Jeune pousse
D’aussi loin qu’il se souvienne, il a eu mal, Neville. C’est d’abord l’absence de ses parents qui le dévaste. Ils sont là sans être là. Torturés jusqu’à la folie. Torturés jusqu’à ce que leur personnalité soit effacée. Des coquilles vides.
Il a eu mal sous les coups éparses, les remarques tranchantes, la suspicion de sa famille. Comment un futur lord peut-il être un cracmol ? Impensable. L’oncle Algie, frère cadet de Lady Londubat n’a eu de cesse de soutenir sa grande sœur dans sa volonté de faire s’exprimer la magie du gamin. Dès ses quatre ans, on le pince, on le chatouille, on le fait sursauter pour essayer de provoquer un peu de magie accidentelle. C’est qu’on attend beaucoup de lui : on l’aime, sans doute, mais cet amour est dilué dans une marée d’attentes. Un futur Lord, chef de famille. Un sang pur. Un auror comme son père. Frank avait entamé une carrière si prometteuse qu’on espérait le voir finir à la tête du département de la Justice Magique, sinon à la tête du Ministère. Et voilà que toutes ces attentes pèsent désormais sur les épaules d’un enfant à peine sorti de ses couches.
Et puis il y a les diatribes contre Dumbledore et son ordre du Phénix. Ce n’est qu’à l’adolescence que Neville comprendra que la grand-mère qu’il a connue, Augusta, a été une personne rongée par le désespoir d’avoir perdu son fils unique qu’elle avait eu tant de mal à concevoir avec son mari, devenue froide, cassante, et lointaine pour mieux protéger son coeur à vif. Elle était chaleureuse et joviale, avant. Elle en veut à Dumbledore, à la guerre, aux Lestranges. Ça a fait d’elle une femme acariâtre et malheureuse. Profondément froide. Une implacable lady de sang pur prête à tout pour que le futur Lord Londubat soit prêt à défendre bec et ongle les intérêts de sa famille. Il n’y a pas de place pour l’amour lorsque la survie est en jeu.

A Poudlard aussi, Neville a mal. Ignoré au mieux, maltraité au pire. C’est un garçon joufflu, réservé. Les coups de l’Oncle Algie qui lui a inculqué à coup de règle et de ceinture à répondre juste à ses quizz et qui s’est fait un devoir de s’assurer que le gamin ne soit pas un cracmol en le lâchant d’une fenêtre du manoir, prêt à le tuer s’il le fallait, lui ont appris à ne pas se faire remarquer. Enfant, il était vif, adolescent, le voilà timoré. Déjà brisé. C’est probablement pour ça qu’il a toujours eu l’impression de connaître intimement Harry, bien qu’ils ne se soient que peu parlé. Il a vu, parfois, un tressaillement d’épaule, un frisson sur la nuque, une paire d’yeux écarquillée avec, au fond des iris, cette même peur d’être repéré. C’est pour ça, aussi, que Rogue l’a toujours terrorisé. A chaque seconde dans sa classe, Neville pouvait entendre la grosse voix de l’oncle Algie et sentir contre ses os le ceinturon de métal qui avait déjà laissé des cicatrices sur sa jeune peau. Les Gryffondor sont trop bruyants, mais le choixpeau l’a envoyé là immédiatement. Sa résilience et son courage face à l’adversité l’ont décidé. On lui a toujours dit que les gamins maltraités finissait mal, à Serpentard. Mais c’est faux : chaque maison a ses victimes. Ceux de Gryffondor chérissent leur fierté et aiguisent leur ardeur sous les coups. Ils tiennent parce qu’ils ne savent faire que ça. Et ils vivent de bruit et de tumulte pour mieux oublier. Et parfois, ils deviennent eux-même les bourreaux.

Mais Neville ne veut pas être un oncle Algie. Il a en lui trop de bonté pour ça. Trop d’empathie et de sympathie pour les autres. Il veut passer au travers de la vie comme une flèche : aveugle et solitaire, guidée seulement par un élan dont on a oublié la source.

