Shanghai, 22 août 19808 minutes. C’est la différence qu’il y a entre Azan et Aura. La petite chinoise est née en deuxième. M. et Mme. Wang ont donné naissance à deux enfants. Une merveilleuse nouvelle en apparence, pour beaucoup de parents à travers le monde entier. Seulement nous sommes en Chine. La population nationale a atteint les 981,2 millions. Faire un enfant c’est déjà s’engager dans quelque chose, avoir une fille ? Un vrai désastre. Alors avoir deux enfants, dont une fille ? Les parents Wang avait comme seule lot de consolation le fait qu’au moins Aura ne soit pas née en premier. Bien qu’elle soit née avec un caractère particulier. Les cheveux rose canyon. Un rose fabuleux.
Je dis les parents, mais c’est surtout l’un d’eux qui a eu du mal à l’accepter. Mme Wang, comme l’a toujours appelé Aura, n’a jamais toléré son existence. Elle l’aurait même abandonnée à la moindre occasion, s’il n’y avait pas eu Azan. Les jumeaux, quelque chose de magique. N’est-ce pas ? Peut-être est-ce pour ça qu’Aura vénère autant son frère. Peut-être que ça aurait été différent, dans un autre pays, dans d’autres circonstances. Mme Wang avait sans doute peur, en plus d’avoir honte, de briser quelque chose dans la lignée Wang. Lignée de sangs-pur, une grande famille éparpillée un peu partout en Chine. Ca n’a rien brisé. Ca a attisé quelques jalousies même. Des jumeaux, un potentiel pouvoir unique. Mme. Wang a ravalé sa haine, et M. Wang, lui, a montré toute sa fierté. M. Wang aimait sa fille, il l’acceptait, avec sa particularité dont sa femme avait horreur. Elle considérait Aura comme un monstre, et elle le fera tout au long de sa vie.
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Les années passent. Aura n’a d’yeux que pour Azan. Son père passant au second plan, toujours, et sa mère étant inexistante à ses yeux. Si bien qu’elle refusera toujours de l’appeler autrement que par l’appellation “Mme. Wang”.
Les jumeaux excellaient. Ils étaient parfaits. Dès leurs plus jeunes âge, ils ont appris ensemble l’art de la magie chinoise. Chacun avait son petit talent. Chacun avait son domaine de prédilection. Si pour Azan c’était sans aucun doute les sortilèges, pour Aura, la maîtrise de l’art des potions semblait lui être destinée. Bien qu’on soit loin du compte, finalement..
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Fenghuang Academy, 1991Rentrée des classes. Nouvelle école. Nouvelles rencontres. Rencontres. Quelle horreur. Je ne pouvais pas juste être avec Azan à la maison, avec les meilleurs professeurs juste pour nous ? Je suis sûre qu’elle l’a fait exprès, l’autre. Elle voulait nous séparer, et voilà que c’est fait. Azan aime les gens, lui. Il se fait des amis, il est populaire. Il est beau, et fort. Les filles sont devenues dingue. Quand est-ce que la folie a commencé à toucher ce monde ?
Je suis restée les deux premières années dans mon coin. Les cours était barbants, mais intéressants. Je faisais rire mes camarades, ce qui est étonnant parce qu'aucun n'osait m'approcher quand même. J'ai toujours su attirer l'attention, faut croire, mais bon, de toute façon j'voulais pas d'amis, moi. Y'a un garçon qui traînait avec moi, mais juste de temps en temps, le reste du temps il se pavanait avec ses autres amis et puis j'restais en solo. N'allez pas croire que j'étais malheureuse pour si peu. La seule chose qui m'foutais en rage c'est ceux qui me privaient de la compagnie de ma moitié.
L'insolence, ma seule arme. L'ignorance, mon bouclier. J'ai survécu deux ans comme ça. J'étais vraiment pas commode, mais parce que je le voulais, je savais garder mon calme, mais élever sa voix c'est se faire entendre, c'est se sentir exister.
Shanghai, Salle de lecture du Manoir Wang, été 1994Noir.Je rentre de ma séance de méditation. Je poursuis toujours, même si je ne suis pas à l'école. Ca m'aide à me canaliser. On a pu voir les dégâts que ça provoque, quand je n'en faisais pas.
Elle est là. Assise confortablement, découvrant les nouvelles que le monde nous apporte.
Elle a l'air contrariée. Elle n'aime pas ce qu'elle lit. J'demande ce qui se passe, puis
Elle m'fait voler à l'autre bout de la pièce.
