- Pourquoi a-t-elle échoué au concours des Aurors ? Les yeux rivés sur les états de service de la jeune brigadière, Moira attend les informations que sa secrétaire a pu trouver de son côté. Les airs innocents de Holly Brown et sa faculté à plaire immédiatement à l’immense majorité des fonctionnaires du Ministère est un atout dont la juge n’hésite pas à abuser quand elle a besoin de quelques faveurs officieuses ou de tirer des informations d'ordinaire jalousement gardées par leurs détenteurs. - Elle a malheureusement échoué assez tristement lors de sa démonstration de métamorphose. Le jury lui a demandé de présenter sa forme d’animagus. Elle n’a réussi qu’à tapisser son corps de fourrure… - Je vois. La voix est pensive. Les sourcils se froncent. Une brigadière animagus est une denrée rare, encore plus avec la dévotion dont fait preuve cette jeune femme. Elle pourrait être une arme de choix par les temps qui courent, une espionne comme on en connaît trop peu dans une carrière au département de la Justice Magique. Mais en a-t-elle l’étoffe ? Le but n’est pas de la mettre en danger… D'autant que les missions qu'elle pourrait prévoir pour elle ne seraient pas des plus officielles. Un tel travail est la plupart du temps solitaire. Personne ne sera là pour assurer ses arrières. De telles erreurs une fois sur le terrain pourraient lui être fatales. - Que disent ses supérieurs à son propos ? - Qu’on trouve peu d’agents aussi déterminés et dignes de confiance qu’elle. Ils regrettent sa tendance à se laisser dépasser par le stress, ce qui a justifié leur refus d’en faire une Auror. - A-t-elle retenté le concours depuis ? - Pas à ma connaissance, madame. - Compte-t-elle le faire ? - Difficile à dire. Elle n'en a visiblement pas parlé à ceux qui ont bien voulu se laisser aller à quelques confidences. Nouveau silence. Une réflexion perdue dans un océan d’hésitations. Où s’arrête le risque et commence la folie ? Moira ne sait plus quelle stratégie est la plus censée, encore moins la plus raisonnable. Elle ne sait que son besoin d'agir dès à présent et se de préparer avant que leurs ennemis ne gagnent une avance impossible à rattraper. L'influence de l'Enchanteresse grossit à chacune de ses prises de parole et les actions du Ministère sont devenues trop prudes pour la guerre qui s'annonce. Il leur faut prendre les devants dès à présent.
De l’autre côté de son bureau, les bras croisés en une position assez décontractée – la secrétaire ayant depuis quelque temps gagné en assurance face à sa supérieure qui l’a plusieurs fois assurée de son estime et de sa confiance – Holly attend la décision de la Présidente-Sorcière. Celle-ci met encore quelques secondes à venir, et lui parvient finalement en un souffle empreint d’une décision ferme. - Faites la venir. La secrétaire sourit alors, comme si elle attendait cette réponse. - Je vous l’amène tout de suite.
Sans plus de cérémonie, Holly quitte le bureau de la juge et se dirige d’un pas déterminé vers les quartiers des Brigades magiques. En chemin, elle salue ses collègues, sourit aux quelques agents qu’elle connaît, refuse une nouvelle fois avec un sourire espiègle l’invitation à dîner de Peter Davies et lui demande plutôt où elle peut trouver Erin McAllister. Le brigadier lui désigne une pièce un peu plus loin et la laisse s’enfuir en la suivant du regard un instant, ce que la secrétaire feint d’ignorer. Puis elle toque doucement à la porte avant d’entrer. Elle salue le personnel présent avant de parcourir la salle du regard. - Est-ce qu’Erin McAllister est ici ? C’est alors qu’une petite tête rousse se redresse un peu plus loin et Holly la reconnaît immédiatement. Elle lui offre un grand sourire en s’approchant et lui tend une main ferme. - Bonjour mademoiselle. Je suis Holly Brown, la secrétaire de la Présidente-Sorcière, Moira Oaks. Elle aimerait vous rencontrer. Seriez-vous libre pour m’accompagner jusqu’à son bureau ? Cela ne devrait pas être trop long, rassurez-vous.
Nom : Radcliffe Prénom : Rupert Âge : 26 ans Lieu du délit : Entrée sud du stade Stamford Bridge Nature du délit : a vendu à des moldus des bandeaux à l'effigie de leur club de "foutbawl" football, qui métamorphosait leur tête en canard une fois portés. Pièce à conviction : un des bandeaux susmentionnés
La plume en l'air, tu relis pour la quinzième fois ce malheureux compte rendu, tout droit venu du département de détournement de l'artisanat moldu. La prose en est pauvre, mais qu'y a-t-il à ajouter ? L’intervention de la veille était d’une absurdité… Un quelconque scrout à pétard s'est mis en tête qu'il serait amusant, pour plaire à une moldue de sa connaissance, férue de football, de s’en prendre aux supporters du club adverse lors d’une rencontre sportive. Résultat, une dizaine de moldus déambulant avec une tête de canard, une brigade d’Oubliators dépêchée sur place et un abruti en détention provisoire. Comme le veut la procédure, tu as laissé un collègue du département de l’artisanat moldu se charger d’analyser les objets mis en cause et de rédiger un premier rapport, présentement arrivé sur ton bureau. Mais hormis rectifier l’énorme faute d’orthographe – que Merlin t’en soit témoin, Adele t’aurait assassinée si tu l’avais laissée passer ! – tu n’as pas grand chose à ajouter à ce fait divers d’une banalité navrante.
Et puis soyons franches : tu n'en as pas grand chose à faire non plus... Tu était si jeune quand s'est éveillée ton envie d'intégrer le corps d'élite des aurors. Ce n'était d'abord qu'un ultime pied de nez à l'indifférence glaciale de tes parents à ton égard... Mais au fil des années, à force de travail acharné, le caprice s'était mué en une vocation tenace. Tuée dans l’œuf par l'humiliation qui avait laissé une marque brûlante dans ta pauvre estime de toi. La nécessité de la guerre avait propulsé les brigadiers sur le terrain, animant un temps tes rêves de combat pour un monde meilleur. Tu y avais laissé des plumes – oh, de si précieuses plumes – courant, inconsciente, au devant du danger. Et la paix avait étendu son doux manteau sur le pays, vous renvoyant à un quotidien bien moins trépidant.
