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Dis-moi à quoi tu rêves, je te dirai qui tu es [Engel & Nasiya]
 :: Salon de Thé & Bar à chats :: SAISON 1 :: RP

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Engel Bauer

Engel Bauer
ADMINISTRATRICE & MJ
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Jeu 2 Mai - 22:04
Dis-moi à quoi tu rêves,

Je te dirai qui tu es


ft. @Nasiya Abasinde


Novembre 2003

Nuit noire. Yeux grands ouverts. Mes mains passent sur mes oreilles en un geste désespéré pour créer un son, un frottement, même désagréable, mais un bruit autre que celui qui me poursuit partout, un bruit dont la note change, et surtout, auquel je peux mettre fin. Tout pour que je n’écoute plus ce sifflement. Rien qu’une seconde. Une seule putain de seconde.

Depuis des jours, les acouphènes ont redoublé. Plus longs. Plus forts. A en devenir fou. Adossé à un meuble de la cuisine depuis des heures, j’attends qu’ils s’en aillent, qu’ils disparaissent, et que je cesse de les écouter pour enfin trouver le sommeil. Je n’ai pas dormi depuis des jours et la rougeur de mes yeux devient de plus en plus difficile à masquer. Les mains agrippées au plateau à m’en blanchir les phalanges, je respire fort. J’ai la gorge sèche. Je ne sais pas depuis combien de temps je n’ai pas bu un simple verre d’eau. Sur la table basse du salon, la bouteille de Jack’s me fait de l’œil. Bourbon dégueulasse. Je refuse de me saouler seul avec une bonne bouteille. Je ne goûte aucun arôme dans cet état. Je ne cherche que l’ivresse la plus crue, l’oubli des sens, le trou noir. Mais rien n’est parvenu à me faire oublier cette fois. J’ai les mains qui tremblent. Mon cœur bat trop vite. J’ai envie de me frapper la tête contre les murs, à grands coups dans le placo.

Prenant une grande inspiration, je ferme les yeux pour me détourner de l’appel de l’alcool auquel j’ai trop de fois cédé ces dernières semaines. J’ai trop de mal à garder les idées claires et je n’arrive plus à composer. Toutes les notes sont dissonantes, enlaidies par l’éreintement et l’ivresse qui rythment toutes mes journées. Je hais celui que je deviens dans cet état, enveloppe déliquescente, plus capable de rien. La honte s'ajoute à la colère, me fait monter la bile au bord des lèvres alors que je me sens arriver petit à petit aux limites de ma résistance. Encore quelques heures... Quelques heures seulement avant de me voir basculer. Je le sens. Je le sais. Il faut que ça s’arrête. Il faut que ça s’arrête…

Comme une décharge qui me parcourt tout le corps, mes muscles fourbus se mettent brutalement en mouvement. La démarche raide, la respiration sifflante, j’attrape mon blouson en cuir abandonné sur le canapé. Ma main moite récupère ma baguette et ouvre violemment la porte d’entrée. D’un geste sec, je la fais se verrouiller avant de ranger ma baguette dans la poche de mon jean noir. Clé moldue enfoncée avec peine dans la serrure qui active l’ascenseur lorsqu’il dessert le dix-septième étage où l’on ne trouve que mon seul appartement, je descends tout l’immeuble pour me diriger vers le Chemin de Traverse.

L’air humide s’infiltre sous mes vêtements. J’ai froid, mais je suis en sueur. Les frissons me parcourent le dos jusqu’à la nuque. On me croirait fiévreux quand seule la folie guette. Le pas saccadé, je me traîne dans une ruelle biscornue loin des regards, absolument déserte à cette heure-ci, et qui renferme un des passages pour rejoindre le Chemin de Traverse. Comme je rêverais d’être capable de transplaner, là, maintenant, de débarquer où je le souhaite en une seconde, sans m’infliger cette expédition du diable au cœur de la nuit. Abasinde est-il réveillé, au moins ? La question éclot un instant dans mon esprit sans que cela ne freine aucunement mon pas. Je serais capable de l’arracher du plus profond des comas si cela me permettait de jouir d’un seul moment de silence. Une seule seconde. C'est tout ce que je demande.

Soudain, la façade fantasmée se dresse devant moi. Ô Marchand’Sable. Lieu maudit de toutes mes perditions. Terre promise de toutes mes tentations. J’y trouve mon salut depuis des semaines. Je n’ai pas su les compter. Ici, je viens m’embrumer l’esprit de breuvages et d’incantations quand aucun autre palliatif ne parvient à me libérer de mes démons. Personne ne sait que j’ai un jour franchi la porte de cette échoppe, trouvé au bord du gouffre cette dernière prise à laquelle me raccrocher. Une prise dangereuse, glissante, que j’empoigne certains soirs comme un damné effrayé par ses propres ombres. Peu de gens m’ont connu dans les états auxquels Abasinde a dû faire face plusieurs fois depuis que j’ai croisé sa route. Les bonnes adresses se refilent entre camés. Je ne suis pas le seul sorcier à craindre ses nuits et maudire ses journées. La misère du monde fait depuis toujours le bonheur des marchands de sommeil. Mais que font-ils sinon répondre à un besoin que personne d’autre ne sait satisfaire ? Le mien est un marchand de rêve. Un marchand de silence.

Le regard fou, j’arrive devant la porte de la boutique sur laquelle ma main s’abat, bien à plat, de toutes ses forces. Je ne sais pas quelle heure il est, et dans mon état je m’en fous. Autour de moi, les fenêtres s’éclairent, découpant les silhouettes des sorciers tirés de leur sommeil qui viennent voir qui est l’énergumène qui braille sous leur balcon. Je ne leur accorde même pas un regard. Continuant de frapper, je hurle comme un dément, la voix trop tremblante pour nier la névrose que je sens sur le point de me dévorer :
- Abasinde ! Abasinde, ouvre cette putain de porte !

roller coaster

(897 mots)

Nasiya Abasinde

Nasiya Abasinde
Et j'ai crié, crié !
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Jeu 9 Mai - 1:16

Dis moi à quoi tu rêves je te dirai qui tu es

Sauveur sauvé, à nous deux l'âme perturbée



Ma main glisse dans le dos de Josiah (@A. Josiah N'Da). Je caresse distraitement sa peau, encore un peu moite des élans amoureux qui nous ont uni. Mes lèvres meurent d’envie de se vautrer à nouveau dans son cou, mais la fatigue nous accable, et le dernier élan de vivacité qui nous reste est dédié à un écran télévisé, trafiqué discrètement pour profiter de longues soirées. Jean-Claude Van Damme fait un grand écart sur des rails de chemins de fer quand un ronflement timide émane de Josiah, et je grogne de rire. Incapable de tenir plus de cinq minutes. Déposant un baiser sur sa tempe, me laissant aller à une tendresse que j’ai du mal à montrer lorsqu’il a les yeux vrillés sur moi, mon rythme cardiaque décélère alors que la fatigue cherche à m’attraper. J’essaie fièrement de résister, mes yeux s’accrochant là et là aux scènes qui défilent sur l’écran. Van Damme s’énerve sur des écossais, et libère de grands préceptes de vie à rengaines de « Sometimes life is... is... ugly. And stupid. And mean. », et mes paupières perdent la lutte. Je sombre.

L’odeur entêtante de l’encens vient me caresser les narines. J’ouvre un oeil, alors qu’un bâillement vient me décrocher la mâchoire, et je fronce des sourcils en reconnaissant une longue chevelure noire. Une longue chevelure noire ? Mes yeux se referment précipitamment, mais l’odeur entêtante demeure, et des lèvres fines - fines ? -, des longs cheveux doux, lisses, viennent glisser, jouer avec ma peau. Ça me revient, alors, de plein fouets, ça me fait suffoquer, ça me donne le vertige. Je me redresse, elle est sur le lit, un peu perdue, elle comprend pas pourquoi je m’éloigne, pourquoi je comprends pas ce que je fous là. Je fais quelque pas en direction de la porte et manque de pousser un cri lorsque le sol s’effondre sous mes pieds, et que je me retrouve en plein milieu du salon de Josiah, à l’époque. Cette époque. Les phrases me reviennent en tête, brutales, monstrueuses, dévorantes. Elles me rongent le cerveau, me crispent la gorge, me révulsent l’estomac. On s’était fait tellement de mal. Je ne peux que me sentir les lui hurler, ces putains de phrases, incapable de changer la situation, pantin d’un cauchemar intenable. Mon esprit se fait balancer, dans tous les sens ; j’ai les mains de Kyoko sur le corps, les baisers de Marco dans la nuque, les cris de Josiah qui me bouleversent l’âme, et je ne suis maître de rien.
Des flashs honnis me reviennent, de ceux qu’on veut oubliés à jamais, y a le corps de cet abruti de Leonardo dans la campagne italienne, qui avait rien supporté aux potions, rien supporté à la magie, alors qu’il était supposé l’avoir déjà fait, y a les pleurs de Wassim qui s’en remet pas, les hurlements de Josiah, toujours, dans le fond, pour cette foutue guerre des sorciers, tout se mélange, ça me monte à la tête, c’est affreux — uThixo, pardonne-moi. (*Dieu)

J’ai de la sueur, le long de la colonne vertébrale, des élans au coeur, des frissons qui me parcourent ; y a de la bile, au fond de ma gorge. Et des mains, qui me secouent, des mains qui me font bouger dans tous les sens, des mains qui tapent sur mes joues — je reviens à moi, haletant, au bord du malaise. Bordel. Je peux plus m’endormir normalement, comme un putain d’homme sensé. Josiah est au dessus de moi, les yeux presque révulsés d’inquiétude. Je lui prends la main, doucement, rassuré par ce contact humain, chaud, réel. Il me caresse le front, me murmure des mots de réconfort, et je sens ce trop plein de sentiment, cette pression amoureuse, qui m’enserre la cage thoracique, qui me fait gonfler le coeur, ça me fait tourner la tête. Je l’aime, je l’aime, je l’aime.