Rouge. Sonnée. Je me redresse tout de même immédiatement avant de sentir que quelque chose ne va pas. Non, y’a un truc qui cloche. Ma génitrice voudrait-elle profiter d’un moment d’agacement de plus pour m’éliminer, tranquillou, dans la bibliothèque ?
Elle ne me regarde même pas. Je fais valser son foutu journal pour qu’
Elle daigne me regarder. J’suis debout, j’ai du mal à tenir, faut dire qu’
Elle m’a pas vraiment épargné.
Elle va me reprocher mon existence combien de fois ?
Rouge. Je m’approche mais je sens que ça bloque.
Elle doit tenter de m’étrangler ou un truc du genre, par je ne sais quel moyen,
Elle finira par avoir raison de moi, c’est certain. Se barrer.
Noir. Se barrer.
Gris. Papa et Azan. Je les entends se ruer ici, alors que j’essaie de lui rendre la pareille. Folle. Décrétée folle. Mon peu d'humanité, si on peut appeler ça ainsi, s'envolait au fur et à mesure des secondes. J'suis sortie. Je n'avais plus envie de faire face à cette femme. J'suis allée me poser sur mon banc de méditation, et j’y suis restée toute la nuit. Plus rien n'existait, plus aucune émotion, plus aucune envie, plus aucun besoin. Si j'aime pas mon école, elle m'aura appris à comprendre mon corps, mon esprit, et mes émotions. Tout le monde ne sait pas les contrôler, non. Ca demande tellement d'énergie..
Azan m'a retrouvé le lendemain, épuisée. Il m'a ramené à la maison. Je ne voulais plus la voir, c'était trop. Grandir en étant la deuxième enfant, grandir en étant une fille, c'était trop insupportable. Pourquoi papa était différent ? Pourquoi
Elle était différente ? C'est une femme, elle aussi, non ? J'sais pas j’aurai été au courant si j'avais eu deux pères.
Miroir, mon beau miroirC’était la fois de trop.
Elle n’en pouvait plus, de me voir difforme, de me voir tout court d’ailleurs. Tout ça, c’était sans aucun doute un prétexte pour me détester davantage. Peut-être qu’
Elle n’aime pas grand-mère non plus. Peu importe. Née avec des couleurs représentant encore plus la féminité qu’
Elle venait d’engendrer, elle n’a pas daigné me porter quand
Elle m’a mise au monde.. Mon père s’est occupé de moi, seulement lui, tout au long de mon enfance et de mon adolescence.
Elle a toujours voulu me cacher,
Elle ne parlait que d’Azan. Azan par-ci, Azan par-là. Je ne détestais pas mon frère, je l’enviais même pas, et il n’aimait pas particulièrement cette femme non plus. Les jumeaux. On ne peut pas atteindre l’un sans avoir les foudres de l’autre. D’ailleurs.. Avant d’évoquer d’autres petites choses, imaginez bien.. Que petit à petit, essayant de comprendre, et de recopier ce qui m’entourait.. J’ai commencé à imiter mon alter ego. C’est peut-être pour ça qu’aujourd’hui je sais aussi reproduire un côté masculin. Ca embêtait tellement cette femme, que je le faisais souvent après. Le terme jumeaux n’a jamais eu autant de sens qu’avec nous deux, pour le coup.
Je me souviens d’un événement où
Elle a particulièrement pété un plomb avec moi. J’avais 7 ans. Je m’en souviens, parce que c’est le jour où mon père m’a offert ce bracelet. Rubis. Mes yeux se sont ouverts en grand, ils brillaient. La couleur de ce bijou se reflétait simplement dans mon regard. Ma génitrice, à ce moment là, offrait de son côté un cadeau à Azan. Je n’en avais jamais de sa part. Sinon
Elle m’offrait des trucs de garçon, refusant obstinément que je sois une fille. Même si un jour j’ai pris les traits d’un garçon, et elle avait aussi vrillé. Bref.
Elle a vu mon père m’offrir un bijou de valeur, et est devenue folle de rage,
Elle s’est approchée si brusquement que j’ai cru qu’
Elle allait m’en coller une, au lieu de ça
Elle a simplement tenté de m’arracher mon cadeau de la main. En vain.
Elle me regardait déjà avec mépris.
Elle a crié, fort, très fort, avant de lâcher le bracelet.
Elle s’est tournée vers mon père, hurlant toujours. “Qu’est-ce qui te prend ? Cette chose.. Elle ne mérite rien, pourquoi tu lui donne ça ? C’est un monstre.. Je me demande bien pourquoi tu as voulu la garder..”
