Tout a commencé il y a de cela trois jours. Un petit déjeuner normal dans la grande salle, sous le regard meurtrier de la moitié des élèves et membres du personnel en présence. Il faut dire que la pilule du renvoi de deux élèves et d’un professeur a du mal à passer, et elle aurait sans doute encore plus de mal passer si l’on savait que le débonnaire Ernst Wilson n’était autre que l’infâme Lucius Malefoy dont chacun sait les méfaits, le faciès et l’urgence de le capturer mort ou vif. La haute stature du Directeur ne dépareille donc pas dans la grande salle. Il trône en majesté, Minerva à sa droite, le traître à sa gauche… un traître qui n’est, ce jour là, que son collègue d’Astronomie… pas vraiment un traître, donc, mais c’était pour l’image biblique. Toutefois, il n’a pour seuls attributs royaux qu’un set de couverts et pour auréole l’apparition inopinée, à l’heure du courrier, d’un élégant hibou venu se poser à ses côtés. Le pli est scellé des armoiries de l’Ambassade Egyptienne… Et il ne peut y avoir qu’une personne, ici, pour s’offrir le luxe de faire parvenir un hibou officiel de l’Ambassade au Directeur en plein petit déjeuner. @Djouqed, évidemment. Le maître des potions soupire. Encore des ennuis à l’horizon, à n’en pas douter. Leur première entrevue à l’inscription de ses enfants au sein de l’institut a été pour le moins glacial. L’homme avait manifestement entendu parler de la sombre réputation du criminel de guerre quêtant sa rédemption dans l’espionnage et s’était fendu de quelques remarques pour le moins glaciales sous le couvert d’une bonhomie policée si propre à ces marionnettistes des hautes sphères.
Mais le corbeau assis à la place d’honneur de ces festivités quotidiennes ne devine que trop ce qui se trame dans les ombres. Il a vu sur les bras de l’homme les entrelacs orientaux, vu sur ses enfants le même type de marque. Djouqed a eu beau lui assurer qu’il ne s’agissait que de coutumes locales, Severus Rogue ne saurait être trompé ; Il a sans doute ouvert les portes de son école à des euthanatoi, et la chose soulève chez lui un problème de conscience. Il ne pense pas que les enfants soient des fous furieux, des psychopathes. Non. Il les a assez vus pour se convaincre qu’ils sont des adolescents plutôt normaux : la gamine, @Safia Zahab est joviale, curieuse de tout et se porte bien à Serdaigle. Plus renfermé, son frère hante les couloirs loin de sa sœur et semble émerveillé d’être à Poudlard loin de tout ce qui peut lui rappeler sa famille. Severus les a longuement observés, le gamin en particulier. Il en est arrivé la conclusion que faute de preuve, il ne pouvait accuser le père d’avoir jeté les loups dans la bergerie, mais qu’il était indiscutablement de son devoir de s’assurer de garder un œil, ou les deux, sur ces adolescents. Le maître des potions connaît mal les euthanatoi, mais il en sait assez. Vestiges de la guerre des sorciers où Voldemort se rêvait à la tête d’une poignée de mercenaires parmi eux, il se souvient d’avoir lu, un peu, sur eux, dans l’espoir de prévenir que le Seigneur des Ténèbres puisse rallier et marquer de si puissants hommes de main. Par chance, Potter – encore lui – a coupé court au plan de recrutement de ce bon vieux Tom en l’envoyant ad patres. Si les euthanatoi s’étaient alliés au Seigneur des Ténèbres, à coup sûr, les choses auraient pu prendre une tournure bien différente.
Entre ses paumes parcheminées, le pli se fait obsession. Minerva lorgne par dessus son épaule, le sourcil levé. Elle aussi a noté les armoiries de l’Ambassade. Elle aussi sait de qui vient la missive. Car Severus a partagé avec elle ses inquiétudes sur les enfants de l’Egyptien. Alors il fait sauter le cachet, enfin, et déplie la lettre pour y découvrir l’élégante calligraphie de son vis à vis. Il s’étonne un peu qu’un homme tel que Djouqed puisse avoir la plume aussi fine et se perdre en fioritures de meilleur goût aux initiales. En substance, l’homme a découvert qu’il possédait l’ancienne échoppe de la Pierre Philosophale – achetée sous le nom d’Evan Prince, son alias moldu – sans doute en le faisant surveiller puisqu’il s’y est rendu plusieurs fois au cours de la semaine précédente pour quelque affaire de potionniste et l’y attendra le soir suivant avec, dit-il, le dessert et une bouteille de vin.
… Merde.
Le sang de Severus s’est glacé dans ses veines, et d’effroi, son coeur semble avoir cessé de battre l’espace d’une poignée de secondes. Il relit le mot, d’un goût exquis et laisse ses épaules s’affaisser alors qu’il prend la mesure des ennuis à l’horizon. Dîner avec un euthanatos n’est jamais une perspective particulièrement réjouissante, plus encore lorsqu’elle est motivée par d’obscures raisons qui échappent à l’hôte des lieux. Mais soit. Puisqu’il y faut sacrifier pour éviter un incident diplomatique, l’euthanatos en question ayant eu la brillante idée de venir dans le pays ficelé dans les oripeaux jolis de la respectabilité politique, il faut jouer le jeu. Ce qui ne veut pas dire que le Directeur ait prévu de décrisper la mâchoire.
Et au diable les conseils de son dentiste qui constate l’état déplorable de l’émail de ses dents à force de les serrer.
C’est donc parfaitement agacé que Severus Rogue se rend, le soir suivant, à son domicile. Il a prévenu Minerva au cas où l’Egyptien se prendrait à vouloir le faire disparaître de la circulation, et il a même (enfin) confié à la vieille chouette l’adresse exacte de son logis, par précaution. Alors il grommelle, se dit qu’il faudra peut-être songer à placer sous sortilège de Fidelitas sont logement si ces connards de politiciens prennent l’habitude de s’y inviter, et s’y rend suffisamment tôt pour se mettre aux fourneaux. Cela ne l’enchante pas spécialement de cuisiner pour ce type d’invité dont il ne sait rien des mœurs alimentaires ni de la compagnie à table, mais il se met tout de même aux fourneaux en optant pour une recette facile à faire et relativement rapide. Quelques coups de couteau plus tard, un chicken pie dore dans le four, poulet en croûte accompagné de pommes de terres et de légumes locaux. Morsmordre s’est installé paisiblement sur le plan de travail, humant le poulet qui embaume la pièce. Le chaton devient peu à peu chat, et avec lui, les facéties aventureuses ne cessent de se multiplier. Jadis timide et craintif, le voilà désormais assis, quémandant de son maître les restes du poulet qui n’ont pas fini dans le plat. Severus obtempère, en bon papa gâteau qu’il est.
