Vous vous êtes installée paisiblement dans ce restaurent huppé du Chemin de Traverse. Élégamment drapée de noir, vous portez le deuil avec une austérité et une distinction toute régalienne. Mais, surtout, vous avez à coeur d’être vue, aperçue. Chacun ici sait quel risque il encourt à s’en prendre à la famille Malefoy. Non pas un risque physique, vous êtes une femme distinguée, après tout, mais bien un risque médiatique. Depuis les attentats du Ministère, une certaine sympathie flamboie dans de nombreux coeurs pour vous. Pauvre femme éplorée qui a perdu et mari et bru. Le premier est en fuite et vous avez confié dans les journaux ne pas avoir cautionné les exactions de votre mari mais l’avoir soutenu parce qu’il en allait de votre devoir d’épouse. La deuxième a été lâchement assassinée. Chaque fibre de votre coeur, de votre corps hurle vengeance, tempête dans le silence. Les semaines passent, l’enquête suit son cours et vous êtes, vous-même, sur les dents.
Quelques heures hors du tumulte ne peuvent donc que vous faire le plus grand bien. L’amitié, quant à elle, saura vous apporter un peu d’apaisement, l’espérez-vous. Celle que vous attendez, à cette table, dans une discrète alcôve, est Bianca Selwyn. Nouvelle professeure d’Alchimie de Poudlard et amie de circonstances. Elle a hanté une aile de votre manoir pendant quelques temps, occupée à des travaux exigés par le Seigneur des Ténèbres. De discussion en discussion, vous vous êtes retrouvées unies dans la tourmente. A présent qu’elle est libre, vous avez à coeur de ne pas lui imposer de venir vous visiter dans ce sombre manoir qui lui rappelle probablement la pire période de sa vie. Elle ne vous l’a jamais véritablement confié, mais se voir à l’extérieur de ces murs trop étouffants est devenu une règle tacite à laquelle vous vous soumettez bien volontiers.
Le dos droit, vous avez sur les genoux un recueil de poésie du siècle dernier. Une lecture de goût pour une aristocrate. L’apparat est toujours aussi important pour vous comme il devrait en être pour toutes les femmes du monde. Vous savez votre amie plus séduite par ses travaux que par son nom mais vous espérez encore lui inculquer un peu de bon sens. C’est une lady après tout ! Vous y songez avec un macabre amusement : dernière femme de sa lignée, dernière porteuse du nom propre à faire survivre la dynastie des Selwyn, il lui faudra bien finir par se ranger à votre avis, prendre un mari et perpétuer la lignée. Vous savez que cette question taraude votre amie, tout ce qu’il vous faut, peut-être, c’est de trouver un honnête mari de sang-pur ou un aisé sang-mêlé qui accepte quelques arrangements pour la survie du titre.
C’est en pensant à cet épineux problème que vous levez le nez de votre livre, juste à temps pour apercevoir l’élégance racée de Bianca Selwyn. Elle semble toujours un peu dans la lune… Ce doit être le propre de l’alchimiste, qui sait ? Vous vous levez pour l’accueillir et la saluez chaleureusement avant de l’inviter à prendre place autour de cette charmante petite table ronde.
« Bianca, ma chère ! Je suis ravie de vous revoir. Comment allez-vous ? Comment est la vie à Poudlard ? Et vos nouvelles classes ? Quelque espoir de trouver un futur alchimiste dans vos rangs ? »
Il va bientôt faire nuit. Le jour tombe vite en cette saison. C’est la réflexion que se fait Bianca Selwyn, quadragénaire toute aristocrate, en marchant dans la ruelle commerçante. Elle a rendez-vous pour prendre le thé avec une vieille amie. Les circonstances de leur rencontre sont sans doute plus exceptionnelles encore que le fait d’éprouver des sentiments amicaux lorsqu’on est une dame de la bonne société, élevée de façon guindée et pétrie de principe. Bianca se souvient encore des premières entrevues dans une aile du Manoir Malefoy. L’avant-bras était encore douloureux de l’apposition de la marque lorsque la splendide et austère Narcissa Malefoy avait jaillit dans entrebâillement d’une porte. Deux femmes bien nées et avides d’un certain raffinement dans un monde de brutes épaisses tirant leur bon plaisir de la torture… Forcément ça rapproche.
En marchant dans les ruelles, Bianca se remémore ces dernières années. Même derrière les barreaux, elle a pu compter sur les visites de Narcissa et ses lettres. L’aristocrate blonde l’a toujours soutenue alors qu’elle-même était confrontée à l’opprobre de son nom. Bianca s’en souvient. Bianca s’en souviendra toujours. Sa mémoire est excellente pour le savoir académique mais aussi pour ces gestes désintéressés de pur sentimentalisme. Narcissa Black-Malefoy, la grande aristocrate de ce siècle était-elle capable de désintérêt ? Entrée en politique, auréolée de ses noms et des traditions du monde de la magie, elle est accusée par tant d’autres de chercher à manipuler le monde. Et pourtant, Bianca sait qu’elle est capable, quelque part au fond de son âme, d’abnégation, de bienveillance, de grandeur de sentiments.