Les mots sont là, au bord des lèvres, pour la première fois près à se déverser - mais je me mords la langue. Foutus cauchemars, foutue vie de merde, qui fait dire que des conneries. Je me relève aussitôt, repousse sa main, presque gentiment, et grommelle deux trois mots, une bêtise, je reviens, t’en fais pas, besoin d’un verre d’eau, d’une grande taffe, je vais me faire un bon joint, ça va me mettre bien, promis je prendrai une potion avant de dormir, je te ferai plus ça, désolé mon amour, je reviens, endors-toi. Et je m’évade, je file, je dévale les marches, j’ouvre la porte de la cour arrière, et je roule. Je roule, en vitesse, pour soulager mon cerveau en feu, mon âme sur le grill, je roule et je tire — enfin — je tire de toutes mes forces, ça se propage, ça fait du bien, bordel. J’en fume trop, ces derniers temps. C’était pas comme ça, avant… avant.

BAM.

Il y a un grand fracas, dans la rue. Ça tambourine d’un coup, c’est violent, agité, ça me fait sursauter. Je l’entends depuis la cour arrière, y a un malade qui hurle, ça dérange tout le beau quartier, tout le beau monde. Je me mords la lèvre inférieure, me demande si je suis encore trop pété, si je me suis mis à halluciner, mais ça s’arrête pas, ça ferme pas sa gueule, et pire encore, ça beugle mon nom. Évidemment. Y a que chez moi que des tarés viennent, à cette heure-là. Y a que mon art, pour attirer des malades. Je me précipite à l’intérieur, repousse le bordel dans l’atelier, fais gaffe à rien cramer avec ma mandragore, repousse le voile qui révèle la boutique, et d’un mouvement diagonal du pouce, enclenche les sécurités de la porte qui s’ouvre brutalement.

-  Bordel c’est quoi cette embrouille ? que je grogne, en reprenant une taffe.

Bauer.

Évidemment, que c’est Bauer. J’aurais dû m’en douter. J’ai un sale rire, un de ceux qui raclent la gorge, et je lui prends l’épaule, je le tire à l’intérieur, je boucle le périmètre. Porte qui se referme, verrous scellés, sortilège de protection, et de silence. Ce con me prend la tête depuis des mois pour que ça soit réglo, pour que personne soit au courant, et il débarque en pleine nuit comme un torturé, à beugler la mort.

-  Tu vas pas bien ou quoi ? Qu’est-ce que tu fous là ? T’es déjà à court ?

Je le fous sur le tabouret et je jette un regard ennuyé vers l’arrière-boutique et les escaliers, espérant que tout ce raffut ait pas trop emmerdé Josiah. Il y a pas de mouvements, il a dû se rendormir, rejoindre les terres rêvées de Morphée, alors je me concentre sur l’imbécile que j’ai en face de moi, et je grimace. Ce mec il lui brise le coeur. Il a plus beaucoup de coeur à briser, pourtant, mais il le fout en vrille. C’est un de ces mecs qui a été brisé gamin et qui dégueule tout son mal être, un de ces gars qui fait le fier devant les autres, et qui se mutile l’esprit à la moindre occasion. Il en a trop vu, des gens comme Bauer. Il peut pas faire grand chose pour lui, sinon lui requinquer l’esprit, à coup de potions. Pour l’instant.

-  Ça va aller, mon vieux ?

@Engel Bauer 1196 mots
Awful

Engel Bauer

Engel Bauer
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Jeu 16 Mai - 11:48
Dis-moi à quoi tu rêves,

Je te dirai qui tu es


ft. @Nasiya Abasinde

Novembre 2003

Chaque coup fait vibrer mon bras jusque dans mon épaule. Violence acharnée. La douleur dans ma paume détourne un temps mon attention du sifflement qui me torture. Je la rendrais plus aiguë encore si cela pouvait le faire disparaître ne serait-ce que quelques secondes. Le cœur fait battre la carotide. Je sens la sueur perler sur mon front. J’ai les jambes qui tremblent. J’ai peur de les sentir se dérober sous mon poids à chacune de mes inspirations. Et Abasinde qui ne vient pas… Qu’est-ce qu’il fout, bordel ? Il pionce, lui, hein ? Mes esprits malades n’y voient qu’une provocation supplémentaire. Chaque seconde est vécue comme une raillerie qu’il me glisserait à l’oreille alors que je suis sur le point d’exploser. Putain d’enfoiré.

Mes coups redoublent alors que la rue s’agite, dérangée par mes cris. La folie me fait oublier mes propres directives. Personne ne doit savoir. Tu ne dis rien aux gars. Si jamais ça sort dans la presse, je te fais cramer ta putain de boutique. Je m’entends encore lui balancer mes injonctions la première fois que nous avons fait affaire, avec ce regard des gens qui craignent trop que leurs faiblesses ne soient divulguées. Et voilà que je beugle son nom au beau milieu du Chemin de Traverse comme un dégénéré avide de scandales. Ô douce névrose qui vient ronger mes dernières bribes de lucidité…

Soudain, la porte se dérobe. L’Africain apparaît, l’air hagard, et je le regarde comme un putain de messie. Il maugrée quelque chose que je ne cherche pas à comprendre alors que je m’engouffre dans la boutique dès qu’il m’attrape l’épaule pour me faire entrer. Comme un soulagement profond qui me prend les tripes et remonte dans ma poitrine, je sens déjà les battements de mon cœur se perdre dans un rythme irrégulier, tachycardie des drogués sur le point de recevoir une nouvelle dose. Je la connais par cœur, la hais autant que je l’adule tant j’en connais les promesses et les revers. Mais dans mon état, je ne discerne plus que ses offrandes, qu’importe le prix qu’il m’en coûtera.

Gémissement misérable. Le sifflement dans mes oreilles gagne encore en intensité alors que Nasiya s’occupe de lancer je-ne-sais quels sortilèges tout autour de la boutique. Je mène une main à mon front qui s’enfonce dans mes cheveux, raclant mon crâne comme si elle pouvait en forcer l’ouverture et aller arracher elle-même le son qui me hante jour et nuit. Soudain, les mots d’Abasinde me claquent à la gueule, réveillant brutalement des instincts de défense qui me font cracher avec agressivité :
- Ouais, j’suis à court ! A court de temps, à court de patience, à court de solution ! J’ai pas dormi plus de deux heures d’affilée depuis quatre jours, putain ! Alors viens pas me faire chier avec tes airs effarouchés quand t’étais censé savoir mettre fin à ce putain de calvaire !
L’attaque est aussi cinglante qu’injuste et quelque part, au fond de moi, je le sais très bien. Mais je ne discerne plus rien dans l’état qui est le mien, et il me faut faire un effort surhumain ne serait-ce que pour retenir le coup que je rêve de lui mettre dans la gueule au moment où il m’attrape le bras pour me faire m’asseoir sur un tabouret. Les dents serrées, le regard brûlant, rougis par les heures sans sommeil qui n’en finissent pas de s’accumuler, je fixe le potionniste comme un prédateur acculé, trop blessé pour mordre, trop enragé pour baisser sa garde. Tout mon corps est raide, tendu à m’en faire mal. Je serre les mains en deux poings pour tenter de contrôler mes spasmes. Mais même ma respiration s’ébranle, incapable de s’apaiser, comme prise de sursauts chaque fois qu’il me vient l’idée d’inspirer. Cette maîtrise qui m’échappe fait pulser une colère sourde dans mes veines déjà saturées. Je me suis rarement senti si proche de sombrer.

- Ca va aller, mon vieux ?
Un rire lugubre s’échappe de mes poumons et je sens les larmes me monter aux yeux. Les nerfs à vif, je guide ma main tremblante jusqu’à mes paupières que j’écrase pour récupérer le sel de mes blessures, approfondissant mes respiration pour tenter de contrôler les soubresauts qui secouent ma cage thoracique. La voix étonnamment douce d’Abasinde perce mes trop maigres défenses, et mon hostilité s’éteint, ne trouvant rien sur quoi reposer. Je me laisse de longues secondes pour tenter de retrouver un semblant de contrôle, ne serait-ce que pour aligner trois mots sans qu’un sanglot ne me coupe en pleine phrase. J’inspire, souffle lentement. Puis j’articule enfin d’une voix brisée :
- Je suis fatigué, Abasinde… Je suis fatigué.
Une plainte en apparences si commune et qui renferme pourtant toute la détresse qu’on peut lire dans chaque frisson qui me parcourt le corps. Mes muscles fustigent mon esprit de la seule manière qu’ils le peuvent, suppliant qu’on leur accorde le repos que je ne suis plus capable de leur donner depuis que les acouphènes m’ont privé du moindre instant de silence.

Parvenant enfin à relever les yeux pour aller chercher ceux du marchand de rêves, je coasse, à bout de force, n’étant plus maintenu debout que par la rage que j’invoque pour m’éviter de tomber :
- Faut que tu me trouves quelque chose. Fais-moi avaler ce que tu veux, j’en n’ai rien à foutre. Mais il faut que je dorme. Il faut que je dorme, putain…
Je me passe encore une main sur l’oreille pour faire disparaître l’acouphène une fraction de seconde. Mon cœur frappe de nouveau mes côtes, épuisé lui aussi par le rythme acharné qu’il s’inflige depuis des heures beaucoup trop longues. J’ai l’impression de pouvoir m’effondrer d’un instant à l’autre.

Mon regard dément se voit alors capturé par une lueur rougeoyante au bout des doigts d’Abasinde et je me redresse légèrement sur mon tabouret. Une envie brutale s’empare immédiatement de mes traits quand je fais l’effort de reconnaître l’odeur. J’ai trop fumé de cette saloperie il y a quelques années pour que le doute sur sa nature me soit permis. J’aurais aimé un truc plus fort, mais faute de mieux, je tends la main et gronde d’un ton trop froid pour laisser au potionniste le choix de me le refuser :
- File-moi ça…

roller coaster

(1041 mots)

Nasiya Abasinde

Nasiya Abasinde
Et j'ai crié, crié !
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Ven 31 Mai - 0:49

Dis moi à quoi tu rêves je te dirai qui tu es

Sauveur sauvé, à nous deux l'âme perturbée



L’allemand est dans un état pitoyable. Il pue la misère, dégueule la douleur. Ses gestes sont brutaux, vifs, et son trop plein de malheur me tire douloureusement de la transe rêvée de la mandragore. Mes muscles sont à peine relaxés, mes nerfs si peu calmés, que son agressivité vient déverser ses raclures sur moi. Il se masse le crâne, cherchant plutôt à se scalper, si ça pouvait l’aider, et il se retourne vers moi, les yeux rouges, gueulards, prêts à me buter sur place de pas leur offrir le repos divin. J’inspire profondément alors qu’il déverse son fiel, sa rancoeur contre soi-même et ses putains de problèmes qui se répandent sur moi — parce qu’évidemment, pauvre marchand de sable, sale africain, il vient foutre sa vie en l’air, il est même pas capable de faire son simple taf. Ça me met de travers, j’ai envie de lui prendre la gorge et de lui couper le souffle, à cet abruti, qui ne sait même plus ce qu’il dit, j’ai envie de le plaquer au sol, de le calmer un coup, qu’il revienne à lui. Ce serait si bon. Et pourtant, derrière ces phrases dégobillées, une douleur qui transparaît, un état de souffrance, une situation insupportable. Quel pauvre gars.