« Je ne sais pas si ça plaira à l’Egyptien, mais il y en a au moins un qui appréciera la fin de cette pauvre poule. »
Et les phalanges effleurent le poil luisant de l’animal qui s’empresse d’aller joyeusement chercher sa pitance dans l’assiette posée au sol à son attention. Fumseck, pour sa part, s’est, une fois n’est pas coutume, arrogé non pas l’empire d’un dessus de meuble, mais du dossier de canapé sur lequel il sommeille paisiblement après avoir tenté de bien trop nombreux larcins de fruits secs pendant que son maître préparait la croûte à base d’amandes et de noix. Cuisine rangée, table mise, Severus sent les battements de son coeur s’accélérer. Il n’a pas pour coutume de recevoir, surtout pas un ambassadeur, et surtout pas un euthanatos. De plus, être présent dans cette pièce, vêtu d’une chemise et d’un pantalon après avoir laissé ses robes de sorciers sur un porte manteau, lui rappelle désagréablement le dernier dîner tenu ici. Une dispute avec @Moira A. Oaks. Alors son âme saigne de revivre l’attente fébrile de l’arrivée de l’invité. Il choisit de descendre au rez-de-chaussée pour s’entretenir avec Nicolas Flamel enclos en son portrait, un sortilège de stase sur le repas du soir prêt et au chaud. Il devise paisiblement avec lui, échangeant des banalités tout juste bonnes à apaiser l’angoisse qui lui ronge les entrailles lorsqu’enfin on toque à la porte. Un coup d’oeil à sa montre lui apprend la redoutable ponctualité de son visiteur.
« Souhaitez moi bonne chance, Nicolas. - Voyons, Severus, vous n’allez pas mourir. - ça, vous n’en savez rien. »
Et pour la première fois de son existence, l’espion émérite, le terrible maître des potions, l’un des sorciers les plus aguerris de Grande Bretagne, le vétéran de deux guerres entend sa voix trembler et sent ses mains vaciller lorsqu’il ouvre la porte sur la haute silhouette inimitable de Djouqed, l’ambassadeur égyptien au Royaume Uni, probable euthanatos, et venu en ces lieux pour une raison qui lui échappe parfaitement et irrémédiablement.
« Monsieur l’Ambassadeur. »
Sa voix est neutre, mais personne ne peut ignorer le long regard pénétrant qu’il jette à son invité en s’effaçant pour le laisser entrer. Il le scrute, Djouqed, le coeur battant, des décharges d’adrénaline dans les veines. Il le scrute et il effleure, en refermant la porte derrière eux, la baguette toute prête à saisir planquée dans sa manche.
En avisant une ultime fois son reflet dans le miroir, Dana à ses côtés, Djouqed sait qu’il joue gros ce soir. Il y a une expression en anglais qui dit « don’t poke the wolf », et c’est pourtant précisément ce qu’il a fait en adressant sa petite missive surprise à Severus Rogue, le terrible Directeur de Poudlard qui, en outre, s’est aussi fait connaître pour être le plus jeune maître des potions de Grande Bretagne, un Mangemort notoire dans ses jeunes années, un espion contre Voldemort pour le compte de l’Ordre du Phénix désormais décoré d’un Ordre de Merlin, et l’un des plus jeunes directeur de Poudlard. En somme, un sorcier aussi dangereux que fascinant. Djouqed a donc mis Ali sur le coup. Son chauffeur a épluché de la paperasse sans interruption pendant deux semaines, bénéficiant des ressources diplomatiques, jusqu’à mettre la main sur un alias, Evans Prince, et avec lui, un achat : la Pierre Philosophale, café mal famé de l’Allée des Embrumes désormais fermé et reconverti en logement. Le logement du directeur. La tanière du loup.
C’est là que s’est invité le diplomate sans la moindre gêne. Il a envoyé un message au directeur pour lui indiquer la date et l’heure du rendez-vous, lui a assuré s’occuper du vin et du dessert, ce qu’il a effectivement fait. Le voici donc devant sa glace, Dana à ses côtés, un sourire amusé flotte sur les lèvres de cette dernière tandis qu’elle passe la main sur la veste noire brocardée d’or que son mari a passée par-dessus une chemise de soie verte. Elle rajuste son col et lui tapote sur l’épaule. Il doit à sa belle une grande partie de sa bonne vêture tant son goût est sûr. Alors il lui a fait confiance lorsqu’elle lui a tendu sans mot dire un cintre avec la veste venue tout droit de l’atelier d’@Etsuji Tsurushima. Il prend sur l’épaule le sac de toile contenant les bouteilles d’un exquis vin rouge de pays français et soulève la boite contenant l’assortiment de gâteaux commandé chez le meilleur pâtissier moldu de la ville. Il est de rares choses que Djouqed préfère dans le monde moldu, et les plaisirs de la table en font indubitablement partie.
Le voilà en bas du lieu. L’Euthanatos effleure l’air de la paume, devine à la brûlure de son tatouage dans ses chairs quelques uns des sortilèges d’alarme et de protection autour du domicile. Un bon travail. Il manquerait un petit enchantement de fidelitas et quelques sorts pour le rendre incartables et le lieu serait sans doute aussi bien gardé que nombre de manoirs familiaux où se sont succédé des générations et des générations de sorciers. Sa supposition est que Severus, ayant acquis récemment le domicile, n’a pas encore eu le temps d’en faire une forteresse imprenable. Mais il ne doute pas que les années ajouteront leur lot de protections dans l’établissement. Il sait qu’il se lance dans une folle aventure en ayant proposé au Directeur cette rencontre, mais il ne peut plus reculer maintenant. Il est sans doute aussi stressé que Severus Rogue, c’est inhabituel. Djouqed est plus souvent celui qui impressionne que celui qui est impressionné. Pourtant, Severus Rogue, son cadet, est certainement quelqu’un qu’il faut prendre avec le plus grand sérieux.
