Ombrages automnaux serpentent à l’orée du bois, rampent sur le tapis de feuilles moribondes, enflamment de dernières vêpres les branchages dénudés. Novembre s’est installé. Après le fracas de la venue en ces lieux d’un étrange esprit frappeur n’ayant fait, miraculeusement, aucun mort cette année, les frimas de Novembre semblent presque bienvenus. Octobre est passé et avec lui, la douleur lancinante de la date anniversaire du trépas de Lily. Le onzième mois de l’année déploie ses ailes et fait trembler le calendrier affiché dans le bureau directorial.
« Vous allez quelques part, Severus ? »
Interrogation tinte joyeusement. Le vieil homme malicieux s’est accoudé au bord de son cadre. L’étincelle de ses yeux pâles flamboie dans les coups de pinceaux qui ont figé devant l’éternel Albus Dumbledore. Le plus grand sorcier de tous les temps. Difficile d’être directeur après lui.
« Je vous dirais bien que ce ne sont pas vos oignons, Albus, mais vous allez continuer de me poser la question jusqu’à ce que je vous réponde. - C’est mal me connaître, Severus, vous savez que je ne suis pas homme à me mêler de votre vie privé. - C’est bien pour ça que vous m’interrogez, n’est-ce pas ? - C’était pour faire la conversation. Qui est l’heureuse élue ? Vous êtes bien pimpant ce soir. - Pimpant ? »
Sourcil levé carapaté dans les broussailles d’une tignasse clairsemée. Fumseck est venu se poser sur mon épaule, trillant son hilarité. On peut compter sur cet adorablement insupportable phénix pour comploter avec une vulgaire effigie de son ancien compagnon de route.
« Oh,allez, Severus ! Si je devais deviner, je dirais que c’est ce jeune monsieur Nott. - Non. - le petit Wilson alors ? - Non. - … Bien. Vous passerez mes amitiés à Moira Oaks. - Comment… ? - élémentaire : nous sommes le 3 novembre, et vous étiez tous deux proches de Lily. Alors, que devient-elle ? Toujours magistrate ? »
Vous faites chier, Albus. Attendri grondement seul répond à l’inquisitrice parolotte du vieux citronné. Mais au fond, c’est bien pour ça que j’ai pris une résidence secondaire. L’adresse a dû parvenir à Moira par livraison expresse de phénix. Fumseck m’a piqué le papier des mains lorsque j’ai fait mine de me rendre à la volière. On peut compter sur cet oiseau pour se courroucer que le vulgus lui soit privilégié pour une mission de cette importance.
« Et d’abord, ce n’est pas un rendez-vous galant ! »
La porte du bureau se referme derrière une tornade de capes. Fumeseck disparaît dans une gerbe de flammes tandis que l’adorable petit chaton reçu par la poste il y a une semaine, désormais, ronronne dans ma poche. Eh bien ? Je n’allais tout de même pas abandonner cette mystérieuse balle de fourrure non ? Évidemment que je l’ai adopté. Si ça avait été un foutu gryffondor abandonné sur le pas de ma porte, je n’aurais pas réfléchi, mais un chaton tout noir au pelage long et avec de grands yeux jaunes attendrissants… Foutu bouille ! Nott lui-même semblait surpris de voir le félin, j’en ai déduis que ce n’était donc pas une de ses calembredaines. Le mystère entourant le fieffé félidé au nom le plus adéquat du monde reste entier.
« Allez, reste bien dans mes bras, Morsmordre, je vais nous emmener à la maison. Fumseck doit déjà y être. »
Serrant le mignon petit gredin dans les paumes, je m’exhale loin des grilles de l’école et me volatilise. Un pas. Me voici sur le Chemin de Traverse. Le soir s’étiole, drapé de flambée carmines ravageant le ciel d’un cruel incendie. L’orbe rouge dégringole à l’horizon. La voûte, bientôt, se fera empire des ténèbres où clamseront les dernières poussières d’étoiles accrochées au firmament. Sol roule sur les terres australes et s’en va disparaître dans les brumes serpentant dans une sombre allée. Quitter l’espace dégagé de l’avenue commerçante la plus courue du monde de la magie anglo-saxonne pour s’aventurer dans un lieu de perdition où les carreaux enfumés répondent à la noirceur d’une brique salie me donne toujours la sensation de disparaître de la surface du globe. Le tumulte d’une foule s’attardant sous les feux crépusculaires s’essouffle pour laisser place à l’inquiétant silence de l’Allée des Embrumes.
Quel meilleur endroit pour un ancien mangemort ? Chat sur l’épaule ronronnant contre blandices disséminées par de distraites phalanges, je remonte les tréfonds de l’allée. Inquiétantes silhouettes remarquent le passage de cet homme au chat. Capes noires tourbillonnent, pas sinistre claque sur le pavé détrempé par une averse à peine passée. Je m’engouffre dans l’étroitesse d’une passe et me volatilise aux yeux de qui n’a pu accéder au secret enclos non loin du domaine des Beurk. A quelques pas seulement de la plus sulfureuse boutique du tout Londres, une ancienne enseigne se balance. Défraîchie, elle indique un pub depuis longtemps fermé : La Pierre Philosophale. J’ai acquis l’endroit pour une bouchée de pain au sortir de la guerre et n’ai eu de cesse, depuis, d’y œuvrer. Impasse du Tisseur vendue, il me fallait un nouvel endroit où entreposer mes biens. Je pousse la porte. Un carillon tinte, la pièce s’enflamme d’une lueur orangée. Ce qui était jadis un pub des moins bien famés est désormais ma réserve personnelle d’ouvrages. Les étagères ont été soigneusement montées contre les murs de pierre brutes et couverts d’ouvrages. L’ancien et le récent se mêlent. Le moldu et le sorcier. Jusqu’au plafond, les tours de feuilles culminent dans la pénombre. Piles et alignements sont entrecoupés de cristaux auréolés de cette clarté si particulière. Un geste de la baguette en augmente l’intensité jusqu’à une lumière blanche.
« Vous pourriez prévenir, Severus ! »
La mine courroucée d’un vieil alchimiste bougonne dans un cadre trônant en majesté au fond de la pièce. Sur le pan de mur, autour du portrait enchanté gardien des lieux, une floppé de photographies se meuvent, muettes. Mes promotions et photos du personnel à Poudlard répondent aux rares clichés où Lily avait réussi à me faire prendre la pose et aux quelques photos vieillies et immobiles qui me restent de ma mère, Eileen Prince.
« Je pourrais, Flamel, je pourrais. Rien de nouveau en mon absence ? - A part le sadisme extrême qui vous fit me placer au milieu d’une pièce remplie de livres que je ne puis lire, vous voulez dire, Severus ? - A part ça, oui. - Rien de nouveau. Comment va Bianca ? - Bien ; elle prend ses marques à Poudlard et ses élèves l’apprécient beaucoup. - Bien… bien… je ne vous prenais pas pour un homme à chats, Severus. »
Yeux caressent les nuées pour couronner une mine excédée. Si je tiens celui qui m’a envoyé ce félon paquet… Toucher à ma crédibilité, ça ne va pas être possible, songé-je en papouillant la boule lovée contre le torse. Non, non, vraiment pas possible.
Quelques billevesée plus tard, me voici gravissant les degrés jusqu’aux appartement du premier étage. La blancheur duveteuse de l’endroit souligne la sobriété de l’ameublement. Libérant le chaton, il se fait tache de fourrure noire impromptue sur le parquet clair. Il bondit sur une commode, renifle une vasque où dorment des lys oranges, papillonne sur un fauteuil tendu de vert pâle, hasarde ses pattes jusqu’à une moulure d’or clair, griffes acérées.
« N’y pense même pas, Morsmordre. »
L’air coupable, le voilà qui caracole jusqu’à un coussin pour s’y rouler en boule, bavure d’encre sur l’immaculé velours. Soupir. Une pendule accrochée sur la nudité effarante d’un mur m’apprend qu’il est grand temps de me préparer à recevoir mon invitée. Quelques passes d’armes plus tard, l’air est chargé des senteurs d’un repas, la bouteille de vin se pavane sur le plan de travail, et Morsmordre se délecte d’un bol de lait sous l’oeil placide de Fumseck qui a décrété que le dossier de la chaise la plus proche était sien. Ses trilles ponctuent le chant d’une casserole et le rythme d’un couteau tonnant sur une planche de bois à chaque découpe.
Qu’il fait bon, parfois, de s’exhaler de l’étouffante prestance de Poudlard. Manches noires retroussées au dessus du coude, il n’y a personne, ici, pour me reprocher d’arborer la fane d’une marque des ténèbres sur l’avant-bras. Personne pour commenter l’adoucissement d’un masque austère sur les traits et personne, surtout, pour apparaître dans une glorieuse nudité au milieu du salon. N’est-ce pas, Nott ?
Un frôlement des barrières de l’endroit m’alerte de l’arrivée imminente de Moira. Geste de la baguette pour préserver le repas d’une dangereuse brûlure, je descends au rez-de-chaussée pour ouvrir la porte sur une Moira le poing tendu dans le but manifeste de me signifier sa présence.
« Bonsoir Moira. Précisément à l’heure prévue, comme toujours. Entre, je t’en prie. »
Le corps s’efface pour laisser ma magistrate préférée pénétrer sous le couvert des briques et des tuiles.
« J’espère que tu n’es pas trop déçue que le bar jadis le moins bien famé de l’allée des embrumes ait été reconverti à d’autres fins ? »
Nicolas Flamel observe avec attention la nouvelle venue en ces lieux chargés d’ouvrages anciens (et interdits à la vente pour une partie d’entre eux). L’acuité de ses prunelles d’ambre semblent transperser chaque être sur lequel il jette son dévolu.
La brise matinale a déposé un oiseau à sa fenêtre ce matin, la patte alourdie d’une enveloppe que Moira s’est empressée d’ouvrir avant même de terminer son café. Il faut dire que la calligraphie employée n’a pas longtemps gardé secrète l’identité de son envoyeur. Les années lui ont fait apprendre avec une précision peu commune chaque arabesque de l’écriture de Severus, de sorte qu’elle puisse la différencier au milieu de centaines d’autres. L’invitation ainsi découverte a laissé un sourire tendre sur son visage tout au long de la journée, faisant soupçonner quelque obscure bonne nouvelle à ses collaborateurs les plus proches qui n’ont toutefois pas osé lui en demander la nature. Il y a bien longtemps qu’on n’ose plus interroger la Présidente-Sorcière sur sa vie privée. Celle-ci s’est retrouvée si outrageusement dévoilée il y a plusieurs années que plus personne dans son département ne se risque à braver les frontières farouchement gardées par la magistrate aujourd’hui. Alors ils n’ont fait que sourire, profiter de sa bonne humeur, et prier pour qu’aucune déception ne vienne assombrir la pétillance de ses prunelles.
Le soir venu, Moira se hâte de clore un dernier dossier pour quitter le Ministère, une fois n’est pas coutume, avant le coucher du soleil. Il lui faut encore rejoindre le Chemin de Traverse et y acheter une bouteille de whisky. Pas de pur feu pour ce soir, mais un Glendronach de douze ans d’âge, un de ses breuvages préférés qu’elle partage habituellement avec son père quand elle rend visite à ses parents à Hertford. De telles bouteilles ne sortent que pour les meilleures soirées, quand Eileen, plus rapidement fatiguée, est montée se coucher, laissant son mari et Moira seuls sur la terrasse, dehors. Duncan sort alors son délicieux breuvage pour partager avec sa fille des moments d'une infinie complicité, propre aux confidences qui ne s'échangent que trop rarement. Pour Moira, ce whisky a le goût des bons souvenirs. Elle ne le partage qu'avec de très rares privilégiés.
L’imposante Gringotts dévoile soudain sa célèbre stature dans la grisaille de novembre, et les yeux de la juge se portent sur sa droite pour trouver le début d’une ruelle qui n’a que trop rarement reçu ses visites, bien qu’elle reçoive fréquemment celle de ses ennemis. Quelle folie a pris Severus de venir se perdre dans un endroit pareil ? Depuis la fin de la guerre, les activités criminelles se cachent avec plus de précautions, jusque dans l’Allée des Embrumes. La clandestinité est redevenue un art savamment employé pour cacher ce qui le peut encore des yeux des Aurors. Même la sulfureuse boutique de Barjow et Beurk semble connaître moins d’affluence qu’à l’accoutumée, du moins aux heures de grand jour. Pourtant, il demeure dans les sinuosités de cette rue une atmosphère singulière, comme une froideur humide qui s’infiltre sous les vêtements pour lécher la chair et la couvrir de frissons. Le pas soutenu de la Présidente-Sorcière fait se retourner quelques visages maussades à moitié cachés par les cols relevés de leurs manteaux. Un vieux renifle bruyamment, accoudé sur un tonneau miteux. Deux sorcières aux cheveux crêpus cessent leur discussion à son approche, dévoilant leurs dents jaunies quand Moira croise leurs regards cernés de noir. Mais la magistrate ne ralentit pas l’allure. Elle sait que toutes les âmes errant ici la connaissent et que sa présence n’est pas du goût de tout le monde. Dans sa poche, sa main joue distraitement avec le bois de sa baguette, la gardant toujours à portée. Elle ne dit pas un mot de son trajet, jusqu’à ce que ses yeux trouvent le numéro de l’adresse donnée par Severus.
