Connais la terre de ton cœur et que germe le feu qui te brûle@Dennis CriveyCharlie
25 janvier 2004
Ça ne tient pas à grand chose le bonheur, parfois. Une journée de boulot satisfaisante (Norberta a enfin accepté de se laisser approcher par Björn qui nous a fait une parade nuptiale du feudeymon !), un verre chez Antonio et Sorina pour fêter ça, un petit plat de Magda qui réchauffe doucement, déposé devant la porte en mon absence. Godric m'en soit témoin, elle nous rendra tous obèses, si elle s'obstine à continuer de nous gaver de la sorte, comme un focifère ses petits. Mais force est d'admettre que les effluves d'ail et de persil qui se répandent dans la cabane font gronder mon estomac vide plus fort qu'un Jobarbille. Encore quelques minutes à feu doux, une grande chope de jus de citrouille, mes pieds dans d'épaisses chaussettes de laine et un pull non moins confortable sur le dos. Ne reste qu'à me poser dans le fauteuil, devant le feu illuminant l'âtre de ses reflets dorés. C'est à ce moment de mes préparatifs que se fait entendre le tap tap caractéristique d'une patte de hibou contre les vitres de la pièce à vivre. Et pas n'importe quel hibou. Ce petit duc aux grands yeux jaunes, au bec boudeur, je le reconnaîtrais entre cent, pour l'avoir si souvent accueilli. Olympus. Libérant le messager de son fardeau, je le laisse filer à tire d'ailes au sommet de l'étagère où il a ses habitudes. C'est mon assiette de chiftele dans une main, le parchemin dans l'autre, que je m'installe enfin. Entre deux bouchées, mes yeux courent sur l'écriture fine de Dennis. Le contenu est bref, limite sibyllin. Et sa deuxième phrase n'a absolument aucun sens. Nous n'avons aucune dragonne prénommée Melciss et serait-ce le cas, il n'est pas dans l'habitude du gamin de m'envoyer ce genre de texte cryptique écrit avec un lance-pierre. À que... cryptique, hein ? Nom d'un petit dragon, je me souviens encore de son air fasciné quand je lui avais montré cette méthode, pour occuper une énième longue soirée d'hiver. Du bout de ma baguette, je tapote les lettres, les regardant valser, se déplacer, jusqu'à ce qu'enfin, leur échange fasse sens. « Soucis avec le Ministère ». ... Par le chapeau de Merlin. Qu'est-ce qu'il a foutu ?
Cinq kilomètres en balai, c'est une sinécure. Quand la température frôle allègrement les -5°C, ça devient une autre paire de manches. Malgré la pointe de vitesse de mon Brossdur, c'est complètement transi que je frappe à la porte, pour voir aussitôt s'encadrer dans le chambranle le visage inquiet de Magda. Je n'ai que le temps de la rassurer – oui, les chiftele étaient excellents, non je n'ai plus faim – avant de me tourner vers Pavel. « Je peux t'emprunter Manole ? » Une petite heure plus tard, Manole s'envole à son tour dans le ciel d'encre, en direction de l'Angleterre, chargé de retrouver Dennis où qu'il soit. « Salut Dennis ! Tu es toujours le bienvenu. Attends-moi à la sortie sud de Tulnici, sur les berges de la Coza, aux alentours de 17 heures. Relâche Manole à ton arrivée, je saurais que tu es arrivé. À très vite. Charlie »
Deux jours se sont écoulés, sans nouvelles. Et ce n'est qu'au soir du troisième, assis sur le banc qui jouxte sa terrasse, emmitouflés dans d'épaisses couches de vêtement et un verre d'eau de vie de prunes dirigeables à la main pour éloigner le froid, que Manole réapparaît. « On dirait que le gamin est arrivé. » Sa descente amorcée, le rapace rejoint l'épaule de son maître, claquant du bec d'un air courroucé. Le temps de finir ma dernière gorgée et je me lève, mon Brossdur à la main, le vieux Feuopoudre de Pavel dans l'autre. « Je te le rapporte demain. » Le vieux dragonnier hausse les épaules. « Penses-tu, je ne l'utilise plus cette vieillerie. Qu'il le garde le temps de son séjour. Et passe lui le bonjour pour nous, tu veux ? »
Juché sur le manche de bois verni, le vent dans les oreilles, je ne me lasse pas d'admirer ce paysage que je connais pourtant par cœur à force de le survoler en toute saison. Après une dizaine de minutes de vol, j'amorce ma descente vers les toits sages de Tulcini, leurs tuiles rouges à peine visibles sous l'épaisse couche de poudreuse. L'avantage de cette saison, c'est qu'elle laisse peu de badauds dans le froid pour risquer de m'apercevoir, et aucune vache avec laquelle je pourrais confondre mon arrivant. Cette silhouette, au bord de la rivière, ne peut être que lui. J'atterris bientôt en douceur dans le champ enneigé, sautant à terre pour le saluer d'une large accolade. « Long time, no see! Content de te revoir, Dennis. » Malgré les quelques années écoulées, il n'a pas changé. Ses épaules ont gardé la carrure acquise auprès de nos montagnes, sa mâchoire cette forme si particulière. Seuls ses yeux semblent attester que depuis notre dernière rencontre, de nouvelles épreuves ont croisé sa route, et en même temps, ce gamin en a déjà tellement vu... Je lui tend le Feuopoudre, avise son bagage. « Locomotor barda! » Et d'un coup de baguette, le sac est emmailloté dans le filet ignifugé, fixé à mon Brossdur. « En vol ! La nuit ne va pas tarder à tomber, il serait préférable qu'on arrive avant. On discutera là-haut. J'avoue être assez curieux du traitement que tu as subit à Manole pour qu'il revienne d'aussi mauvaise humeur. » Déjà prêt au décollage, j'ajoute sur un clin d'oeil. « Et de savoir ce qui me vaut l'honneur de ta visite. » Mais ce second sujet attendra sans doute que nous soyons installés au coin du feu, nos assiettes pleines de je ne sais quel plat Magda aura glissé dans la marmite, une chope de bièraubeurre à portée de main.
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