Décembre 2003
Pour une fois, la journée se finit assez paisiblement. Enfin, aussi paisiblement qu'une journée d'entraînement, à comprendre : risque élevé de chutes de balais, possibilité d'une rencontre fortuite avec des poteaux traversant la route, câlin un peu trop violent et souvent indésiré avec un petit camarade... Aujourd'hui pourtant, la récolte est maigre : il n'y a que Brown, un habitué des lieux, étendu dans un lit. On m'a souvent suggéré avec plus ou moins de sérieux de mettre en place un système de fidélité à l'infirmerie -apparemment, les gens n'ont toujours pas compris que mon but n'est pas d'inciter les patients à revenir. Cela étant, à force qu'il squatte mes lits, je finis par me demander ce que je pourrais faire de plus pour le virer. Il faudra que j'assiste à un de ses entraînements un jour, histoire de déterminer si ses camarades de maison s'acharnent particulièrement sur lui ou s'il est préférable qu'il arrête purement et simplement la pratique du Quidditch.
Je tire le rideau permettant d'isoler son lit du reste de l'infirmerie. Oh, sa blessure ne nécessite pas réellement une surveillance cette nuit. Mais je l'ai bien vu se redresser sur son oreiller comme un chien de chasse aux aguets dès qu'une personne approchait de la porte : il attend quelqu'un, ça ne fait aucun doute. Bon, vu que l'heure du couvre-feu est largement passée, je doute qu'il ait de la visite -à moins qu'il attende un rendez-vous galant avec l'un ou l'une des fantômes du château. J'ai hâte de voir sa tête demain matin, quand il constatera qu'il n'a reçu aucune visite nocturne et qu'il devra retourner à ses pénates aux premières heures du jour.
En attendant, c'est surtout l'heure pour moi de regagner les miennes, de pénates -ou, plus précisément : l'arrière-bureau. Je pourrais bien aller me coucher dans ma chambre à proprement parler, mais je me sens plus à l'aise ici. Et puis, j'ai pris mes dispositions. Sortant ma baguette, j'entreprends une série de métamorphoses de meubles ; ces sortilèges sont devenus mon rituel du soir. Le bureau de bois massif rétrécit, la chaise se rembourre et s'élargit. Cette petite pièce, où je prépare habituellement mes potions curatives et où j'entrepose tous les ingrédients qu'il ne vaut mieux pas laisser à portée de main des élèves, est devenue mon havre de paix. Je troque ma robe d'infirmier contre une plus confortable et tout aussi verte -si mes petits copains de Gryffondor me voyaient, ils me traiteraient certainement de traître. L'une de mes plus grandes satisfactions depuis ma prise de poste est d'avoir pu garder mes robes de Sainte Mangouste plutôt que d'adopter le blanc-sainte-nitouche si cher au cœur de ma prédécessrice ; j'ai simplement troqué l'os et la baguette croisés contre l'emblème de l'école, tout aussi seyant par ailleurs.
Je m'empare d'un petit coffret posé sur l'appui de fenêtre. A peine ouvert, un bouquet d'odeurs délicates s'en échappe. Je ferme les yeux, humant ce familier mélange, cherchant l'inspiration. Du safran, peut-être ? Un nouveau geste de baguette récure le pilon, en principe déjà propre -on n'est jamais trop prudent. Une dizaine de stigmates pilés devraient suffire. Un fond d'eau tiède, histoire que le goût se développe. Une demie-douzaine de feuilles de mélisse devrait s'accorder parfaitement avec cette épice. Ensuite... de la cannelle ? Non, pas en plus du safran. Deux ou trois fleurs d'oranger séchées viennent compléter le grand chelem des ingrédients de ce que je qualifierais volontiers de
Tisane de Papy Piers. Un peu de tilleul, un chouilla de menthe... on va être pas mal. Pourtant, j'adresse un regard critique au mélange d'herbes, puis à ma boîte à thé, avant de revenir à ma préparation.
Bordel, Piers, t'es pas devenu flasque au point de boire de la tisane. Rajoute du thé. Noir ? Vert ? Coupons la poire en deux, ce sera du oolong. Rassemblant les ingrédients sur le filtre d'un ancien chaudron d'argent reconverti en théière depuis le jour de ma prise de poste, j'y ajoute de l'eau rendue bouillante par un nouveau mouvement de baguette et laisse tranquillement infuser la décoction, remettant le reste des ingrédients à leur place.
Confortablement calé au fond de mon fauteuil, je me laisse emporter par l'odeur de plus en plus prenante du thé bleu. Je me surprends même à esquisser un
sourire. Je peux me détendre, non ?
C'est pas comme si quelqu'un allait se pointer au milieu de la nuit.
Meeeeeeeeerrrrrlin ! Le piaillement d'Hermès me tire de cette douce quiétude -et me voilà revenu à mon état habituel de bougonnerie.
