Les secondes acquièrent un goût d’éternité dans le bureau de la Présidente-Sorcière quand tout l’avenir de la lutte contre le désordre à venir semble se jouer sur cet instant, sur la décision d’une seule brigadière. Prise dans cette attente qu’elle ne peut se permettre de presser, Moira se demande encore quelles limites elle s’apprête à dépasser. Les règles de son propre département sont déjà bafouées. Celles de la morale aussi, sans doute. Mais en temps de guerre, certains principes mènent à la ruine plus sûrement qu’à la paix et la juge sait ceux auxquels elle se sent prête à transiger.
McAllister semble se perdre dans des considérations sans fin, preuve de l’inconscience n’a pas pris le pas sur le courage. Moira n’espérait rien d’autre de la part de la brigadière. De longues secondes s’écoulent sans que le silence ne soit brisé et quand la jeune femme reprend enfin la parole, le soulagement qui s’empare de Moira se répercute dans chaque fibre de ses muscles.
Elle ne peut empêcher ses lèvres de s’étirer en un discret sourire empreint de fierté et de satisfaction. McAllister est un agent d’une qualité rare auquel les états de service ne font pas toujours honneur. Il y a longtemps que Moira s’est convaincue que le concours des Aurors ne savait pas toujours représenter la réelle valeur des hommes.
Les traits de la juge se sont adoucis, départis de cette anxiété qui lui tenait au ventre en attendant qu’Erin lui annonce son choix. Les réserves qu’elle émet ne sont ni surprenantes ni démesurées. La seconde, toutefois, sonne comme une injonction qui pèsera lourd sur les épaules de la juge. La respiration de Moira s’approfondit mais aucune hésitation ne vient obscurcir son regard. Le dos droit, la voix assurée, elle répond avec une solennité que tous ceux ayant un jour assisté à un procès qu’elle a présidé ont inévitablement rencontrée : - Je vous le promets.
Elle s’approche alors de la brigadière, délaissant sa baguette et la menace d’un Oubliettes qu’elle aurait détesté devoir lancer. Elle tend une main ferme à Erin, symbole de cet accord qui les liera aussi lontemps qu’elles refuseront de le briser : - Vous n’aurez que mon seul soutien dans cette mission, mademoiselle McAllister, dit-elle sans lâcher une fois son regard. Mais il sera indéfectible. N’en doutez jamais. Puis elle libère sa main et ses doigts se posent délicatement sur le bras de la jeune femme. Elle sourit. - Prenez le temps de réfléchir à tout cela et venez me voir si la moindre question vous vient à l’esprit. Ma porte vous sera toujours ouverte. Je viendrai vous trouver si je pense avoir besoin de vous. En attendant, continuez de travailler comme vous le faites. Je ne suis pas la seule à compter sur vous.
Elle la raccompagne alors vers la sortie, un sourire tendre sur les lèvres. Sa main se pose sur la poignée de la porte sans l’ouvrir. - N’oubliez pas, Erin : vous pourrez toujours faire appel à moi. N’importe quand.
Son prénom est offert comme une marque de considération précieuse, un anonymat qui se meurt en même temps qu’un lien se crée. Alors que la brigadière s’apprête à reprendre le cours de sa vie, une légère culpabilité vient néanmoins ceindre le cœur de la juge car, sans qu’aucun contrat n’ait été signé, elle sait que l’existence d’Erin vient d’être bouleversée à jamais.
Je vous le promets. La voix de Moira ne tremble pas, en prononçant ces mots. Et tu sais, au plus profond de toi, qu'elle tiendra paroles. D'aucuns ont reproché bien des choses à la présidente-sorcière. Sa naïveté vis-à-vis de l'homme qui partageait sa vie, sa proximité avec certains soutiens de Celui-dont-on-ne-doit-pas-prononcer-le-nom, son intransigeance parfois. Mais nul n'a jamais pu douter de sa droiture. Et en te levant, pour serrer cette main tendue qu'elle t'offre, tu n'as pas le moindre doute sur la confiance que tu peux lui accorder.
Sa paume est ferme contre la tienne, le geste assuré. Et dans cette ultime manifestation de votre accord, il y a toute la force, toute la symbolique que vous lui accordez. Nul témoin à votre conversation, nulle magie pour en sceller le pacte. Si elle avait demander à le consacrer d'un Serment inviolable, tu t'y serais pliée de bonne grâce. Mais l’enchantement n'aurait guère eu plus de portée que cette union tacite. Alors que tes yeux verts viennent plonger dans le sien, tu mesures toute l'importance de l'engagement que tu prends. Qu'importent les dangers, qu'importent les risques, tu te battras à ses côtés. Pour construire ce monde meilleur qui vous tient tant à cœur.
Elle sera là. Support invisible, mais indéfectible. D'un hochement de tête, tu la salues. Et dans ce regard grave dardé sur elle se lit aussi le remerciement sincère que tu ne sauras pas lui exprimer. Car la confiance qu'elle place en toi t'es infiniment précieuse. Plus que tu ne le réalises même. Parmi tous les sorciers et les sorcières, dévoués à la cause du Ministère, duellistes accomplis, potionnistes de talent, briseurs de sorts ou chercheurs, c'est toi qu'elle a choisit.
Dans cet instant où tu scelles ton destin au sien, tu espères surtout n'avoir jamais à le regretter – étrangement, le doute s'est fait discret. Tu t'embarques dans la plus périlleuse des missions, mais il y a cette intuition, cette voix au fond de toi, qui te souffle que c'est la bonne décision. S'il y a une personne qui t'inspires confiance dans ces temps de trouble, une personne que tu devais avoir à suivre, ce serait Moira Oaks. Ni Potter et sa politique tangente, ni Shacklebolt malgré tout le respect qu'il mérite. Non, si tu dois tout risquer pour le plus grand bien, ce ne peut être qu'aux côtés de cette figure immense et juste, qui représente, depuis ton arrivée aux Ministère, un peu de la femme forte et droite que tu voudrais être un jour.
Tandis que tu quittes son bureau, saluant la secrétaire d'un sourire aimable – quoi qu'encore troublé –, l'écho résonne encore en toi. Vibre dans tes muscles, palpite dans ta poitrine, affole tes nerfs, court le long de ta nuque. Ta mission ne fait que commencer.