1er juillet 2004

Il fait une chaleur assommante et les rues de Londres semblent nous écraser sous leur poids. Le bruit des passants est assourdi par celui de l’acouphène qui ne me quitte pas depuis hier. Je n’ai presque pas dormi. Je n’ai plus de potion de rêve et il est trop tôt pour que j’aille en racheter sans alarmer Abasinde. Il ne me reste qu’une seule option dans de tels moments : traîner ma carcasse jusqu’à un bar où me poser quelques heures et y chercher la présence rassurante d’un ami dont le jugement ne sera pas trop sévère.

C’est ce que je suis allé chercher au Helen’s Legs, dans le repaire de Fawley. Son bar est moins fréquenté l’après-midi qu’en soirée. Je crains moins les coups d’œil intrusifs de quelques anonymes qui auraient reconnu ma dégaine et hésiteraient à venir me chercher des noises à cause des souvenirs que nous avons laissés sur cette avenue. Le concert que nous avons tenu en l’honneur de Malefoy en janvier n’a pas été oublié. Il ne me quitte pas non plus, si cela les rassure…

Le bordel n’en finit pas depuis que nous avons pris fait et cause pour l’Enchanteresse et chaque semaine qui passe semble emporter avec elle de nouvelles raisons de douter de notre engagement. Mes scrupules ne sont pas partagés par tous les membres du groupe. Xaver, en particulier, balaye d’un revers de main tous les doutes que je peux me risquer à formuler. Mais chaque nuit que je passe sans dormir voit s’accumuler les réflexions les plus entêtantes que je n’ai jamais subies. Je dissèque le moindre souvenir de mes discussions avec Narcissa Malefoy, réécoute le discours que j’ai prononcé devant le Magenmagot pour nous défendre avant qu’on nous condamne à de la prison ferme à Azkaban, repensé aux deux gamins renvoyés de Poudlard pour avoir participé à l’élaboration de notre chanson… Et je ne sais plus si j’ai fait les bons choix. Le doute me paralyse. Alors je ne décide plus rien. Je marche, je mange, je survis comme un fantôme perdu dans un monde qu’il ne comprend plus. Je n’arrive plus à composer. Les gars ne s’en inquiètent pas encore, mais je sais que cela ne va pas tarder. Que leur dirai-je quand ils me demanderont quand le nouvel album sera prêt à être enregistré ?

Je fuirai, sans doute, comme je le fais maintenant. J’irai boire des whisky chez Fawley, j’attendrai le retour de Hekate pour le weekend, je traînerai ma couenne au Viper pour m’abreuver de sons assez forts pour ne plus m’entendre penser… Avec un peu de chance, cela durera assez longtemps pour qu’on cesse de me demander autre chose que de respirer.

En fin d’après-midi, je sors du côté de l’Allée des Embrumes, moins fréquentée, pour m’allumer une cigarette. Avec les beaux jours, il est devenu plus difficile de se cacher derrière de grandes écharpes et des cols de manteaux. Je préfère donc éviter les regards autant que je le peux.

Mais même les ruelles les plus isolées conservent quelques occupants et même les yeux les plus innocents peuvent reconnaître celui qui a incarné pendant une heure l’ennemi public de la nation.