Elle est retournée auprès d’Azan, pour l’emmener loin de moi, au moins le temps que je redevienne “normale”.. Mon père est resté là, à me tenir dans ses bras. Mes émotions avaient encore pris le dessus. Ruby Wine.
Elle n’aimait pas quand je faisais tout un cinéma. C’est à ça que se résumait ma faculté, pour
Elle.
L’événement qui a été le déclic pour qu’
Elle me vire de la maison était aussi une excuse,
Elle m’a clairement agressé sans raison, mais
Elle a su leur retourner le cerveau. Peut-être. C’est ce que j’ai cru, à ce moment là, avant qu’Azan arrive à Londres bien des années après. Ils voulaient que je sois dans un environnement sain. C’était mieux, pour moi, pour mon don, et pour mon entourage aussi. Accessoirement.
J’ai eu quelques soucis plus tard, en cours, où mes changements soudains et imprévisibles perturbaient la classe. Ca a mit du temps à passer, mais les gens l’ont accepté, et ils avaient pas le choix, sinon ils subissaient ma fureur.
La méditation, commencée à Fenghuang, m’a apporté beaucoup à ce niveau là, au moins de contrôler un peu mieux mon corps. Je ne sais pas le modifier à ma guise, mais je sais au moins l’empêcher de se modifier à sa guise, si on peut dire ça comme ça.. Sous un coup d’impulsion ça peut toujours partir en couilles.
Londres, été 1994.Elle a réussi. Cette garce.
Elle m’a évincée prétextant la folie. Au lieu de m’envoyer dans un asile, ou de m’enfermer dans ma chambre, où j’aurai peut-être pu continuer de voir Azan,
Elle m’a éloigné de mon double, de l’être le plus précieux à mes yeux. J’ai peut être que 14 ans, mais je peux le dire,
Elle va payer.
Elle va me le payer très cher.
J’attends sagement qu’on vienne me chercher. Les gens me regardent de manière chelou. Ils ont jamais vu d’asiatique ou quoi ? Non, c’est peut-être mes fringues. Ou bien mes cheveux violets. Surement le tout, en fait.
Il arrive. Il fait peur. Je lève les yeux, parce que bon, moi je suis minuscule, c’est un géant lui. Enfin, façon de parler. Monsieur Wang. Il ressemble à papa. Il récupère mes bagages, puis il me dit de le suivre. Londres, ma nouvelle ville. J’irai à Poud.. Poudlard ? Maintenant. Quelle plaie. Je vais avoir une maison attitrée en plus. On aura plus de facilité à venir m’emmerder du coup, sous prétexte d’un clan commun, la joie.
Ecole de Poudlard, 1994.C’est quoi ce château ? En plus à peine j’arrive, j’dois aller voir le directeur, sérieux, on peut pas juste me laisser tranquille. J’ai pas envie d’aller dans la grande salle, ni de m’asseoir à la table de ma maison. Maison. Rien que ce mot, c’est ridicule.
“Serpentard !”
Pourquoi j’ai l’impression que tout le monde prend cette maison pour celle des méchants ? Ah. Ok, je vois. J’ai rien dit. Finalement, j’suis bien tombée. Ils me laisseront tranquille, eux, contrairement aux autres qui font que sourire à longueur de journée.
C’est chelou. Tout est chelou. Je dois rester avec ma maison. Gagner des trucs pour elle, et puis quoi encore ? Pourquoi y’a pas l’élection du meilleur élève plutôt ? Pourquoi la victoire serait à partager ? Bref. Ca m’soule. Je vais dormir.
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Je me réveille plus tôt que les autres chaque matin, flemme d’avoir une vie sociale, puis flemme de devoir leurs raconter ma vie. Je me réveille plus tôt, et je vais me caler dans un coin tranquille. J’ai pas encore trouvé le meilleur endroit, mais je vais me poser et je médite. Je prends parfois des photos aussi, d’ailleurs le soir aussi. C’est vrai qu’au moins, ça a le mérite d’être pas mal, comme endroit. Même si je ronchonne pas mal sur ça. La journée je suis les cours, je parle à personne, et si on m’fait chier, je mords. Façon de parler, encore. Mon cours favoris ? Les potions. Je galère parfois, parce que bordel je sais pas pourquoi j’fais tout tomber parfois. En plus le prof il est pas commode, même si c’est mon directeur de maison, merde quoi. Même dis comme ça, ça fait ridicule. Au bout d’un moment y’a quelques serpentard qui ont tenté de faire la causette. J’ai accepté. Il s’avère qu’ils étaient cools. Ils brutalisaient des gens, mais ils étaient cools. Un plus que les autres. Pf, pourquoi c’est naze d’être ado. Tu peux être la fille la plus distante du monde, un beau con peut finir par t’avoir. Naze.