Presque soulagée, Moira s’approche de la bâtisse, laissant traîner son regard sur l’enseigne défraîchie où elle met quelques secondes à lire le nom de l’ancienne affaire connue pour ses clients peu recommandables et pour avoir été le théâtre de quelques règlements de comptes entre sorciers n’ayant jamais été connus pour leur subtilité. Alors qu’elle se rapproche de la porte d’entrée, Moira ne peut s’empêcher d’imaginer ce que Severus a pu faire de l’intérieur d’un ancien pub. Son ami ne l’a certainement pas acheté pour son passé imbibé d’éthanol. Après tout, on n’a jamais connu le potionniste trop festif… Un sourire délicat étire les lèvres de la juge quand elle s’apprête à frapper, mais le battant se dérobe avant même que ses phalanges n’aient rencontré le bois, dévoilant un directeur à l’allure bien moins étudiée qu’à l’accoutumée, visiblement afféré quelque part à la préparation d’un repas dont les effluves descendent déjà jusqu’à l’entrée. Manches retroussées sur les coudes, quelques mèches grisonnantes collées par les vapeurs de cuisson sur son front, il semble agréablement libéré de l’écrasante stature directoriale que son titre lui impose, débarrassé du masque qu’il s’applique à revêtir chaque matin et qui lui a toujours donné un air trop sévère pour lui convenir aux yeux de Moira. Le trouver ainsi illumine alors ses traits quand elle s’approche pour l’embrasser sur une joue. - Bonsoir, Severus. Je suis si heureuse de te voir. Il s’écarte et elle pénètre alors pour la première fois dans le refuge de son ami. Ses yeux parcourent avec une avidité assumée chaque recoin de la pièce, s’attardent sur les bibelots, les photographies, et les tranches des nombreux livres qui habillent la bibliothèque. Lentement, elle s’approche des ouvrages, décrypte les titres sur le cuir patiné des vieux grimoires. Ses yeux se plissent quand ils reconnaissent certaines œuvres interdites en librairies sur ordre du Ministère et la magistrate lance un regard complice au directeur de Poudlard avant de continuer son chemin, caressant distraitement du bout des doigts les couvertures qui se trouvent à sa portée. Le timbre joyeux de Severus rompt le silence, accentuant le sourire de la juge. - Oh si, bien sûr… Cet endroit était une source d’informations inépuisable, très utile pour mes Aurors infiltrés. Il nous faudra certainement beaucoup de temps avant de retomber sur pareille aubaine. Ils échangent un regard complice alors qu’elle s’approche des photos encadrées un peu plus loin. Ses paupières se plissent légèrement pour lui permettre de mieux voir et reconnaître un cliché en tout point similaire à celui qu’elle a accroché quelque part dans son bureau, dans sa maison à Camden Town. Ecole de Poudlard. Promotion 1971. Dégradé de couleurs, rouge, vert, bleu et jaune. Frimousses enfantines. Regards innocents. Perdue quelque part dans un groupe habillé de rouge et d'or, une blondinette sourit toutes dents dehors près d’une Lily Evans qui vient de fêter son onzième anniversaire. Un peu plus loin, affublé d’une cravate verdoyante, un petit garçon aux cheveux noirs regarde timidement l’objectif, presque immobile entre deux camarades turbulents. La nostalgie d’années gonflées d’insouciance trouble un instant le regard de Moira alors qu'elle passe en revue le reste des photos pour trouver un Severus adolescent, le sourire un peu crispé, se pliant à un exercice pour lequel il n’est pas très à l’aise pour le seul plaisir de la photographe que la juge devine aisément comme étant Lily. Qui d’autre aurait pu forcer l’introverti Severus Rogue à prendre ainsi la pose dans les jardins de Poudlard ? - Je n’avais jamais vu ces photos, glisse-t-elle avant de se retourner. Tu as retrouvé ce sourire depuis peu. Cela fait du bien… Un sourire tendre. Une confidence donnée comme une offrande. Les années passées dans les rangs de Voldemort avaient rendu les traits de Severus durs, impassibles, si dénués d’expression que le masque en était devenu presque effrayant, même pour elle. La fin de la guerre n’a pas effacé toutes les marques, bien qu’elles se réduisent, s’adoucissent ou se fanent comme celle qui blanchit encore son avant-bras. Mais elle lui a enfin permis de retrouver ce sourire dans quelques moments privilégiés, et cette vision émeut Moira bien plus qu’elle ne l’avouera jamais.
Le poids du paquet qu’elle tient toujours à la main se rappelle enfin à son souvenir et lui fait faire à la hâte les quelques pas qui la séparent de Severus pour lui tendre l’emballage dans lequel s’agite le liquide ambré trouvé dans une des meilleures boutiques de Traverse. - Je t’ai apporté ça, lance-t-elle guillerette en lui glissant le paquet dans les mains.
Elle le laisse déballer son présent, reprenant son observation alanguie des lieux, quand soudain, son regard se pose sur un tableau qu’elle n’avait pas encore remarqué. Elle se tourne lentement vers lui, les sourcils légèrement froncés, puis demande, presque timide, mais les yeux pétillants : - Serait-ce… Nicolas Flamel ?
(1406 mots)
Cecil A. Selwyn
MONSIEUR LE DIRECTEUR
hiboux : 3012
pictures :
TEATIME is always epic with englishmen | ALWAYS in love with his dear Lily | BOOKS lover | MAGISTER es potionis
Les œillades avides de l’exploratrice en quête d’indice papillonnent sur les murs, longent le bois, lorgnent les tranches d’ouvrages. J’esquisse un sourire, bras croisés sur la poitrine, lui laissant le loisir de détailler avec minutie l’endroit. En un éclair, Moira s’est mise à habiter l’endroit avec une redoutable présence. Tout s’est passé à la seconde où j’ai ouvert l’huis, capturant une Moira médusée sur le pas de la porte. Ton jovial, bise égrenée sur la joue. De quoi faire rougir le plus stoïque des directeurs de Poudlard. L’incongruité d’un effleurement de lèvres sur la joue m’a vaguement fait frémir de gêne. Moira Oaks, présidence sorcière du Magenmagot, ancienne gryffonodor et redoutable hérault de la justice doit être le seul être suffisamment chanceux pour me claquer une bise et ne perdre ni trachée ni doigts.
… Avec Nott, peut-être, mais lui ça tient plus à une sorte d’insolence incompréhensible de caractère. Pourquoi ne l’ai-je pas encore tué, Nott, d’ailleurs ? Peur de la paperasse, sans doute.
C’est sur cette amusante pensée que je l’ai laissée entrer et me taquiner en retour.
« Oh si, bien sûr… Cet endroit était une source d’informations inépuisable, très utile pour mes Aurors infiltrés. Il nous faudra certainement beaucoup de temps avant de retomber sur pareille aubaine. - Désolé de te décevoir alors, mais gérer un café, pour un directeur d’école, professeur de défense contre les forces du mal, maître en potions, titulaire d’un ordre de merlin de première classe en plus d’un prétendant au titre de Lord Prince, ça ferait terriblement mauvais genre, tu ne trouves pas ? »
Brin d’humour. Clin d’oeil à peine esquissé, si fugace qu’il se pourrait méprendre avec un battement de cils réflexe. Peu sont au courant de ce qui se trame dans les sphères de Gringotts et des services gérant les héritages au département de la Justice, mais la magistrate ne le peut ignorer. La guerre a laissé certains sièges du Magenmagot vacants parmi les représentants des grandes familles… il est peut-être bien temps que je clame le titre laissé vacant par la mort de mon grand-père… Même si cela fera terriblement plaisir à Narcissa, à mon grand dam. Avoir un droit de vote au Magenmagot serait toutefois un atout précieux pour me garantir une certaine tranquillité dans la gestion des affaires de Poudlard.
La voix de la magistrate m’arrache à mes délibérations intérieures. La voici qui effleure les photographies accrochées au mur sous l’oeil concerné de Nicolas Flamel s’offusquant qu’on ne lui ait pas encore présenté la nouvelle venue. Le voir me fusiller du regard me fait esquisser un sourire amusé que Moira pourrait mal interpréter, sans doute.
« Je n’avais jamais vu ces photos.Tu as retrouvé ce sourire depuis peu. Cela fait du bien… - Je ne l’avais pas perdu, pourtant… Mais le sens de l’humour du Seigneur des Ténèbres a toujours laissé à désirer. »
S’approcher avec douceur des photos désignées par Moira. Tendresse passe un instant dans mes iris d’encre. L’onyx pétille, pensif. Les phalanges parcourent les clichés.
« Lily m’avait poursuivi avec l’appareil photo qu’elle avait reçu pour son quinzième anniversaire jusqu’à ce que j’accepte d’être photographié. J’ai quelques photos où l’on me voit de dos en train de fuir en haut... »
Moment de vie capturé, flou, fugace et vivace pour la mémoire et la lentille. Une part d’âme captée sur le papier, immortalisée. Les joues s’empourprent lorsqu’une bouteille savamment emballée est placée dans mes paumes.
« C’est adorable, Moira. Tu n’étais pas obligée. »
Severus Rogue vient-il de prononcer le mot « adorable » ? Si l’on me demande en public, je nierai en bloc et étriperai quiconque me posera la question.
La liqueur est envisagée d’un œil expert. Choix excellent, raffiné.
« Merci »
Le mot tremblote un peu sous le coup de la reconnaissance. Pour le geste plus que pour l’objet du présent. Quand ai-je reçu un cadeau pour la dernière fois ? Albus. Avant sa mort. Pincement au coeur. Minerva. A mon retour à Poudlard. Nouveau frisson du myocarde.
« Serait-ce… Nicolas Flamel ? »
Avant que je n’ai le temps d’ouvrir la bouche, l’intéressé s’empare du silence timide laissé par la question de Moira.
« Ah ! Enfin dans les questions essentielles ! Severus, je n’ose pas croire que vous avez délibérément omis de me présenter à votre jeune amie. J’ai attendu, attendu, attendu ! Rien ! Ça veut être lord et ça ne connaît rien au usages sociaux ! Vous les anglais, ce que vous pouvez être rustauds ! En France, mon cher, on vous aurait provoqué en du… - En duel, je sais Flamel. Moira… Voici Nicolas Flamel, son portrait était planqué en arrière boutique. Il paraît qu’il faisait fuir les clients, ce pourquoi les anciens propriétaires du pub l’ont décroché du mur. - Fuir les… Fuir les clients ? Severus, chaque mot que vous prononcez est un outrage. - Et vous adorez ça, Flamel, ça vous donne matière à vous offusquer et me tancer. »
Je hausse les épaules.
« J’ai le portrait d’Albus Dumbledore en plus des autres directeurs de Poudlard dans mon bureau à l’école… dans un élan de masochisme, j’ai installé celui-là ici. Les vieux fous me manquaient trop, je crois. - Un affront, Severus ! Pour la peine, vous avez intérêt à me faire la lecture à haute voix de l’intégralité du prochain livre que vous dénichez ! C’est une honte que je ne puisse goûter un verre de la liqueur que vous avez dans les mains, d’ailleurs. »
Voilà comment on monnaie son calme avec un érudit. En vérité, je ne remplacerait pour rien au monde ce cadre-là. Lorsque nous ne nous écharpons pas, nous parlons. Bien que pâle copie de son modèle, ce portrait a, selon Bianca, tout le cynisme, la verve de son modèle. Et une partie de son érudition, aussi. Il faut dire que le modèle en question avait déjà cinq cent vingt-deux ans lorsqu’un fragment de sa personne fut immortalisé sur le canevas. Ça vous marque une peinture.
« Puis-je t’emmener à l’étage, Moira ? Nous pourrons revenir ici après le dîner si tu veux, mais je suis un peu craintif à l'idée d’avoir laissé ma cuisine sans surveillance avec un chaton aventureux à proximité. »
Inquiétude légitime, s’il en est. Voici que les degrés sont gravis et la belle invitée à prendre place dans l’espace ouvert devant ses mirettes. Murs blancs, moulures d’or pâle, discrètement essaimées le long des plinthes, et sur le plan de travail, la patte levée vers une marmite, par l’odeur alléchée, une petite boule de poils s’approche dangereusement.
« Morsmordre, non ! »
Le mignard au long poil est éloigné de la dangereuse soupière et pelotonné contre le torse. Coup d’oeil vers Fumseck.
« Tu ne pouvais pas le surveiller, évidemment…. »
Oeil levé au ciel.
« Oui, oui, je sais, tu es un phénix, ça n'est pas dans tes attributions de gérer des enfants… mais après tout ce temps à côtoyer des directeurs d’école, on pourrait penser que tu aurais un peu de goût pour la chose. »
Les phalanges flattent l’encolure empennée de vermeil.
