main, ornée de cet anneau, caresser son visage, et ses lèvres papillonner sur ta gorge. Tu as pu y voir vos prunelles briller de la même adoration avant que vos bouches ne s’unissent et que le miroir ne soit oublié.
Alors tu lèves les yeux vers Erin, l’une de tes plus vieilles amies, ta plus proche amie. Tu la voisse mordiller la lèvre, hésiter, puis enfin poser la question en prenant tes paumes dans les siennes. Comment tu vas ? Tu serres ses mains entre les tiennes, réchauffé par sa présence, puis les libère… pour mieux te pencher vers Erin et la prendre dans tes bras comme si ta vie en dépendait. Tu sens les vannes lâcher. Toutes. Et tu sens les larmes qui ruissellent sur ses joues avant même que tes paumes ne se soient refermées sur le corps frêle de ton amie. Elle est là. Elle t’a protégé et réconforté tant d’années durant. C’est fini, maintenant, ton tourment est fini. Elle est là. Tu as toujours pu compter sur elle, et la voilà. Ton aînée d’un an, comme Adèle, elle t’a protégé. Elles t’ont protégé. Deux cousines inséparables à qui tu dois bien plus que tu ne saurais le dire. Deux astres diamétralement opposés qui t’ont guidé dans la nuit. Tu ne sais pas combien de temps tu restes à pleurer sur l’épaule d’Erin. Tu hoquetes, tu suffoques, et tu finis par te calmer après ce qui semble une éternité. Tu serres une dernière fois le corps d’Erin contre toi et la lâches doucement, presque à regret. Tu attrapes l’une des serviettes en papier du repas pour t’éponger les yeux. Tu te sens vidé, tu as un sourire las, un peu contrit sur le visage.
– désolé, c’est… parti tout seul.
Tu te mouches un peu trop bruyamment à ton goût. TU es vraiment embarrassé. Tu as l’impression d’être à nouveau ce gamin de onze ans que les cousines consolaient… Et tu as pleuré la veille et l’avant-veille dans les bras de Djouqed aussi. C’est comme si toute cette histoire était trop forte en émotions pour te permettre de vraiment reprendre pied dans ta vie. Tu hoches la tête, essuie une dernière larme, et essaie de reprendre contenance malgré la détresse évidente que tu ressens. Tu supposes qu’il va te falloir t’accoutumer à passer du rire aux larmes à la seconde… tu ne t’es jamais senti aussi instable émotionnellement.
– Je suppose que tous comptes faits, ça pourrait aller plus mal : le resto aurait pu être fermé.
Tu glisses ta main sur la sienne et la serre en signe de camaraderie.
– Merci d’être là, Erin. Je suis vraiment désolé de venir te plomber la soirée… Mais je ne savais pas trop où aller en quittant l’hôtel… et venir ici… c’était une évidence.
Et c’est ce moment que choisit ton estomac pour gronder sourdement.
Uriel pleure. Dans ces bras que tu lui as ouvert sitôt les premiers tremblements esquissés, ton verre en hâte déposé sur la table basse. Son corps secoué de ces lourds sanglots qui s'épanchent en torrents de larmes, agrippé à toi comme un naufragé à la planche qui doit lui permettre de garder hors de l'eau. Si profondément vulnérable que tu sens ton cœur se fendiller un peu à sa vue. L'une de tes mains a trouvé le chemin de ses boucles blondes, avec une intimité née de l'habitude, serrant son visage baigné de chagrin dans le creux de ton cou, l'autre se perd sur son dos arqué par le poids des révélations. Ton corps oscille doucement, dans un lent balancement que tu espères apaisant, et tu le serres Merlin, tu le serres si fort. Aussi fort qu'il t'étreint, à te couper le souffle, à t'en briser les os. Mais qu'importent les séquelles, pourvu qu'il puisse épancher enfin ce trop-plein d'émotions qui te bouscule en plein cœur et te fait monter les larmes aux yeux. Pleure Uriel. Pleure petit frère. Je suis là. Toujours là.
Combien de minutes pour cette éternité de désarroi qui vous laisse exsangues? Tu n'as pas essayé de compter, et au fond, quelle importance ? Combien de temps avant qu'il ne se redresse, balbutiant des excuses bien inutiles, balayées d'un geste de la main sitôt prononcées. Puisqu'il semble vouloir reprendre contenance, tout à se morigéner de ce que tu lui interdis de considérer comme un accès de faiblesse, tu détournes les yeux. Laissant ton regard se poser sur les barquettes d'aluminium qui n'attendent que vos fourchettes et votre appétit, tandis qu'il se mouche. Un sourire seulement répond à sa boutade – tu es trop bouleversée pour feindre de réagir davantage. Déjà, sa main revient prendre la tienne dans un remerciement, une excuse. Tes doigts glissent le long de sa joue, insistant doucement contre sa peau trop blême pour amener son regard pâle à croiser le tien. Ta tête oscille de gauche à droite dans un refus dont la douceur ne saurait effacer l'impératif. « Ne t'excuse jamais de pleurer ici, Uriel. Je suis heureuse que tu sois venu et j'espère que ce sera toujours, toujours une évidence. » Ta nuque se courbe jusqu'à ce que ton front s'en vienne délicatement trouver le sien, tendre instant de communion rompu par le grondement de ton estomac venu répondre au sien.
Tu te redresses dans un rire, avant de te tourner vers votre festin. « Nos ventres sont à l'unisson, ce soir ! » Avec un plaisir non dissimulé, tu t'empares d'une barquette d'où s'échappe l'arôme de ce basilic thaï que tu aimes tant. Le plat bientôt calé sur tes genoux en tailleur – protégés d'une serviette en papier, personne n'est moins à l'abri que toi d'en renverser le contenu ! –, tu attires à vous quelques couverts plus utilisables que ceux en plastique glissés dans le sac. D'une main experte, tu ôtes le couvercle de carton pour le reposer sur la table, non sans laisser s'échapper quelques gouttes de condensation. Et ce n'est qu'une fois ton amie également pourvu que tu lui lances un « Bon appétit ! » enjoué, ta fourchette plongeant dans les légumes aromatisés.
Quelques minutes passent, leur silence seulement rompu par le bruit de vos couverts. Les livres d'ordinaire si prompts à changer de place, les décorations aux couleurs de Gryffondor et Poufsouffle, rien ne bouge, l'appartement lui-même semblant s'être mis au diapason de la gravité des révélations flottant dans l'air. Tu finis pourtant par rompre ce mutisme, lui désignant prudemment la tâche pourpre étalée sur son cou blanc. « Est-ce que tu veux me parler de la personne qui t'a si délicatement embrassé... ? » Tes mots restent en suspens, ouverts. Ou préfères-tu me parler encore de cet homme abject dont tu t'es découvert le fils, de ce que tu ressens face à cela ? Ou souhaites-tu ne rien dire, allumer la télévision sur la première bêtise venue, pour te distraire de ces pensées trop lourdes ?