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Naze. Faim. Faim. J’ai faim. Qu’il est naze. Qu’est-ce que j’ai la dalle. Cuisine ? Putain. Il est tard, je me fais toute petite, pour pouvoir aller en quête de nourriture. Ici faut faire attention, parce qu’ils déconnent pas, bon en Chine non plus, mais j’avais ce que je voulais là bas. Azan jouait de ses charmes pour m’avoir de la bouffe même. Ici je suis toute seule, et je peux aussi user de mes charmes, mais je les ai pas habitué à ça.
Je me balade avec une discrétion sans nom, encore une fois, merci Fenghuang. Heureusement que je pèse un poids plume aussi. Les cuisines.. Ca y est.. Du bruit ? Je tourne la tête alors que j’arrive enfin à mon objectif. Une jeune fille est là, mais elle, on dirait bien qu’on vient de l’empêcher de venir ici. Je me faufile rapidement, sans trop de bruit, mais ça va, quelqu’un en fait pour me couvrir, un préfet sans doute. Sauvée. Nourriture, trouvée. Ventre, blindé. Elle m’a vu, elle n’a rien dit ? Personne ne vient me chercher. Faut que je fasse le chemin retour maintenant.. Mais au pire, même si on me trouve, au moins j’aurai bouffé. Pas grave.
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La fille de la cuisine, je l’ai recroisé plus tard. J’crois qu’elle m’aime pas. J’sais pas trop c’que j’ai fais. J’ai commis un crime à base de pomme de terre ? Peut-être ça. On a passé le reste des années ici à se fusiller du regard, un peu comme si c’était normal. Comme si j’lui avais piquer son mec, ou un truc du genre. Monsieur Patate. C’était drôle en tout cas, on s’est même déjà embrouillé, au moins ça alimentait mon quotidien. Une raison de plus pour se lever chaque matin, embêter la fille de la cuisine, manger devant elle aussi. Un vrai régal, et au sens propre du terme !
Londres, été 1995Ca tourne pas rond chez eux. Il se passe des trucs de fou chaque année, ils ont la frousse pour tout et rien à la fois. J’l’ai mieux compris cette année. Parce qu’il y a eu ce tournoi à la con, et on suivait ça de près. Faut avouer que c’était un bon divertissement, mais y’a un mec qui est mort. Où est-ce qu’on m’a envoyé sérieusement ? J’aimerai voir mon frère. Il est tellement loin, qu’est-ce qu’il me manque. Lui au moins saurait me rassurer. Parce que oui, pour une fois, j’suis complètement dans le mal. J’aime pas cet endroit, j’savais déjà que je l’aimais pas. Le fait que je me sois fait des potes a bien aidé à m’faire oublier le mal du pays. Je veux rentrer. Au moins l’été prochain, espérons..
Poudlard, 1997.C’est devenu un enfer pour beaucoup, mais visiblement ma maison s’en sort bien, ça doit aider. Je ne cesse pas de me dire que c’est chelou, tout ça. Mais au moins j’ai mon mec. C’est toujours ça. Il est pas trop chiant, on est presque mignons, ensemble, mais bon, personne le sait. Faut pas déconner non plus. Je crois que l’école entière doit penser que j’aime les filles en plus, vu avec quel mépris je regarde les mecs. J’y peux rien, si la majeure partie d’entre eux servent à rien, mais c’est pareil pour les filles non ?
Le climat est quand même devenu glacial à Poudlard. Seeeeulement, réjouissons nous, c’est la dernière année.
Faut dire que j’ai trimé pour éviter de devoir refaire une année. J’ai bûché comme jamais, je me suis entraînée, j’ai même eu de l’aide de la part d’un mec de Gryffondor, au début, mais fallait pas trop en parler, cette maison c’était un peu comme la peste pour la mienne. J’ai excellé tout le long de ma scolarité dans deux trois cours, le reste j’étais juste bonne élève, sans trop d’efforts pour certains cours d’ailleurs. Les potions, la métamorphose, et l’astronomie n’avaient pas de secrets pour moi. Cela dit les soins aux créatures magiques c’était pareil.
La fin d’une ère, pour beaucoup. La fin de mon couple aussi, non faut pas déconner, Ursulin et moi, c'était pas fait pour la vie. Regardez moi ce nom, ma génitrice m'aurait encore fait changer de pays, j'suis sûre.
Enfin être diplômés. Etre enfin capable de se barrer d’ici. Je n’avais pas pu voir Azan, mais j’avais plus d’excuse pour ne pas y aller.