Alors il a sonné, Djouqed, et le voici patientant paisiblement en attendant Severus Rogue. Celui-ci lui ouvre, visiblement sur ses gardes. Il faut dire que voir un grand dadais habillé richement s’inviter chez soi, cela n’a rien d’usuel… surtout quand le dadais en question est ambassadeur d’Egypte, tatoué, percé, le faciès couvert d’anneaux d’or, un bracelet représentant l’Ouroboros autour du poignet, et le dessert à la main. Non, vraiment, ce n’est sans doute pas le genre de vision dont on peut être coutumier.
« Monsieur l’Ambassadeur. »
Austère. Froid. Quel accueil ! Djouqed s’en amuse plus qu’il ne s’en formalise. Il s’approche de Severus Rogue, essaie de voir par-delà son masque, de savoir s’il est aussi sur les nerfs que lui. Il a l’air, la nuque roide, le dos droit. Il a l’air aussi stressé que lui de ne pas savoir à quel sauce il va être dévoré par le terrrrrrrrible euthanatos. Alors Djouqed lui tend la main en toute simplicité et attendre qu’il la serre sans quitter le minois suspicieux de Rogue des yeux.
« Maître Rogue, un plaisir de vous rencontrer, bien que je suppose que vous eussiez préféré que je ne m’invite pas dans votre logis de la sorte. »
Il fait quelques pas dans l’intérieur de la Pierre Philosophale, laissant traîner ses yeux sur les rayonnages des bibliothèques qui occupent le rez-de-chaussée.
« Je gage que vous avez là de nombreuses lectures intéressantes, cher ami. Si vous deviez chercher quelque ouvrage oriental à l’occasion, n’hésitez pas à faire appel à moi… Après tout, je dois bien cela au Directeur qui veille sur le bien-être de mes enfants. »
Et sans plus de ronds de jambes, les bouteilles et l’assortiment de pâtisseries sont tendues courtoisement à l’hôte des lieux. Il est bien encore temps de le faire mariner un peu avant de dévoiler l’objet de sa visite. Uriel. Toujours Uriel.
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Cecil A. Selwyn
MONSIEUR LE DIRECTEUR
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Prudence est de mise. Le Directeur ne sait sur quel pied danser dans cette rencontre dont il n’est, une fois n’est pas coutume, ni l’initiateur, ni le meneur. Il n’aime pas être gardé dans l’ombre, Severus, mais a appris la vertu de la patience au cours de ses années passées au front. Qui aurait pu croire que cela lui servirait après la guerre pour ce qui semble être un innocent dîner… Autant que quoi que ce soit incluant un potentiel euthanatos puisse être innocent. A dire vrai, il se soucie surtout de s’en sortir en un seul morceau à l’issue de la soirée. Ironique comme quelqu’un qui songe si souvent à la mort peut soudainement se révéler si attaché à la vie. Il a serré la main qu’on lui a tendue, sentant contre sa paume la chaleur de celle de Djouqed. Sa prise est ferme mais non pas douloureuse.
« Maître Rogue, un plaisir de vous rencontrer, bien que je suppose que vous eussiez préféré que je ne m’invite pas dans votre logis de la sorte. »
Sa voix est mesurée et Severus Rogue sent déjà qu’il finira la soirée avec une migraine de tous les diables à force de devoir se maîtriser pour ne pas voler dans les plumes de son inopportun visiteur. Recevoir et dîner avec un euthanatos est une chose, ignorer ce qu’il veut en est une autre. Une torture. Même dans sa folie, le Seigneur des Ténèbres conservait une part de prévisibilité : à force de l’avoir côtoyé, l’espion avait pu prendre le pli de son comportement et savait jauger du danger immédiat que le mage noir représentait pour son intégrité physique et mentale. Mais Djouqed est un inconnu. Il l’a peu vu, et ils n’ont jamais vraiment eu l’occasion de discuter hors du cadre formel de l’inscription à Poudlard. Alors le Directeur se montre prudent, peu enclin à laisser filtrer son inconfort. Il suppose toutefois que son vis à vis doit deviner à quel point il est sur ses gardes en sa présence. Après tout, Djouqed a l’air plus jeune que lui, mais certainement pas moins expérimenté.
« Je gage que vous avez là de nombreuses lectures intéressantes, cher ami. Si vous deviez chercher quelque ouvrage oriental à l’occasion, n’hésitez pas à faire appel à moi… Après tout, je dois bien cela au Directeur qui veille sur le bien-être de mes enfants. »
Et le voilà qui remet, comme si c’était un droit de passage, à Severus sa charge : les bouteilles tintent dans le sac tandis que la boîte de pâtisseries échoit sur le poignet. Severus incline la tête en guise de remerciement. Il a conscience de se montrer impoli, mais tout ce que Djouqed pourra lui dire sans qu’il n’ait à ouvrir la bouche sera autant d’informations qu’il ne faudra pas extirper de sa carcasse plus tard. Severus est peu enclin à baisser sa garde, et il sait qu’il passera la soirée sur des charbons ardents. Il répond donc à côté.
« Montons, j’habite à l’étage. »
Il ouvre la marche, fait entrer son « invité » et s’affaire à poser sur le comptoir de sa petite cuisine la boite de pâtisseries et les bouteilles dont il découvre la préciosité… Bon, au moins, à défaut de passer une bonne soirée, le vin sera agréable au palais. Il n’est pas surpris que l’homme soit un amateur de bonnes choses. Ses bijoux et ses vêtements laissent à penser à un hédoniste. Si Fumseck n’a pas bronché de l’arrivée de l’égyptien dans la pièce, et continue de sommeiller, le bec sous une aile, sur le dossier du canapé, Morsmordre, quand à lui, semble très intrigué par cet étrange bonhomme soudainement invité dans l’antre de son sorcier – pardon, de son esclave personnel qui lui sert le meilleur saumon de toute la Grande Bretagne et le papouille comme nul autre, sinon la vieille Minerva, peut-être. Alors le voici qui part à l’assaut de l’invité, lui tourne entre les jambes et se frotte contre ses chevilles dans l’espoir d’être soulevé du sol et papouillé affectueusement. En plus, il a l’air d’avoir des petits machins dorés avec lesquels on peu jouer un peu partout à même la peau !