Et depuis... depuis tu végétais dans ce service, entre les voleurs de gnomes et les infractions au secret magique. Avec l'envie dévorante, grandissante, d'être... quoi donc ? D'être mieux. Meilleure. Ailleurs. N'importe où, plutôt qu'entre ces deux piles de paperasses qui s'accumulaient de part et d'autre de ton bureau bordélique. Avec un soupir, tu jetas le dossier en cours sur la pile de droite, avant d'attraper celui qui surplombait la seconde. Tes yeux commençaient à peine à parcourir le document – levés vers le ciel dès lecture du nom du concerné, l'un de vos plus fidèles clients en matière de bourdes magiques incontrôlées – lorsqu'une silhouette fluette s'encadra à l'entrée du bureau, te demandant. Intriguée, tu te levas à demi, apparaissant derrière ta barricade de parchemins entassés. Je... C'est moi. Je peux vous aider ? La nouvelle venue ne t'était pas inconnue, tu l'avais déjà croisée dans les couloirs du département. Quant à te souvenir de son nom, c'était une autre affaire... Il y avait un rapport avec une équipe de Quidditch, avec les Harpies – tu te souviens avoir déjà pensé que la jeune femme n'avait rien de ces monstres mythologiques. Non plus que les joueuses, d'ailleurs ! Hollyhead, donc... Holly Orange ? Fort heureusement, elle ne laissa pas le suspens s'installer, te dévoilant sans attendre son identité. Brown ! Tu n'étais donc pas si loin. Toutefois, avant que tu n'aies le temps de te réjouir de cette approximation, la suite de ses propos te laissa pantoise.
Moira Oaks ? La présidente-sorcière ? Directrice du département de la Justice magique ? Par toutes les cartes des Chocogrenouilles, que pouvait-elle bien te vouloir ? Ou plus exactement... quelle bévue avais-tu commise, pour te valoir une telle convocation ? Un peu tremblante, tu acquiesças d'un signe de tête avant de lui emboîter le pas. Les quelques mètres de couloir traversés te laissent toute mesure de donner libre cours à ton imagination, en un écheveau de théories plus alambiquées que la une du Chicaneur.
Ton accompagnatrice s'arrêta finalement, entrebâilla la porte sur laquelle s'inscrivait le rang de la Présidente-Sorcière en lettres d'or, avant de se tourner vers toi, sans se départir de son sourire. Elle vous attend. Plus morte que vive, tu franchis le pas de la porte jusqu'au centre du bureau. Sans même oser prendre un siège, la tête rentrée dans les épaules en prévision de l'éventuelle tempête à venir, déjà prête à te défendre contre tout reproche injustifié – ou justifié, d'ailleurs ! –, tu demandas d'une voix que tu aurais souhaitée plus assurée mais qui trahissait bien trop manifestement ta nervosité extrême : Vous... vous avez demandé à me voir ?
Holly Brown laisse un sourire tendre adoucir ses traits en voyant l’anxiété qui gagne immédiatement la jeune brigadière. - Ne vous inquiétez pas, lui confie-t-elle sur un ton qu’elle veut rassurant. Elle voudrait simplement s’entretenir avec vous. Vous n’avez rien à craindre.
Et c’est d’un pas guilleret qu’elle ouvre la marche jusqu’au bureau de la Présidente-Sorcière. Elle ne dit rien du trajet, bien consciente qu’un nombre incalculable de voix doit déjà résonner dans la tête d’Erin McAllister. Mais elle ne se départ pas de son sourire jusqu’au moment où elle ouvre al porte de sa supérieur et invite la jolie rousse à entrer.
A l’instant où Erin pénètre dans le bureau, Moira se lève pour l’accueillir. Le sourire aux lèvres, elle contourne le meuble et rejoint la jeune femme à qui elle tend une main ferme. La brigadière balbutie quelques mots, visiblement impressionnée, et Moira tente de la rassurer un peu. - Bonjour, mademoiselle McAllister. Je suis heureuse que vous ayez pu vous libérer. Elle pose délicatement une main sur le bras de la jeune femme pour la guider vers le siège en face du sien et l’invite à s’asseoir avant de se diriger vers son service à thé dans un coin de la pièce. - Puis-je vous proposer quelque chose à boire ? Un thé ? Un café ?
Elle s’efforce toujours de rester chaleureuse. Elle ne veut pas qu’Erin se sente piégée. Moira lui apporte la boisson qu’elle a demandée ou, à défaut, un verre d’eau au moins qu’elle dépose devant elle avant de regagner sa place de l’autre côté du bureau. Elle boit une gorgée de thé, pile à la bonne température, puis garde la tasse entre ses doigts pour réchauffer ses mains. Elle sourit à la brigadière et empêche tout de suite le silence de s’installer. - Vous devez vous demander pourquoi vous êtes ici. C’est bien légitime. Voyez-vous, les troubles politiques actuels nous font craindre un regain de violences dans tout le Royaume-Uni. Le département de la Justice est mis face à une réalité que nous ne pouvons plus feindre d’ignorer : il nous faut préparer nos forces pour être certains d’être en mesure de préserver la paix dans les mois, peut-être les années à venir. Elle boit une nouvelle gorgée de thé. - Vous n’êtes pas sans savoir que plusieurs attentats ont visé le Ministre l’année dernière. Dans un tel contexte, d’autres attaques sont malheureusement à craindre. Lucius Malefoy et les jumeaux Carrow sont toujours en cavale. Les Insurgés ne cessent de faire parler d’eux et de s’attirer de nouvelles sympathies. Nous ne pouvons rester passifs et n’attendre que de réagir à une prochaine frappe. Il nous faut reprendre la main si nous voulons avoir une chance de préserver la paix.
Le ton de la juge est grave, sans concession. Elle ne fait aucun détour. Son temps est précieux, comme celui de Mc Allister.