« Fais comme chez toi, Moira, par ailleurs. Pas d’allergie aux chats ni aux phénix, j’espère ? »
Le ton badin de Severus sonne comme une douce mélodie à ses oreilles, de celles qui semblent nous venir d’un temps lointain et qu’on a craint un moment de ne jamais réentendre. Un instant, le regard de Moira vient croiser le sien, admirer l’étincelle de malice qui avait trop longtemps déserté ses iris. Son sourire le rajeunit d’au moins dix ans. Elle ne réalise que maintenant combien il lui avait manqué. - Je ne vous pensais pas si sensible aux titres, monsieur Rogue. A moins que vous ne tentiez soudainement de m’impressionner ? Comme s’il en avait besoin… Le rictus de Moira répond à son clin d’œil. Leurs prétentions n’ont jamais été du même ordre sans que la juge n’en nourrisse pourtant aucun complexe. Moira s’est construit sa place autrement, loin des considérations des familles de sang pur et des excellences académiques. Ses distinctions saluaient ses convictions plus que ses exploits en sorcellerie. Elle n’avait ni ancêtre illustre ni victoire décisive remportée sur le champ de bataille à son actif. Mais Severus cochait bon nombre de ces cases, de quoi s’assurer l’estime invincible de son amie et ce depuis de longues années.
Son observation alanguie des lieux s’arrête sur les démonstrations d’une intimité qu’elle n’a que rarement eu l’occasion d’approcher. Si les bibliothèques sont une source d’informations intarissables sur la nature de leur détenteur, les quelques photographies laissées en évidence sur le mur attirent plus fermement encore l’attention de la juge catapultée une trentaine d’années en arrière. Les nuances qu’apporte Severus font légèrement trembler son sourire. Elle souffle comme une excuse : - J’aurais aimé te donner plus de raisons de sourire ainsi ces années-là... Ses yeux se troublent un instant, de sorte qu’elle détourne le regard pour camoufler son malaise. Depuis les révélations de Severus obtenues dans sa cellule, il lui est impossible de sous-estimer les souffrances qui ont été les siennes pendant plus de quinze ans. Quinze ans passés aux ordres d’un monstre, dans la peur d’être découvert, écrasé par le poids d’un deuil impossible à faire. Quinze ans à s’adonner aux pires horreurs dans le seul but de servir la cause de Dumbledore, sans que personne d’autre que ce vieux mage ne sache où commençait le mensonge et où s’arrêtait le leurre. Quinze ans de solitude extrême, et de relâchements si rares… Comment pouvait-il sourire ces années-là ? Et comment s’est-elle retrouvée comme tous les autres si aisément flouée par la virtuosité de son masque ?
Severus s’approche et Moira balaye ses idées trop sombres pour une soirée comme celle-ci. Elle suit le mouvement de ses doigts sur les clichés, sourit quand il lui raconte ses péripéties avec une Lily Evans s’improvisant photographe officielle de Poudlard. - Je me souviens de son appareil et des trésors qu’il a capturés. Je dois avoir quelques photos comme celles-ci rangées quelque part chez moi. Quelques pépites doivent certainement s’y cacher. Il faudrait que je les cherche un de ces jours… Nouveau sourire, malice au coin des lèvres. La bouteille de rhum atterrit dans les mains de son destinataire alors que Moira laisse à son ami tout le loisir de détailler l’étiquette. Elle observe un instant le trouble qui parcourt ses traits, comme une timidité retrouvée aussi rapidement que lorsqu’il était adolescent. Severus n’a pas tant changé avec le temps, bien qu’il contesterait cela, sans doute. Elle ne répond rien d’autres à ses remerciements qu’un doux clin d’œil, aussi fugace que le sien quelques minutes plus tôt, avant que les mouvements subtils d’une peinture sur le mur n’attirent son attention.
Entrée en scène grandiloquente que celle de l’inénarrable Nicolas Flamel ! Vexations jetées à la face du propriétaire des lieux comme s’il s’agissait là des pires outrages, le vieil alchimiste s’offusque dans son cadre de bois, un accent français délicieusement conservé sur ses fins de phrases. Moira doit se retenir de rire pour ne surtout pas alimenter sa colère, mais l’exercice n’est nullement facilité par la verve directoriale de son hôte. La magistrate laisse aux deux hommes leur combat de coq qui ne semble décidément pas être le premier. Le département de la Justice est bien assez occupé ces temps-ci pour lui éviter des heures supplémentaires sous forme de réquisitoire avec un tableau du XIXe siècle. Elle ne se permet d’intervenir qu’une fois le gros de l’averse passé : - On s’attache vite à ces peintures pour peu qu’elle représentent des personnalités remarquables, n’est-ce pas, monsieur Flamel ? « Monsieur » prononcé à la française. Accent anglais à couper au couteau. Il fait partie des quelques mots qu’elle connaît de la langue d’outre-Manche, stratégie délicate pour adoucir l’ire de l’illustre scientifique.
Alors que Severus l’invite à monter à l’étage, elle ajoute avec un sourire toujours aussi resplendissant : - Bien sûr, je te suis. C’était un honneur de vous rencontrer, monsieur Flamel. J’espère que nous aurons bientôt un peu de temps pour bavasser tous les deux. Je suis sûre que vous avez quelques petites choses à m’apprendre sur le rustre qui a récupéré ces lieux. Espièglerie dans l’œil, la magistrate s’échappe pour suivre son hôte dans l’escalier. - Un chaton ? Est-ce que j’ai rêvé ou tu m’as bien parlé d’un chaton ? Mais le potionniste n’a même pas le temps de lui répondre qu’il bondit dans la cuisine pour attraper au vol une petite boule de poils aventurée dangereusement près d’une marmite. La surprise de Moira fait s’écarquiller ses yeux alors qu’elle s’approche, curieuse, de la petite créature que Severus a appelée… : - Morsmordre ?! Elle cligne plusieurs fois des paupières en revenant croiser le regard de Severus, son air hésitant entre amusement et exaspération. Elle répète : - Tu l’as appelé Morsmordre ? Un début de rire s’échappe de ses poumons alors que ses doigts viennent flatter le crâne de la petite bête lovée contre son maître. - Tu es vraiment sérieux ? Est-ce là un nouveau type de thérapie ? Affubler du nom de tes pires souvenirs des créatures aussi mignonnes pour les rendre moins effrayants ? Le chaton se met à ronronner, le vile. - … Cela doit fonctionner plutôt bien, finit-elle par glisser avec un clin d’œil.
Elle se tourne alors vers le phénix qui se fait houspiller à juste titre par son directeur. Le sourire de Moira gagne en sérieux alors qu’elle s’approche lentement de l’oiseau. Elle se souvient avec une netteté troublante de la première fois où elle a pu l’admirer de près dans le bureau de Severus. Créature majestueuse, volatile mythique au plumage flamboyant. Elle s’était trouvée si impressionnée qu’elle n’avait pas osé l’approcher les premières fois, de peur qu’il la repousse. Ses visites régulières à Poudlard ont fini par lui faire vaincre sa timidité et d’enfin oser tendre une main vers ses plumes pour caresser sa tête, un contact qui, encore aujourd’hui, parvient toujours à l’émouvoir. - Bonsoir, Fumseck. Tu es là, toi aussi, murmure-t-elle en lui flattant l’encolure. Tu es toujours aussi beau. Compliment glissé comme une confidence. Elle revient à Severus, s’amusant encore de voir l’auguste directeur de Poudlard avec son chaton dans les bras. - Aucune allergie, Merlin m’en garde ! Je serais trop triste d’être privée de telles créatures… Mais depuis quand as-tu ce chat ? Mystère inextricable ! Jamais elle n’aurait imaginé le grand Severus Rogue fondre devant un petit félin, même aussi craquant que celui-ci. Elle jette alors un regard aux marmites et renifle le fumet qui s’en échappe. - Qu’est-ce que tu nous as préparé, dis-moi ? Ca sent rudement bon… Peu d’hommes sur cette terre peuvent se vanter d’avoir impressionné Moira Oaks avec leurs talents de cuisinier. Mais un maître en potions n’est-il par parmi les mieux placés pour faire les plus délicieux mélanges ?
Les présentations achevées, Moira laisse son regard s’attarder un peu partout dans la pièce, admirer les moulures dorées qui habillent les murs, quand son regard s’arrête soudain sur les lys orange disséminés dans plusieurs coins de l’étage. Ses traits s’attristent légèrement alors qu’elle rejoint un vase, passant ses doigts sur le bout d’un pétale. Elle n’a pas pu ignorer la date très particulière de cette invitation. Toute la symbolique de ces fleurs lui saute à la gorge comme un souvenir qui refuse de se troubler. Moira souffle, sans se retourner : - Tu es allé la voir ?
(1380 mots)
Cecil A. Selwyn
MONSIEUR LE DIRECTEUR
hiboux : 3012
pictures :
TEATIME is always epic with englishmen | ALWAYS in love with his dear Lily | BOOKS lover | MAGISTER es potionis
Jeu. Plaisanterie glaviotée entre deux sourires. La bonne humeur serait presque contagieuse. Les grands yeux de Moira étincellent d’une joviale liesse que je ne lui ai plus vue depuis… depuis quand exactement ? Je ne résiste pas. Paume passée sous la main de Moira. Le dos pâle d’une palme fine est approché des lèvres le temps d’un obséquieux baise-main.
« Qui ne voudrait pas impressionner une Lady aussi époustouflante que la Présidente-sorcière du Magenmagot ? »
Le sourire éclate, déborde du visage tandis que tambourine le coeur dans la poitrine. Les doigts se démêlent de leurs jumeaux. Quel coup de folie ! Jamais je ne me suis connu ces envolées de Dom-Juan aux raz des pâquerettes. Même adolescent, même avec Lily, je ne crois pas avoir un jour été assez relaxé, assez en confiance pour m’aventurer sur ce type de plaisanteries.
« Plus sérieusement, j’aimerais surtout éviter que mon parent le plus proche, un certain Augustus Rowle, ne mette la main sur les possessions de la famille de ma mère. Tu comprendras mon inquiétude. Ma mère a été déshéritée lorsqu’elle s’est enfuie de la maison pour épouser mon… ce moldu ; je ne suis plus prioritaire pour l’héritages des Prince. »
A présent que son assassinat a été rendu public et que ma contribution à son trépas est connue, je me distancie de son spectre. Involontaires sursauts tandis que les paumes jouent quelques instants dans le vide. Vocalises étouffées dans un murmure. Déliquescence de la quiète atmosphère dans un aveu formulé pour la première fois. Le Prince de sang-mêlé flotte, lointain adolescent.
« Je crois que j’aimerais prendre le nom de jeune fille de ma mère. »
Moira l’a-t-elle entendu tandis qu’elle regarde les photographies accrochées au mur et que j’enclos entre des mains devenues légèrement moites le verre frais d’une bouteille d’alcool fort. Je l’observe intéragir avec Nicolas Flamel à son tour. Il n’y a pas à dire : la belle sait y faire. « Monsieur » Flamel en rosit de plaisir dans son tableau.
« Oh ! Oh ! Severus, vos amis sont mieux élevés que vous ! Oh ! Oh ! Revenez quand vous voulez Madame, si vous éloignez suffisamment le petit Severus… - Hey ! - … je pourrais vous raconter deux-trois de ses petites marottes ! - Flamel, vous êtes pire qu’Albus Dumbledore dans ses grands jours ! - Je suis plus vieux ; ça joue. Le jeune Albus était toutefois un bon élève en matière de gaudriole, vous devriez en prendre de la graine, ou vous allez finir ridé avant votre undécante-unième anniversaire ! »
C’est donc avec une mine vaguement boudeuse et un haussement d’épaules sec que je laisse Moira faire ses adieux au guignole qui me sert d’ornement mural tandis que la voix de la jeune femme resplendit à nouveau dans le silence.
« Un chaton ? Est-ce que j’ai rêvé ou tu m’as bien parlé d’un chaton ? - Un petit malin a cru bon de m’envoyer un paquet anonyme il y a peu de temps : dedans, il y avait ce chaton… Si on m’avait envoyé… je ne sais pas, mettons un Gryffondor ou un Archibald Rosier, je l’aurais tué, mais là, un chaton innocent… évidemment que j’étais obligé de garder ce petit monstre ! »
Mauvaise foi évidente : si on m’avait envoyé une Moira Oaks empaquetée au petit déjeuner, ou une acariâtre et splendide Minerva McGonagall, evidemment que je ne les aurais pas tuées ! … Bon, Albus Dumbledore, par contre, ou Harry Potter, ça se discute. Un bon Reducto quand personne ne regarde…
La mine guillerette lorsque je vois le chaton en dangereuse situation, la patoune prête à se brûler sur la marmite. Sans réfléchir, je vole jusqu’au petit explorateur pour le prendre dans mes bras et m’assurer que le dîner n’a pas cramé. Ni repas ni coussinets n’ont été dévorés par le feu, à mon grand soulas.