Lorsque Severus revient près de lui, il invite Djouqed à se débarrasser de son manteau s’il le désire et s’installer à la table. Le vin est à chambrer, l’air empli de l’odeur de la viande, et il scrute cet homme, debout dans son logis. Il fronce les sourcils et n’y tient plus :
« Pourrais-je enfin connaître la raison, monsieur l’Ambassadeur, qui vous a poussé à vous inviter chez moi aussi cavalièrement ? Voyez-vous, je ne suis pas encore décidé sur ma volonté ou non de risquer l’incident diplomatique en vous assassinant... Ma patience pour ces petits jeux a des limites, et j'avoue avoir très peu d'affection pour votre tradition et moins encore pour les magouilles politiques auxquelles vous pourriez avoir décidé de me mêler... J’apprécierais donc grandement que vos prochains mots m’aident à prendre une décision, et qu'il ne soit pas nécessaire pour moi de mêler cet excellent vin que vous m'avez ramené à une dose de veritasérum pour vous faire parler. »
Severus Rogue aurait décidément bien des choses à apprendre en matière de diplomatie. Mais peut-être le stress de ces dernières semaines le fait-il enfin abandonner sa redoutable maîtrise de lui-même : d’abord les attentats au Ministère, puis les attentats à Poudlard, l’engueulade avec Moira, ce foutu concert de Reissen, la visite d’Uriel dans son bureau qui éveille encore en lui des sentiments contraires de culpabilité et d’émotions autres, Lucius Malefoy à Poudlard… Non, vraiment… Cette fois-ci autant prendre les devants et menacer directement ce putain d’euthanatos. De toute façon, à chaque fois qu'il tente la diplomatie, ça se retourne invariablement contre lui, alors autant que Djouqed prennent pour tous les enfoirés qui s'échinent à lui pourrir la vie depuis septembre.
Tout vient à point qui sait attendre, paraît-il. Djouqed s’est toujours considéré comme un homme doté d’une certaine patience. Il est vrai, sa patience peut rencontrer certaines limites, lorsqu’il s’agit de choses importantes, toutefois dans l’ensemble, il est plus proche du serpent attendant paisiblement pour frapper que du rhinocéros se lançant à l’assaut tête baissée. Et Severus Rogue, du peu qu’il en sache, lui fait l’effet de son homologue. Il le voit accepter ses présents avec un seul hochement de tête et est invité à monter. Djouqed ne se formalise pas de la rudesse de l’homme, à dire vrai, elle l’amuse, plutôt. C’est qu’il imagine tout ce qui passe dans le crâne du Directeur : « que me veut ce gars ? Pourquoi un ambassadeur s’invite chez moi ? Comment m’a-t-il trouvé ? » Et sans doute plein d’autres questions selon ce qu’il aura pu apprendre sur Djouqed. Sait-il qu’il a un euthanatos sur les talons ? Sait-il qu’ils sont là, ce soir, pour parler d’Uriel Lewis ? Non, sans doute pas. Alors ce qui était un soubresaut sur ses lèvres s’élargit en un sourire dans l’escalier. Djouqed suit son hôte à l’étage où il vit, non sans avoir laissé courir ses yeux une dernière fois sur les rayonnages de la bibliothèque de Severus Rogue. Il imagine aisément combien de trésors doivent se cacher dans la pénombre, et son goût des belles choses ne peut éviter la subtile envie de feuilleter les plus précieuses possessions de l’ancien mangemort. Mais il résiste à l’appel de l’aventure pour gravir les degrés à la suite du Directeur. Le sait-il, Severus Rogue, qu’il tourne le dos à un ancien mercenaire ? Djouqed n’en est pas certain, mais il devine que, peut-être, le Directeur de Poudlard a l’esprit vif tout plein d’hypothèses à son sujet.
Lorsqu’il arrive à l’étage, il est étonné de découvrir la clarté des lieux. Meubles pâles, murs pâles. Il ne s’attendait pas à cela. Il remarque cependant que l’endroit a l’air un peu figé, comme une carte postale qui ne serait que trop peu souvent habitée. Mais cela ne l’étonne guère, Djouqed. Il devine aisément que le Directeur doit passer l’essentiel de son temps à Poudlard plutôt que dans son logis. Mais tout de même, l’absence de photos et le peu d’effets personnels lui fait s’interroger : a-t-il seulement une vie en dehors de son travail, cet homme là ?
Il obtempère lorsque d’un geste, Rogue lui désigne le porte manteau puis une place autour de la table. C’est qu’il est trop tôt pour se mettre à dos plus que de raison le Directeur en faisant du mauvais esprit. Il n’est pas là pour cela, Djouqed : il a d’autres projets. Alors tandis que s’affaire Rogue en cuisine d’où monte une odeur tout à fait appétissante, il faut le reconnaître, il se penche pour attirer le chaton à lui et le prend dans ses bras. Lové contre son torse, le félin ronronne tandis qu’il perd ses doigts dans le pelage de l’animal. Il a toujours adoré les chats, ce sont des animaux sacrés dans les traditions de l’ancienne Egypte. Il se demande si Uriel serait du genre à apprécier les félins. Ce noble animal ne dépareillerait pas dans les bras de l’aristocrate, songe-t-il sans savoir qu’Uriel est l’esclave préféré du petit Aligheri, un charmant chaton sacré de Birmanie.
C’est assis tranquillement à la table, le chaton sur les genoux que Djouqed attend l’offensive de Rogue. Il le voit se présenter devant lui, rester debout, la mâchoire crispée. La tension est palpable, c’est presque un soulagement que d’entendre Rogue lancer les hostilités.
« Pourrais-je enfin connaître la raison, monsieur l’Ambassadeur, qui vous a poussé à vous inviter chez moi aussi cavalièrement ? Voyez-vous, je ne suis pas encore décidé sur ma volonté ou non de risquer l’incident diplomatique en vous assassinant... Ma patience pour ces petits jeux a des limites, et j'avoue avoir très peu d'affection pour votre tradition et moins encore pour les magouilles politiques auxquelles vous pourriez avoir décidé de me mêler... J’apprécierais donc grandement que vos prochains mots m’aident à prendre une décision, et qu'il ne soit pas nécessaire pour moi de mêler cet excellent vin que vous m'avez ramené à une dose de veritasérum pour vous faire parler. - Mais naturellement, Maître Rogue. Je m’en voudrais que vous soyez contraint de frelater un si bon vin pour de basses besognes. Je l’ai choisi avec soin vous savez. »
Un sourire danse sur ses lèvres, il ne peut pas s’empêcher de le pousser dans ses retranchements. C’est peut-être pour mieux préparer son petit effet. Le voici redevenu sérieux.