J’inspire, j’expire, ma clope se consume sans que je la fume, ça me met la rage de gaspiller de l’herbe pour cet incapable, mais je me concentre, je le prends par le bras, je prends pas la peine de répondre, de réagir, ça sert à rien de l’enflammer. Ses poings sont serrés, il tremble, c’est pathétique, c’est une crise absolue — un rien, et il me pète la mâchoire. Alors on ferme sa gueule, on l’assoit sagement sur un tabouret, on se place en face, on observe ce putain de client, et enfin, on demande. Doux.

- Ça va aller mon vieux ?

Et si je savais qu’il allait mal, je m’attendais pas à cette crise de nerfs, ces larmes qui montent, ce rire désemparé. Je ne dis rien, toujours rien, il a besoin de temps, de silence, de se calmer seul. Il écrase ses larmes, il respire comme il peut — et déjà, dans ma tête, je vois plus loin. Ce mec, il est bien trop mal pour mes potions de première zone. Il est instable, certes, Noah hurlerait contre ma décision, mais comment le laisser dans cet état ? Comment ne pas lui proposer plus, un paradis, enfin, une échappatoire. Je fuis peut-être devant la guerre, devant l’horreur du monde, mais je pouvais bien dévier des lois pour sauver ne serait-ce qu’un bout de l’esprit de ce pauvre gars. Il semble calmé, au moins y a plus de larmes qui coulent, et je sens un poids se lever de mes épaules. Les crises de larmes, je sais pas faire, j’ai jamais donné. Et si Bauer n’était pas qu’un client, n’importe quel client, je ne sais pas quelle tête il aurait tiré si j’étais venu le réconforter. Ça me ferait presque rire d’imaginer la scène, si sa voix s’était pas élevée, complètement brisée, à bout. Totalement défaite. Je passe une main sur mon front, me masse brièvement la tempe — bordel, est-ce que j’y vais ou pas ?

À quel point faire confiance à Bauer ?

Il relève les yeux vers moi, et enfin nos regards se croisent. Ces dernières phrases semblent être la supplication ultime, celle qui me fait basculer. Il faut que je lui propose. Je me mords les lèvres, je l’observe, encore, quelques secondes. Déjà, les bases, tout simplement, une potion pour se calmer. Je dois avoir ça, dans mon bazar, quelque part dans le fond, un simple petit flacon, réconfort minime. Je lui tourne le dos quelques secondes, farfouille quelques secondes et en retire une fiole, où quelques pauvres gouttes baignent au fond. Je grogne mais lui tends quand même :

- Prends ça, déjà.

Seulement l’allemand regarde tout sauf la fiole, il a les yeux fixés sur mon joint, il a la main tendu vers elle, et son ton est implacable quand il grogne un “file-moi ça”. Je retire aussitôt la main et lui lance un regard sombre.

- Et puis quoi encore ? T’es pas déjà assez mal foutu ?

Je pose le flacon près de lui, et m’éloigne de quelques pas pour tirer sur ma roulée. Il allait pas me taxer la fin de mon joint en plus de me faire les noises en plein milieu de la nuit, de une, mais surtout, surtout, j’avais besoin de lui dans un état non illicite s’il m’écoutait. Je fais un geste de trois doigts de la main droite pour attirer un tabouret à moi depuis l’atelier et m’avachis dessus.

- Prends la potion, bordel, je t’assure qu’elle va pas te flinguer. Et si t’es sage, j’ai mieux que ça. Je veux pas prendre de pincettes avec toi, l’ami, t’es pas en état pour supporter des propos de vente mielleux, ni pour entendre la science derrière ce que je vais te proposer. Ce que je vends, là, ces potions… c’est du bon taf, tu entends, je fais que du bon taf. Mais c’est pas mon meilleur taf. Je peux faire des choses… ça fait autant pétiller que les petits effets péteux de tes concerts, mon vieux. Ça peut te faire rêver, te mettre bien, si bien.

J’ai un sourire en coin, le torse un peu penché vers lui, les mains déjà excitées. Je n’ai pas pratiqué de magie rêveuse depuis trop de temps, à part quelques fois sur certains clients des embrumes et Noah, mon arrivée au Royaume-Uni s’est fait silencieuse. La pratique me manque, la hâte de m’imaginer me faufiler dans son esprit me fait déjà grincer d’extase.

- C’est un procédé supérieur, t’entends ? Le genre de trucs que je fais pas à n’importe qui. Dans l’idéal, faut pas avoir bu, pas avoir fumé… je sais que t’as pas fumé, ton pote est réglo sur ça, mais la bouteille, je pense pas. C’est pas problématique pour ce soir. Mais si tu voudras recommencer, faudra pas avoir bu dans les vingt-quatre heures, compris ?

Je le scrute longuement, il est toujours temps d’abandonner l’idée… Non. L’envie est là, bien trop forte, bien trop propagée dans tout mon corps.

- Je sais pas ce qu’ils vous apprennent, chez les écossais, mais tu as bien vu que j’utilise une magie différente de la tienne, pas vrai ? Panique pas, mais qu’est-ce que t’en penses si je l’applique sur ce terrain miné de cerveau que tu as, et que je te fais pioncer comme jamais t’as pioncé ? Ça serait pas mieux que cette merde ?

Du bout des doigts, je secoue le joint entre nous, sourire narquois.

@Engel Bauer 1104 mots
Awful

Engel Bauer

Engel Bauer
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Mer 17 Juil - 8:32
Dis-moi à quoi tu rêves,

Je te dirai qui tu es


ft. @Nasiya Abasinde


Novembre 2003

Nasiya ne dit rien. Il me regarde de longues secondes sans prononcer un mot et je crois ne jamais lui en avoir été si reconnaissant qu’en cet instant. Profitant du moment qu’il me laisse, je prends de grandes inspirations pour calmer les battements acharnés de mon cœur et tente faiblement de reprendre pied. Une crispation dans le bras me fait serrer le poing sur le comptoir. Je grimace, encaisse la douleur, tente d’ignorer les tremblements que je sens remonter jusque dans mes épaules. Abasinde s’est retourné pour fouiller dans ses étagères. Je sais pas ce qu’il fout et chaque seconde gaspillée menace de me faire définitivement vriller mais je me mords la langue, car si je dépends maintenant entièrement du marchand de rêves, lui pourrait très bien me foutre dehors et me laisser crever comme le quasi-inconnu que je suis à ses yeux. C’est pas comme si je pouvais résister dans mon état et je le sais. Il ne me doit rien d’autre que des putains de réveils en plein milieu de la nuit et mes humeurs détestables chaque fois que je ramène ma gueule dans sa boutique. Je ne suis entré ce soir que parce qu’il l’a bien voulu. Alors je ravale la bile qui gagne le fond de ma gorge, attends patiemment qu’il se retourne et qu’il me tire de mes cauchemars. Ce joint de mandragore qu’il tient au bout de ses doigts serait un bon début.

J’entends vaguement qu’il parle de me filer un truc mais je me fous bien de savoir ce que c’est. L’odeur de la dope me chatouille les narines depuis que je suis entré dans sa boutique et, dans mon état, je ne me raccroche qu’au peu de choses que je reconnais encore. Sans prêter attention à ce qu’il tient dans l’autre main, je tends mes doigts blafards pour lui piquer sa roulée avec une assurance insolente qu’il me fait ravaler sèchement. Alors que je cligne brusquement des yeux, le joint s’éloigne et mon regard fou revient transpercer le sien. Pendant d’une fraction de seconde, je crois que je pourrais lui sauter à la gueule, passer par-dessus son putain de comptoir pour lui éclater les dents, écraser son crâne de charlatan contre le mur de sa boutique et admirer les dessins que feraient son sang sur la tapisserie rien que pour lui arracher son herbe. De quoi faire un joli test de Rorschach pour les connards qui viendront m’interner. Ça serait grandiose… Mais je me ressaisis juste à temps quand le cul d’une fiole vient claquer sur le comptoir et mes yeux tombent lentement dessus. La respiration encore trop rapide, je regarde la petite bouteille avec un air suspicieux. J’ai aucune idée de ce qu’il y a là-dedans et même si je me suis défoncé des dizaines de fois avec les potions de l’Africain sans jamais me demander ce qu’il foutait dedans, je sens comme les dernières bribes d’un instinct de survie qui me fait me demander si cet enfoiré ne serait pas capable de me faire clamser plus vite juste pour avoir la paix.

Ce connard doit lire dans mes pensées parce qu’il insiste presque immédiatement, comme si mon inquiétude transparaissait sur mon visage. Je suis bien incapable de dire la gueule que je tire de toute façon. Mais je sais l’étincelle qui vient se nicher dans mon regard au fil de ses phrases, quand Abasinde me fait miroiter quelque chose de bien plus puissant que sa mandragore, ou même ses foutues potions. Il s’est assis sur un tabouret, le torse penché vers moi, un sourire malin sur les lèvres. Mes esprits enfiévrés l’écoutent à moitié mais je saisis l’essentiel. Un  « procédé supérieur ». Une autre magie. Me faire pioncer comme jamais.

Pioncer comme jamais.