D’un geste souple, ses doigts viennent rouvrir le dossier posé devant elle. Les yeux de Moira survolent les papiers étalés sur son bureau. - J’ai lu vos états de service. Elève aux résultats honorables à Poudlard, bon élément lors de votre formation au département de la Justice, vous avez échoué au concours des aurors lors de votre démonstration de vos talents d’animagus il y a huit ans. Vos supérieurs ne disent pourtant que du bien de vous : ils vous décrivent comme travailleuse, volontaire, dévouée, mais avec un terrible manque de confiance en vous qui a sans doute expliqué votre échec au concours. Moira marque une pause. Erin doit être perdue, n’avoir aucune idée d’où elle veut en venir. La juge reprend pourtant sans changer de ton : - Vous vous êtes néanmoins illustrée en tant que brigadière. On vous reconnaît votre engagement lors de la bataille de Poudlard, un taux très satisfaisant d’affaires menées à bien malgré… une certaine aversion pour tout ce qui tient de la paperasse. Je peux comprendre ça.
Moira sourit de nouveau pour dérider un peu son interlocutrice. Mais l’attente de la brigadière dure déjà depuis assez longtemps. La juge repose alors sa tasse de thé et se penche pour croiser les bras qu’elle repose sur son bureau. - Pardonnez l’aspect très direct de ma question, mademoiselle, mais j’ai toujours préféré les demandes simples aux ronds de jambe interminables. Une seconde passe avant qu’elle ne lui dise enfin : - N’avez-vous jamais pensé à retenter le concours des Aurors ?
Malgré le sourire rassurant de la secrétaire particulière, difficile d'être sereine. Et pour cause : être convoquée en personne dans le bureau de la Présidente-Sorcière est une situation hautement inhabituelle. Bien que vous arpentiez les mêmes couloirs du Ministère, vos chemins sont rarement appelés à se croiser, la magistrate intervenant rarement auprès de la Brigade, lui préférant généralement le corps d'élite que forment les aurors. Ce qui rend cette entrevue d'autant plus perturbante. Et stressante. Et déstabilisante. En bref, c'est plus tendue que les sangles d'un vif d'or sur le point de s'élancer que tu as salué Moira Oaks.
Ses efforts pour te mettre à l'aise sont flagrants. Et plus que le geste en lui-même, c'est l'intention qui te touche. Esquissant un timide sourire, tu acquiesces à sa demande. Un thé, ce sera parfait. Et en l'espace d'un instant, te voici confortablement installée, humant les effluves de thé vert qui montent de la tasse en porcelaine, prête à déguster une boisson chaude en compagnie de l'une des personnes les plus importantes du gouvernement, dans la plus pure tradition des ladys anglaises. Fort heureusement, il n'est pas 17 heures, le cliché serait trop exagéré. Tu en sourirais, si les mots de la magistrate n'étaient pas si graves, si la situation n'exigeait pas toute ton intention.
La situation politique actuelle. Voilà un sujet auquel tu peux aisément te raccrocher, tant il impacte ton travail au quotidien. Tu n'as guère d'avis sur Potter. Le respect admiratif que tu ressentais pour le Survivant – puis pour le Sauveur – s'est mué en une prudente indifférence, quand il a abandonné son habit de lumière pour se lancer en politique. Les héros ne devraient jamais se mêler au commun des mortels, leur aura n'en ressort que trop égratignée. Mais personne ici ne te demande ton avis, et quelques soient tes opinions, tu le protégeras aussi longtemps que ta fonction l'exigera. En outre, tu ne peux pas cautionner les attentats, ton pacifisme farouche n'admettant pas les actes de violence, quelles qu'en soient les cibles ou les idéaux. Alors tu acquiesces sans difficulté aucun au discours de ta supérieure.
La conversation prend toutefois un autre tour, tandis qu'elle feuillette un dossier dont tu ne tardes pas à comprendre la teneur. Une intuition te souffle que la suite risque de te déplaire... Et effectivement, la question tombe peu après, tel un couperet. Ni violente, ni méprisante. Mais directe et ferme.
Le concours d'auror. Un bref silence s'installe, inconfortable. Cherchant une manière de formuler ta réponse, tu reposes le thé – qui te semble brusquement trop chaud – sur l'extrémité du bureau. Une manière comme une autre de te donner quelques secondes de contenance. J'y ai déjà pensé, oui... Mais je ne le souhaite pas. Anticipant la question suivante ou le haussement de sourcil interrogatif qui ne manquera pas de suivre, tu t'éclaircis la gorge. Mon... échec au concours m'a prouvé que je n'avais ni les capacités, ni le mental pour pouvoir les rejoindre. En outre... la préparation de ce concours demande de lourds sacrifices, que j'ai fait durant mes années d'études, mais que je ne souhaite pas fournir à nouveau. Je ne suis même pas sûre d'en être encore capable. L'argument peut s'entendre, sans doute. À bientôt 30 ans, d'autres ont rêvé avant toi d'une vie plus posée, d'un couple, d'enfants... Et c'est tout à fait ce que tu souhaites sous-entendre. Que tu sois une indécrottable célibataire, incapable de te lier à quiconque ou de faire des projets d'avenir, Moira n'a pas besoin de le savoir. Tout comme elle n'a pas besoin de savoir que ta réelle réticente vient avant tout de ta peur d'échouer encore. Mais ta franchise a des limites et la question trop délicate pour que tu te laisses aller à parler à cœur ouvert. Tout comme tu es incapable de mentir frontalement. C'est pourquoi tu biaises ton dernier argument, pour éviter de dire combien ton travail actuel t'ennuies et te lasses. Ma situation actuelle me... convient. Je suis heureuse de pouvoir me rendre utile à la communauté sorcière, je n'ai pas besoin de plus. Et la réponse étant close, tu t'autorises à prendre une grande inspiration, accompagnée d'une longue gorgée de thé.
La question est brutale, nécessaire pourtant. Alors que le visage de la brigadière se métamorphose, que son expression devient plus fermée, pensive, Moira sent la gêne qui s’installe chez elle. Erin repose sa tasse de thé, impose un silence que la juge s’interdit de briser. Elle lui laisse le temps d’organiser ses idées, de trouver ses mots. Elle sait combien sa question franchit déjà les limites d’une certaine intimité. Mais la magistrate sait aussi pourquoi elle se permet de la lui poser.