« Je suis venu vous parler d’Uriel Lewis… je suppose qu’il m’en voudrait si je l’appelais Uriel Malefoy. Ne voudriez-vous pas apporter une bouteille et vous asseoir ? Je pense que nous en aurons tous deux besoin, bientôt. »
Ses doigts se perdent dans la fourrure du chaton qui ronronne de délices.
« Uriel m’a raconté votre entrevue à tous les deux. Il m’a raconté beaucoup de choses en réalité ; et en dépit de ce que vous lui avez caché, il semble continuer à vous faire confiance… Et il aura bientôt besoin de toute l’aide que ses amis pourront lui apporter. En serez-vous, Severus Rogue ? »
Et il attend, sans quitter des yeux le Directeur de Poudlard. En sera-t-il, ou bien sera-t-il le premier ennemi d’Uriel ? Djouqed a préféré jouer cartes sur table, il espère que cela donnera suffisamment de grain à moudre à Rogue pour que celui-ci fasse tomber le masque et cesse pendant un temps les hostilités. Il espère aussi que l’homme regrette assez son passé, ses gestes, ce qu’il a fait et ce qu’il n’a pas fait, pour vouloir s’amender quelque qu’en soit le prix. Car le prix est souvent élevé, très élevé.Aussi élevé que n’est la gravité de la faute. Et Severus Rogue a sans doute une ardoise aussi remplie que la sienne, à la différence qu’il lui reste, contrairement à Djouqed, quelques reliquats de moralité. Un terreau fertile pour y faire pousser les germes d’une rédemption. En cet instant, Djouqed se sent plus Dieu qu’homme.
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Cecil A. Selwyn
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C’est avec la musette toute pleine de morgue que Severus a ouvert les hostilités. Il s’attend à beaucoup de choses. Des excuses, des filouteries de politicien, des remarques insidieuses… Il s’attend à bien des choses. Car ce type de renard qui filoute en politique, il le connaît bien, trop bien, même. Il ne sait que trop quels arbres cachent quelles forêts. Il a vu Albus à l’oeuvre maintes et maintes fois, agiter les hommes sur l’échiquier comme autant de pions que l’on peut sacrifier. Et parfois, il en est un, exceptionnel, qui arrive à l’autre bout du plateau et se transfigure. Promotion. La bleusaille ornée d’ailes d’ange, le front ceint de sa puissance. Harry Potter, peut-être, a été de cela. Gamin élevé pour l’abattoir transfiguré en Ministre. Mais pas lui. Pas Severus Rogue. Lui, il est resté ce pion gris dont deux joueurs se disputaient l’empire. Et in fine, le voici dans le camp des vainqueur… De justesse.
Alors il jauge Djouqed et cherche à lire dans son jeu avant même qu’il n’ouvre la bouche. Il le dévore du regard et se récite déjà mentalement la liste de poisons qu’il pourrait infliger à un politicien peu coopératif.
Et le voilà qui, inopinément, se met à coopérer avant même que de sombres exactions n’aient été envisagées.
« Mais naturellement, Maître Rogue. Je m’en voudrais que vous soyez contraint de frelater un si bon vin pour de basses besognes. Je l’ai choisi avec soin vous savez. Je suis venu vous parler d’Uriel Lewis… je suppose qu’il m’en voudrait si je l’appelais Uriel Malefoy. Ne voudriez-vous pas apporter une bouteille et vous asseoir ? Je pense que nous en aurons tous deux besoin, bientôt. Uriel m’a raconté votre entrevue à tous les deux. Il m’a raconté beaucoup de choses en réalité ; et en dépit de ce que vous lui avez caché, il semble continuer à vous faire confiance… Et il aura bientôt besoin de toute l’aide que ses amis pourront lui apporter. En serez-vous, Severus Rogue ? »
Le nom tombe. Les oreilles sifflent. Severus Rogue s’attendait à beaucoup de raisons à la présence de ce Djouqed chez lui. Il était prêt à entendre tous les bobards possibles et imaginables. Mais ça… Uriel. Non. C’était bien la dernière annonce qu’il escomptait. Alors il reste quelques secondes pantois, la poitrine soudainement comprimée sous l’assaut des souvenirs d’hier et de jadis. L’entrevue dans son bureau se superpose au souvenir de la nuit. La tête lui tourne, et le voilà assis à la table, le coeur battant jusqu’aux tempes. Il ne parvient à cacher son trouble, Severus. Les choses sont trop fraîches. Les paroles d’Uriel résonnent encore dans son crâne sans qu’il ne puisse les mettre sur pause. « Il n’y a que Dieu qui puisse vous sauver, Severus Rogue… mais sachez que je vous pardonne. Et je vous remercie d’avoir veillé sur moi. » Comment oublier ces mots qui sont à la fois sa croix et sa délivrance ? Comment oublier l’air doux d’Uriel et l’étreinte rassurante de ses paumes sur son vêtement ? Comment oublier que celui qui était jadis un gamin maltraité est devenu homme, un homme qui peut être fier de lui et s’observer dans une glace, lui ? Comment oublier que ce jeune adulte a déjà mieux tourné que son mentor ne tournera jamais ?
Non, Severus ne le peut pas. Il ne peut mettre à distance les spectres infinis de son passé. Alors il s’assied, tremblant, incapable d’articuler un mot, frappé de stupeur quelques instants. Son esprit est blanc, déboussolé. Il observe l’homme face à lui, impassible ambassadeur. Et les questions se fraient un passage dans sa gorge rendue rauque par la sidération.
« Comment le connaissez vous ? Qu’avez-vous fait de lui ? »
La peur louvoie sous le derme. Un homme tel que Djouqed ne peut être bienveillant, n’est-ce pas ? Il l’observe avec suspicion, désormais, l’esprit alerte. Ses vieilles habitudes reprennent le dessus. Il sent que quelque chose est sur le point de survenir, et la présence de son chaton entre les griffes du fauve n’est pas pour le rassurer… Enfin, c’est un chat. Mieux vaut l’éventuel sacrifice de Morsmordre que celui d’Uriel.
C’est une chose fascinante que de voir un homme de la trempe de Severus Rogue perdre sa contenance. Il pâlit, devient un fantôme le temps de quelques secondes avant de reprendre un semblant de couleur. Il se décompose, blafard, se fige comme une statue. Et puis il redevient lui-même, un tremblement dans la voix. C’est fascinant, songe l’ambassadeur. Il pourrait s’accoutumer à voir cet homme fier et retors, ce héros criminel de guerre s’abandonner plus souvent à la perte de contrôle rien que pour le plaisir de le choquer.