L’alchimiste entre dans le restaurent. Les deux femmes ont convenu il y a bien longtemps que Bianca ne remettrait pas un pied dans le manoir Malefoy tant qu’elle ne serait pas prête. Il faut dire que tant de choses s’y sont passées… Tortures. Pressions. Et cette marque qui lui démange encore l’avant bras comme une vilaine cicatrice. Non, vraiment, elle ne reviendra pas dans ce manoir tant qu’elle n’y sera pas forcée. La voilà qui paraît enfin face à Narcissa. Accolades courtoises et chaleureuses. Bianca se sent en la présence de la Lady Malefoy comme à la maison. Elle a toujours eu une sympathie pour cette grande femme et mère, et le fait qu’elle l’ait si bien protégée et conseillée a doublé cette inclination d’une profonde gratitude.
₪Narcissa, je suis, moi aussi, très heureuse de vous revoir !
Assise à côté de l’aristocrate, l’alchimiste peut élégamment croiser les jambes. Talons hauts et costume trois pièces un peu trafiqué pour les préférences esthétiques du monde magique, Bianca respire l’élégance parisienne. Ses boucles brunes cascadent autour de son visage, tenues par un chignon lâche.
₪Tout va très bien à Poudlard, comme on pouvait s’y attendre. Les étudiants sont plutôt doués pour la plupart… L’une d’entre elle, en particulier. La petite Beurk, Veredis Beurk. Vous la connaissez, je présume ? C’est la fille de Caractarus. Elle est très appliquée et assez prometteuse… je ne sais pas ce qu’elle souhaite faire de sa vie, cependant. Mais il est clair qu’elle a assez d’esprit pour devenir une bonne alchimiste.
L’on vient prendre la commande de ces dames et les servir. Bianca reprend.
₪Et vous, Narcissa ? Comment vous portez-vous ?
Le deuil est tu, mais chacune des deux femmes sait que l’autre y pense.
codage Bianca H. Selwyn 585 mots
L'Enchanteresse
L'ENCHANTERESSE
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Becoming a dark lady | Death eater wife | Ruling her world
Il y a dans ces ambiances feutrées un confort inédit à mes yeux. Les ombres s’agitent autour de moi, glissent sur ma peau, dévalent l’orbe de mon visage, et se coulent jusqu’aux ténèbres de ma nuque. Les heures passent, file, tricotent et détricotent les moments d’éternels jetés à la face du monde. Venir ici, dans ce salon de thé, dans cette salle bondée de monde est un défi. Un gant jeté à la face de Potter. Un duel provoqué dans une place de mondanité par excellence. S’installer en ces murs en compagnie de Bianca m’est d’un infini réconfort.
Je lui prends les mains dans une étreinte chaleureuse. Sous le couvert policé des voix, du vouvoiement distingué réside toute la profondeur de sentiments, d’un respect que Bianca a depuis longtemps acquis à mes yeux. Acte de résistance, défi ourdi depuis l’intérieur. Bianca est de ces êtres dont le courage aurait dû leur valoir une médaille. L’a-t-elle eue ? Je n’ai jamais demandé.
« Tout va très bien à Poudlard, comme on pouvait s’y attendre. Les étudiants sont plutôt doués pour la plupart… L’une d’entre elle, en particulier. La petite Beurk, Veredis Beurk. Vous la connaissez, je présume ? C’est la fille de Caractarus. Elle est très appliquée et assez prometteuse… je ne sais pas ce qu’elle souhaite faire de sa vie, cependant. Mais il est clair qu’elle a assez d’esprit pour devenir une bonne alchimiste. - Je savais bien que s’il y avait quelqu’un pour intéresser des adolescent à l’art exigeant et passionnant de l’Alchimie, ce serait vous, Bianca. Vous en parliez toujours avec tant de chaleur et de passion que l’on ne peut être qu’emporté par la force de vos émotions. J’ai déjà eu l’heure de croiser Veredis Beurk, en effet. Une jeune fille intelligente et brillante. Sa mère a beaucoup oeuvré pour qu’elle ne suive pas les traces de son malade de père. Elle travaille toutefois à la boutique, de temps en temps, avec son frère cadet. L’avez-vous déjà croisée ? »
J’ai toujours eu une inclination particulière pour la mère de Veredis. Même si nous ne nous accordons pas sur des questions politiques, je sais reconnaître une mère prête à tout pour sauver son enfant. Pensivement, je laisse le visage de Drago flotter quelques instants dans ma mémoire. Sourire indulgent, teinté de douceur et de tendresse.