Erin finit par retrouver sa voix. Celle-ci reste basse, légèrement hésitante et la brigadière lui confirme les informations que Holly est parvenue à glaner ce matin : l’échec au concours semble avoir laissé des traces et McAllister n’entend pas se représenter.
Elle ne souhaite qu’« être utile »… Voilà un noble but que la jeune brigadière remplit sans l’ombre d’un doute. Dans un tel contexte de tensions, personne ne semble plus indispensable que ceux qui protègent le peuple. Enquêteurs, brigadiers, médecins… Moira ne doute pas du sentiment de devoir accompli qui doit envahir Erin McAllister une fois rentrée chez elle. Mais alors que la brigadière achève sa dernière phrase, Moira ne laisse qu’une paire de secondes s’écouler avant de rebondir : - Et si je vous disais que la communauté sorcière avait besoin de plus ?
Le coup est volontaire, prévu pour marquer l’esprit de son interlocutrice. Puisque le sens du devoir semble être la corde sensible de la jeune femme, Moira s’en sert sans même hésiter un instant. - Mademoiselle McAllister, je n’ai pas la réputation d’aller par quatre chemins. Aussi, je vais vous dire les choses aussi brusquement que je les conçois : notre société s’apprête à vivre une nouvelle période de troubles dont nous sommes incapables de prévoir la gravité. Puisque rien ne nous permet de savoir où s’arrêtera l’escalade, je souhaite nous préparer à la pire éventualité. Elle se tait un instant avant d’asséner le coup le plus violent. - Je vais vous le dire aussi simplement que je le pense, mademoiselle : je crains une nouvelle guerre civile.
Nouveau silence, d’une brutalité inouïe. Moira leur laisse à toutes les deux le temps de respirer avant de reprendre d’une voix grave. - Dans de telles circonstances, inutile de vous dire que l’organisation de nos forces telles qu’elle se présente aujourd’hui n’est pas suffisante. Nos aurors sont débordés, les brigades noyées par des conflits entre sorciers de plus en plus fréquents et violents. Quant à la réserve que le gouvernement a mise en place, elle ne peut pallier tous les manques, si tant est qu’elle n’en rajoute pas. La pique est lancée, presque malgré elle. La fatigue et la pression qui pèse sur les épaules de la Présidente-Sorcière lui font sortir de plus en plus souvent de sa réserve quand elle se trouve en comité restreint. Elle ne prête même pas attention à son incartade et continue sur sa lancée : - C’est pourquoi je veux dès aujourd’hui préparer nos équipes, donner à ce service les moyens de remplir sa mission première : protéger les populations et sauvegarder la paix. Mais pour cela, j’ai besoin d’agents solides, aux qualités rares et convaincus de l’importance des tâches qui pourraient leur être confiées. Je pense, mademoiselle, que vous pourriez être ce ceux-là.
Petit à petit, le dessin de la Présidente-Sorcière s’esquisse. Erin se voit offrir encore quelques secondes de répit avant que Moira ne reprenne, désignant du doigt les éléments de son dossier qu’elle ne prend toutefois pas la peine de regarder à nouveau. - Votre échec à ce concours était justifié, vous avez raison. Vous n’aviez alors ni les capacités ni le mental nécessaire pour prétendre à ce poste. Mais un concours n’est que l’évaluation d’un état à un instant -t. Huit ans se sont écoulés depuis pendant lesquels vous avez pu servir parmi les brigades magiques, renforcer votre mental, gagner en puissance et en maîtrise. Je sais qu’au fond de vous, vous être aussi consciente de cela.
La voix de Moira s’adoucit. L’expression de son visage se fait alors plus empathique, rassurante. - Je ne veux pas vous demander de vous confronter à nouveau à l’épreuve d’un concours qui vous a indéniablement marquée, mademoiselle McAllister. Je veux vous donner l’occasion de vous prouver vos propres capacités. Elle laisse une dernière seconde s’écouler avant de conclure : - Ma question est simple : si vous pouviez être plus utile encore à cette communauté que vous servez, accepteriez-vous de vous impliquer plus que vous ne le faites déjà, avec tous les sacrifices que cela comporte naturellement ?
Finalement... À la réflexion, n'aurait-il pas mieux valu une remontrance ? On t'aurait reproché un écart quelconque, une faute mineure, tu te serais excusée platement, aurais juré de te reprendre, d'améliorer ton comportement / tes performances, tu aurais peut-être écopé d'un blâme léger. Et tu aurais repris ta petite vie, tes petites habitudes, aurais continué ton travail comme à l'accoutumée, un petit peu mieux, sans doute. Oui, ç'aurait certainement été préférable. Probablement inconfortable et douloureux, mais moins qu'une bouteille de Poussos – tu as un souvenir bien trop vif de la fois où Piers t'as infligé ce traitement... Tant et si bien que tu soupçonnes le médicomage d'avoir forcé la dose pour te dissuader de te casser encore le bras. Comme si tu y pouvais quelque chose !
Tes digressions intérieures sont brutalement rompues par la question sans détour de ta supérieure. Tu ignores ce qu'elle entend par « besoin de plus », mais plus les secondes passent, moins tu es certaine de vouloir le savoir. Ni du rapport avec toi – encore qu'au vu de ses remarques précédentes, tu commences à en avoir une petite idée, dont la teneur te déplaît fortement. Par respect et correction, tu la laisses poursuivre, attentive et silencieuse face au sombre tableau qu'elle te dépeint. Jusqu'à ces mots, qui te tirent un cri d'horreur étouffé. Non ! Une guerre civile... Non ! Par Merlin, Morgane, Flamel et Dumbledore, non ! De la première, tu ne gardes qu'un souvenir d'enfant imprécis et sans conséquence. Mais la seconde a laissé tant de marques, tant de blessures à vif, dans ta chair et ton âme. Douce Helga, les sorciers ne sont-ils donc bons qu'à s’entretuer au nom d'idéaux extrémistes ?