Mais un choc ne suffit pas pour en faire un allié, et s’aliéner Severus Rogue, Directeur de Poudlard, ancien espion, héros de guerre, criminel de guerre, et indiscutablement un sorcier puissant n’est pas dans son intérêt. Il s’est laissé dire que Rogue n’avait pas l’air trop fermé à la politique de Potter, et que, de surcroît, il a agit pour son amant, Uriel. Cette dernière information bien plus que des racontars sur l’accointance possible entre le Ministre et Potter l’a décidé à agir. Alors le voilà, paisiblement installé dans le repaire du monstre.
« Comment le connaissez vous ? Qu’avez-vous fait de lui ? »
Djouqed balaie d’un revers de main, un sourire aux lèvres, l’accusation.
« Je n’ai rien fait du tout : Uriel Lewis se porte comme un charme autant que possible compte tenu des circonstances. »
Ce qui n’est pas exactement faut. Même lors de cette première rencontre qui a commencé avec un Uriel particulièrement bouleversé, il a su le calmer, l’apaiser, être là pour lui, et il continuera. Jamais quelqu’un ne l’a fasciné comme le jeune Lewis le fait.
« J’ai rencontré Uriel il y a peu, dans un bar moldu, s’enfilant verre sur verre après sa petite allocution devant la presse. Il m’a raconté son histoire, toute son histoire, y compris ce que vous avez fait pour lui en l’aidant toutes ces années. Il ne vous en veut pas, Severus Rogue, même s’il n’est certainement pas en paix avec son histoire familiale et ne le sera peut-être jamais, il n’a jamais parlé contre vous, pas même lorsqu’il m’a dit que vous étiez là lors de sa conception. Je veux l’aider à trouver un peu de paix avec lui-même. »
Il se cale contre le dossier de sa chaise, pensif. L’Ambassadeur n’a pas coutume de se livrer à de parfaits étrangers, et certainement pas à quelqu’un de la trempe de Rogue. Pourtant, c’est inévitable : il ne peut laisser passer l’occasion d’acquérir à sa cause quelqu’un comme ce maître des potions. Alors il lui parlera d’égal à égal, une fois n’est pas coutume.
« Uriel ne sera en paix que lorsque Lucius Malefoy sera hors d’état de nuire, et vous le savez, Maître Rogue. L’ambassade a quelques capacités de recherches, et vous semblez l’avoir bien connu dans vos jeunes années. Accepteriez-vous de me dire ce que vous savez sur Lucius Malefoy ? Tout ce à quoi vous pourriez penser pourrait nous aider à le retrouver et l’amener à la justice de votre pays. »
Il a conscience que son statut d’étranger pourrait jouer contre lui dans la tête de Rogue. Mais il faut tenir bon. Le chaton de son hôte s’est lové contre lui, ronronne sous ses doigts. Il caresse avec tendresse le crâne de ce main coon dont il ignore le nom. Le chat va bien à Severus Rogue : tout noir, grand, impressionnant au premier abord. Reste à savoir si son humain se laissera séduire aussi aisément que le félin.
604 mots
Cecil A. Selwyn
MONSIEUR LE DIRECTEUR
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Severus Rogue cligne des yeux. Ébahi de voir la faiblesse des réactions de Djouqed qui, tout au plus, agite la main en signe e dénégation. Il voit la mine sérieuse de son vis à vis et devine déjà qu’il n’aimera pas ce qu’il s’apprête à entendre. Pourtant, une force impérieuse le fait rester là, presque hébété. Il a la sensation tenace d’être à un tournant de sa vie. Quelque chose s’est fissuré depuis qu’il a revu Uriel. Un Uriel qui sait et qui pardonne tout de même. Si Uriel peut trouver en lui la force d’être un meilleur homme que son ancien professeur ne sera jamais, peut-être, quelque part sur son lit de mort, Lily a-t-elle pu trouver une forme de paix vis à vis de lui. Car la savoir partie alors qu’ils étaient fâchés a gouverné, toute sa vie durant, l’inépuisable réserve de culpabilité dans laquelle a pu puiser à loisir Albus Dumbledore pour le faire agir à sa guise. Et il le voit, maintenant, qu’il a surtout été le jouet de grands auxquels, dans son aveuglement, il a fait le choix de confier sa destinée.
« Je n’ai rien fait du tout : Uriel Lewis se porte comme un charme autant que possible compte tenu des circonstances. »
Les esgourdes toutes ouvertes, Severus Rogue cherche. Il cherche ce que peut être cet homme, qui il peut être pour Uriel. Il quête dans les paroles de son vis à vis la moindre faute, le moindre lapsus qui pourrait lui laisser entrevoir le mécanisme du piège si prompt à se refermer sur lui. Il a déjà donné, Severus Rogue. Deux fois, trois fois, même. Il a servi trois maître, il n’en servira pas de quatrième. Et le récit se déroule, avec la fluidité de l’évidence. Morsmordre, insensible à toute cette affaire, semble s’être pris d’un amour passionnel pour Djouqed. « J’ai rencontré Uriel il y a peu, dans un bar moldu, s’enfilant verre sur verre après sa petite allocution devant la presse. Il m’a raconté son histoire, toute son histoire, y compris ce que vous avez fait pour lui en l’aidant toutes ces années. Il ne vous en veut pas, Severus Rogue, même s’il n’est certainement pas en paix avec son histoire familiale et ne le sera peut-être jamais, il n’a jamais parlé contre vous, pas même lorsqu’il m’a dit que vous étiez là lors de sa conception. Je veux l’aider à trouver un peu de paix avec lui-même. Uriel ne sera en paix que lorsque Lucius Malefoy sera hors d’état de nuire, et vous le savez, Maître Rogue. L’ambassade a quelques capacités de recherches, et vous semblez l’avoir bien connu dans vos jeunes années. Accepteriez-vous de me dire ce que vous savez sur Lucius Malefoy ? Tout ce à quoi vous pourriez penser pourrait nous aider à le retrouver et l’amener à la justice de votre pays. »
Le maître des potions en a entendu assez pour se montrer méfiant. Il croise sur la poitrine les bras, soulève un sourcil en implorant les cieux d’accorder à Uriel un peu de répit. Dans quoi s’est-il fourré encore ? Il ne peut croire qu’un homme aussi important, un politicien, n’ait aucun intérêt derrière ces petites actions. Quelles peuvent être ses motivations profondes ? Se rapprocher du pouvoir pour décapiter Potter ? L’influencer ? C’est un euthanatos. Y a-t-il un contrat sur la tête du Ministre ? N’instrumentalise-t-il pas Uriel ? L’occasion serait trop belle pour un vautour… Trop juteuse pour ne pas s’y ébattre.