Les immenses yeux jaunes de la petite boule de poils mirent la présidente sorcière. La boule de poils longs renifle la main qui s’approche avec incrédulité.
« - Morsmordre ?! Tu l’as appelé Morsmordre ? Tu es vraiment sérieux ? Est-ce là un nouveau type de thérapie ? Affubler du nom de tes pires souvenirs des créatures aussi mignonnes pour les rendre moins effrayants ? … Cela doit fonctionner plutôt bien, - Pas du tout… c’était de la provocation : tu n’imagines pas comme il est jouissif de voir l’air de choc qui passe sur le visage des gens la première fois qu’ils entendent son nom... »
Veules flatteries disséminées à pleine phalanges sur le dos du petit animal qui s’est mis à ronronner d’aise sur l’épaule perché. Mauvaise foi admise de bon gré ; semi-sourire flotte à l’encoignure d’un labre étiré.
« Bon, et admettons que ça soit peut-être un peu cathartique. Lui faire des câlins me détend et Dieu sait que j'en ai besoin à Poudlard... et il est indubitablement plus facile à vivre que le Seigneur des Ténèbres. »
Le phénix lâche une trille appréciatrice tandis que Moira égare ses paumes sur les plumes rouges et or de l’oiseau. Le chaton s’est pelotonné sur l’épaule, équilibre précaire rajusté par le long appendice touffu, plumeau passé dans le cou et fouettant la joue. Je laisse s’échapper un soupire blasé. Je sais que je devrais lui refuser ce perchoir en prévision du jour où il sera trop grand pour me confondre avec une branche d’arbres, mais je me sens aussi ramolli qu’un pouffsouffle sentimental en sa compagnie. Foutu chaton d’amour ! Si je choppe celui qui m’a fait pareil cadeau, je le descends PUIS je le remercie… Mais le meurtre en premier.
Les phalanges de la main gauche flattent la mignarde bouille ronronnante tandis que la main droite s’affaire en cuisine.
« Aucune allergie, Merlin m’en garde ! Je serais trop triste d’être privée de telles créatures… Mais depuis quand as-tu ce chat ? - ça va faire deux semaines, maintenant : je l’ai reçu un peu avant Halloween… la fête a été particulièrement animée cette année, d’ailleurs… - Qu’est-ce que tu nous as préparé, dis-moi ? Ca sent rudement bon… - Un canard à l’orange. Je sais... je sais... on est un peu tard pour la saison de chasse. J’ai toujours voulu tester, mais faute de temps et de convive… Enfin, j’ai réussi à soutirer à Thelma, après d’âpres négociations, sa recette. J’ai du accepter qu’elle obtienne l’exclusivité du menu des repas de Noël pour les sept prochaines années en échange de sa recette… Cette elfe est une démone ! »
Le ton adouci de la voix où danse un soupçon de tendresse dément les récriminations. Et puis le silence s’installe. Pensif. Troublé par la seule voix de Moira, devenue fragile à présent.
« Tu es allé la voir ? »
Les hasards du calendrier ne lui ont pas échappé, pas plus qu’à ce fichu Albus Perceval Wilfrid Dumbledore ! Je pourrais sans doute tenter un peu convaincant Ce n’est pas pour ça que je t’ai invitée, voyons mais chacun sait qu’il serait vain de se bercer d’illusions.
« Dans la nuit du 31 octobre au premier novembre, comme tous les ans. »
Sourire las étire les lèvres. Tous les ans, ou presque. Vestige de ces onze mois passés en détention, j’ai faillit une année.
« Et toi ? »
La question flotte, la réponse tombera sans doute bien vite. Le repas s’annonce prêt. Geste, invitation à s’installer. La bouteille de vin s’échoit sur la table, débouchée et chambrée. Le chat est déposé au sol. Les mains s’affairent à déposer viandes, oranges, légumes et pomme de terre en gratin dans deux assiettes.
Frôlement des lèvres sur le dos de sa main. Les sourcils de la magistrate s’élèvent alors qu’elle se trouve cueillie par un geste qu’elle n’a que rarement observé, encore moins sur elle. Le sourire amusé qui illumine ses traits s’étire plus franchement encore quand elle entend le compliment doucereux qui accompagne ces attentions désuètes. Elle rit, faussement sévère : - Mais regardez ce fieffé flatteur ! Quelle réputation te resterait-il si cela se venait à se savoir ? Tu ne sais pas les risques que tu viens de prendre ! Air mutin et regard espiègle. On croirait retrouver les deux adolescents qu’ils étaient à Poudlard, à s’échanger au détour d’un couloir des plaisanteries qui font encore les souvenirs doux de leur jeunesse.
Mais les discussions de grand ne sont jamais bien loin et alors que la politique revient se frayer un chemin entre eux, Moira ne peut empêcher l’expression de surprise qui vient s’emparer de son visage. Severus souhaite donc revendiquer l’héritage des Prince ? L’idée ne paraît plus si saugrenue maintenant qu’il lui en fait part, mais les réflexions de la magistrate se précipitent dans sa tête. Les oppositions à une telle faveur seront nombreuses, qu’importent les distinctions gagnées par Severus après la guerre. Il lui faudra faire face à de nombreux détracteurs, d’autant que sa demande intervient en pleine crise politique depuis que les lois anti-sang purs de Potter ont attisé l’ire des familles les plus traditionnalistes de Grande Bretagne… Pendant quelques secondes, Moira retrouve avec une facilité affligeante les tics qu’imposent une vie passée dans les hautes sphères dirigeantes : elle décortique les faits, prévoit les coups de l’ennemi, pense déjà aux contre-attaques qu’il leur faudra préparer. Jusqu’alors chaleureux, son regard se fait d’un coup plus froid, presque professionnel, un réflexe qu’elle mate de justesse en secouant légèrement la tête quand elle se souvient des raisons de sa venue ici. Ils auront tout le temps d’évoquer les nouveaux combats qu’il leur faudra mener. Mais pour l’heure, elle ne désire que retrouver un ami dont l’emploi du temps semble de plus en plus difficile à faire coller au sien. Une main que l’épaule de Severus, elle glisse simplement : - Nous parlerons de tout cela, alors. Tu sembles avoir pensé à beaucoup de choses, ces temps-ci…
Un sourire tendre avant de se tourner vers Nicolas Flamel qui ne semble pas avoir perdu une once de ce charme typiquement français. La magistrate glisse un délicieux clin d’œil en direction de la peinture avant d’emboîter le pas du potionniste dans l’escalier. Severus maugrée comme un vieillard aigri après avoir revêtu les airs enfantins de ses jeunes années. Le contraste fait rire Moira qui lance d’un ton taquin : - Penses-tu encore tromper qui que ce soit avec ta fausse aversion envers cette maison ? Tout le monde sait que tu admires secrètement les Gryffondors, à tel point que tu ne sais pas te passer de leur flamboyante présence, et ce jusque dans ton antre !
Nouveau clin d’œil, pour lui cette fois, alors qu’elle arrive sur le palier juste assez tôt pour assister au sauvetage d’un chaton légèrement trop aventureux pour son propre bien. Les fanfaronnades du directeur dissimulent maladroitement la symbolique toute étudiée derrière le patronyme de son nouveau compagnon, et la magistrate laisse faire, bien trop attendrie pour se perdre dans des débats assommants sur le bien fondé d’une telle provocation. D’autant que le cynisme en jeu lui plaît bien plus que ce que la morale approuverait.
Les divagations sur le menu du soir laissent aller ses pensées à des réflexions moins épineuses, enrobées des effluves d’agrumes qui s’échappent des marmites. Les déboires de Severus avec la vieille Thelma la font sourire. Elle imagine d’ici les trésors de négociation qu’il a fallu convoquer pour lui tirer l’une de ses recettes. La diplomatie du directeur de Poudlard n’a pas dû faillir une seconde… - Tu es parvenu à voler une recette de Thelma ? Je suis impressionnée ! J’espère que tu y as fait honneur, autrement, elle serait bien capable de te séquestrer dans les cuisines jusqu’à ce que tu ne lui fasses plus l’outrage de rater son canard à l’orange ! Humant délicatement le fumet qui s’échappe par-dessus son épaule, elle ajoute toutefois en un chuchotement : - Mais je crois que tu es sur la bonne voie.
Compliment soufflé à demi-mots. Ses yeux rieurs se détournent lentement pour admirer les couleurs chaudes des fleurs qu’elle n’a pas pu s’empêcher de remarquer en arrivant à l’étage. La question se fraye timidement un chemin entre ses lèvres, plus tremblante que Moira ne l’aurait voulu. Il y a dans cette période de l’année une communion toujours intacte qui les rassemble depuis plus de vingt ans et que les révélations confiées derrière les barreaux d’une cellule n’ont pas permis de briser. Tous les ans, les mêmes regards s’échangent, longs et douloureux, au souvenir d’une amie commune injustement perdue. C’est cette même peine qui les a rapprochés il y a vingt ans, toujours tenace, toujours intacte. La plaie difficilement refermée lance moins souvent désormais. Mais elle ne disparaîtra jamais tout à fait.
Moira regrette presque d’avoir osé poser sa question quand l’hésitation de Severus le fait répondre légèrement à contretemps. Il lui parle pourtant avec une simplicité désarmante, de celle qu’on ne trouve qu’avec ceux qu’on ne saurait craindre. Le ton qu’il emploie cueille la magistrate dont le trouble emplit soudainement les yeux. Elle revient à lui pour croiser la gentillesse de son regard alors qu’il lui retourne sa question, sans la moindre animosité, mais elle ne parvient pas à lui rendre un sourire, même empli de tristesse comme le sien. Ses doigts s’emmêlent nerveusement alors qu’elle baisse le regard, prisonnière d’une honte qu’elle sait avoir plusieurs fois tenté de vaincre sans jamais complètement y parvenir. Les mots peinent à quitter sa gorge, vibrants d’une émotion qu’elle gère encore mal malgré tous les efforts qu’elle fait pour en épargner Severus : - Pas depuis des années. Je n’y arrive pas. Aveu difficile. La grimace qui déforme ses traits peine à s’atténuer. Elle murmure d’une voix basse, trop fragile pour nier son trouble : - Je crois que je préfère me perdre dans des souvenirs, me laisser croire quelques instants qu’elle est encore là quelque part. Voir son nom sur cette pierre… C’est tellement froid, tellement contraire à ce qu’elle était. Elle déglutit, puis inspire profondément quand elle fait enfin l’effort de se redresser. Doucement, elle se détourne du vase pour rejoindre Severus, s’accordant quelques secondes encore avant de croiser de nouveau son regard. Son sourire est tremblant, mais sa voix plus posée. - Mais j’y pense, chaque année, et pas seulement à cette date-là. Je crois que c’est tout ce que je demanderais à mes proches si c’était moi qui devais partir avant eux… J’aime à croire que c’est ce qu’elle voudrait aussi.
Le sourire se fait plus franc alors que la mise en place de la table s’immisce comme une distraction bienvenue. L’émotion de dissipe au gré des actions simples, tâches agréablement dénuées d’enjeu qui permettent à l’air de subtilement s’alléger autour d’eux. Assiettes et couverts disposés sans trop de cérémonie, le bruit du bouchon de vin arraché d’une main experte a cette capacité toujours extraordinaire à dissiper les pensées trop sombres pour ne laisser les convives qu’au bonheur de se retrouver. Alors qu’elle s’assied face à Severus, prenant soin de passer une caresse discrète sur le dos du félin en s’installant, Moira tourne délicatement la bouteille vers elle pour lire l’étiquette. Elle gronde, admirative : - Sauternes moelleux… Excellent choix, monsieur le directeur. Sourire amusé. Le regard ne se fait plus fuyant. Le trouble vient de passer.
Le bruit des fourchettes laisse entendre sa mélodie guillerette alors que Moira pique un premier morceau de canard qu’elle porte à ses lèvres. La sauce tapisse son palais de notes sucrées délicieuses. Elle cherche le regard de Severus, sa moue admirative soulignant la pétillance qui s’est emparée de ses yeux : - C’est délicieux… Vraiment très bon. Et Thelma sait que je ne mentirais pas en matière de gastronomie ! La magistrate sait avoir laissé à cette vieille elfe de maison un souvenir impérissable tant la nourriture a rapidement compté parmi ses péchés les plus réguliers. Une fois Moira adulte, il leur est arrivé plusieurs fois de converser à propos de la meilleure façon de faire rôtir un poulet ou du temps de cuisson idéal d’un scone, un rituel qui n’a jamais cessé chaque fois qu’elles se croisent depuis que la juge remet fréquemment les pieds à Poudlard. Souriant à cette pensée, Moira prend une gorgée de vin dont le mariage est tout aussi bien pensé. - Il semblerait que les maîtres en potions soient décidément pleins de surprises !
Leurs échanges se font un moment plus légers, prises de nouvelles indispensables aux retrouvailles dont ils sont pourtant coutumiers. Les affres d’une vie de directeur d’école et de Présidente-Sorcière s’étalent entre deux rires moqueurs, le tout délicatement arrosé du vin blanc dont Moira finit rapidement un premier verre. La préciosité du moment se lit dans leurs regards, eux qui n’ont que trop connu les ravages de leur époque et que deux guerres ont marqués plus profondément qu’ils ne l’admettraient sûrement.