Et pourtant... Tu n'es pas aussi naïve que tu tentes de le faire croire – à commencer par toi. Si tu te caches derrière l'espoir qu'il y a du bon en ce monde, t'extasiant devant l'entraide, la bonté et la solidarité dont peuvent faire preuve tes semblables, tu sais qu'il existe aussi tant de noirceur – vols, crimes, meurtres, profits personnels. Tu vois, chaque jour, la colère et la rancœur enfler, le mécontentement ne plus se faire l'apanage de quelques revanchards assoiffés d'attention. Il est naturel que la Présidente-Sorcière du département de la Justice magique, qui voit passer vos si nombreux rapports, soit plus consciente de la situation que quiconque. Son ton grave, et l'avenir fort sombre qu'elle te dépeint, ravivent la flamme combattante en toi. Celle-là même qui t'a donné la force de te dépasser jadis pour lutter contre les adeptes fous de Celui-dont-il-ne-faut-pas-prononcer-le-nom. Et en même temps... L'idée même de repasser le concours des aurors te paralyse totalement. Les années passant, tu as fait ton deuil de cette idée. Et tu n'es définitivement pas prête à vivre à nouveau ces années de sacrifices, pour t'humilier une fois encore.
Ta nervosité est palpable, dans la posture tendue de tes épaules autant que dans le mouvement machinal de la cuillère qui n'en finit plus de tourner et tourner encore, frôlant avec délicatesse les parois de porcelaine de la tasse dans une ronde infinie. Ce n'est que lorsque la voix de Moira se fait plus rassurante que tu parviens à respirer à nouveau, lorsqu'elle balaye d'un revers la main la possibilité de te replacer face à ton échec. Mais ses paroles laissent plus de questions en suspens qu'elles n'en ont chassées. Comment pourrais-tu te rendre plus utile à la communauté sorcière ? Quel serait le cadre qui dépasserait tes fonctions de brigadière sans pour autant impliquer les aurors ? Les sacrifices ne me font pas peur. Nulle bravade dans cette réponse sobre. Oui, des sacrifices, tu es prête à en faire. Tu si peu à perdre... C'est du moins ton impression, l'empreinte d'un manque de recul manifeste, qui te vois rester tournée vers les douleurs passées, sans envisager celles que pourrait te réserver l'avenir. Mais pour l'instant, tu ne comprends pas où veut en venir Moira. Qu'attend-elle exactement de toi ? Les sourcils froncés d'incompréhension, tu finis par poser franchement la question qui te brûle les lèvres. Puis-je vous demander ce que vous entendez par là, exactement ?
« Les sacrifices ne me font pas peur. » Telle est la fougue de la jeunesse, la force que l’idéalisme ne peut donner qu’à vingt ans. Il arrive à Moira de se demander si elle serait encore capable de prononcer une telle phrase avec autant de puissance qu’Erin McAllister. Des sacrifices, la juge en a fait beaucoup et son rôle au sein de cette institution lui en promet encore beaucoup d’autres. Elle y consentira, comme chaque fois, tant qu’ils lui permettront de protéger ce qui est juste. Mais avec le temps, les épreuves, elle s’est mise à craindre les prochains sacrifices qu’il lui faudra faire, ce qu’ils pourraient lui coûter que les précédents n’ont pas encore touché. L’expérience emporte avec elle nombre de blessures et de désillusions. Erin a déjà dû en connaître plusieurs mais pas assez encore pour entamer sa détermination. Aucune hésitation ne fait trembler son regard et cette hardiesse rassure Moira plus que la brigadière ne peut l’imaginer.
La Présidente-Sorcière sourit à la question d’Erin. Toute cette conversation reste en effet bien mystérieuse, à escient. Mais il est temps d’expliquer à la brigadière la raison de cette rencontre en tête-à-tête. - Le secret, mademoiselle McAllister. Voilà le sacrifice que je vous demande. Un silence pesant s’abat sur le bureau, comme l’annonciateur de ce qui attend la jeune femme lors de sa mission, si elle l’accepte. La juge observe sa réaction quelques instants avant d’expliciter enfin ce qu’elle entend par là.
Doucement, Moira quitte son siège pour marcher d’un pas lent vers la fenêtre de son bureau. Les rayons du soleil de janvier viennent réchauffer sa peau blanche. Elle regarde l’extérieur d’un air pensif, mais sa voix est claire et ses mots sont réfléchis. - Je vous ai dit vouloir cesser de n’être que dans la réaction face aux événements que nous subissons. Mais pour agir les premiers, nous manquons d’éléments cruciaux : des informations. Nos Aurors et brigadiers travaillent d’arrache-pied pour obtenir les renseignements qui nous permettraient d’anticiper au mieux les actions à venir, mais le département marche sur des œufs. Si jamais l’espionnage venait s’ajouter aux nombreuses accusations que l’Insurrection profère déjà à l’égard du Ministère, je n’ose imaginer le scandale que cela engendrerait. Le contexte politique nous obligé à la plus grande prudence. Mais l’attentisme signera notre perte. Il nous faut donc quitter les sentiers battus.
Le regard toujours rivé sur la fenêtre, elle laisse encore passer quelques secondes comme une dernière hésitation avant de se lancer. - J’ai besoin d’un agent capable d’entrer en territoire ennemi, qui puisse infiltrer leurs maisons, leurs soirées, leurs réunions, quelqu’un capable d’entrer où bon lui semble et d’en sortir avec la même aisance. Un bon agent double est bien trop difficile à trouver, sans parler du temps qu’il nous faudrait pour qu’il obtienne la confiance des Insurgés et qu’ils se livrent à des confidences en sa présence. Il me faut quelqu’un capable de percer leurs défenses dès à présent sans se faire repérer. Un animagus peut être un allié de choix, encore faut-il que sa forme animale n’attire aucun soupçon. Plusieurs de nos agents sont capables de prendre l’apparence de chiens, de chats… Mais de tels animaux rôdant fréquemment autour de l’Enchanteresse et de ses sbires finiraient par attirer l’attention. Un écureuil, en revanche… Voilà une créature assez commune et discrète pour se fondre dans le paysage.