« Me prendriez-vous pour un abruti, Ambassadeur ? Je ne puis croire qu’un Euthanatos tel que vous – inutile de nier – s’armerait de bonté pour les beaux yeux d’Uriel. Dans quels plans avez vous prévu de l’instrumentaliser ? Quoi ? Que vous apporterait la capture de Malefoy ? Vous rapprocher de Potter ? Est-ce lui votre cible ? Si Uriel a besoin de mon aide, il sait où me trouver. Votre entremise n’est que malvenue. Je tolère vos enfants à Poudlard pour ne pas offenser le corps diplomatique, mais ne commettez pas l’erreur de me sous-estimer. Je puis très bien vous dégager de mon logis avant que vous n’ayez pu lever le bras. »
La voix est glaciale, la baguette entre les doigts. Chaise repoussée, l’homme domine de toute sa stature l’ambassadeur, arme braquée vers sa poitrine.
Il est assez indubitable que Severus Rogue partage une chose avec l’euthanatos : un certain degré de paranoïa. Il ne lui en tient pas vraiment rigueur, Djouqed. Ce serait folie que de ne pas être prudent dans ce monde sans foi ni loi. Mais la prudence peut devenir un poison lorsqu’elle paralyse les décisions, lorsqu’elle devient une peur incontrôlée. Est-ce le cas de Severus Rogue ? L’homme sent une légère accélération de son rythme cardiaque. L’adrénaline qu’offre un bon challenger est quelque chose d’immanquable. Il observe Rogue, le voit exploser.
« Me prendriez-vous pour un abruti, Ambassadeur ? Je ne puis croire qu’un Euthanatos tel que vous – inutile de nier – s’armerait de bonté pour les beaux yeux d’Uriel. Dans quels plans avez vous prévu de l’instrumentaliser ? Quoi ? Que vous apporterait la capture de Malefoy ? Vous rapprocher de Potter ? Est-ce lui votre cible ? Si Uriel a besoin de mon aide, il sait où me trouver. Votre entremise n’est que malvenue. Je tolère vos enfants à Poudlard pour ne pas offenser le corps diplomatique, mais ne commettez pas l’erreur de me sous-estimer. Je puis très bien vous dégager de mon logis avant que vous n’ayez pu lever le bras. Posez ce chat et décarrez de chez moi. »
Il le tient en joue, le Directeur. Il a déjà deviné de nombreuses choses au sujet de Djouqed, et ce dernier sent que l’heure de plansanter est passée. Il faut dire que Severus Rogue est menaçant et que Djouqed ne doute pas que ce vétéran de guerre fasse un opposant tout à fait sérieux. Il s’est retiré de la course depuis un moment, l’Ambassadeur, il a délaissé les armes pour la folie de la politique. D’autres combats, d’autres types d’affrontement. Il ne doute pas que Rogue soit capable de prendre le pas sur lui s’il combat de toutes ses forces. Il ne faudrait donc pas le pousser à bout… ou peut-être que si, en réalité. Djouqed offre une dernière caresse au chat lové contre lui avant de le reposer sur le sol. Le chaton s’ébroue, semble mécontent d’avoir perdu son coussin avec fonction câlin intégré. Djouqed esquisse un sourire. Les chats sont sacrés en Egypte et cette bête-là est vraiment magnifique.
Il se lève souplement, l’Egyptien, et il répond enfin aux accusations de l’homme prêt à le tuer sans grand remord. Ça tombe bien. Si l’occasion devait se présenter, Djouqed non plus n’aurait pas grand remord à prendre la vie de Severus Rogue. Mais il préférerait de loin ne pas arriver à cela.
« Il se trouve qu’il faut voir les choses plutôt dans l’autre sens, Directeur : je suis au service d’Uriel et non pas lui au mien. Je n’ai jamais prétendu m’armer de bonté : mon but est très clair. Aider Uriel à assouvir sa vengeance et détruire les Malefoy. Il se trouve que cela ôterait aussi une épine du pied du Ministre duquel je me suis laissé dire que vous n’étiez pas si éloigné que cela. Ne vous a-t-il pas remis un pass illimité pour les archives ? Ça avait l’air de faire grincer des dents quand je suis descendu aux archives l’autre jour pour récupérer un papier et que j’y ai vu cette charmante nouvelle aide archiviste. Nous sommes dans le même camp, Severus Rogue. Moi aussi j’ai tout intérêt à ce que Potter reste sur le trône, et j’ai tout intérêt à retrouver Lucius Malefoy pour le convaincre de reconnaître la légitimité d’Uriel à la tête de la famille Malefoy. Je suis certain qu’Uriel serait un excellent Lord, à même de ramener un peu de lumière sur cette bien noire famille. Et cela ferait un soutien de plus au Ministre dans le magenmagot. Cela ne changerait-il pas de tous ces imbéciles corrompus ou trop vieux pour penser à autre chose qu’à leur nombril ? »
Il contourne la table pour se tenir face à Severus Rogue. La baguette toujours tendue entre eux deux.
« Vous voulez aider Uriel. Ne me mentez pas, votre réaction le prouve : vous avez son bonheur et son bien-être à coeur. Nous sommes deux. Il m’a tout raconté, vous savez. Tout. Même ce qu’il vous a dit lors de votre dernière rencontre. Vous voulez l’aider pour expier votre passé. Vous voulez vous racheter. La culpabilité vous ronge et motive vos actes. Est-ce aussi ce qui vous lie à votre Ministre ? La culpabilité d’avoir été un mangemort et conduit à la mort de Lily Evans, sa mère ? J’ai lu le dernier livre de Skeeter, vous savez ? Je doute que le quart de ce qu’il contient soit vrai, mais... »
Il le contemple, Djouqed. Il cherche à savoir, à lire sur ce visage. Est-ce vrai ? Si Rogue s’énerve, il saura au moins qu’il a touché une corde sensible.