Des feuilles sous la neige

Il affronte ses peurs, Neville. Il le fait maladroitement, avec les (faibles) armes qu’il a à sa disposition. La baguette de son père et ses genoux qui claquent de peur de prendre un coup. Mais il le fait tout de même. Il essaie d’empêcher le trio Potter-Weasley-Granger de faire perdre plus de point à Gryffondor en première année et finit pétrifié par Hermione jusqu’à ce qu’un préfet le trouve là, immobilisé, au petit matin après la plus longue nuit de sa vie. Il ose affirmer qu’il a peur de Severus Rogue bien plus qu’il ne craint l’oncle Algie en troisième année dans le cours du professeur Lupin. Il faut dire que Rogue, contrairement à l’oncle Algie, est dans les murs du château. Pas Algie. Neville découvrira plus tard que lorsqu’il rentre chez lui, l’été, les épouvantards prennent une toute autre forme : celle de son oncle. Il faut croire que ce qui terrorise le plus Neville, c’est finalement les bourreaux qui peuvent l’atteindre. En quatrième année, il aide Harry, il ose lui parler, agir en ami lorsqu’il a toujours eu l’impression de n’être qu’en marge dans l’histoire d’autrui. Un personnage secondaire… qui ose pourtant inviter Ginny au bal de Noël ! Mais elle n’a d’yeux que pour Harry et il sait qu’il n’a aucune chance avec elle… pas qu’il le désire. Elle lui fait un peu peur. Et l’Association de Défense (Neville refuse d’appeler l’AD « Armée de Dumbledore ») en cinquième année lui fait prendre un peu de confiance : il apprend des sortilèges et Harry se révèle être un bon professeur. Il a l’impression de voir dans Harry une sorte de double. Peut-être parce qu’ils sont presque nés le même jour ? C’est grâce à ce courage nouvellement acquis qu’il osera aller au Département des Mystères, dans la salle des Prophéties pour aider Harry et y sera confronté à la Némésis de sa famille : Bellatrix Lestrange et son redoutable doloris. Neville en ressort grandi, plus confiant… d’autant que sa famille commencera à lui témoigner un peu plus de respect à son retour de cette aventure. Sa baguette est cassée dans l’affrontement, ce sera l’occasion pour lui d’en obtenir une nouvelle en remplacement de celle de son père que sa grand-mère a tenu à lui faire utiliser… et qui marche si mal pour lui !

C’est toutefois au cours de sa dernière année d’étude, alors que Poudlard est tombé aux mains des mangemorts et de Rogue en particulier que Neville déploie l’étendue de son courage. Il organise la résistance à Poudlard, la terreur au ventre. Si Harry n’est pas là, il faut bien que quelqu’un d’autre prenne les armes. Il a affronté Bellatrix et a réchappé à l’entrevue. Il s’est rendu compte du danger que ses parents ont affronté. La folie, la douleur. C’est contre cela qu’il se lève. Et la peur que lui inspire Rogue alimente plus encore sa hargne et son envie de mordre. De couper. De se défendre. De défendre les autres. Il passe son année shooté à l’adrénaline, et son enfance à encaisser les coups devient soudainement son arme. Il ne laissera ni les tortures des Carrow ni Rogue l’écraser. S’il devait en parler aujourd’hui, il dirait que c’est la folie qui a guidé son bras lorsqu’il semait le trouble à Poudlard pendant l’occupation Mangemort et le désespoir qui l’a fait finalement trancher la tête de Nagini dans la bataille de Poudlard.

Frondaisons

Après la guerre, Neville est devenu Lord. Enfin. Un héros de guerre en possession d’une baguette sur mesures, cadeau de sa grand-mère après son acte héroïque au département des mystères deux ans plus tôt. L’oncle Algie a bien essayé de continuer sa petite habitude de malmener son petit neveu, mais le lionceau a désormais des crocs et n’a pas hésité à lancer quelques enchantements bien sentis à son grand oncle, ce qui lui a permis d’asseoir définitivement sa position de jeune lord. Il faut dire que le maléfice de chauve-furie qu’il a appris auprès de Ginny pendant leur prise de maquis dans la salle sur Demande en septième année est particulièrement efficace. Les années après la guerre filent comme un rêve : il y a la reprise du Ministère à laquelle il a participé au côté des soigneurs de Sainte Mangouste. Il a aidé à fournir les matières premières pour panser les blessés en travaillant sans relâche dans les jardins du domaine Londubat et en aidant, sur place, à l’optimisation des stocks. Il a hésité, Neville. Un instant, il a caressé le rêve de devenir soigneur : lui qui a vu la guerre et tenu tête à Rogue pendant toute une année, qu’est-ce qu’une expertise en potions ? Il engagerait des tuteurs ! Il leur montrerait de quoi il est capable ! Mais très vite, il a été confronté à la douleur, aux blessures, aux morts. Et il a su qu’il n’avait pas l’étoffe de ces héros ordinaires. Il veut une vie paisible, Neville. Aussi paisible que possible !

Il lui a fallu dix mois pour faire la paix, au moins un peu, avec son enfance. Deux ans d’introspection et de colères. Dix mois pendant lesquelles il a été irritable facilement, et n’a eu de cesse de s’opposer verbalement à sa grand-mère à toute occasion. Elle le voulait Lord à plein temps, il a accepté le poste de professeur de botanique à Poudlard ; il a besoin de se confronter au château, au lieu de sa tourmente… Et comme un pèlerin, il a respectueusement visité chaque pièce du château, chaque endroit où les Carrow l’ont torturé, chaque endroit où des élèves, des professeurs, des camarades de classe ont fait de sa vie un enfer. Et il s’est tenu devant Rogue, l’a regardé dans les yeux. Comme un homme, comme un égal. La réapparition d’Harry, à peine vivant, surgissant d’entre les arbres lui a mis un électrochoc. La guerre est bien finie. Il peut vivre, maintenant. Il doit vivre, maintenant. La colère le retient à son passé, il doit s’en défaire, l’apaiser. Il ne fait pas bon rester en colère pour qui veut bâtir un avenir.