Je ne regarde même plus le bout rougeoyant de son joint quand il me l’agite sous le nez. Je ne vois plus que ses promesses, cette nouvelle drogue qu’il me propose, un abandon sans substances, dont je ne saisis pas encore vraiment le fonctionnement mais je m’en fous complètement. Je n’entends que les résultats qu’il me décrit, ce sommeil profond dont je n’ai jamais tant rêvé. L’excitation fait frapper lourdement mon cœur dans ma poitrine. Je peine à distinguer le faux du vrai. Je crains une entourloupe qu’il n’aurait aucun mal à me faire avaler dans mon état. Je ne sais pas ce qu’il veut faire. Encore moins comment il compte s’y prendre. Je ne connais pas les risques. Je ne sais pas ce qui l’empêche de proposer son truc à une tripotée d’autres connards complètement ruinés comme moi. Les questionnements se multiplient, se précipitent et s’entrechoquent dans ma tête si fort que je crois les sentir me fendre le crâne. Pourtant, je viens attraper la fiole qu’Abasinde a posée devant moi que je la débouche soudain d’un geste fébrile pour la vider d’une traite. Le goût âpre me fait grimacer un instant alors que la potion coule dans ma gorge et la chaleur qui s’en dégage se diffuse presque immédiatement dans toute ma poitrine, détendant mes muscles comme si elle s’emparait lentement de chacun de mes membres. Je ferme les paupières comme un camé après un shoot d’héro, prends une inspiration si longue qu’elle semble ne jamais finir. Le cœur bat toujours trop vite. Mais mes mains cessent doucement de trembler et ma mâchoire se détend. Je respire de longues secondes. Le sifflement dans mes oreilles semble s’être légèrement atténué, mais pas assez encore pour me laisser l’oublier. Alors, mes yeux se rouvrent et détaillent l’excitation qui semble s’être emparé des traits du marchand de rêves. Abasinde semble aussi pressé de s’adonner à son art que moi d’y goûter. Je ne lui rends pas son sourire. Mais aucune hésitation ne me traverse plus d’une seconde. Qu’importe le prix que me coûtera cette faveur qu’il me fait. Je pourrai le payer. Le reste n’est qu’un risque à prendre pour m’éviter de crever dans l’heure. Parle-t-on encore de choix quand on n’a plus qu’une prise à laquelle se raccrocher ?

D’un geste plus maîtrisé, je repose la fiole sur le bois du comptoir, et ma voix encore troublée ne lance qu’une simple phrase :
- Fais ce que tu as à faire.
Mon cœur repart dans ma poitrine à m’en fêler les côtes. Mais je musèle mes craintes, n’écoute plus que cet espoir qui m’a envahi l’esprit à peine le discours de Nasiya terminé. Je me fiche de savoir ce qu’il compte me triturer dans le crâne. Je veux que cette torture s’arrête, ici, maintenant, quitte à me mettre à la merci d’un putain de marabout. J'ai tout à gagner. Plus rien à perdre. Rien qu’une carcasse prête à crever depuis longtemps.

roller coaster

(1133 mots)

Nasiya Abasinde

Nasiya Abasinde
Et j'ai crié, crié !
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Lun 2 Sep - 1:04

Dis moi à quoi tu rêves je te dirai qui tu es

Sauveur sauvé, à nous deux l'âme perturbée



Le joint est entre nous, tentation fatidique, l’odeur remonte jusque dans nos narines, mes doigts tremblent d’appréhension qu’il s’en saisisse, et qu’il refuse la proposition terrible que je viens de lui faire. Le blanc de la feuille de papier contraste avec ma couleur teintée, le brûlé de l’embout vient s’en rapprocher, les volutes s’en échappent, viles, vilaines fumées de Judas. Mes yeux sont fixés sur les siens, je tente de rester neutre — autant que je peux. Je sais la démarche vaine, mes membres sont déjà frémissant de hâte, mon cerveau déjà pétillant de m’y lancer, enfin, de reprendre en main cette magie que j’aime tant. Je ne rajoute rien, pourtant, je lui dois de lui laisser le temps d’y réfléchir, au moins un peu, presque posément. Je sais son esprit tant embrumé que ce délai est ridicule, dérisoire, mais une part de ma conscience semble y trouver un réconfort, une sécurité, alors je garde le silence.

Il n’y a que le joint entre mes mains, la fiole sur le comptoir, et sa décision à prendre.

Sa main s’élève, un peu, juste un peu, et mon coeur bat plus lentement, terrorisé à l’idée de perdre cette chance unique de l’emmener plus loin — si là, au plus bas, il me le refusait, c’était peine perdue. Sa main s’élève, pourtant, et évite le joint pour attraper férocement la fiole, qu’il engloutit. Si mon corps ne trahit pas ma jouissance, ma main se repliant doucement vers mes lèvres, mon esprit est en enchaînement de salto. Pour un peu, je ressens le même bonheur que le matin où j’ai reçu l’appel du Messager. J’en oubliais Josiah, qui m’attendait là-haut, sur le canapé, la chaleur de son corps. J’en oubliais la télé qui tournait encore, Van Damme qui s’entraînait à ses grands écarts entre deux cars. J’en oubliais la mandragore, qui s’insufflait dans mes poumons, mais n’en avait plus aucun effet. Il n’y avait que cette bouteille avalée, et tout ce qu’elle impliquait. Mes lèvres tressautent peut-être, mon enthousiasme se lit peut-être dans le pétillement de mes yeux, l’agitation juste au delà de la moyenne des doigts de ma main libre, qui tapotent furieusement le comptoir. Je l’observe qui se calme, un peu, shooté après ce premier service, cette potion toute douce qui lui a juste apaisé les nerfs, calmé sa rage intérieure. Il a le regard posé, les gestes plus controlés, lorsqu’il repose enfin le flacon.

Je n’ai toujours pas bougé. Le joint se consume, cette fois, je ne fais pas semblant qu’il m’intéresse, qu’il me fasse encore de l’effet, je reste focalisé sur lui. Il suffit d’une phrase. Une phrase, un hochement de tête, même, peu importe, je prendrais tout ce soir. Et enfin, la libération.

- Fais ce que tu as à faire. 

Mon sourire cette fois-ci me trahit entièrement. Il se fait carnassier, passionné, presque jouissif.

- Pas pour te faire flipper, mais tu ne peux plus changer d’avis, l’ami, je suis bien trop remonté, grognai-je aussitôt, la gorge serrée par la hâte.

Le joint s’éteint d’un souffle, et je le laisse sur le comptoir, l’esprit déjà en train de réfléchir à comment on allait s’organiser. Si rien d’autre que mon sourire extatique ne trahit mon impatience, c’est un chantier digne d’un terrain de construction de la capitale chinoise qui se trafique dans mon esprit. Il nous faut un endroit calme, un endroit apaisant, dans lequel je me sens en maîtrise. Je n’ai pas de salon d’invité, ni aucun endroit fait pour les clients autre que cette foutue boutique trop serrée. Je jette un coup d’oeil à l’escalier, derrière le voile encore grand ouvert, et ne remarque pas que mon pouce joue avec ma paume, les ongles griffant presque ma peau. Il fallait monter. Monter… Merde, Josiah. Merde, merde, merde. Je sens mes ongles venir agripper ma peau plus violemment cette fois, et respire profondément. Pas d’autre choix. Aucun autre choix. Bordel, Josiah allait détester cela. Il allait me faire un cinéma. Une dispute tonitruante. Pas ce soir, mais demain. Je sentais déjà la froideur de ses baisers — ou pire encore, l’absence de ses baisers — pour les nombreux prochains jours. Seulement, je ne pouvais pas passer à côté de cette chance. Était-ce vraiment une chance, qu’un type soit aussi mal en point ? J’étais trop enthousiaste, pourtant, pour considérer une demie-seconde ce type de moralité.

- On ne va pas rentrer chez toi, ça serait pas discret après le vacarme que t’as foutu… T’es sûr que tu t’engages, tu te sens prêt ? C’est assez intense, mais promis, c’est le nirvana. Tu vas te sentir tellement bien. Il faut un endroit tranquille. Pas trop le choix, on va monter, c’est le souk dans l’atelier, on aura pas la place. Tu gueules pas pour parler, même tu parles pas du tout, j’ai…. un invité, là-haut. T'es sage, compris ?

Un invité. Ça allait, comme cela, dis comme ça. Un invité, rien d’autre, un homme en slibard dans son salon, le corps mangé de suçon, la peau rosie par endroit, les yeux tombants de fatigues, les cernes gonflés, un homme enroulé dans ses couvertures. Un invité, bien sûr. Je ne détaille pas plus, pourtant, et enjoins Engel à me suivre, je grimpe les escaliers, maudissant le bois vieilli qui craque sous notre poids, sous mes pas trop rapides, trop empressés, bien trop hâtifs. Ma crainte d’emmerder Josiah est emmitouflée sous une dizaine de tonnes de hâte de m’y mettre, de jouissance d’enfin replonger dans cette magie d’un autre monde, et je traîne aussitôt Engel vers le canapé, grognant :

- Mets-toi à l’aise, faut que j’aille le prévenir.

Pas le temps de le prévenir, pourtant, Josiah est devant moi, le visage serré, les traits tendus, tout dans son attitude clamant combien j’étais irresponsable, et odieux, et surtout très dans la merde. Je grimace, et lui murmure que je n’ai pas le choix, qu’il va mal, et le ton sec de Josiah qui m’envoie chier me fait rouler des yeux, je réalise qu’il n’a même plus son foutu slip, et je roule encore plus des yeux, je grogne plus fort cette fois, c’est de la faute de cette foutue boutique trop petite, j’ai même pas de lits pour les clients, s’il te plaît mon doux, juste pour cette nuit, mais l’orange de sa robe de chambre, enfilée à la va-vite, est la seule réponse que j’ai, alors qu’il me tourne sensationellement le dos et claque la porte de l’appartement avec une force phénoménale. Je prends mes tempes entre mes mains et les masse longuement, respirant profondément. J’aurais le temps de m’engueuler avec Josiah plus tard, l’heure était à la magie. Enfin, de la vraie magie !

Trois longues respirations plus tard, je me retourne à nouveau vers Engel et je m’astreins à être le plus possible rassurant.

- Ne t’en fais pas pour ça, ça lui passera. Tu es prêt ? Tu le veux toujours ?