792 mots
Cecil A. Selwyn
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L’air est palpable. Lourd. Poisseux et saturé de magie vive. A couper au couteau. Il y aurait bien autre chose qu’il faudrait couper au couteau, c’est ce foutu Euthanatos dans son salon. Severus a déjà le sectusempra sur le bout de la langue, prêt à risquer l’incident diplomatique et le courroux des euthanatoi pour avoir abîmé le focus de l’un d’entre eux. Il est peut-être devenu sucidaire avec l’âge… ou bien peut-être n’est-il jamais totalement revenu de sa profonde volonté de mourir à la fin de la guerre. Il le disait à Moira. Il était prêt à partir. Il l’est toujours. Il aurait dû partir. Mais il est là, bien en vie, attaché à Poudlard par sens du devoir plus que par plaisir, noyé jusqu’au cou dans les magouilles de Potter, sa vie attachée à celle du Ministre par un vœu dont il réalise, désormais, toute la vanité.
Il aurait du mourir pour ses erreurs il y a si longtemps. Le monde aurait-il été plus beau sans lui ?
« Il se trouve qu’il faut voir les choses plutôt dans l’autre sens, Directeur : je suis au service d’Uriel et non pas lui au mien. Je n’ai jamais prétendu m’armer de bonté : mon but est très clair. Aider Uriel à assouvir sa vengeance et détruire les Malefoy. Il se trouve que cela ôterait aussi une épine du pied du Ministre duquel je me suis laissé dire que vous n’étiez pas si éloigné que cela. Ne vous a-t-il pas remis un pass illimité pour les archives ? Ça avait l’air de faire grincer des dents quand je suis descendu aux archives l’autre jour pour récupérer un papier et que j’y ai vu cette charmante nouvelle aide archiviste. Nous sommes dans le même camp, Severus Rogue. Moi aussi j’ai tout intérêt à ce que Potter reste sur le trône, et j’ai tout intérêt à retrouver Lucius Malefoy pour le convaincre de reconnaître la légitimité d’Uriel à la tête de la famille Malefoy. Je suis certain qu’Uriel serait un excellent Lord, à même de ramener un peu de lumière sur cette bien noire famille. Et cela ferait un soutien de plus au Ministre dans le magenmagot. Cela ne changerait-il pas de tous ces imbéciles corrompus ou trop vieux pour penser à autre chose qu’à leur nombril ?Vous voulez aider Uriel. Ne me mentez pas, votre réaction le prouve : vous avez son bonheur et son bien-être à coeur. Nous sommes deux. Il m’a tout raconté, vous savez. Tout. Même ce qu’il vous a dit lors de votre dernière rencontre. Vous voulez l’aider pour expier votre passé. Vous voulez vous racheter. La culpabilité vous ronge et motive vos actes. Est-ce aussi ce qui vous lie à votre Ministre ? La culpabilité d’avoir été un mangemort et conduit à la mort de Lily Evans, sa mère ? J’ai lu le dernier livre de Skeeter, vous savez ? Je doute que le quart de ce qu’il contient soit vrai, mais... »
Chaque mot est une lame. Rogue se sent lacéré par les propos de son vis à vis. Il n’y a pas eu besoin de magie ou de combat pour le décontenancer. Seulement des mots. Des mots redoutablement bien choisis qui lui retournent l’estomac. Pluie de sang, de lame. Rogue se sait vaincu à l’instant même où Djouqed a commencé à dérouler son argumentaire et à explorer sa culpabilité avec la précision redoutable d’un boucher lui fouillant les entrailles. Sa main tremble, la veine de sa tempe palpite. Une boule d’émotion grossit dans sa gorge. C’est la première fois qu’on lui jette crûment au visage tout ce qui a constitué l’essentiel de sa vie ces vingt dernières années. Même Moira Oaks ne l’a pas fait avec autant de détachement. Le regard du directeur s’est durci, il ne peut pourtant pas s’empêcher de sentir tout son esprit se déchiqueter sous le poids de la proposition. Aider Uriel, garder Harry fucking Potter à son poste et le protéger de ses ennemis comme son serment l’y pousse… C’est peut-être sa porte de sortie.
Au fond de lui, quelque chose se fissure. Une lumière, timide, filtre des fêlures de son être. Pour la première fois depuis la fin de la guerre, il se prend à espérer. Peut-être y aura-t-il une fin à son calvaire, un lieu où planter cette croix qu’il porte sur l’épaule depuis si longtemps qu’il n’envisagea plus une vie sans elle. Peut-être peut-il y avoir autre chose. Moira a tenté de le lui dire, encore et encore, et il s’est mépris sur ses sentiments. Mais quelle méprise peut-il y avoir dans une alliance politique ?
La baguette est rangée, la chaise désignée d’une paume nue, un brin tremblante. Bien qu’il cèle savamment ses émotions, Severus ne peut s’empêcher de sentir une ferveur qu’il n’a plus ressentie depuis son adolescence le gagner. A l’époque, il y avait cet aveuglement fanatique, cet espoir fou de récupérer le titre Prince, gagner ses lettres de noblesses et tuer son père. Aujourd’hui, il n’est animé que d’un féroce instinct de protection envers Uriel. Il doit pourtant offrir son aide à deux jeunes gens. Le Ministre et le bâtard Malefoy. L’un par obligation, l’autre parce qu’une fois n’est pas coutume, il s’apprête à accomplir quelque chose dont il a profondément envie. Envie, pas besoin.
« Reprenez place, Ambassadeur, et prenez le temps de réfléchir précisément à ce que je pourrais faire pour Uriel selon vous. »
Les talons sont tournés, la table dressée. Deux verres de vin font office de séparation entre les convives tandis que les plats sont apportés à table. Severus Rogue se rassoit. De son trouble ne subsiste qu’une flamme pour embraser l’onyx de ses prunelles. Le sang tambourine à ses oreilles et il se fait à lui-même l’effet d’un guerrier prêt à reprendre du service. Peut-être a-t-il vécu trop longtemps sur le champ de bataille pour embrasser la paix. Et pourtant, c’est pour la paix de son âme et le bien d’Uriel qu’il veut agir, parce qu’il a pour ce jeune homme la tendresse qu’il aurait eue pour un fils, la loyauté qu’il aurait dû avoir pour le Ministre qui n’a sa fidélité qu’en raison d’un serment inviolable imposé par Dumbledore.