Tu en as déjà trop dit. Beaucoup trop dit. Dans leur hâte de t'alléger du fardeau que font peser les récents événements sur tes épaules trop frêles, les mots se sont bousculés. Cherchant sur ta langue un échappatoire, une liberté qui puisse te soulager un tant soit peu. Et, de fait, il y a dans tes soupirs comme un peu de la tension de ces derniers jours qui s'évanouit. Comme si le simple fait de décrypter à voix haute tes ressentis et opinions les rendaient moins inconfortables, moins pesant. Au fond, il y a peut-être de ça, ne dit-on pas que tout problème devient moins lourd sitôt partagé ?
Mais le soulagement est de courte durée, habillé de trop de culpabilité. Car à si facilement te livrer, tu as quelque peu piétiné ton devoir de réserve. Et s'il est légitime de répondre aux interrogations que se pose Nasiya – la Gazette et les rumeurs ne propageant qu'une version édulcorée et policée de la situation –, tu n'as pas assez de mauvaise foi pour te prémunir de ta faute en arguant qu'elle n'est que la conséquence d'un manque de communication flagrant de la part du gouvernement, du Ministre ou de toute instance officielle. Non, car tes propos ont dépassé de loin la simple explication. Relater les faits de manière neutre et objective était perdu d'avance, à plus forte raison en évoquant ce lanceur de feux d'artifices qui s'est fait une place toute particulière dans ton cœur encore éprouvé par la guerre. Qu'importe que tu n'aies rien distingué des lumières qui ont illuminé le ciel londonien. Loane était là, tu en es convaincue. Et elle aussi, bien qu'elle n'ait pu apparaître là-haut, au firmament, faute d'un nom à écrire en lettres lumineuses.
La vérité ne sera pas oubliée.

Tes paroles ont de quoi donner matière à réfléchir, ce que le maître des lieux semble faire activement. Et puisque, enfin revenue à la raison, tu t'abstiens d'ajouter quoi que ce soit, la conversation s'éteint doucement tandis que Nasiya passe de l'autre côté de la caisse, songeur un instant encore avant de reprendre. Et par Helga... Il marque un point. Comment donc le tireur a-t-il pu prévoir pareil coup d'éclat alors que le concert vous a tous pris au dépourvu ? Tu entends d'ici certains hurler leurs théories du complot, associer l'un et l'autre pour ne faire de lui qu'un pantin, un allié venu envenimer une situation déjà complexe. Resterait à savoir qui tire les ficelles. Pas le Ministère, c'est certain, vos ordres de le retrouver sont sans équivoque. La Malefoy ? Non, tu répugnes à le croire. La question méritera probablement plus ample réflexion. Quoi s'il en soit, tu espères sincèrement que seul le Ministère est aux trousses du fautif... et qu'il a eu le bon sens d'aller se cacher loin, très loin de tous ceux qui pourraient vouloir appliquer une sanction à son acte de rébellion. Mais pour toute réponse, tu te contentes de hocher la tête et de souffler un sobre : Espérons-le...
Quelques touches pianotées à même la caisse, sans doute les références des potions qui attendent déjà sagement d'être emportées, délicatement habillées d'un papier de soie pour résister au transport. Accompagnées de leur prix, et d'une question qui trouve aussitôt réponse affirmative. Oui, je veux bien que tu ajoutes une autre potion de voyage – je te laisse le choix de la destination ! Tu m'as donné des envies d'ailleurs. Ou tiens, un paysage de neige peut-être.Trois potions d'un coup – douze rêves à portée de main, et autant de nuits au sommeil alourdi, c'est inhabituel. Aussi, avant même qu'il n'ait le temps de te jeter un regard dubitatif, tu lèves les mains dans un signe d'apaisement ou de défense, ajoutant précipitamment. Promis, je respecterai à la lettre tes prescriptions ! C'est juste au cas où il te viendrait l'idée de partir encore en vadrouille sans que j'ai pu refaire mes stocks avant. Et sans attendre, tu sors les 285 mornilles de tes emplettes, avant de soigneusement t'emparer de tes précieuses garanties de sommeil, et des calories restées sagement dans leur boîte de carton. Et finalement, une fois assurée de la stabilité de tes chargements, tu rabats les pan de ton épaisse cape d'hiver, te diriges vers la porte que t'ouvres élégamment Nasiya sur un dernier salut, que tu lui rends avant de transplaner. À bientôt Nasiya. Prends soin de toi.

La soirée sera douce. Confortablement installée avec Adele, tu savoureras son retour, la chaleur de n'être pas seule chez vous ce soir, du sucre au coin des lèvres. Mais comme déchargée de ton besoin d'évoquer encore les difficultés du Ministère, tu garderas pour ce soir les sujets douloureux, préférant lui conter le reste de ta journée, ces retrouvailles inattendues avec Malachy et l'immense tendresse qui subsiste entre vous, malgré ces années de silence. Tu ne lui diras pas tout – pas tout de suite. Certains pans de votre discussion sont de ceux qui nécessitent un peu de temps avant de pouvoir être confiés à quiconque. Tu ne parleras pas non plus de ces fioles cristallines venues se glisser dans un recoin de ta chambre dès ton arrivée, et qu'elle voit d'un si mauvais œil, soucieuse comme leur créateur de ta consommation en la matière. Et dont tu savoureras quelques gouttes avant de te glisser entre les draps, pour t'en aller dormir dans le paradis blanc, où les nuits sont si longues qu'on en oublie le temps.

De cette journée extraordinaire, tu ne veux garder que le meilleur. Son retour de déplacement, la réouverture de Nasiya. Et surtout, surtout, l'amour de ce loup dont l'absence, tu le réalises seulement maintenant, t'as tenue en apnée six ans durant.