Par son torse velu, qu'est-ce qu'on me veut à cette heure ?
Mes mots, guère plus qu'un marmonnement hargneux, troublent à peine le silence. Et c'est parti pour la retransformation de mon mobilier et le retour à leur état initial et Ô combien austère. Il est hors de question que quiconque ait la moindre chance de voir mon nid. Une main posée sur la poignée de la porte, j'avise un pan de ma robe de chambre.
Merde, change-toi quand même ! Me voilà enfin présentable ; un sifflement aigu fait rappliquer Hermès sur mon épaule. Il ne me reste qu'un problème à régler : que faire de la théière ?
Oh, et merde. Je ne vais certainement pas laisser un tel mélange se perdre, et encore moins avec la difficulté que j'ai eue à me procurer du safran digne de ce nom. Autant l'embarquer, et sur un malentendu je pourrai faire saliver mon interlocuteur pendant qu'il me racontera Merlin sait quelle aventure rocambolesque l'amène ici à cette heure avancée.
Je ne m'attendais pas, en poussant la porte, à tomber sur le directeur. Ce ne serait pas la première fois qu'il viendrait me consulter, mais
primo il ne m'avait pas semblé spécialement prompt à se jeter d'une fenêtre récemment, et
secundo il ne serait pas venu accompagné. A côté de lui... c'est un des professeurs, il me semble ? Relativement nouveau... Comment il s'appelle déjà ? Winston ? Wislow ? W-quelque chose, c'est certain, mais...
Me voilà sauvé : Rogue prend la parole.
Severus, par pitié, redonnez moi son nom, que je ne passe pas pour un con. Mes prières, pour changer, ne semblent pas être entendues. Bon, autant faire ce que je sais faire de mieux : faire preuve de désintérêt.
Ah, l'américain ? Eh bien, maintenant que vous êtes là, je suppose que je ne peux pas vraiment vous chasser, Monsieur le directeur.
Une formalité inhabituelle dans cette salle, à laquelle je ne consens qu'en présence d'une tierce personne. Tout en me servant une tasse de thé -heureusement que ce n'est pas une tisane au final-, j'examine le blondinet. Willianson ? Winterston ? Bon sang, ça me revient pas... En tous cas, il n'a pas l'air si mal en point. Pas de saignement apparent, pas de bleu, pas même de morve au nez. Éventuellement, il est bien un peu pâlot, mais ce serait quand même de mauvaise foi de lui prescrire une cure de bains de soleil sans adresser une recommandation similaire à mon directeur adoré et son légendaire teint cireux. Je n'ai pas non plus eu vent d'une épidémie à l'école, ni d'un accident en cours de sortilèges -autant dire que sinon, j'aurais eu un peu plus de monde dans les lits à côté. C'est peut-être un cas aussi intéressant que Rogue semble le penser ? Ce serait bien, mais je n'y crois pas trop.
Alors que je m'apprête à reposer la théière, je réalise qu'il est peut-être mal venu de ne pas offrir à boire à la personne qui me paie un salaire -et tant qu'à faire la distribution de thé, autant partir pour la tournée générale. Me voilà donc à remplir deux tasses de plus, le bruit du liquide couvrant celui d'un soupir pourtant retenu. Ma main gauche tapote le bois de la table, et Hermès descend docilement mon bras pour s'y installer. Mes doigts se posent sur son plumage, le lissant mécaniquement.
Je dois admettre être curieux. Notre jeune collègue, comme vous dites, me semble à première vue en bonne santé.
Je tourne mon attention vers Winterton... Wi... enfin, l'autre, là.
Il va me falloir un peu plus d'informations si vous voulez que je vous aide. Et croyez-moi, autant que vous alliez droit au but, histoire qu'on règle ça rapidement et qu'on puisse tous retourner bien au chaud sous nos couettes respectives.
Même si une partie de moi pense sincèrement ces mots, une autre -très probablement celle dotée d'une forme d'intelligence- soupçonne que ce bon vieux Severus n'aurait pas attendu la tombée de la nuit pour un cas trivial nécessitant trois gouttes de potion et un bisou magique pour s'arranger. Calé sur ma chaise de bureau, qui réussit le miracle d'être extrêmement esthétique mais aussi confortable qu'une vulgaire planche de bois, je regrette déjà mon fauteuil rembourré.
Witruc, si tu tournes autour du pot, je m'arrangerai pour que ta guérison soit longue et douloureuse.Sachez que tout ce que vous avez à dire ne quittera pas ce bureau.
Je n'ai jamais compris pourquoi ces quelques mots ont un tel talent pour délier les langues ; ils ont en tous cas l'avantage d'être aussi vrais qu'honnêtes.
Vous avez toute mon attention.
J'ai dit honnête ? J'ai peut-être parlé un peu vite.