Je m’assieds près de lui, liant mes mains entre elles, et pesant un regard lourd sur lui :

- Laisse-moi t’expliquer un petit plus, avant qu’on le fasse pour de bon, et tu me diras si c'est toujours bon ? La magie de mes potions n’agit qu’au second degré sur ton inconscient, ce sont les ingrédients que j’y mets qui réagissent entre eux et réagissent sur tes neurones et le flux de tes pensées. Bref, c’est un second degré. Ce soir, je te propose le premier degré : les boucles que je créée dans des potions toutes faites, je vais les créer directement, en live, si tu veux, pendant que tu dors, pour affiner ton rêve, le personnaliser au possible, toucher au plus intime de ton cerveau pour qu’il déconnecte totalement. C’est… long, et éprouvant, pour moi. Pour toi, ça sera une expérience unique. Je ne peux pas t’expliquer le ressenti plus que cela. C’est pas dangereux, pas vraiment.. tu risques simplement d'en avoir un peu plus envie, à chaque fois que tu le feras. Je suis réglo avec ça, je te préviens tout de suite. Pas de déconnade où je te fais ça tous les samedi matins. C’est exceptionnel, vraiment pour les soirées de… les soirées comme celles-ci. Ça te paraît clean ?

J'attends sa réponse, espérant lui en avoir assez dit pour qu’il réalise ce dans quoi il s’engageait. Cet acte était, sans aucun doute, d’une intimité folle. Ses pensées, son flux de conscience, tout allait m'être livrer, pour que j’y exerce le bon vouloir de mes boucles, pour que je prenne plaisir à façonner le chemin vers son idéal, son nirvana du sommeil. Ce genre de laisser aller offrait non seulement des rêves des plus fabuleux, au point d'en faire trembler certains d'un bonheur proche de la jouissance, il offrait également une déconnexion des plus complètes, un sentiment d’apaisement digne d’une semaine de méditation spirituelle -- si tant est que Dieu fut réceptif cette semaine-là. C’était le genre d'expérience qui l’entraînerait, sans aucun doute, dans une dépendance légère, une recherche de cet abandon total — ce serait à moi, alors, de veiller sur lui. Il m’offrait — je m’imposais, d'une certaine façon — un contrôle de son bien-être, une étape au-dessus dans la confiance que nous nous accordions.

Si tu veux, on commence avec les deux heures. Deux heure, et si ça te va, si t'es à l’aise, je te fais les 6h… la prochaine fois, on pourra tenter la nuit complète. Petit à petit, d’accord ?

Je l’allonge sur le canapé, fais venir à moi mon matériel, ainsi qu'un fauteuil un tant soi peu confortable, et m’assied dedans, mon excitation palpable. Je sors la poudre de rêve effritée, mélange de quelques ingrédients nécessaires à établir une connexion avec son esprit, qu'il me faut étaler sur ses tempes, et m'assure que ma chevalière est suffisamment puissante, ce soir, pour entamer le processus. D’autres focis puissants se cachaient dans l’appartement mais j’étais toujours plus à l'aise avec ma chevalière originelle. Lentement, d’un geste de l’index sur la paume opposée, je lance une musique de fond sur le téléviseur, chargé de me donner une ambiance pour ne pas me laisser emporter dans son cercle de pensée. J’étais légèrement fatigué, autant assurer ses arrières. Je plonge l'index et le majeur dans la poudre et préviens à mi-voix Engel de ne pas bouger. Paisiblement, mes doigts viennent tracer quelques mots en xhosa sur ses tempes, pour faciliter le contact. La poudre suffisait généralement, mais quel sorcier étais-je si je n'y ajoutais pas mon mysticisme au processus ?

- Je veux que tu fermes les yeux, et que tu penses à ce qui t’apaises le plus au monde, Engel. Surtout, ferme les yeux, et si tu n’arrives pas à trouver ton bonheur, pense à une pièce blanche, totalement blanche, concentre-toi sur cela, il faut que tous les murs soient blancs, toutes les portes soient blanches, qu’aucune tâche de couleur, de gris, rien ne persiste. Que du blanc, ou ce qui t’apaises. Ce peut être une femme rencontrée, une chanson créée, une amitié sincère. Fermes les yeux, et ne penses plus qu’à ça, juste ça.

Tout en continuant de parler, je ferme à mon tour les yeux, toujours au bord du siège, je ploie l’index pour qu’il touche le haut de ma paume, et mon pouce vient chercher mon majeur, créant des noeuds afin de connecter ma chevalière. Mon rythme cardiaque s’accélère légèrement, et je respire profondément. Il est temps. Enfin. Enfin ! Il me faut respirer. Me calmer. Respirer.

- Calque ta respiration sur la mienne, tu dois pouvoir l’entendre. C’est cela, comme cela, respire, inspire. Calmons-nous. Ensemble, respirons. Apaises-toi, Engel. Ça va bientôt commencer.

Et, bientôt, il n’aura plus que les paupières qui tombent, les muscles qui s’atrophient, et le contrôle de son corps, le contrôle de sa conscience, qui lui échapperont. Il tombera sur le canapé, s’y affaissera autant que possible, et je serai seul maître de sa conscience, seul maître de sa nuit. C’est toujours quelque chose de spécial, de plonger ainsi dans un univers autre, de voir se révéler à soi une partie d’un homme qui aurait dû demeurer à jamais mystère, c’est quelque chose d’autant plus incroyable de pouvoir y glisser la main, de voir les filaments de pensées, les flux de l’esprit, de pouvoir en saisir un et le glisser dans la boucle d’à côté, de retirer ceux-là, qui pèsent trop, qui empêchent l'apaisement complet. C’est quelque chose de fabuleux, tout de même, d’être maître des rêves, d’être acolyte de Morphée. D’être enfin, à nouveau, le Marchand de Sable.  

@Engel Bauer 2079 mots
Awful

Sorcellerie

Sorcellerie
GRAND MAÎTRE
hiboux : 914
Mar 22 Oct - 10:52
INTERVENTION MJpotions de Nasiya (recette brevetée °°)
Réussite | A-t-on déjà vanté assez les mérites du marchand'sable ? Le destin (et le staff des mj) vous assure qu'il n'y a rien de mieux que ses petites potions pour faire un beau rêve ! Bien que dérangé au coeur de la nuit, Nasiya n'a pas perdu de sa compétence : il arrive sans problème à forcer le paquet de nerfs qu'est Engel à se détendre et lorsque la potion prend le pas, ce sont de superbes visions oniriques et reposantes qui peuplent l'esprit de notre rockeur préféré !

Engel Bauer

Engel Bauer
ADMINISTRATRICE & MJ
hiboux : 860
pictures : Dis-moi à quoi tu rêves, je te dirai qui tu es [Engel & Nasiya] Tumblr_o875a2WxoW1v3qeuyo3_640
Mer 30 Oct - 19:03
Dis-moi à quoi tu rêves,

Je te dirai qui tu es


ft. @Nasiya Abasinde


Novembre 2003

Quelques mots. C’est tout ce qu’il a fallu pour faire perdre ce qu’il restait de contenance au marchand de rêves. Alors que mon esprit s’embrume, en proie aux secrets de sa mixture, je distingue encore la naissance soudaine de son sourire quand j’accepte de devenir le cobaye de ses sortilèges. Dans ma tête, l’inquiétude s’est tue, groggy par la potion dont l’effet grandit à mesure que les secondes passent. Ne reste que l’impatience de sentir plus, de goûter à cet abandon qu’il me promet et que je lui souhaite aussi bon qu’il le prétend car la colère reste pour moi un carburant capable de me faire oublier quelques secondes au moins toutes ces heures de sommeil perdues, juste le temps de casser les jolies dents qui brillent sous l’ourlet sombre de ses lèvres. On ne peut oublier sa violence qu’une fois tiré de ses tourments.

Abasinde ne cache rien de son impatience et la vision m’aurait peut-être amusé en d’autres circonstances. Mais je n’ai pas la force de répondre à son sourire ce soir. Les quelques mots qu’il me confie peinent à atteindre ce qu’il me reste de conscience. La fatigue et les effets de sa potion se mélangent dans ma tête en un cocktail assommant. Je me serais peut-être déjà effondré si l’acouphène qui me torture ne continuait pas de siffler à mes oreilles. Mais j’en serai débarrassé bientôt. Bientôt…

Je parviens à écouter un peu ce que raconte le marchand de rêves. L’enfoiré parle vite, mais je saisis l’essentiel. Ça se fera à l’étage. Ce sera le paradis. Et je n’ai qu’à fermer ma gueule. Je crois comprendre qu’il a déjà quelqu’un là-haut. Un autre paumé dans mon genre, peut-être, qui comate sur son canapé ? Ça ne serait pas si étonnant, après tout. Je ne suis pas le seul déchet qu’il doit récupérer une fois la nuit tombée. Mais le terme qu’il emploie me fait tiquer : un « invité ». Peut-être pas un camé, donc. Bah ! Et puis qu’est-ce que j’en ai à foutre ? Il peut bien laisser squatter qui il veut dans son d’appart’ tant qu’il me donne ce qu’il m’a promis ! Les maux de tête son bien trop aigus pour que je réfléchisse à quoi que ce soit de toute façon.
- Je croyais que je ne pouvais plus changer d’avis, je grogne, mauvais. Emmène-moi où tu veux, je m’en tape. Fais juste ton truc. Le reste je m’en fous. Et arrête de flipper, c’est bon. Je saurai me tenir…  
J’imagine ne jamais avoir été moins convaincant. Pourtant, je suis on ne peut plus sincère. Je ne veux pas lui créer d’ennui, encore moins l’agacer au point qu’il me foute dehors et me prive définitivement de ses talents. Car bien qu’elles ne suffisent apparemment plus, ses potions m’ont tiré de mes ombres de nombreuses fois déjà.