Avalant une nouvelle bouchée, Moira se souvient soudain de cette idée glissée par Severus au rez-de-chaussée, un désir qu’elle ne lui avait pas soupçonné et qui la turlupine depuis qu’il l’a évoqué. Essuyant ses lèvres du bout de sa serviette, elle revient alors sur le sujet, sans toutefois trop se départir de la légèreté de son timbre : - Alors tu comptes revendiquer le titre de Lord Prince ? Laissant à son ami un instant pour réorganiser ses idées, elle fait reposer sa colonne sur le dossier de sa chaise, puis reprend d’un ton sensiblement plus sérieux : - Tu sais que les oppositions se feront nombreuses, en particulier par les temps qui courent. Et ce, quel que soit le camp qu’on regarde. Les familles de sang pur verront certainement d’un mauvais œil le fait de perdre encore une voix à la cour. S’il est vrai que tu n’es pas des plus progressistes parmi les sorciers – elle lance un regard faussement accusateur – ton rôle pendant la guerre n’a pas été pour les servir, et beaucoup s’en souviennent. De l’autre côté, Augustus Rowle a la bonne idée d’être un vampire. Je sais qu’il est peu probable qu’un homme comme toi en fasse les frais, mais il est bien vu aujourd’hui d’octroyer de nouveaux privilèges aux créatures magiques et non-magiques. Cela rentre à merveille dans le projet de Potter et appuie d’autant plus son autorité en lui octroyant de nouveaux alliés. Tu sais qu’on n’est jamais plus fidèle qu’à celui qui nous avantage. Un silence. Moira récupère sa fourchette pour piquer une pomme de terre. - Je ne te cache pas que si je pouvais éviter à cet escroc d’accéder à un tel titre, cela me satisferait au plus haut point. Je n’ai pas encore réussi à mettre le doigt sur ce qui me dérange chez ce pâlot opportuniste, mais je n’aime ni ses regards ni ses manières. Il nous observe comme un sale môme avec une loupe au-dessus d’une fourmilière, prêt à nous cramer les antennes. Je ne l’aime pas. Je ne sais pas exactement pourquoi, mais j’ai toujours cru en mes instincts et je t’assure qu’il n’est pas tout à fait net. Elle glisse son soutien en filigrane, derrière cette détestation que lui inspire l’énergumène. Moira n’a finalement que peu de fois eu affaire à Rowle, mais d’aussi loin qu’elle se souvienne, chaque rencontre a fait naître chez elle une méfiance aiguë, de celles qu’on ne sait expliquer mais qui hurlent l’approche d’un danger dont on ne connait pas bien la nature. Il y a quelque chose chez cet homme qui lui déplaît fortement, et elle se sait assez sincère dans ses positions pour que cela ne repose pas sur sa seule nature de vampire.
Quelques secondes passent, le temps pour elle de calmer quelque peu ses esprits. Puis sa voix s’adoucit quand elle ajoute : - Severus Prince… C’est plus doux à l’oreille. Moins convainquant quand il s’agit d’apparaître comme l’implacable professeur que nombre de tes élèves ont décrit, mais certainement plus proche de la réalité pour ceux qui te connaissent bien. Un sourire doux et délicat achève sa phrase alors qu’elle mène une nouvelle bouchée à ses lèvres.
(2067 mots)
Cecil A. Selwyn
MONSIEUR LE DIRECTEUR
hiboux : 3012
pictures :
TEATIME is always epic with englishmen | ALWAYS in love with his dear Lily | BOOKS lover | MAGISTER es potionis
Ombres carmines dansent. Voluptueuses clartés nées des cristaux où se mire le couchant d’un ciel d’orage. De la belle magie. C’était ce que Lily disait, jadis. Chaque centimètre carré de la Pierre Philosophale est une ode à sa mémoire. Chaque seconde de ma vie a été son oraison. Un éclat noir, vif et joyeux embrasent mes iris tandis que Moira fait mine de se courroucer avant de s’abandonner à l’hilarité.
« Mais regardez ce fieffé flatteur ! Quelle réputation te resterait-il si cela se venait à se savoir ? Tu ne sais pas les risques que tu viens de prendre ! - Oh allez, Moira ! Si tu le racontais, personne ne te croirait ! Le terrible Severus Rogue, faire un baisemain ? On te demanderait quel psychotrope tu as ingéré récemment ! »
La plaisanterie arrache un pincement au myocarde par fort malmené dans ma poitrine. Ma conversation trop récente avec Potter roule en arrière-plan, et, dans les tréfonds de l’ancien pub, un chaudron bouillonne d’essais pour lui. Pas question de jouer les préparateurs de potions interdites à Poudlard. Certains collègues et élèves sont bien trop sagaces et curieux pour mon propre bien. Quelle douce ironie, quelle amère ironie que d’avoir Moira à dîner alors qu’un breuvage prohibé ronronne dans des flacons posés sur les étagères d’une pièce sous nos pieds. Pourquoi avoir acheté pareille boutique ? La réponse est lovée sous le plancher : la cache de contrebande, devenue un repaire de potionniste hors-la-loi. Je ne doute pas que Potter, tout instigateur qu’il soit, serait le premier à me priver de son support si une telle machination devait être découverte. Ainsi agissent les requins des eaux politiciennes.
« Penses-tu encore tromper qui que ce soit avec ta fausse aversion envers cette maison ? Tout le monde sait que tu admires secrètement les Gryffondors, à tel point que tu ne sais pas te passer de leur flamboyante présence, et ce jusque dans ton antre ! »
Voici que les degrés sont gravis, des plaisanteries échangées sur les Gryffonor. Un bourru directeur étouffant un « humpf » valant tous les aveux qui soient. Son absence de mot à la petite pique de Moira, ou peut-être son obstination à lisser les rivalités entre maisons au sein de l’école en disent sans doute bien plus long que sa mine faussement ombrageuse. Et le chaton ronronne sur le perchoir qu’il a fait sien. Il faut croire qu’escalader les hauteurs humaines est plus amusant que de roupiller sur un plaid ou embêter Fumseck toujours prêt à mettre un coup de bec d’avertissement sur la patoune aventureuse du petit.
Gaudrioles sur menu et escarmouches culinaires s’enchaînent dans une bonhomie que je ne connais que trop rarement. Peu nombreux sont ceux pouvant se vanter de me dépenailler de l’armure austère de l’espion, du directeur, de l’enseignant. Moira, cependant, est de ce nombre restreint d’individus. Que reste-t-il à lui cacher, de toute façon, sinon les derniers reliquats de duplicité. Un lien avec Potter. Quelque chose d’insoupçonnable. D’insoupçonné peut-être. Une main tendue par-delà nos différences pour une vision commune.
Qui aurait cru qu’un exécutant cynique et blasé pourrait être encore contaminé par les idéaux de la jeunesse. Je n’aurais jamais pu me douter qu’il restait, en moi, encore cette étincelle là. Cet instinct vibrant me dictant d’agir pour une cause plus grande. Cette embrassade éperdue d’un but et non d’un souvenir, je ne l’ai pas ressentie depuis les discours galvanisants du Seigneur des Ténèbres. Qui aurait pu croire que Potter en serait si proche par bien des aspects ?
Guerres changent les âmes. Comme la sienne s’est noircie.
« Pas depuis des années. Je n’y arrive pas. Je crois que je préfère me perdre dans des souvenirs, me laisser croire quelques instants qu’elle est encore là quelque part. Voir son nom sur cette pierre… C’est tellement froid, tellement contraire à ce qu’elle était. Mais j’y pense, chaque année, et pas seulement à cette date-là. Je crois que c’est tout ce que je demanderais à mes proches si c’était moi qui devais partir avant eux… J’aime à croire que c’est ce qu’elle voudrait aussi. »
Les lèvres de Moira se pincent. Retour brutal au présent. Je lève les yeux pour la voir embrumée de gêne et d’émotions. Sans réfléchir, je pose la paume sur son épaule. Geste spontané que j’aurais peut-être refréné, si ça avait été n’importe qui d’autre.
« Je ne te juge pas, Moira. Chacun gère un deuil comme il le peut. » Pas comme il le veut. Sourire doux plissé à l’encoignure d’un labre rougi par la vie battant sous la carne. Inédite sensation.
« Tout ce qui importe est de ne pas l’oublier, quelque soit la forme que prend ce souvenir. »
Peu importe. Et ses yeux, sa crinière de feu, l’écho de sa voix frappent ma mémoire. Je me détourne quelques temps. Instant fugace de préparation du repas. Trouble mussé sous l’air affairé de celui qui s’efforce d’aller de l’avant, pris, épris. Captif de la tombe où gît la belle sans espoir de l’en voir réchapper. Un inferus a toujours été d’un sex-appeal et d’une conversation discutables.
Le cynisme de mon flot de pensées et la dernière main au dressage des assiettes ont tôt fait d’écarter la peine pour faire revenir l’allégresse. Sensation papillonnante dans l’estomac. Ivresse des odeurs, des saveurs, de la présence d’une amie. Le mot sonne presque bizarrement dans mon crâne désaccoutumé de l’employer. Les muscles se délitent dans un suave repos tandis que tintent les couverts, ronronne le chat, pique des morceaux d’orange le phénix, et pépie la voix apaisée de mon invitée.
« Il semblerait que les maîtres en potions soient décidément pleins de surprises ! - Que veux-tu ? Cuisine, Potions, les deux arts ont quelque similitude… Et pas question d’empoisonner le canard, Thelma ne me le pardonnerait pas ! »
Il y en aurait, pourtant, des collègues et élèves à empoisonner. Et me voici à narrer par le menu la dernière nouvelle de l’établissement, à savoir l’enneigement d’un couloir par une élève un peu trop zélée ! Entre deux éclats de rire, les verres à vin sont vidés une première fois de chaque côté de la table. J’attrape la bouteille, souriant, et nous resserre tous deux d’un geste assuré du poignet. C’est cet instant que choisit Moira pour s’engouffrer dans le sujet qui fâche. Prince. Je repose la bouteille avec douceur sur la table, geste si maîtrisé que le verre s’entrechoque à peine avec le bois de la tablée.
« Alors tu comptes revendiquer le titre de Lord Prince ? Tu sais que les oppositions se feront nombreuses, en particulier par les temps qui courent. Et ce, quel que soit le camp qu’on regarde. Les familles de sang pur verront certainement d’un mauvais œil le fait de perdre encore une voix à la cour. S’il est vrai que tu n’es pas des plus progressistes parmi les sorciers, ton rôle pendant la guerre n’a pas été pour les servir, et beaucoup s’en souviennent. De l’autre côté, Augustus Rowle a la bonne idée d’être un vampire. Je sais qu’il est peu probable qu’un homme comme toi en fasse les frais, mais il est bien vu aujourd’hui d’octroyer de nouveaux privilèges aux créatures magiques et non-magiques. Cela rentre à merveille dans le projet de Potter et appuie d’autant plus son autorité en lui octroyant de nouveaux alliés. Tu sais qu’on n’est jamais plus fidèle qu’à celui qui nous avantage. Je ne te cache pas que si je pouvais éviter à cet escroc d’accéder à un tel titre, cela me satisferait au plus haut point. Je n’ai pas encore réussi à mettre le doigt sur ce qui me dérange chez ce pâlot opportuniste, mais je n’aime ni ses regards ni ses manières. Il nous observe comme un sale môme avec une loupe au-dessus d’une fourmilière, prêt à nous cramer les antennes. Je ne l’aime pas. Je ne sais pas exactement pourquoi, mais j’ai toujours cru en mes instincts et je t’assure qu’il n’est pas tout à fait net. »
Un temps. Les informations pleuvent, m’étourdissent quelques instants. La tête me tourne un peu, incertitude quant à ce que je puis faire de toutes ces informations. Les fils se mêlent, se démêlent. Les mots de Moira ont tinté dans la vasque de mon esprit. Piécettes jetées les unes après les autres jusqu’à ce qu’il ne reste qu’un vertige, une cacophonie. J’ai fait mes recherches, à dire vrai. Remontées dans l’arbre généalogique, fouilles précises, trop précises, jusqu’à la déraison, même. Se perdre dans des noms, des lignages. Toutes ces choses que j’ai du apprendre seul faute d’aide maternelle ou ancillaire.
Si j’avais grandi dans le milieu que j’ai prétendu soutenir toutes ces années, sans doute aurais-je su. J’aurais connu chaque règle, chaque finesse protocolaire, chaque raffinement juridique… Mais une bonne part de ces lois sont mortes, désormais. Et moi, un sang-mêlé qui ne pouvait auparavant clamer mien l’héritage des Prince en vertu des anciennes lois sur la pureté du sang, je le puis désormais. S’ouvre alors à moi, à nous, sang mêlés, tout un pan de la noblesse sorcière. Potter en a-t-il seulement conscience ?