C’est ce moment que choisit Moira pour se retourner et son regard bleu transperce les prunelles d’Erin. L’instant s’étire un temps trop long et le poids du silence semble s’abattre sur les épaules de la brigadière. La juge met un moment à reprendre la parole, juste le temps de s’assurer que la jeune femme comprenne enfin la raison de sa venue. - Mademoiselle McAllister, je vais jouer cartes sur table. Cette mission restera strictement confidentielle. Elle ne vous concernera que vous et moi. Pas vos collègues. Pas Kingsley Shacklebolt. Pas même le Ministre de la Magie. Je serai votre seule interlocutrice et la seule personne sur cette Terre à savoir dans quoi vous vous êtes engagée. Les détails de vos missions et ce que vous apprendrez sur le terrain devront rester entre nous et strictement entre nous. Vous n’en parlerez qu’à moi et à moi seule. Si jamais vous deviez échouer votre infiltration, être identifiée ou capturée par l’ennemi, le département de la Justice niera toute implication et ne pourra en aucun cas s’engager dans votre défense ni votre protection. L’équilibre fragile qui maintient encore la paix en dépend. Aux yeux du Ministère, vous aurez agi seule et de votre propre chef. Vous ne bénéficierez en conséquence d’aucun traitement de faveur. Cette mission restera non-officielle et ne laissera aucune trace dans les archives du Ministère, rien qui ne puisse permettre à quiconque d’apprendre qu’elle a un jour existé. Vous n’en tirerez jamais aucune gloire ni aucune reconnaissance autre que la mienne. Je veux que vous en soyez consciente. Un silence s’immisce encore entre elles pour laisser à la brigadière le temps de digérer l’afflux d’informations. Moira n’entend pas la ménager : elle doit savoir dès maintenant si McAllister a les tripes nécessaires.
Sa voix ne s’adoucit qu’après de longues secondes quand elle ajoute : - Je ne chercherai pas à déprécier la dangerosité de cette mission : vous serez exposée, sans soutien ni secours possible lors de vos missions. Aucune cellule psychologique ne pourra vous recevoir à ce sujet, qu’importe ce que vous affronterez sur le terrain. Vous ne pourrez parler de cette mission ni à vos amis, ni à votre compagnon, ni à vos parents, ni à aucun de vos proches. Un tel engagement ne doit pas être pris à la légère. Vous êtes aussi parfaitement en droit de refuser et ce dès à présent. Je ne vous en tiendrai pas rigueur et vous pourrez reprendre sereinement le cours de votre carrière. Le choix est entièrement vôtre et vous pourrez également décider de vous retirer à tout moment si la mission vous semble trop peser sur vos épaules. Personne ne peut vous obliger à de tels sacrifices, même s’ils ne vous effraient pas.
Moira laisse alors à Erin le temps de la réflexion. La brigadière n’est pas forcée de répondre aujourd’hui. Moira sait la confiance et l’abnégation qu’elle lui demande et combien une décision aussi difficile peut demander d’efforts pour trouver comment se positionner. Toutefois, elle n’oublie pas le caractère hautement sensible de ce qu’elle vient de lui confier. Avec cette mission qu’elle s’est donnée, Moira a contourné le marasme administratif et les multiples autorisations qu’elle aurait dû demander pour qu’un tel projet voie le jour. En se lançant dans pareille entreprise sans même prévenir le Ministre, Moira outrepasse largement les pouvoirs que lui confère sa position, une situation qui, si elle venait à se savoir, pourrait déstabiliser tout le département et lui coûter sa place à la tête du Magenmagot. Mais l’immobilisme du Ministère la désespère et chaque journée d’attentisme supplémentaire lui semble rapprocher un peu plus son pays du gouffre. Elle ne peut plus s’empêcher d’agir.
Il lui faut cependant protéger ses arrières. Ainsi, elle n’a pas oublié de déposer en amont sa baguette magique sur le rebord de la fenêtre. Si McAllister devait refuser de la suivre, Moira n’aurait d’autre choix que de lui faire oublier la conversation qu’elles viennent d’avoir. Un sortilège d’Oubliettes n’est certainement pas moral, mais il a le bon goût d’être indolore et absolument indispensable en de telles circonstances.
La guerre a laissé des cicatrices au cœur de chaque sorcier, de chaque sorcière qui s'y est trouvé mêlé, de gré ou de forces. Vous avez tous perdu un proche. Qui un parent, qui un ami, un compagnon de vie, un enfant... D'aucun diraient que tu fais partie des privilégiés : tu as survécu pour voir renaître le monde. Ton nom n'ajoute pas ses lettres à l'interminable liste des victimes. Mais à ceux-là, tu rétorquerais que la mort n'est qu'un voyage sans souvenir. Le poids de la mémoire se fait toujours plus lourd pour ceux qui restent et doivent apprendre à vivre avec l'absence des êtres aimés. Tu n'as jamais compris cette peur du néant qui semble guider tant d'actes – à commencer par ceux de Celui-dont-il-ne-faut-pas-prononcer-le-nom. Vos existences sont si vaines... Tu aurais sans hésiter échangé la tienne, s'il avait s'agit d'en sauver d'autres. La guerre t'a volé ta sœur, arraché ton enfant à naître, enlevé plus d'amis que tu ne saurais le dire. Détruit les liens ténus qui t'attachaient encore à ton aîné, repris l'amour qu'elle t'avait donné. N'aurait-il pas mieux valu partir avec eux ? T'endormir, avec ton bébé en ton sein ? Oh, tu y as si souvent pensé dans les premières semaines de paix... Mais comme chevillée au corps, la vie s'est accrochée, d'abord sous la forme d'un solide syndrome du survivant qui interdisait que ne soit versé plus de sang encore. Et puis, petit à petit, par une habitude revenue. Se lever le matin, se préparer, aller travailler, se divertir. Survivre, pour ne pas mourir un peu chaque jour. Survivre, faute d'autre chose. Car s'il est un point sur lequel ils ont raison, ceux qui clament leur chance d'être toujours là pour fouler le sol de l'Angleterre, c'est que la vie est précieuse. Aussi belle que fragile. Tu tends un peu trop à l'oublier, toute à ton dédain de la mort. Votre bonne fortune n'est pas d'avoir survécu. C'est d'être encore ici, aujourd'hui, pour vivre et pouvoir recommencer. Et ça, tu l'as oublié, trop obnubilée par les blessures du passé.