Le potionniste se lève alors et m’invite à le suivre d’un signe de tête. Grimaçant au moment de me mettre debout, je me hisse faiblement sur mes jambes et lui emboite le pas dans l’escalier, maudissant chaque craquement du vieux bois qui semble hurler à mes oreilles. Un soupir douloureux m’échappe mais je ne dis rien. J’atteins difficilement le pallier et me laisse guider jusqu’au canapé sur lequel je me laisse tomber lourdement alors que Nasiya doit aller prévenir son « invité ». Mais le pauvre n’a même pas le temps de sortir de la pièce. L’« invité » est déjà là et à croire l’ambiance qui s’est soudainement emparé de la pièce, il ne fait pas partie de mes fans. Ma vision trouble ne me laisse qu’entrevoir un vêtement ample aux couleurs criardes, comme un drapé orange enroulé sur une peau noire. Je fronce les sourcils un instant, essayant d’entendre ce qu’il se dit, mais les deux hommes murmurent trop bas pour que mes faibles capacités ne me permettent de comprendre vraiment ce qu’ils racontent. Je ne saisis que le ton brutal de la conversation et en déduis qu’Abasinde doit se faire royalement envoyer sur les roses. La culpabilité qui m’étreint bataille avec mon envie d’envoyer chier l’autre type en lui proposant de prendre mes acouphènes si cela lui semble moins chiant que de devoir s’infliger ma présence, mais je n’ai ni la force ni le courage de me lancer dans une joute stérile cette nuit. Et j’ai promis à Nasiya de fermer ma gueule.

Alors je me détache de la conversation, laisse les deux autres régler leurs histoires sans intervenir. Le dos voûté, le regard bas, je viens ceindre mes tempes de ma main droite, serrant le pouce et le majeur de chaque côté de ma tête pour tenter de contrôler le tumulte qui se joue à l’intérieur. La pression sur ma peau en sueur me calme un peu et je ne lève le regard que lorsque des bruits de pas reviennent résonner dans la pièce. Les yeux rougis par la fatigue, la main toujours mollement posée sur le visage, je ne distingue que le tissu orange qui s’envole théâtralement alors que le type s’éloigne. La porte de l’appartement claque violemment et je plisse les yeux comme si on me l’avait claquée dans le crâne. Mes mâchoires se serrent quelques secondes, juste le temps qu’il faut à Nasiya pour me rejoindre. Je fais l’effort de rouvrir les paupières pour croiser son regard et lui réponds, plus cinglant que je ne le voudrais :
- Arrête de me reposer la question, putain. Je suis pas en état de me défiler. Fais-le.
Mais il s’assied à côté de moi, avec un air grave qui m’interdit d’insister encore pour qu’il se bouge et commence son rituel à la noix… Tournant le visage vers lui, je garde le silence et tente de faire de mon mieux pour comprendre ce qu’il me dit. Je l’écoute avec une attention quasi religieuse, essaye de tirer de son discours les informations les plus importantes. Déconnexion. Potentiellement dangereux. Addictif… Rien de bien différent de tout ce que je m’enfile depuis des années. Je ne vois que la promesse d’un truc plus efficace que tout ce que je sniffe et avale depuis que les insomnies ont commencé à me pourrir la vie. Sa mise en garde me fait toutefois déglutir. Un traitement « exceptionnel », rien de régulier, et pas d’exception. J’imagine que je n’ai rien à argumenter. Alors j’acquiesce d’un discret signe de tête. Abasinde me propose deux heures, peut-être six si tout se passe bien. « Petit à petit ». Une fois encore, je ne me permets pas d’objecter et fais oui de la tête. Gentil Bauer… Je suis pathétique. Mais je suis surtout à court de solutions et j’ai l’impression que l’Africain est le dernier à pouvoir me sortir de l’enfer où je me suis perdu.

J’ôte ma veste en quelques mouvements raides pour la laisser tomber sur un accoudoir et doucement, Abasinde m’attrape les épaules pour me faire m’allonger. Je m’exécute avec une docilité surprenante, sursaute en entendant le bruit des pieds du fauteuils qui raclent le parquet quand il l’amène à lui pour s’asseoir un peu plus loin, puis repose ma tête en essayant de calmer mon souffle. Je l’entends trifouiller dans je ne sais quels bocaux. Je fronce les sourcils mais ne dis rien. Je ne suis plus maître de grand-chose dorénavant.

Quelques secondes plus tard, une musique se lance sur le poste de télévision de l’autre côté de la pièce. Je lève le visage pour voir l’appareil qui s’est soudainement allumé avant de revenir à Abasinde. Mais qu’est-ce qu’il fout, bordel ? On se croirait dans la garçonnière craignos d’un prof de yoga qui s’est fait priver de licence. Je renifle comme pour ravaler encore une fois mes réflexions alors que le marchand de rêves se retourne vers moi et se met à me tartiner les tempes avec mixture étrange à l’odeur indescriptible. Putain… Mais qu’est-ce que c'est encore que ces conneries ? Je commence à me demander ce que je fais là.  

Soudain, une nouvelle crampe dans le bras me rappelle à l’ordre, me faisant serrer le poing et tendre le poignet pour tenter de la faire passer. Voilà ce que tu fais là, connard. T’essayes de t’éviter de crever. Parce que t'en peux plus. Et qu'à trop serrer les dents pour t'éviter de flancher, c'est ton corps qui lâche. Ma respiration s’accélère alors que je me force à déglutir.

C’est ce moment que choisit Nasiya pour briser le silence et je me focalise sur le son de sa voix comme s’il était ma dernière prise pour m’empêcher de sombrer. Je prends deux dernières respirations avant de fermer les yeux, manque de grogner quand il me demande de penser à ce qui m’apaise comme s’il s’agissait là du conseil le plus inutile qui soit. Si quoi que ce soit m’apaisait, je n’aurais pas besoin de traîner ma carcasse dans sa boutique presque toutes les semaines ! Mais bien vite, je cesse de lutter, repousse cette mauvaise foi qui peine tant à me quitter, et essaye de trouver de quoi me détendre. Ce n'est pas comme si un autre choix se présentait.

Ecoutant ses conseils, je plonge dans mes souvenirs pour tenter d'y retrouver de quoi m'inspirer un peu de paix. Une femme rencontrée, dit Nasiya. Voilà bien longtemps qu’aucune ne m’a touché assez pour que je m’en souvienne. A moins qu’il y en ait une… une seule, perdue quelque part dans les méandres de mon esprit. Une chevelure noire. De grands yeux dont je peine à vraiment me rappeler la couleur dans mon état. Son nom m’échappe aussi, mais pas la sonorité si particulière de son rire. Je me souviens d’un murmure, soufflé dans le creux de mon oreille : mon prénom, glissé entre ses lèvres comme l’offrande la plus précieuse qu'elle pouvait me faire. Ma respiration s’accélère. Quel était son nom, à elle ? Je sais que je le connais. Mes yeux se plissent d’inconfort à me voir tout oublier dès que la fatigue devient trop importante. Il faut que je m’en souvienne. Il faut que je m’en souvienne…

Un soupir s’échappe par mes narines quand j’abandonne la bataille, convaincu de mon incapacité à me rappeler plus précisément de cette femme cette nuit. Mes battements de cœur se sont accélérés, tout l’inverse de ce que voulait Abasinde. Bauer, putain ! J’inspire profondément et tente autre chose. Une amitié sincère… Une amitié sincère. Bien sûr.

Cette fois, le visage de Zven se dessine dans mon esprit avec une précision chirurgicale, du désordre qu’il entretient dans ses mèches noires aux sillons discrets qui se sont creusés sur sa peau au fil des années. Jamais je n’ai douté de l’amitié de Zven, pas plus que de sa capacité à me suivre quel que soit le chemin que je décide de prendre. J’ai déjà mis sa fidélité à l’épreuve de trop nombreuses fois par le passé. Soutien de chaque instant, il est ce socle qui me fait garder l'équilibre, ce protecteur qui m'a sans doute déjà évité de crever des dizaines de fois. Sa présence a toujours été rassurante, nécessaire même, devenant un élément discret mais indispensable de mon univers. Pourtant, son regard bleu me transperce aujourd'hui, semble me clouer sur le canapé où je suis allongé. Comme si l’image peinte sur mes paupières me jugeait à son tour, je sens mon cœur reprendre sa cavalcade, frapper contre mes côtes à un rythme trop rapide pour espérer un instant me calmer. Zven ne sait pas que je suis ici. Il ne sait pas pour Abasinde, les potions que je lui achète régulièrement, les rêves factices que je m’offre pour ne plus être capable de créer les miens. J’entends d’ici les remontrances qu’il me ferait, les cris qui résonneraient dans l’immensité de mon salon s'il apprenait où j'étais cette nuit : voilà que je m’enfonce dans une nouvelle addiction, que je ne contrôlerai pas mieux que les autres ; je ne connais ni le potionniste ni ce qu’il met dans ses putains de fioles, lui faire confiance est irresponsable ; je me suis planqué comme un môme conscient de sa connerie et voilà que je le mets encore devant le fait accompli. Pourquoi ? Hein ?

Nouveau froncement de sourcils. Je repousse l'image de Zven aussi rapidement que je l’ai convoquée. Mon cœur peine à ralentir la cadence et c’est encore la voix de Nasiya qui me fait reprendre pied. Je me raccroche à lui comme un dément, me force à déceler le son régulier de son souffle sur lequel j’essaye de caler le mien. Que tous les autres aillent se faire foutre ! Va pour la pièce blanche. Entièrement blanche. C'est tout ce qu'il me reste...

Il me faut de longues secondes pour ralentir enfin ma respiration, inspirer à l’unisson avec le magicien. Longtemps, je crois, je ne sens rien, rien que ces sifflements qui continuent de crisser à mes tympans, la crampe dans mon bras qui lance sans s’arrêter… L’attente semble durer une éternité et pourtant je tombe, sans m’en rendre compte, jusqu’à cesser entièrement de lutter.

Ma tête s’infléchit avec lenteur sur le côté, laissant se détendre tous les muscles de ma nuque. Mon bras tendu à rompre par la crampe tremble un moment avant de définitivement se relâcher, tombant mollement du canapé jusqu’à ce que mes phalanges rencontrent le parquet. Je respire mais je ne sens rien. Je ne sens plus rien. Et alors que mon esprit se perd au gré des envies du marchand de sable, je crois ne jamais avoir tant prié pour ne jamais être arraché de mon rêve.

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(2198 mots)

Nasiya Abasinde

Nasiya Abasinde
Et j'ai crié, crié !
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Sam 2 Nov - 20:46

Dis moi à quoi tu rêves je te dirai qui tu es

Sauveur sauvé, à nous deux l'âme perturbée



Ça va bientôt commencer.