« Severus Prince… C’est plus doux à l’oreille. Moins convainquant quand il s’agit d’apparaître comme l’implacable professeur que nombre de tes élèves ont décrit, mais certainement plus proche de la réalité pour ceux qui te connaissent bien. »
Le silence se fait après la prise de parole de Moira. L’air flotte, doux. Severus Prince. Un hâle rouge empenne mes pommettes. Gorgée de vin pour reprendre contenance. L’ambre liquoreuse flambe dans le verre quelques instants.
« Tu le connais bien, Rowle ? A part son poste de directeur du bureau de régulation des créatures magiques – quelle ironie ! – et sa nature de vampire, je ne sais rien de lui. J’ai pourtant cherché à me renseigner. Il est apparenté à une branche secondaire des Prince et à la branche principale des Rowle. Vampire, il n’a jamais pu revendiquer le titre des Rowle, et je suppose qu’il a voulu profiter de… l’inclination de Potter pour les ‘êtres magiques’…. »
Le nom de « Potter » a tonné d’un mépris savamment étudié. Tout un art que celui-là comme l’avait souligné le principal intéressé non sans raison. Des années de pratique. Mais le nom honni s’étiole derrière l’ardente passion, la contagieuse vision d’avenir du jeune homme. Harry Potter a quelque chose d’intoxiquant à côtoyer. Si purement idéal. Si diablement cynique. Le Seigneur des Ténèbres n’est pas si loin. Et c’est lui, pourtant. C’est bien Potter. Jedusor est mort et enterré. Ma marque me le dit. Mon périple dans le crâne du jeune homme me le dit. Une énigme.
J’ai toujours adoré les puzzles.
« Penses-tu que j’ai mes chances d’obtenir ce titre ? Ma mère a été déshéritée, la famille Prince devrait passer à l’une des branches secondaires. Peuvent, en fait, y prétendre Rowle et Lucius Malefoy… Mais ce dernier est plus ou moins apparenté à toutes les grandes familles de Grande Bretagne, alors… Et puis je suppose qu’en tant que fugitif, il a d’autres choses à faire. »
Morceau de canard porté aux lèvres, mastiqué et avalé, pensif. Je m’ébroue légèrement.
« Comment vont les recherches, d’ailleurs ? J’ai vu Narcissa et Drago récemment. »
Silence. La mort d’Astoria est encore trop vivace, et avec elle le scandale qui a secoué le Monde de la Magie : Narcissa et Drago empêchés d’aller à l’enterrement de la jeune femme car soupçonnés d’attentats. La mort de la jeune femme a été relayée dans la presse comme une tragédie fruit d’un attentat manqué.
« Aucun des deux n’a vraiment l’air d’avoir des nouvelles de Malefoy. »
La voix est neutre. J’ai autant de griefs que de sympathie à l’égard de cet homme. C’est lui, plus que tout autre, qui m’a fait basculer et poussé à prendre la marque. Le rejet de Lily et la séduction des discours extrêmes ont trop bien agis. Et me voilà l’avant-bras marqué au fer. Marque défraîchie, vidée, désormais, de toute magie. Un tatouage inerte, passé. Une marque infamante.
Le parfum entêtant des lys se mêle aux senteurs sucrées du repas sur le point d’être servi. L’amertume du deuil fusionne à la douceur des retrouvailles. Toute l’ambivalence de cette soirée se sent à chaque inspiration. On l’appréhende. On la respire. La relation qui lie Moira et Severus n’a jamais été simple, jonchée de secrets, d’oppositions, de non-dits et de déceptions. Mais elle conserve aussi cette chaleur qu’on ne trouve qu’auprès des amis les plus chers, cette compassion à chaque nouvelle épreuve qui frappe l’un ou l’autre et cette confiance, enfin, après que leur loyauté se soit maintes fois prouvée dans leurs actes.
Il y a peu de choses que Severus ignore de la Présidente-Sorcière, à commencer par les nuances de son caractère qu’il connaît dans leurs moindres détails pour avoir connu Moira adolescente et dans la pétillance ses vingt ans. Aussi sait-il reconnaître le trouble quand il la prend, même fugace, quand le souvenir de Lily vient assombrir ses prunelles. La paume du potionniste se pose ainsi délicatement sur son épaule quand elle évoque leur amie commune, faisant se relever les yeux de la magistrate qui parvient à lui donner un sourire bien qu’empli de tristesse. La main de Moira passe sur la sienne avant qu’il ne l’enlève, des gestes qu’elle a fini par ne plus retenir depuis que l’un et l’autre se sont plusieurs fois prouvé leur affection. Le fait qu’ils troublent encore ce célèbre héro de guerre n’est qu’une raison supplémentaire d’abuser de ces petites attentions : on ne saurait bouder des plaisirs aussi simples que de voir le grand Severus Rogue piquer un fard !
Le canard à l’orange arrosé de vin blanc termine d’adoucir leur peine qui se voit vite mise en retrait derrière des sujets moins douloureux. Les rires et les moqueries s’échangent quand tous deux décrivent non sans quelques exagérations les tortures quotidiennes que leur infligent collègues, élèves et mangemorts fugitifs. Poudlard semble avoir gardé l’espièglerie que Moira lui a connu enfant, et bien qu’elle ne puisse le dire désormais à celui qui s’est vu confier la lourde tâche d’en être le directeur, cela la rassure au point de dessiner un délicat sourire sur ses lèvres.
Mais la légèreté qu’ils entretiennent ne lui fait pas oublier le sujet que Severus a tout juste évoqué au rez-de-chaussée. Elle récupère alors son verre que son ami a tout juste rempli et vient chercher les détails qu’elle ne s’est pas permis de demander en arrivant.
La bouteille de vin est reposée avec une douceur confondante, si parfaitement contrôlée que Moira ne peut s’empêcher de la remarquer. Le directeur a soudainement retrouvé la pleine maîtrise de ses sens et chaque geste redevient étudié, brillamment exécuté, presque dénué d’humanité… Indéchiffrable. Les décennies passées à cacher ses intentions au monde entier ont donné à Severus cette capacité effrayante que Moira remarque toujours sans savoir si elle l’admire plus qu’elle ne la regrette. Car seuls ceux qui se sont retrouvés menacés de toute part peuvent avoir acquis un talent si tristement salutaire.
La magistrate met une petite seconde à reprendre contenance. Elle prend garde à conserver la légèreté de son timbre pour ne pas alarmer son vis-à-vis et lui livre ses pensées avec un naturel auquel peu de gens ont eu droit tant elle a l’habitude de peser chaque parcelle de ses discours quand elle n’est pas absolument en confiance. Les trahisons passées ont rendu la juge méfiante, trop inquiète à l’idée de donner des armes à de faux alliés pour se risquer à des confidences qui ne seraient pas murement réfléchies. Mais Severus jouit depuis longtemps déjà de ce privilège et elle ne compte pas l’en départir de sitôt.
Ses réflexions se livrent pêle-mêle, transpirant des émotions que chaque phrase lui inspire. Son aversion envers @Augustus Rowle dégouline dans chaque terme qui lui est destiné. Elle laisse échapper une grimace quand il s’agit de le décrire et Severus écoute sans jamais la couper, quelque peu abasourdi maintenant qu’elle lève les yeux pour le regarder. Alors, comme pour le rattraper, elle glisse une délicatesse sur la fin de son discours, une petite attention pour adoucir la rudesse de ses paroles. Le trouble revient imprégner les prunelles du potionniste qui reprend une gorgée de vin pour faire diversion. La magistrate sourit avant de l’imiter et d’écouter à son tour les impressions de Severus au sujet du fieffé vampire. Elle réfléchit quelques instants avant de lui reprendre la parole, le regard perdu dans le vide alors qu’elle plonge dans ses pensées. - Je ne peux pas dire que je le connais bien… C’est une ombre que je croise fréquemment au Ministère mais dont j’ai tendance à éviter la compagnie. Il y a bien assez de hyènes à mon étage pour que je n’aille chercher celles des autres départements. L’aveu est presque brutal, livré sans fioriture. Il y a bien longtemps que Moira ne se soucie plus des convenances avec Severus et qu’elle lui confie ses impressions aussi abruptement qu’elles lui arrivent, qu’importent leurs penchants immoraux ou inconvenants. Elle se réinstalle doucement sur le dossier de sa chaise et récupère son verre de vin avant de reprendre : - Je sais qu’il fricotait avec Nathan… Cela devrait suffire à nous faire nous en méfier. Acidité manifeste. La rancœur roule encore sur sa langue malgré l’écoulement des années. Le nom si tendre de l’ex-mari presque craché refait saigner des plaies que Moira ne parvient pas à refermer. La blessure est encore si grande, la douleur si tenace qu’elle ne sait pas s’il lui sera un jour possible de l’oublier.
La question de Severus lui offre une prise à laquelle elle se raccroche sans attendre, retrouvant presque immédiatement le cours de ses pensées : - Je crois que tout est possible dans les périodes d`après-guerre. Il y a tant de choses à reconstruire, tant de choses à imaginer pour pallier les manquements des systèmes qui ont précédemment failli… Si tu as l’intention de revendiquer le titre de Lord Prince, il n’y a certainement pas de meilleur moment pour tenter de le récupérer. Elle prend une gorgée de vin pour s’offrir quelques secondes de réflexion. Sa voix se fait légèrement plus grave, imprégnée du sérieux de leur conversation. - Je pense que tu as tes chances si la soudaine popularité des créatures magiques ne parvient pas à effacer tes hauts faits pendant la guerre. Beaucoup dépendra de la position du Ministre si celui-ci se prononce. Après tout, peu de ses prédécesseurs ont profité d’une influence telle que la sienne… Jeune prodige ayant vaincu par deux fois le plus grand mage noir de son époque, héro adulé par la jeunesse et admiré par ses aînés… @Harry J. Potter jouit d’une aura si étincelante qu’il paraît impossible qu’une majorité de voix s’opposent à lui, même sur un sujet ayant autant trait aux traditions que celui-là. - Aussi, il serait peut-être sage que tu enterres la hache de guerre avec lui, tu ne crois pas ? Elle a murmuré sa dernière phrase avec cette taquinerie qu’on réserve aux enfants quand ceux-ci s’entêtent à bougonner plutôt que d’aller jouer avec les autres. Car Moira ne peut s’empêcher de remarquer cette aigreur qui teinte les phrases de Severus chaque fois qu’il évoque le fils de Lily. Si leur héro national est certainement loin d’être tout à fait innocent dans cette rivalité qui semble les avoir opposés dès leurs premières rencontres, la juge a toujours du mal à comprendre ce qui peut justifier un tel ressentiment de la part de son ami. Et d’un point de vue purement stratégique, cette position le dessert sans doute plus qu’il ne se l’avoue surement.
Mais un nom trouble soudain la magistrate au point qu’il lui est difficile de le cacher. Malefoy… Immédiatement, elle se remémore le contenu de ses lettres comme s’il les lui sifflait à l’oreille. S’il parvient à lui faire parvenir ses missives jusqu’à son bureau du Ministère et qu’il se paye en plus le luxe de lui envoyer des papiers provenant des lieux les plus sécurisés du monde de la magie, nul doute qu’il parvient à contacter son épouse ne serait-ce que pour l’assurer qu’il ne s’est pas vidé de son sang dans un ravin, saoulé à mort dans un bar roumain, ou fait capturer par une mégère tombée amoureuse de son inénarrable tignasse… Ses confidences ne permettent aucun doute sur sa capacité à obtenir les dernières nouvelles de la politique anglaise. Narcissa Malefoy serait une source évidente pour cela. Les lèvres de Moira se pincent légèrement car elle ne peut s’appuyer sur aucune certitude. Mais ses instincts lui disent que @Lucius A. Malefoy n’est pas aussi loin qu’ils pourraient l’espérer, à son grand dam.
Ses réflexions filent à vive allure alors qu’elle sait les risques qu’elle prendrait à livrer à Severus tout ce qu’elle sait. Personne autour d’elle n’a eu vent de cette correspondance qu’elle entretient avec le criminel le plus recherché du pays, un statu quo qu’elle a tenu à conserver tant pour sa propre sécurité que pour celle de ceux qui partageraient son secret. L’exercice est dangereux, aussi risqué que ses promesses sont grisantes. Mais en ébruiter un seul mot serait un danger qu’elle refuse encore de prendre, trop attachée au peu de contrôle qu’elle détient sur cette situation pour en abandonner même une partie si infime à un homme aussi fiable que Severus.