Pendant les semaines, les mois qui ont suivi, Harry et Neville ont entretenu une correspondance soutenue. Il lui a parlé de tout ce que le garçon qui a survécu a manqué, lui a narré les procès, lui a parlé de son idée de lois contre la maltraitance infantile. Pour la première fois, Neville a couché sur le papier chaque coup, chaque sort, chaque os brisé qui fut le sien. Et ses deux tentatives de suicide. Ces deux rêves de mourir. En deuxième année, après avoir été ennuyé, encore, par des Serpentards. En troisième année, craignant les répercussions du premier cours avec Lupin lorsqu’il viendrait aux oreilles de Rogue, il a recommencé. Deux diffindos bien placés. Assez profonds pour faire mal et se sentir en vie. Pas assez pour mourir. Et pourtant, il le voulait. Il écrit tout, dans ses lettres : l’impression qu’il a eue, enfant, qu’Harry était comme lui. Que lui aussi avait eu, trop jeune, une vie difficile. Et Harry lui répond. Il lui parle à mots couverts des Dursley. Un peu. « Ils n’aimaient pas beaucoup les sorciers ». Freak. Neville se demande si Harry a pris des coups, lui aussi mais n’ose pas poser la question. Les deux enfants de la prophétie se rapprochent. Deux jeunes Lord. Ce n’est donc une surprise pour personne que Neville soit un des soutiens les plus aveugles, les plus fanatiques de Harry Potter au Magenmagot. Déjà lorsqu’il n’était que Lord Potter-Black, et plus encore lorsqu’il devient Ministre suite à la mort suspecte de son prédécesseur. C’est peut-être pour un mieux, cette mort.

Neville partage son temps entre les cours à Poudlard, son entraînement dans le cadre de la maîtrise en botanique qu’il a commencée en janvier 2001 et la chambre des Lords. Il voit peu sa grand-mère mais lui écrit cordialement tous les samedis. Il ne va jamais voir ses parents à Sainte Mangouste. Les journaux se mettent à lui tourner autour : un jeune lord célibataire au Magenmagot, ça attise les convoitises. Contrairement à Harry, il a reçu une éducation de Lord – il a d’ailleurs envoyé une quantité incommensurable de livres d’étiquettes et de droit sorcier à Harry, prenant sur lui de l’aider à s’éduquer à ses nouvelles positions, et se rapprochant ainsi considérablement d’Hermione dans la foulée. Cette Hermione vétéran de guerre et porte-parole du Ministère le charme, d’ailleurs, il ne peut pas prétendre le contraire. Alors il use et abuse de sa bonne image auprès du grand public, Neville : il est un jeune lord souriant et distingué, du côté des vainqueurs, décoré d’un Ordre de Merlin. Il annonce son soutien au nouveau ministre, soutient également par son vote la réorganisation du Ministère, seconde la création de la réserve magique en arguant que cela permettra à chacun d’œuvrer à son niveau pour la bonne marche d’une société pacifiée, applaudit le nouveau code des êtres magiques qui offre enfin des droits aux loups garous entre autres et fait entendre, encore et encore, à chaque session du Magenmagot où cela est évoqué, la nécessité de renvoyer aux Terres de Feu ceux qui ont décidé de soustraire leurs terres à l’influence du Ministère. Sa guerre contre les Malefoy, les Selwyn et une partie des Weasley est ouverte, polie, sarcastique. De quoi faire suinter de l’encre dans les journaux !

Il a, pourtant, rendu aussi hommage à la famille Greengrass – Pas Malefoy – à la mort d’Astoria, et a assuré Daphné par voie de courrier de tout son soutien. La révélation d’un héritier au titre de Lord Malefoy en la personne d’Uriel lui a fait courir un frisson d’enthousiasme le long de l’échine et il n’a pas manqué de demander à Drago Malefoy comment allait son grand frère à la session suivante du Magenmagot, et s’il avait pour projet d’arrêter d’usurper le titre de son aîné dans la chambre des Lords. Il a fallu appeler trois fois au calme. Il a écrit à Uriel Lewis dès qu’il a pu, l’assurant que justice serait faite… Et Justice n’a pas tardé à se faire, même s’il n’y est pour rien : Lucius Malefoy s’est rendu à la justice et a proclamé Uriel son héritier légitime ! Neville s’en frotte les mains, prêt à certainement tout mettre en œuvre pour destituer Drago et sa folle de mère !

Depuis qu’il a commencé sa maîtrise, Neville s’est beaucoup rapproché de la tradition Verbena et discute beaucoup avec de nombreuses communautés disséminées sur toutes les îles britanniques. Il a donc applaudi des deux mains la nouvelle loi Potter pour les traditions. Il n’était pas au Ministère le jour des émeutes, mais a pris publiquement position pour cette loi en la présentant comme un nouveau pas vers la pacification de la Grande Bretagne : il ne s’agit pas de contester l’importance de l’hermétisme au Royaume Uni, mais de reconnaître seulement que toutes ces traditions font partie de l’histoire et de la culture britannique !

Une chose est certaine : il n’a certainement pas fini de faire parler de lui !