À peine ai-je prononcé ces mots que mes yeux roulent en arrière, et mon corps s’affaisse sur le fauteuil. Je sais que la lutte sera plus compliquée pour Engel, qui n’a pas l’habitude, ni le bonheur de connaître ce délaissement complet, cet abandon total, et qu’il lui faudra lutter pour trouver sa source d’apaisement. Je sens son cerveau faire mille et un retournements, ça se bouscule dans ma tête, ça me fait monter la nausée, et j’ai hâte que ses pensées se tassent pour trouver une zone d’ombre, une onde de bonheur, infime, juste assez pour se laisser emporter.

Je ne peux pas aider durant ce processus - il faut que l’abandon soit volontaire, déterminé. Je ne peux que ressentir ses va-et-viens, supposer la figure féminine qui se trace dans son esprit, une figure qu’il essaie d’attraper, de recomposer, de replacer, mais bien vite elle est remplacée par une silhouette plus masculine, un rire connu, une personne familière. Je ne décèle pas tout, il ne faut pas que j’en comprenne trop, aussi je le laisse faire, je m’abandonne à sa psyché, quelques longues secondes, priant pour que ça ne se transforme pas en minute.

J’entends quelque part au fond la télé qui fait des siennes, les voix qui sortent de la machine bizarrement distordues dans mes oreilles, je sens l’odeur des poudres tartinées sur le visage d’Engel venir me titiller les narines, et je cherche mon propre équilibre, ma propre suspension volontaire de temps et d’esprit, le temps que le rockeur fasse son petit bout de chemin.

D’un coup, la chute me parvient. Je sens son corps qui s’effondre, ses muscles qui se relâchent, et j’en bascule presque du fauteuil tant la répercussion est forte. Je ne sais comment il s’y est pris, mais Engel s’est engouffré en vitesse dans une brèche de liberté. Je sens l’excitation me remonter le long de l’échine et je bascule à mon tour totalement dans cette brèche qu’il m’a ouverte.

Mes mains se déplacent d’elles-même, mes doigts reprenant leur danse de boucles, créant des liens entre chaque filaments de souvenirs et d’imaginations que je vois apparaître peu à peu devant moi. Il m’a toujours été impossible de définir clairement ce que je voyais, lors de ces sessions, tant l’inconscient de chacun est différent. Engel est d’un vacarme absolu. Cela sort de partout, ça s’amoncelle, se côtoie, se heurte parfois. Il faut à mes mains, à ma magie, une concentration absolue, pour tisser des liens. Je viens saisir tel décor, tel personnage, j’étire pour déformer, rendre méconnaissable, je crée une monde à part - et je le fais basculer. Le rêve se crée, je lance une première boucle, les paramètres sont régulés, il n’y a qu’à y plonger et faire des choix, oh si peu conscients, mais il y prendra son plaisir, y trouvera son nirvana.

Et je sens que cela prend, qu’il se lâche, de plus en plus, parce que son inconscient s’ouvre, et mes mains s’affairent plus loin encore, et mes boucles se font plus vastes, plus tordues, plus folles encore. Je tressaute sur mon fauteuil, je n’entends qu’à peine les voix télévisées, je ne sens plus rien du monde concret - pour un peu, je me perdrai dans cette magie-là, à jamais. Le temps défile, à une vitesse folle, il est réceptif, si réceptif, c’est un bonheur absolu que de jouer avec ses rêves.

Je sens mon coeur s’affoler, mon sang pulser fort, vivant à mille à l’heure pour compenser le rythme terriblement calme qui a pris Engel. C’est passionnant, mais diablement physique. Josiah n’a jamais trop aimé me regarder pratiquer - je crois qu’il est persuadé que je pourrais m’effondrer, arrêt cardiaque, boum, adieu l’ami. Il ne peut pas comprendre, la jouissance, le dépassement, le plaisir absolu qui vient avec cette pratique. C’est mon art poussé à l’extrême, c’est une connaissance de l’autre qui dépasse toute conception.

Je m’efforce de ne puiser qu’au hasard dans les boucles possibles des rêves d’Engel, je ne veux rien trop connaître, rien trop comprendre, mais je ne peux qu’y voir des bribes, des bribes du passé, des douleurs intimes, des sacrifices continuels. Je ne peux que voir sa douleur, celle qu’il s’inflige, qu’il continue à s’infliger, car il n’a jamais vécu sans, il ne sait pas fonctionner sans elle. Je la vois, et je la repousse, loin, loin des boucles que je crée, qui l’emmène au loin, dans un autre univers, un monde parallèle, une réalité plus agréable, plus douce, bercée d’une femme à la peau de lait, aux lèvres de vermeil, une blanche-neige des temps modernes.

Il faudrait que je m’arrête, les deux heures sont écoulées - mais je sens, à sa respiration, à son laisser-aller, à la propre jouissance qui me prend en pratiquant, que tout se passe bien, qu’il ne risque rien, que l’échange de magie est parfait. Ce n’arrive que si peu, si rarement, de pouvoir ainsi continuer, dépasser toutes prédictions. Il est fait pour que je vienne traficoter en lui - Marie, Jésus, Joseph, est-ce donc mon messie ? Je sens un rire m’envelopper, et cela vient se répercuter en lui. Il y a une vague d’allégresse dans son rêve, qui bascule de A à Z, et le plonge dans une toute autre réalité. Il faut que je reste concentré, je reprends rapidement le contrôle, redéfinit la boucle, une autre, peu importe, il ne s’en souviendra pas, ce ne seront que des vagues souvenirs, mais la certitude d’un bonheur.

Et les minutes défilent, les heures passent, ce sont les trois heures, bientôt les quatre, puis les cinq, et bientôt arrivent les six heures. Il faut m’arrêter là. Je ne peux pas durer plus, de toute façon. Ma gorge est asséchée, ma tête tourne, et tout mon corps tremble de fatigue. Une nuit entière, cela se prépare. Je m’acharne à dormir la veille, au moins, pour tenir le coup. Là, une fois les yeux ouverts, je ne sais pas si je ne vais pas m’effondrer sur Engel. Il faut m’arrêter là. C’est addictif, pourtant, cette sensation, ce bonheur de tout contrôler, d’être maître de ses pensées, d’être enfin celui qui régit tout.

Non - stop.

Il faut que cela cesse.

Encore trente minutes, c’est tout. Une transition. Un réveil en douceur. Le faire basculer dans la phase semi-éveillée. Les rêves conscients, ceux dont on se rappelle quelques bribes. J’y balance de la nature, des bruits tranquilles, je ne sais quelles autres démonstrations de tranquillité. Et, peu à peu, je cesse le contact. Je remets tout en place, je rebalance le vrac habituel, mes mains se détachent des filaments, mon corps abandonne toute co-existence. Je ne suis plus que moi, il n’est plus que lui, et mes yeux roulent à nouveau dans leurs orbites.

Lorsque je rouvre les paupières, Van Damme fait toujours son foutu grand écart à la télé. J’étouffe un rire et me concentre sur Engel. D’ici quelques longues minutes, il devrait peu à peu émerger. Je ne peux pas prédire l’état dans lequel il sera - reposé, heureux, soulagé, certainement. Peut-être déjà en manque, qui sait ? Ce fou en serait capable. J’espère pourtant que ça lui apportera un peu de sursis, au moins quelques jours, quelques semaines si Dieu est grand.

Mes mains pendent des deux côtés du fauteuil, mes jambes sont relâchées et mon corps est dans un état d’extrême fatigue, mais je couve tout de même du regard ce sacré allemand avec un sourire bien trop satisfait. Ma respiration est la seule chose que j’entends durant de longues minutes, m’efforçant à reprendre un rythme normal, à me reconnecter avec l’ensemble de mon corps, et je détourne mon regard d’Engel pour me concentrer sur mes doigts. Je joue du pouce et de l’index, les frottant l’un à l’autre jusqu’à ce que toute connexion corporelle me paraisse assainie et normale.

Lorsque je relève les yeux, Engel a bougé, et sa tête est tournée vers moi. Un sourire crocodile vient se faufiler sur mes lèvres et je sens tous mes membres se réactiver alors que je me penche vers lui, ma curiosité dévorante me reprenant forcément :

- Alors ? Bien dormi ? Je me rapproche davantage et le plaque fermement sur le canapé : Surtout, ne bouge pas tout de suite, reste allongé là quelques instants. Ça peut être une rechute un peu compliquée. Je vais te toucher le visage, ne panique pas, j’enlève juste les restes de poudre, d’accord ?

Je m’astreins à tout lui expliquer, pour qu’il ne s’excite pas, ne panique pas, et reste dans sa bulle privilégiée le plus longtemps possible. D’un geste, un gant humide me vient au main, et j’éponge silencieusement le visage du rockeur, retenant un petit sourire en le faisant. Le geste m’est douloureux, toutefois, des crampes terribles me prenant les muscles, et je grommelle, m’activant à la tâche. Je retombe lourdement dans le fauteuil et grogne :

- Je ne vais pas faire long feu l’ami, je suis exténué… comment tu te sens ?

Déjà, je n’ai qu’une envie, me faufiler hors de cet appartement pour me glisser dans les bras de Josiah. Je crois qu’il grognera, me crachera dessus, prendra toute la couette, mais il ne me refusera pas la chaleur de son corps en sachant que j’allais m’y endormir, pour de vrai, cette fois-ci.
 
@Engel Bauer 1544 mots
Awful

Engel Bauer

Engel Bauer
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pictures : Dis-moi à quoi tu rêves, je te dirai qui tu es [Engel & Nasiya] Tumblr_o875a2WxoW1v3qeuyo3_640
Mar 3 Déc - 11:43
Dis-moi à quoi tu rêves,

Je te dirai qui tu es


ft. @Nasiya Abasinde


Novembre 2003

Comme il est étrange de ne savoir décrire ses propres sensations, de ne trouver aucun mot assez fort, assez grand pour décrire les impressions qui nous prennent, nous attirent et nous enivrent jusqu’à nous engloutir tout à fait. Perdu dans des fantasmes dont je n’osais même rêver, je navigue dans des eaux inconnues sans aucune peur de m’y noyer. Autour de moi, les poids s’allègent, les tensions s’apaisent. Je ne sens plus la crampe dans mon bras, ni les pulsations de ma migraine. Je ne sens plus rien, rien qu’un calme que je ne me souviens pas avoir jamais éprouvé. Combien de temps durera-t-il ? Même cela, je ne me le demande pas. Je ne fais que respirer, respirer la quiétude la plus entière qu’il m’ait jamais été donné d’expérimenter.