Un léger soupir ébranle sa respiration avant qu’elle ne souffle d’une voix basse. - Je n’en suis pas si sûre. Ses yeux azurs viennent trouver l’ébène des iris de son ami alors que son cœur frappe d’un rythme soutenu contre ses côtes. - Une source anonyme m’a contactée il y a quelque temps pour me livrer des informations sur Malefoy et ses dernières pérégrinations. Nous ne sommes pas parvenus encore à identifier cette personne, mais elle paraît fiable. Nous savons grâce à elle que notre ennemi public numéro un a bougé un peu partout en Europe depuis le début de sa fuite. Nous avons retrouvé sa trace en France, en Irlande et jusqu’à Durmstrang. Il me semble qu’il souhaitait y envoyer son fils il y a quelques années, n’est-ce pas ? Une légère diversion pour éviter les questions bien plus intéressantes que Severus se pose surement, et qui lui permettront peut-être de mieux faire passer son mensonge. Elle termine son verre de vin qu’elle repose doucement sur la table, avec moins de maîtrise toutefois que son vis-à-vis quelques minutes plus tôt. - S’il a réussi à entrer partout où notre source nous l’a indiqué, je n’ai aucun doute sur le fait qu’il parvienne à garder contact avec sa femme et son fils, ce qui est toujours inquiétant. Mais une part de moi est heureuse qu’il ne soit pas entièrement privé de sa famille : Lucius n’est pas un enfant de chœur mais je n’ai jamais cru en la véritable noirceur de son cœur. Ses yeux reviennent alors croiser ceux de Severus. Elle ajoute : - Un peu comme avec toi.
(1824 mots)
Cecil A. Selwyn
MONSIEUR LE DIRECTEUR
hiboux : 3012
pictures :
TEATIME is always epic with englishmen | ALWAYS in love with his dear Lily | BOOKS lover | MAGISTER es potionis
La soirée pépie dans la jeunesse de la nuit. Les ombres flambent au dehors tandis que sommeille une apaisante clarté à l’intérieur. Les assiettes ont été mises de côté, vides, les verres claironnent leur pureté cristalline rehaussée d’une liqueur pâle. Il y a quelque chose de quiet dans la présence de Moira, d’apaisant. La brillante magistrate s’est défaite de ses allures guerrières pour n’être en ces murs qu’une amie. Une amie à laquelle tu mens. Vox Populi tonne un peu sous la caboche, juste assez pour me rappeler que je ne suis de marbre. Plus j’en apprends sur @Augustus Rowle, plus mon échine se hérisse d’horreur à l’idée qu’il puisse ceindre mon titre de ses griffes.
« Je ne peux pas dire que je le connais bien… C’est une ombre que je croise fréquemment au Ministère mais dont j’ai tendance à éviter la compagnie. Il y a bien assez de hyènes à mon étage pour que je n’aille chercher celles des autres départements. Je sais qu’il fricotait avec Nathan… Cela devrait suffire à nous faire nous en méfier. »
L’acidité dans la voix de Moira se fait presque bonbon au citron. Dégueulant son amertume, réjouissant, pourtant, d’une certaine manière. Une liesse bien perverse, peut-être. Sourire doux étiole le coin d’un labre.
« Hm… avec Nathan dis-tu… Je suppose donc que cela me fait une motivation supplémentaire pour réclamer ce titre. Tes ennemis sont les miens, tu le sais, Moira. »
Mais nos alliés sont-ils les mêmes ? En cela, il n’y a aucune assurance. Il n’y en a jamais. Pensif, je laisse la voix de Moira me bercer, presque apaisée. C’est à regrets que j’entends l’amertume se faner dans ses vocalises pour que douceur revienne. Je dois être un homme à la psyché brisée pour trouver le cynisme et la noirceur plus séduisants que la douceur et la lumière. Cet appartement est-il un mensonge ? Une ode à mon âme fracassée.
« Je crois que tout est possible dans les périodes d`après-guerre. Il y a tant de choses à reconstruire, tant de choses à imaginer pour pallier les manquements des systèmes qui ont précédemment failli… Si tu as l’intention de revendiquer le titre de Lord Prince, il n’y a certainement pas de meilleur moment pour tenter de le récupérer. Je pense que tu as tes chances si la soudaine popularité des créatures magiques ne parvient pas à effacer tes hauts faits pendant la guerre. Beaucoup dépendra de la position du Ministre si celui-ci se prononce. Après tout, peu de ses prédécesseurs ont profité d’une influence telle que la sienne… Aussi, il serait peut-être sage que tu enterres la hache de guerre avec lui, tu ne crois pas ? »
Pour faire bonne mesure, j’affiche une grimace.
« Oh non, Moira, par pitié ! Pas toi ! Je croirais entendre Minerva ! »
L’air de pure horreur est un peu théâtral, un masque. Les prunelles noires pétillent, indéchiffrables. La mine redevient sérieuse alors que de longs doigts blêmes se font réceptacle du cristal aviné. Les lèvres s’entrouvrent le temps d’une lichette.
« Que penses-tu de Potter ? »
Son nom a tinté comme une insulte. Le ton s’adoucit alors que je précise de quel représentant de la lie de l’humanité nous parlons ici.
« Que penses-tu d’Harry Potter ? »
Les doigts tapotent sur le cristal, arrachant au ballon un tintement diffus. L’air vibre, se dilate et se comprime au passage de la note. Écho fantomatique. L’ambiance a changé. Un peu plus solennel, un peu moins léger. Les mots jaillissent alors que les mirettes se font miroirs. Je regarde Moira sans la voir, laisse mon œil dériver sur le mur derrière elle, sur le souvenir de ma rencontre avec Harry fucking Potter.
« Il me désarçonne. »
Un aveu troublant.
« Je l’ai vu au ministère le mois passé. C’est un imbécile idéaliste. Il l’a toujours été, je suppose. Mais la guerre lui a mis au moins un peu de plomb dans la cervelle… Un miracle si tu veux mon avis. »
Trait de mauvaise foi. Vaine tentative de plaisanterie. La mine s’est faite songeuse.
« Il apprend vite maintenant qu’il évolue dans les sphères politiques… C’est bien le dernier endroit où j’imaginais le gamin impulsif et frondeur qu’il était. Si on m’avait dit que ce petit abruti finirait ministre… Et étonnamment, plus maladroit que réellement mauvais... »
Les images des souvenirs de Potter éclatent dans ma mémoire. Mauvais, il ne l’est pas. Manipulateur, décidé… Quand donc le lion s’est-il paré de tant d’écailles ? Mon vœu de protéger la progéniture de Lily trouve un étrange écho dans la fascination mortifère que le gamin exerce sur moi. En voyant la façon dont il a orchestré son retour et sa prise de pouvoir, je ne puis m’empêcher de me demander si les années n’auraient pu façonner un nouveau Seigneur des Ténèbres… une graine de dictateur, en tous cas. Une impulsion me pousse à l’accompagner, à abonder dans son sens. J’espère vivre assez vieux pour voir le monde de la magie ouvrir les yeux sur la nature de leur sauveur.
C’est sans doute avec un soulagement égal que Moira et moi accueillons le changement de conversation. Aussi ironique que cela puisse paraître, Lucius Malefoy me semble un sujet de discussion bien moins risqué que Potter. Peut-être ai-je peur qu’avec le vin, mon esprit ne perde de son affûtage et que ma langue ne laisse échapper un aveu ? Toute bévue pourrait me conduire à une situation déplaisante, à n’en pas douter.
« Je n’en suis pas si sûre. Une source anonyme m’a contactée il y a quelque temps pour me livrer des informations sur Malefoy et ses dernières pérégrinations. Nous ne sommes pas parvenus encore à identifier cette personne, mais elle paraît fiable. Nous savons grâce à elle que notre ennemi public numéro un a bougé un peu partout en Europe depuis le début de sa fuite. Nous avons retrouvé sa trace en France, en Irlande et jusqu’à Durmstrang. Il me semble qu’il souhaitait y envoyer son fils il y a quelques années, n’est-ce pas ? - En effet, c’est Narcissa qui voulait que Drago soit envoyé à Poudlard ; j’ignore comment elle a eu gain de cause, mais c’est l’une des rares fois où je vis Lucius fléchir pour agréer son épouse. »
Minois pensif tandis qu’une floppée de questions annexes vient. Moira, cependant, ne me laisse le temps de reprendre la parole en s’empressant de faire chanter ses cordes vocales à nouveau. Sourcil levé, mine curieuse. Est-ce moi ou bien vient-elle de détourner mon attention ? Je n’en suis pas certain et reprends une gorgée de vin en l’écoutant. l’alcool adoucit la clameur de sa voix à mon oreille.
« S’il a réussi à entrer partout où notre source nous l’a indiqué, je n’ai aucun doute sur le fait qu’il parvienne à garder contact avec sa femme et son fils, ce qui est toujours inquiétant. Mais une part de moi est heureuse qu’il ne soit pas entièrement privé de sa famille : Lucius n’est pas un enfant de chœur mais je n’ai jamais cru en la véritable noirceur de son cœur. Un peu comme avec toi. »
le verre tonne sur la table lorsque je le repose, de surprise. Réponse précautionneuse.
« Lucius a toujours été un imbécile aveuglé, mais de là à nous comparer… C’est un peu vexant ! Il a beau être retors, je crois que tu sous estime de beaucoup le plaisir qu’il a pu prendre à la torture… mentale notamment. »
Tout comme moi, dois-je bien admettre en mon for intérieur.
« Lucius a perdu beaucoup lorsqu’il a été capturé au Ministère après que monsieur Potter et ses amis aient cru bon d’aller jouer les héros au département des Mystères... »
Là, ça y est. Le ton dédaigneux sur le nom de Potter. Tout mon agacement transpire au souvenir de ce malheureux épisode ayant coûté la vie au cabot… Peut-être qu’il est sorti un peu de bon de cette histoire, finalement.
« Mais avant cela, il a parfaitement suivi les traces de son père en étant le bras droit du Seigneur des Ténèbres. Il a pareillement tué, torturé, manipulé. Je ne serais pas étonné qu’il ait quelques bâtards à droite ou à gauche… Lucius a aussi été un excellent recruteur pour le Seigneur des Ténèbres à Poudlard durant ses études… Grâce à qui crois-tu qu’un sang-mêlé comme moi a pu entrer en contact avec le Seigneur des Ténèbres ? Qui m’a recommandé, à ton avis ? »
Un sourire lointain tandis que les phalanges passent sur la marque des ténèbres mise à nu sur ma peau.
« Ne te méprends pas, je ne dois cette marque qu’à ma propre folie, mais celle-ci a sans doute été alimentée par des feux extérieurs. Lucius fut l’un d’entre eux. Mon moldu de père en fut un autre. »
Et Lily comme Dumbledore furent les derniers. La voix s’est faite incertaine. La liqueur délie certainement la langue, et je préfère de loin confier à Lily des lambeaux de mon passé plutôt que des fragments de mes résolutions.
« Ce qui rendait si fascinant son discours pour nous autres, Serpentards, différait pour chacun d’entre nous, mais il y avait toujours cette idée que nous serions des parias dès notre répartition, des monstres aux yeux des membres des trois autres maisons. En ce qui me concernait, je voulais trouver des moyens de me défendre, comme tu sais. De mon père, mais aussi de Potter et compagnie. Ma dispute avec Lily a exacerbé ma volonté de revanche… Et Dumbledore aussi. »
Pensée.
« Tu te souviens que Potter et Lily ont été préfets en chef pendant notre dernière année, n’est-ce pas ? Sais-tu pourquoi Potter, trouble-fête notoire a été nommé préfet en chef ? C’était une récompense pour m’avoir sauvé la vie. Black a tenté de me faire tuer par Lupin. Un soir de pleine lune, il s’est arrangé pour que je rencontre son loup garou d’ami. Transformé, bien sur. Lupin m’a attaqué. J’y serais passé si Potter, sentant que la ‘petite blague’ de Black allait trop loin a eu un remord et m’a sauvé la vie. Je suppose qu’il a surtout voulu éviter que Lupin ne soit considéré comme un meurtrier, ma survie a été un dommage collatéral. »
Silence.
« Sais-tu comment ils ont été punis pour leur tentative de meurtre ? Black a eu une semaine de retenue et Potter a été nommé préfet en chef. Dumbledore m’a fait prêter un serment pour que je garde le silence… Je ne puis en parler que parce qu’il est désormais décédé. »
La voix s’est adoucie sur la fin. Je ne suis jamais parvenu à savoir si je haïssais ou comprenais Albus Dumbledore. Après tout, j’aurais probablement réagi de la même façon si j’avais devant moi quelqu’un dont je croyais fermement en la malignité.
« Je doute que ce fût la volonté d’Albus de corroborer le discours du Seigneur des Ténèbres, mais il l’a fait, cette nuit là. J’ai eu l’impression que quoi que je fasse, quoi que nous pourrions faire, Serpentards, nous serions toujours mal jugés. C’était le discours de Lucius, celui du Seigneur des Ténèbres. C’est cette nuit-là que j’ai vraiment renoncé à tâcher de reconquérir l’amitié de Lily et ai décidé de prendre la marque à la fin de mes études. »
Qui de l’amitié ou du vin délie le mieux les langues ? Alors que l’alcool tourne délicatement dans son verre et dans sa tête, Moira ne saurait dire. Mais pour ce soir elle n’en a cure car l’homme qui se tient devant elle a depuis longtemps obtenu sa confiance. Fidèle protecteur, guide à ses heures perdues… Elle sait devoir à Severus cette confiance qu’elle a récupérée en ses propres capacités et l’impression de légitimité qui lui permet de servir convenablement la place qu’elle occupe au Ministère. Leur alliance les a sortis de bien des difficultés. Tes ennemis sont les miens, dit-il. Et Moira n’en doute pas un instant.