Londres, 1997.Des fringues, vite. Mes photos. Je veux montrer tout ça à Azan. Ces galères.. Chaud. Mon coeur se réchauffe. Mon corps aussi. De la chaleur ? Après ces années passées dans le froid ? Je n’ai jamais ressenti ça.. Non ? Ca frappe à ma porte. Je me retourne. Il est là. C’est lui. En chair et en os. Ce n’est pas une apparition divine, enfin, si, mais voilà. Il est magnifique, apprêté, coiffé, il a toujours ce sourire à qui on ne peut dire non. A côté je suis là, en pyjama, les cheveux rose attachés en chignon. Je ressemble à une de ses filles de comédie romantique, mais vous savez, au début du film, quand elle est juste affalée sur son canap à bouffer de la glace tout en se plaignant qu’les mecs c’est des crevards. Vous l’avez cette image ? C’est moi, c’est Aura. Je cours pour lui faire un câlin. On a grandit. On a changé. Ma vie s’est adoucit en un rien de temps. Mon sourire vrai et sincère. Mon sourire. Un sourire ? Oui. Je sais, surprenant ! Azan en a fini avec les cours lui aussi, et il m’a devancé.
L’allée des embrumes, 2002.Azan était revenu, il avait trouvé un boulot même. C’est grâce à Azan et à M. Wang que j’ai pu enfin trouver un endroit où travailler. Un endroit où je serai en paix. Une boutique dans le coin le moins apprécié, le moins visité aussi. L’allée des embrumes. Là où les âmes se perdent. Là où je laisserai mon corps se perdre sur une chaise, et où j’attendrai la fin de la journée en bouffant tranquillement. En griffonnant aussi. Grandir ça fait découvrir des passions. Le dessin, qui m’occupe quand je ne peux pas pratiquer la photo. Les croquis.. De mode. J’ai même réussi à concevoir des tenues pour Azan.
“神秘艺术” arborait fièrement une nouvelle devanture dans cette allée. Les arts mystiques. De toute façon, ils savent pas lire, j’aurai pu écrire jambon d’ascenseur. M. Wang finançait au début, puis ça a commencé à tourner tout seul. Les gens sont fascinés par ce qui vient de loin, faut croire. Tellement que j’avais l’impression de crouler sous le boulot. Ils sont fous. Les gens.
Oh vous savez quoi, j’ai revu la fille de la cuisine. On a passé une bête de soirée, elle était triste, j’étais alcoolisée, et on a tenu jusqu’au dernier service. Mara, elle s’appelle.
2004.Le monde est agité. Les gens se battent pour leurs idées. Moi je mange des pancakes. J’ai que faire de ce qui se passe, qui dirige, ça m’empêchera pas de vivre. La preuve, je suis là, dans ma boutique, puis je fais venir des choses pas toujours légales, pour des clients particuliers. Ainsi va la vie dans nos quartiers maudits.
Je continues à dessiner, mes croquis ont intéressé quelques personnes, du coup on verra, en attendant je vends des babioles et un oeuf de dragon par-ci par-là. On continue quand même de m’emmerder pour que je travaille vraiment, et que j’aide des gens. Pourquoi faire ? J’ai réussit à maîtriser pas mal de chose vis-à-vis de mon apparence, certes. Je sais remarquer la vérité et le mensonge sans sérum, dans beaucoup de cas du moins. Pourtant je suis bien là, à rien faire à longueur de journée. J’ai peut-être menti. Peut-être que j’aime bien parler aux gens. Parce que je suis une vraie pipelette quand j’ai des clients. Juste leurs parler de temps en temps par contre, faut pas m’envahir.
Je continues aussi la photographie et je me fais même de l’argent avec ça. J’aurai dut travailler dans l’art. Au lieu de ça je vens des jambons d’ascenseurs. Non, sérieusement. Je sais pas, maintenant j’hésite. Je me dis que j’ai peut-être un autre avenir qui m’attend. On verra. Faut que je finisse mes cheetos.
J’ai recroisé Mara, on s’est pas mal rapprochées. Ca aide qu’elle bosse à côté. On joue aux échecs dans la réserve tout en bouffant comme des grosses, et en se racontant les derniers potins qu’il y a à savoir sur les collègues des autres boutiques. En faisant genre que ça les intéresse vraiment. Elle m’aide à m’apaiser. Mara. Pourquoi on se détestait ? Monsieur Patate. Ouais. Elle a ses humeurs, j’ai les miennes, mais un écrasé de pommes de terre et le monde va mieux.
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