Autour de moi, les murs blancs que j’ai convoqués se dissolvent, disparaissent de seconde en seconde, comme se lève un brouillard, et s’ouvrent sur une nature claire, verte comme un matin de printemps. L’herbe haute entoure un lac dont l’eau est lisse comme de l’huile. Il n’y a personne à l’horizon. Il ne fait pas chaud, mais je ne frissonne pas. Et autour de moi, il n’y a pas un son. Le silence.

Le silence.

Mes paupières se referment alors que j’inspire à pleins poumons, écartant légèrement les bras pour laisser le soleil réchauffer mes paumes. Plus d’acouphène. Plus d’inquiétude. Toutes mes chaînes sont rompues, laissées inertes à mes pieds. Mon soupir est si profond que je crois ne jamais le laisser finir et lorsque mes paupières se rouvrent ce n’est que pour embrasser le reflet du paysage sur la surface plane de l’eau. Je fais un premier pas dans l’herbe grasse qui crisse sous les semelles de mes bottes en un bruit si simple, si pur… Depuis combien de temps n’ai-je pas foulé autre chose que des pavés et du bitume ? Quand ai-je respiré un air qui ne soir pas vicié par les industries de la capitale pour la dernière fois ?

Au loin, j’aperçois une cabane en bois construite en haut d’une bute. Toujours aucun bruit à l’horizon, aucune trace d’activité humaine quelle qu’elle soit. Et pourtant, la maisonnette est là, perdue en pleine nature. Sans me départir de mon sourire, mes sourcils se froncent légèrement en une moue intriguée et je me dirige vers elle sans me presser. Gardant le regard sur la cabane au loin, j’entrouvre les doigts pour laisser s’y glisser les herbes hautes, laissant courir mille caresses sur mes paumes. Je marche jusqu’à atteindre l’entrée et pose ma main sur le bois rêche de la porte. Je force un peu pour faire pivoter le battant et pénètre à l’intérieur.

Soudain, l’air est chaud, plus humide. Les murs sombres se déploient pour donner une salle immense. A mes pieds, une scène recouverte d’un lino noir et devant des centaines d’anonymes qui m’accueillent comme un messie. Comment un tel endroit peut-il exister ? La question ne me traverse même pas l’esprit, comme noyée dans l’exaltation que je ressens à recevoir l’adoration qui s’échappe de chaque claquement de mains. Les applaudissements ne cessent pas alors que je les salue et je descends de scène avec cette simplicité que j’avais à vingt ans, lors de nos premiers concerts. Pas de sécurité. Pas de pression médiatique. Les impressions crues reçue en pleine gueule, à coups d’accolades et de tapes dans le dos alors que je me coule jusqu’au bar, sans plus penser aux paysages que j’ai délaissés. Mon évolution ne fait aucun sens et pourtant que je ne m’en inquiète pas, comme plongé corps et âme dans un monde fantasmé dont je connaîtrais parfaitement les règles.

A côté de moi, une brune se faufile, se hisse sur un tabouret. Elle porte du rouge et a les cheveux aussi noirs que sa peau est claire. J’ai un drôle de sourire en la regardant, comme si je savais qu’elle serait là. Elle me le rend avec un charme envoûtant. La musique autour de nous reprend, électronique et forte. La brune dit quelque chose, mais je ne le comprends pas. La musique est trop forte. Je veux lui faire répéter, mais elle glisse son pied sur la barre de mon tabouret et me souffle à l’oreille :
- Tu m’as oubliée ?
Comme un instinct brutal, je veux répondre « non », mais le mot reste coincé dans ma gorge car ce n’est pas elle. Pas exactement elle. Ce ne sont pas ses traits. Pas ses yeux. Délicatement, la femme s’éloigne juste assez pour caresser mes lèvres de son souffle, sourit, puis se retire. Je la regarde partir quelques instants avant de me décider à la suivre, comme appelé par un souvenir lointain. Alors que j’atteins la sortie, j’ouvre les portes du bar pour atterrir sur un boulevard en plein jour, foulé par des centaines de passants. Je ne vois plus la femme en rouge. Mais l’inquiétude ne s’immisce pas encore dans mon cœur, comme si tout se succédait sans jamais exciter la moindre angoisse.

Cachant les mains dans les poches de mon blouson, je parcours la rue que je crois connaître sans parvenir à lui donner un nom. Autour de moi, les panneaux font apparaître des messages en allemand. J’en retire une joie étrange, comme le sentiment d’être enfin rentré chez moi. Et les impressions douces se succèdent avec les paysages, me font voyager sans jamais me perdre. Autour de moi, aucune animosité, aucune méfiance, aucun dédain. Je ne reconnais aucun des visages qui m’approchent mais ne rencontre chez eux que la bienveillance des meilleurs êtres humains qui me guide d’une situation à une autre sans que rien ne paraisse jamais artificiel. Emporté dans la valse de mes songes, je me sens entouré de fierté, de douceur, de calme, comme jamais auparavant. Aucun souvenir douloureux. Aucun jugement. J’avance sans crainte. J’oublie mon père. L’album. Potter. La guerre. J’oublie jusqu’aux acouphènes et la peur de les retrouver.

Au détour d’une scène, je me vois pris d’un fou rire sans comprendre d’où il vient. Les amis qui m’entourent me suivent avec un entrain délectable. Ou ne sont-ils que d’illustres inconnus ? Je n’en sais rien et ne me questionne toujours pas. Je ne fais que suivre les boucles, me plier aux pérégrinations d’Abasinde, au chemin qu’il me dessine du bout de ses doigts. Six heures se passent. Je n’en ressens qu’une. Une seule heure de délices incessantes, de quiétude invincible, jusqu’à revenir près de ce lac où tout a commencé.

Les silhouettes anonymes ont disparu. Je suis de nouveau seul, sans que cela ne me pèse. Je m’assieds dans l’herbe près de l’eau, respire l’air pur sans m’inquiéter de mon réveil. Je profite encore de chaque seconde, sans même remarquer que mon rêve s’échappe.


Mes yeux s’agitent sous mes paupières closes qui se plissent légèrement alors que je me sens revenir à moi. Inconsciemment, l’esprit lutte, fuit encore cette réalité honnie pour se perdre plus longtemps dans l’illusion offerte par la magie du marchand de sable. Mais la vie me rattrape et ses griffes me plaquent de nouveau contre le tissu poisseux du canapé sur lequel j’ai transpiré de longues heures. En quelques secondes, tout me revient : le froid, les sons, les odeurs de poudres séchées sur mes tempes et ma léthargie prend brusquement fin, achevée par les premiers mots d’Abasinde lorsque je me risque à lever les yeux vers lui.

Comme plongé brutalement dans un bain glacé, mon cœur vient percuter l’intérieur de mes côtes alors que je cherche à me relever, l’angoisse me sautant à la gorge. La fin du rêve est aussi cruelle que son expérience est enivrante. Tout était si bon, si doux… Mais tout va revenir. Les ombres se coulent des coins de la pièce pour revenir m’entourer. Avec elles, les craintes, cette pression continue qui a suivi mon engagement politique, la peur de l’échec, la cacophonie dans ma tête… Tout va revenir. Tout va revenir !

Soudain, la main de Nasiya se plaque sur ma poitrine pour me maintenir en place et si mon premier instinct est de me défendre, je ne fais finalement aucun geste pour le repousser, m’accrochant au timbre familier de sa voix pour sortir de cet entre-deux dans lequel j’ai l’impression d’étouffer. N’écoutant que ce qu’il me dit, je me force à respirer, détends mes muscles alors qu’il continue de me décrire chaque étape. Doucement, je referme les yeux. Il passe un linge humide sur mon visage pour me débarrasser de la poudre. Le contact est agréable et je relâche péniblement mes dernières tensions. Sans jamais cesser de l’écouter, je m’efforce de garder le calme qu’il a su insuffler en moi. Quelques instants passent, moins douloureux, avant qu’il ne me demande enfin comment je me sens. Ce n’est qu’en entendant sa question que je me concentre enfin sur l’origine de tous mes problèmes, le fléau qui m’a fait tirer Abasinde de son sommeil cette nuit. Et je réalise enfin :
- L’acouphène… il a disparu.
Un sourire béat étire discrètement la commissure de mes lèvres et j’inspire à pleins poumons, passant une main sur mon front et dans mes cheveux. Je reste encore quelques secondes sans bouger, abandonnant mes dernières bribes d’angoisse quand je réalise le miracle qui s’est produit. Mes peurs sont toujours là, mais la torture a pris fin. Le sifflement s’est tu. Le rêve s’est achevé, mais c’est un autre qui commence. Pour combien de temps, seulement ? Je crois que même Nasiya est bien incapable de le savoir.

Doucement, je fais se mouvoir mes muscles pour me redresser sans brusquerie. Je m’assieds sur le canapé, plisse légèrement les yeux en croisant l’écran toujours allumé du poste de télévision. Un coup d’œil rapide à la fenêtre m’indique alors combien la lumière a changé dehors. Le petit matin s’annonce déjà en un dégradé de rose orangé. Je cligne des yeux en revenant croiser le regard d’Abasinde et je lui demande :
- Combien de temps ça a duré ?
Plus que deux heures en tout cas, j’en suis persuadé. Et ce n’est qu’à ce moment là que je réalise combien il semble éreinté. Retrouvant peu à peu mes facultés, je tends une main pour attraper son épaule, l’inquiétude s’étant emparé des traits de mon visage.
- Ca va, vieux ?
Mes pulsations cardiaques se sont légèrement accélérées. Toujours à moitié réveillé, je sens l’adrénaline pulser dans mes veines pour tenter de tirer de mon crâne la réaction la plus sensée. Mais je ne sais pas ce qui est normal ou non et comment Nasiya est censé récupérer après une nuit pareille. Le regard toujours rivé sur lui de peur qu’il ne s’effondre, je balbutie :
- Tu veux que je t’apporte un truc ? Que je t’emmène quelque part ?

roller coaster

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