Alors oui, peu t'importent les sacrifices dans la monotonie de ce quotidien que tu subis plutôt que de le vivre. Ton regard se trouble pourtant, alors que la Présidente-Sorcière te dévoile celui qu'elle attend de toi. Le secret ? Tu fronces les sourcils sans comprendre. La Brigade magique est une force de l'ordre public, ce qui suppose, comme son nom l'indique, des actions concrètes, au vus et su des citoyens. Ce sont l'ombre, la discrétion et les intrigues qui nécessitent le secret. Et elles sont l'apanage des aurors, du département des mystères... Mais pas de la Brigade.
Peu à peu, de phrase en phrase, les mots dûment choisis, le plan de Moira s'esquisse devant toi. Prendre de vitesse les ennemis du Ministère, les fauteurs de trouble. Enrayer l'inévitable montée de violence qui vous mènerait à une nouvelle époque de violences et de déchirements. Lorsqu'enfin, elle achève d'exposer son dessein, tu ne peux dissimuler l'incrédulité de ton regard. Une mission hautement dangereuse. Solitaire, sans back-up, ni support d'aucune sorte. Sans ressources, ni aide. L'interdiction absolue d'évoquer le sujet avec quiconque, à commencer par tes proches et jusqu'à ton supérieur direct. Et tout ça pour quoi ? Rien de plus que la reconnaissance de la magistrate ? Si grand soit ton respect pour cette femme... Sa demande est parfaitement absurde.
Tes yeux se perdent ça et là, comme cherchant dans le bureau l'indice évident que tout cela n'est qu'une vague plaisanterie. Mais rien. Et l'air grave de Moira achève de te convaincre de son sérieux. Tu hoches la tête en signe de dénégation. Toujours, ton regard s'égare, en quête cette fois d'une quelconque aide pour formuler le juste refus que tu t'apprêtes à lui opposer. Tour à tour, tu observes le plafond clair, le délicat nécessaire à thé dont tu n'as plus bu une gorgée, les photos – sur lesquelles tu glisses rapidement, comme gênée d'ainsi entrer dans son intimité –, les étagères regorgeant de livres et de CDs. Leur présence a d'ailleurs quelque chose d'incongru dans ce bureau consacré à la Justice magique. Tu les détailles machinalement... et ton cœur rate un battement. Là, à l'extrémité d'une rangée, une spirale de jaune et d'orange mêlés, un disque semble te narguer. Un vinyle que tu reconnaîtrais entre mille, pour l'avoir tant et tant entendu, l'avoir tant vu tourner sur le vieux transistor de ta grand-mère. Et tu revois Loane accourir sitôt les dernières notes envolées pour le replacer, encore et encore, dansant seule au milieu du salon, sur le tapis fatigué. Une chanson emblématique, de l'un des groupes moldus les plus connus du monde, selon ton oncle qui en collectionnait toute la discographie.
Yesterday.
Hier. Et comme une évidence, une dernière pièce du puzzle se dépose délicatement sur tes pensées agitées. Hier, Loane était encore en vie. Hier, tu n'étais encore qu'une adolescente insouciante. Hier, tu rêvais de servir ton pays et ta communauté. Parce qu'hier, un sorcier dément avait mis le monde à feu et à sang après avoir décidé qu'il valait mieux que vous, que toi, que les nés-moldus et ceux qui étaient différents. Comme Loane. Et aujourd'hui, tu as la possibilité de te battre. Non, la récompense de cette mission suicidaire n'est pas la seule reconnaissance de la Présidente-Sorcière. Mais une chance d'agir pour que demain, peut-être, d'autres familles ne soient pas endeuillés par les actes inqualifiables d'une frange de sorciers aux idées aussi inqualifiables que celle de leur maître défunt.
Imperceptiblement, ton regard passe de l'incrédulité à la détermination. Ta réflexion se fait pratique. Une première question, « Pourquoi moi ? » s'échoue sur tes lèvres, avant d'avoir été prononcée. Le Ministère regorge de sorciers plus puissants, plus capables. Mais elle te l'a dit. Ta forme d'Animagus peut passer aisément inaperçue dans les parcs des riches demeures de ces nantis qui pleurent la perte de leurs privilèges en se prélassant dans le confort de leurs terres bourgeoises. Une seconde interrogation te vient, plus pragmatique encore.
Je suis une Animagus déclarée. N'avez-vous pas peur que l'on puisse remonter jusqu'à moi ? Et jusqu'à vous ?
Les pulsations de Moira se sont imperceptiblement accélérées. Le silence s’est alourdi, écrasé par les responsabilités qui pèsent sur les épaules des deux femmes. La juge sait les risques qu’elle prend à confier tant d’éléments à la jeune brigadière, et plus encore ceux qu’elle demande à Erin. Cette dernière s’est enfoncée dans un mutisme terrible depuis de longues secondes, empli de questionnements et d’inquiétudes. Comment lui en vouloir ?
Pendant un long moment, Moira n’intervient pas. Elle laisse à McAllister tout le temps qu’il lui fait, sans rien faire pour la presser. Mais elle la sent se renfermer et, presque inconsciemment, elle fait un premier pas pour se rapprocher de la fenêtre. La magistrate ne quitte pas Erin du regard. Sa respiration s’accélère. La brigadière a depuis longtemps détourné les yeux d’elle et ses prunelles balayent distraitement le mobilier de son bureau. Elle semble davantage chercher comment formuler son refus que se demander si elle doit suivre ou non la Présidente-Sorcière dans ce projet fou. Lentement, la main de la juge gagne le rebord de la fenêtre et vient frôler la poignée de sa baguette magique. Erin ne dit toujours rien, le regard absorbé par les ouvrages de la bibliothèque et les cadres posés sur le bureau. Moira empoigne sa baguette. Elle n’aura pas d’autre choix que de l’oublietter. Sa respiration s’approfondit, puis se bloque. Elle se prépare à lancer son sortilège.
Quand soudain, l’énergie dans la pièce change. Moira se fige, attend de comprendre ce qu’il se passe. La posture de la jeune femme a changé et son regard s’enflamme soudain d’une détermination brûlante. La main de la juge lâche doucement sa prise sur le bois d’orme, repose sa baguette avant qu’Erin n’ait l’occasion de se retourner et quand la brigadière formule enfin une question, le soulagement qui s’empare de la Présidente-Sorcière est indescriptible.