Le titre de Lord Prince a la bonne idée de lui faire oublier le souvenir amer de son ex-mari et la juge s’empresse de décrire tous les éléments qu’il leur faudra prendre en compte pour espérer avoir gain de cause. La revendication de @Augustus Rowle, bien que détestable, reste malheureusement légitime et plus encore que celle de Severus si l’on s’en tient strictement aux traditions des anciennes familles. Mais Moira n’est pas dupe : seules les influences informelles dicteront le résultat d’un tel débat. Et elles sont nombreuses à pouvoir faire pencher la balance dans un sens ou dans l’autre.
Celle de Potter, bien sûr, ne sera pas à sous-estimer. Ainsi, la juge insiste immédiatement sur ce point, n’en déplaise au potionniste qui geint presque immédiatement, comme un enfant qu’on forcerait à manger des légumes verts. L’évocation de la vieille McGonagall fait naître un large sourire sur les lèvres de la magistrate. Il semblerait que les lionnes qui entourent Severus se ressemblent plus qu’il ne le souhaiterait. - La sagesse des Gryffondors, mon cher Severus. Tu l’as toujours dénigrée et pourtant je suis certaine que tu ne peux nier son existence quelque part dans ta caboche, sans quoi tu ne t’entourerais pas obstinément de petits lions. Albus Dumbledore. Minerva McGonagall. Lily Evans. Harry Potter. Elle-même… Tant de sorciers de cette maison ont influencé la vie de Severus, plus ou moins profondément, plus ou moins longtemps. La rivalité entre les serpents et les lions n’a jamais été chez lui qu’une motivation supplémentaire pour se dépasser, un objectif qui semble encore d’actualité à en croire la fausse aversion envers sa maison qu’il continue de jouer en sa présence. Le rire de Moira se noie dans une nouvelle gorgée de vin alors que son ami reprend un air plus sérieux et la question qu’il gronde fait légèrement se froncer les sourcils de la Présidente-Sorcière. Severus se reprend sur le ton employé avant même qu’elle n’ait à le faire et l’attention la fait légèrement sourire avant qu’elle ne se reconcentre sur les pensées qu’il lui livre avec une étonnante sincérité. Le visage légèrement penché sur le côté, Moira écoute les confidences de celui qu’on dit haïr Potter depuis le jour de leur rencontre. L’acidité de certaines de ses remarques ne parvient cependant pas à cacher l’intérêt réel du potionniste à son égard et même une certaine estime que la juge ne s’attendait pas vraiment à déceler. Un discret sourire étire la commissure des lèvres de la juge alors que vient son tour de dévoiler ses impressions sur leur jeune Ministre de la magie.
Immédiatement, le souvenir de son entretien avec @Harry J. Potter après l’annonce de la création de sa réserve citoyenne à la presse lui revient en mémoire avec une saveur douce-amère. Elle réfléchit quelques instants, se rappelle tout ce qu’il lui a inspiré depuis sa prise de pouvoir. Son regard se pose sur la robe jaune du vin qu’elle fait tourner délicatement dans son verre de longues secondes avant de répondre, pensive : - Il est assez fascinant… Désespérément jeune. Mais fascinant. Ses doigts jouent distraitement avec le bord de son verre. Elle continue d’une voix égale, toujours sans croiser le regard de Severus. - Il a des idées censées, nécessaires pour beaucoup, avec lesquelles je me trouve souvent en accord. Mais c’est un mauvais communiquant. Et il est pressé, bien trop pressé… Il garde cette fougue qu’on avait sans doute toi et moi à vingt ans. Un Gryffondor pur et dur. Il n’y a aucun doute là-dessus. Il veut des changements profonds, rapides. Mais il bouscule jusqu’aux sorciers les plus modérés à trop vouloir réformer d’un coup toutes les bases de notre société et tous n’ont pas la même bienveillance envers lui qu’un Arthur Weasley. Il commence à se faire des ennemis, Severus, et plus uniquement parmi les familles de sang pur qu’il a humiliées dès les premiers mois de sa prise de pouvoir. Elle utilise le terme à escient, reprenant celui que certains sangs purs ont employé plusieurs fois devant elle. Son regard capte alors celui de son ami et elle poursuit d’une voix plus grave : - Je ne vois que deux destins pour lui. Il sera soit l’un des plus grands hommes de son temps, le sorcier qui a terrassé Voldemort et construit un nouveau monde qu’il lèguera à une communauté magique prospère et apaisée, soit le jeune héros dévoré par ses propres ambitions dont nous déplorerons la perte dans un futur malheureusement proche. Elle encaisse la violence de sa propre phrase, le regard toujours rivé sur les iris noirs de Severus. L’esprit engourdi par ses pensées qui se précipitent toutes ensembles, elle avale avec difficulté la brutalité de ses propres certitudes. Mais Moira n’a pas à les cacher ici. Elle ne l’a pour ainsi dire jamais fait avec cet ami d’enfance dont elle détaille à présent chaque trait du visage dans l’espoir de parvenir à le lire comme autrefois. Mais Severus a bien changé depuis leurs années d’adolescents et le masque qu’il s’est forgé protège désormais trop bien ses secrets de sorte, même pour elle.
Parler de @Lucius A. Malefoy lui permet de rapidement dissimuler sa tristesse à se voir ainsi toujours incapable de percer ses défenses. Pourtant, le sujet n’est pas sans danger pour elle et la discrète tension qui gagne le bas de son dos le lui rappelle brutalement, comme le sifflement qui vient chanter à son oreille au moment où elle se décide à mentir. Chaque mot qu’elle omet est une aguille qui rentre dans sa peau, pénètre sa chair en espérant la faire grimacer. Mais la juge tient bon, maintient le masque aussi habilement que ses années à la tête du Magenmagot le lui ont appris. Pourtant, rien ne l’assure que des talents si factices suffiront à paraître convaincante face à Severus, en particulier quand il s’attèle à la contredire. Les lèvres du potionniste se pincent. Son verre est posé plus abruptement sur la table qu’il ne l’a fait la dernière fois. Le sorcier paraît sincèrement vexé, et la mine amère qu’il revêt surprend assez la Présidente-Sorcière qui fronce légèrement les sourcils en écoutant le portrait vitriolé qu’il fait de son ancien frère d’arme. Mais son aigreur ne se déverse pas que sur lui. James Potter. Dumbledore. Lily. Tous se voient éclaboussés par une colère que Moira ne s’était pas préparée à affronter et la surprise cruelle qui en découle tend légèrement les traits de son visage. L’alcool qu’elle sirote depuis plusieurs heures réchauffe insidieusement ses veines alors que son regard s’assombrit, soudain plus dur alors qu’elle s’applique à ne pas interrompre une seule fois le discours de Severus. Pourtant, chaque mot se grave dans sa tête, raclant son crâne avec la froideur d’un crochet pour y laisser des sillons irréguliers, spasmodiques, qui enlaidissent ses plus vieux souvenirs auparavant immaculés. L’amertume qui dégouline des paroles de son ami finit par tapisser son propre palais à mesure qu’il s’épanche et le visage de Moira se ferme seconde après seconde. Et quand il achève enfin son plaidoyer, c’est une fureur sourde, attisée par la chaleur du vin que Moira sent vibrer dans le fond de sa voix. - Ne me fais pas l’affront de me conter ses crimes de guerre. Je le traque depuis cinq ans. J’ai lu tous les rapports tant de fois que je pourrais t’en réciter chaque ligne. Je sais tout ce qu’on lui reproche, comme je sais ce qu’on t’a reproché à toi. Toi que j’ai défendu. Toi que j’ai relevé. Toi que j’ai soutenu jusqu’à ce que ton nom soit lavé. De quel droit t’opposes-tu maintenant à la clémence quand tu lui dois cette réhabilitation que nombre de sorciers me reprochent encore de t’avoir permis d’emporter ? - Je n’ai jamais dit désirer son amnistie, encore moins que sa cavale demeure assez exemplaire pour durer jusqu’à son trépas. J’affirme en revanche lui souhaiter quelques moments de repos au cœur des tourments que je veux m’assurer qu’il connaisse. Tu devrais être un des mieux placés pour comprendre cela.
Ses doigts se sont raidis sur son verre, cessant leurs mouvements délicats sur la surface polie du cristal. Son regard dur toise Severus comme il l’a rarement fait, le feu malveillant de l’alcool continuant de pulser dans ses veines. Une grimace railleuse déforme les traits de sa figure alors qu’elle poursuit, cinglante : - Et écoute-toi… Plus de vingt ans après, voilà que tu parles encore comme un enfant injustement malmené. Pauvres Serpentards, toujours mal considérés. Comment leur reprocher ensuite les pires exactions quand on les a tant raillés ? Je n’en crois pas mes oreilles… La tension qui gagne Severus ne la fait nullement reculer. La posture trop droite, impérieuse de son côté de la table, elle crucifie sa défense, une gifle après l’autre. - Des « parias ». Des « monstres ». T’entends-tu seulement parler ? Combien de fois t’es-tu répété ces imbécillités devant le miroir pour être capable de t’en persuader et de me les jeter à la figure, à moi ? Es-tu seulement sérieux quand tu tentes de me faire avaler cela ? Les préjugés vous concernant ne sont pas plus handicapants que ceux qu’on sert à des gamins jugés trop petits, trop roux, trop faibles, ou qui ont le malheur d’être nés moldus ! Mais je n’en ai pas vu un seul utiliser ce prétexte pour justifier une ignominie telle que celle dans laquelle vous vous êtes dévoyés en suivant Voldemort. Les préjugés touchent le monde entier ! Je te pensais trop intelligent pour sincèrement croire en ta singularité en la matière. Elle le regarde un instant et un rire acide siffle entre ses dents blanches. - Mais tu as raison, après tout. Quitte à être mal considéré, autant donner une vraie raison d’être rejeté, n’est-ce pas ? Qu’on s’y donne donc à cœur joie ! Torture. Viols. Meurtres. Est-ce assez ou pas encore pour être un vrai Serpentard, dis-moi ? Et pourquoi t’es-tu arrêté, d’ailleurs ? Est-ce l’âge qui t’a fait te ramollir ou t’es-tu tant repu de souffrances que tu as fini toi-même par t’en dégoûter ? A moins que tu n’aies juste appris à mieux cacher tes méfaits ? Un masque si parfait que le tien… Qui m’en voudrait de m’être à nouveau faite berner par un homme s’il s’agit de toi ? L’aigreur qui imprègne sa bouche la fait grimacer affreusement. Elle n’écoute pas les battements fiévreux de son cœur quand elle lui assène ses coups les plus durs et sa langue ne se repose qu’un temps avant de frapper encore, toujours plus virulente. - Je n’accepterai pas de t’entendre justifier des actes aussi ignobles que ceux de votre misérable clique par des injustices de collégiens. Qu’importe le traitement détestable que vous ont fait subir des gens comme Potter, Black, ou ce vieux fou de Dumbledore ! Tout cela est allé bien trop loin. Si tous les sorciers malheureux de cette planète devaient devenir des mages noirs fous de puissance, ce monde ne serait plus qu’un champ de ruines ! Je ne t’ai défendu que pour ce que tu as fait pour racheter tes fautes, Severus. Ne pense pas que j’oublie une seule des horreurs que tu as commises. Pulsation venimeuse. Le silence qu’elle laisse retomber pèse sur eux comme un manteau trop lourd. La voix de Moira se fait basse. Si basse. - Rien de ce que tu as pu subir ne justifiera jamais tes crimes. Et je refuse de te voir ne serait-ce que tenter de les expliquer. Alors cesse immédiatement tes apitoiements, Severus. Ils sont une insulte envers tous ceux qui ont souffert de ton engagement auprès des mangemorts. Lily la première. D’un geste, elle s’empare de son verre qu’elle vide d’une traite, grimaçant une nouvelle fois en goûtant le vin qu’elle trouve maintenant trop sucré. Un moment passe sans qu’elle ne reprenne la parole, puis elle conclut : - Tu as toujours eu des amis, Severus. Et pas seulement chez les mangemorts. Mais tu as suivi Lucius. Cela n’a jamais été que ton choix. Sa main blême récupère la bouteille de vin dont elle vide les dernières gouttes dans son verre avant de le récupérer et de laisser sa colonne épouser le dossier de son siège. Elle prend alors une longue inspiration, gardant le regard bas. La brûlure de son ire peine encore à quitter ses veines et il lui faut quelques secondes pour réaliser tout ce qu’elle vient de dire, toute cette rancune qu’elle n’avait jamais osé déverser sur lui et qu'elle a crachée plus violemment encore qu'ele ne l'aurait jamais cru. Un instant, les battements de son cœur se font plus alarmés mais elle refuse de céder à la culpabilité qui l’enserre. Légèrement tremblante, elle ravale ses craintes dans une autre gorgée de vin. Une de plus. Pas une de trop.