Son regard s’adoucit en même temps que sa voix devant les inquiétudes bien légitimes de la brigadière. - Il est facile de reconnaître un chien ou un chat lorsqu’on en voit un, mais différencier un écureuil d’un autre est une toute autre affaire, dit-elle avec un sourire. La forme de votre animagus n’a pas attiré mon attention sans raison. Vous avez une chance que tous les animagi n’ont pas : celle de posséder une forme animale qui peut aisément se fondre au milieu de ses congénères. Tout le reste reposera sur vos talents d’infiltration. Si votre forme animale est assez convaincante pour qu’aucun de vos ennemis ne se doute qu’il s’agisse d’un animagus, aucun risque que ceux-ci puissent remonter jusqu’à vous. Après tout, c’est bien l’objectif que nous nous fixons. Et mieux vaut que celui-ci soit atteint en effet car si l’une de leur cible devait identifier le rongeur comme un agent sous couverture, il y a fort à parier pour que son identité véritable ne résiste pas longtemps à leurs investigations. - Quant à moi, vous serez ma seule faiblesse. Personne ne saura mon implication dans cette affaire à part vous. Je mets donc mon avenir entre vos mains.
Il est presque étrange de le formuler ainsi, aussi simplement, comme si cette réalité devenait soudain plus tangible. Mettre sa carrière, sa place au Ministère, sa réputation et peut-être sa vie entre les mains de la brigadière a quelque chose d’effrayant et pourtant Moira y consent sur la simple croyance que cela pourra faire la différence, changer les choses, protéger cette paix qu’elle voit mise en péril à chaque nouvelle intervention d’un camp ou de l’autre. Sa décision est ferme, prise après des mois entiers de réflexion. Elle ne veut plus se dérober. - Alors, mademoiselle McAllister ? Qu’en dites-vous ?
Jamais tu ne sauras combien tu as été toute proche d'oublier jusqu'aux prémices de cette conversation. Tu pourrais t'en douter, bien sûr. Depuis le scandale qui a vut son époux finir sous les bureaux, entachant la réputation impeccable dont elle jouissait au sein de la communauté magique, Moira Oaks n'a eu cessé de prouver que la manipulation dont elle avait été victime n'atténuait en rien l'intelligence et la finesse dont elle était pourvue. Qu'une femme d'une telle prévoyance ait décidé de monter une opération clandestine, au nez et à la barbe des instances de la Justice magique pour protéger une paix fragile, cela suppose qu'elle ait pris toutes ses précautions. À commencer par éliminer toute trace de son implication, dans le cas où tu ne serais pas prête à embarquer à ses côtés pour le voyage périlleux qu'elle te suggère.
Mais à cet instant précis, tes pensées sont trop prosaïques pour imaginer le danger qui a plané sur ta mémoire l'espace d'un instant. Non, pour le moment, tu réfléchis Animagie, missions, organisation, risques... Ta première question est balayée avec justesse. Le risque d'identification d'un écureuil semble effectivement minime. Toi même, après tant d'années de pérégrinations forestières, tu ne parviens toujours pas à différencier les uns des autres – y compris tes occasionnels compagnons de promenade. Et si tu en es incapable... qui le sera ? Mais plus encore que le fond de sa réponse, c'est la précision de ses mots qui te rassénère. Te prouvant, s'il en était besoin, que la magistrate a pleinement pris mesure de la situation avant de te mettre au parfum. Non que tu doutes de sa rigueur, mais une telle assurance est rassurante, compte tenu de sacrifices auxquels tu t'apprêtes à consentir. De même que l'aveu de faiblesse qu'elle te livre. À partir de ce jour, vos destins seront liés, pour le pire ou le meilleur. Par un lien qui exigera de vous une confiance entière et absolue, tant vous aurez dans vos mains le pouvoir de détruire l'autre. Ce qui t'évoque une question nouvelle... mais l'heure n'est pas encore venue de la poser. Vous avez d'autres éléments à éclaircir au préalable.
J'en dis que j'en suis. Je vous ai dit que j'étais prête à faire des sacrifices au nom de notre communauté, et mes mots étaient sincères. Si je peux, par mon action, éviter qu'éclate une nouvelle guerre, je le ferai. Vous pouvez compter sur moi. Toutefois...Reprenant du bout de l'anse ta tasse abandonnée, tu reprends quelques gorgées de thé – maintenant refroidi, à ton grand désarroi. Qu'importe, il te permet surtout de reprendre contenance, afin d'organiser les points que tu souhaites lui soumettre. Et lorsqu'enfin tu la reposes, essuyant délicatement tes lèvres sur la serviette en papier qu'elle a mis à ta disposition sous la coupelle, tes yeux clairs viennent se river aux siens.Toutefois, il y a une chose que je voudrais vous demander avant. Enfin, deux.Tu attends ton assentiment avant de poursuivre. Cette entreprise, vous l'avez dit, sera dangereuse. Je le sais et je l'accepte. Mais si les choses venaient à mal tourner, j'aimerais que vous me promettiez de rétablir la vérité, le jour venu. Pas forcément au grand public, son opinion m'importe assez peu. Mais auprès de mes proches. Dans un an, cinq ans, dix ans. J'aimerais qu'ils sachent pourquoi j'ai agis.Tant de familles ont éclaté au cours de ces années de troubles, gangrenées par des réputations entachées et d'indicibles sentiments de trahison. Si le pire advenait, il te tient à cœur de savoir qu'un jour tes proches sauront la vérité. Adele, Piers, ta grand-mère... Ceux dont tu te soucies, qu'ils sachent quels étaient tes motivations. Tu veux bien te battre, mais pas au prix des souffrances des tiens. Ce qui t'amène au second point, plus délicat encore. La deuxième chose... C'est que si la situation l'exigeait... Vous feriez tout pour m'éviter Azkaban.Et à cette demande en apparence imprécise, ton regard inflexible donne tout son sens. Il t'arrive quelques fois de voyager jusqu'à l'île maudite pour y accompagner des prévenus dans le cadre de tes missions de brigadière. Et chaque fois, malgré la douce protection des patronus, le désespoir et l'angoisse manquent de te terrasser, t'obligeant le plus souvent à bénéficier d'un transplanage d'escorte pour le retour. Jamais, au grand jamais, tu ne supporterais d'y rester. Quelle que puisse être l'alternative.