« Peut-être avez-vous là trouvé votre première disciple tout comme Nicolas Flamel avait trouvé en vous une digne continuatrice de ses travaux ? »
Les phalanges pianotent quelques secondes dans le vide tandis que se dévoile la délicatesse d’une tasse de porcelaine fine emplie d’un clair breuvage.
« Dites-moi encore comment se porte ce cher Severus ? Vous êtes aussi collègue avec Camille Nott et Yolanda Yeabow, je crois ? Comment se passe votre intégration dans ce petit personnel ? »
Dernière salve de questions avant que ne s’ouvre celle de Bianca. Délicat échange entrecoupé du délice d’un bon thé et de quelques biscuits en suave compagnie.
« Et vous, Narcissa ? Comment vous portez-vous ? - Eh bien… je me porte au mieux, comme vous vous en doutez. Drago a été très affecté, il fallait s’y attendre. Son père et moi nous en trouvons un peu démunis, je dois l’avouer. Lucius est toujours absent, naturellement… Je songeais également à organiser un repas un jour prochain avec quelques… amis, mais je vous sais peu encline à revenir au Manoir. Y aurait-il un lieu qui vous agréerait afin que nous puissions nous rassembler sans réveiller de vieilles blessures ? »
Sitôt la voix mesurée de Narcissa tinte-t-elle que l’alchimiste se sent comme à la maison. Narcissa a toujours eu cette espèce de présence rassurante qui fait que l’on se sent accueilli en parlant avec elle. Pas besoin de se demander pourquoi elle a son petit succès dans le monde de la magie. C’est une femme du genre aristocratique jusqu’au bout des ongles. Le type de madone qu’on préfère ne pas contrarier. Qui sait ce que son argent et son influence pourraient lui permettre de vous faire ?
Mais Bianca sait qu’elle n’a rien à craindre. Ou du moins, pas immédiatement. Il y a toujours quelque chose d’un peu dangereux à côtoyer des gens comme les Malefoy. C’est presque une aventure en soi. Peut-être est-ce une des raisons qui ont poussé l’ancienne serdaigle à la fraternisation avec l’ennemie… Encore que son mari le fut davantage que Narcissa.
Le thé est porté aux lèvres dans un geste tranquille. L’alchimiste ne s’autorise que trop rarement la détente, et Narcissa est l’une des rares sorcières à pouvoir se vanter de la voir aussi délassée.
₪ « intéresser » est un bien grand mot. J’ai peu d’élèves, comme vous vous en doutez.Mais il y a quelques pépites. Vous piquez ma curiosité, toutefois : comment vous a-t-elle semblé, cette Veredis Beurk ? Je connais de réputation son père… Mais je sais aussi, pour avoir eu un homme semblable à la maison que l’on peut sortir de cette fatalité familiale.
« Connaître de réputation » est un code qu’emploie Bianca pour parler des mangemorts qu’elle a été forcée de côtoyer. Tous n’étaient pas des monstres barbares et sanguinaires. Il y avait aussi des êtres plus retors, d’autres plus ambivalents. Elle a toujours trouvé le père Beurk grossier et un peu trop bavard. Du genre à rouler des mécaniques avec un peu trop d’insistance. Bref, un homme qui manquait singulièrement de classe dans son souvenir. Mais elle l’a vu à trop peu de reprises pour être certaine que cet a priori soit un tant soit peu conforme à la réalité.
₪ Mais qui sait… peut-être prendrais-je un disciple un jour…
Bianca s’est faite rêveuse. Elle se souvient parfaitement du genre de relation qu’elle a eue avec Nicolas et Pernelle Flamel ; une relation de confiance, de compagnonnage et d’amitié. Elle a tant reçu à leur contact qu’elle pourrait peut-être donner à son tour de son temps et de son savoir à quelqu’un qui en vaudrait vraiment la peine. Son œil scrute sans le voir le fond de la pièce. Happée par des souvenirs heureux, il lui faut quelques secondes avant de revenir au présent.
₪ A vrai dire, je me suis assez peu mêlée à mes collègues pour le moment : n’y voyez pas de snobisme de ma part, mais je préfère demeurer prudente. Yeabow et Nott étaient des mangemorts après tout.
Tout comme elle… la seule différence étant qu’elle, elle a affronté un procès et purgé sa peine de prison. Une peine légère, finalement, compte tenu des vies qu’elle a ôtées. La seule différence est qu’elle, les vies qu’elle a fauchées l’empêchent de dormir.
Elle pose la main sur le dos de celle de Narcissa. Geste de réconfort pour sa perte.
₪ Un dîner ferait du bien à tout le monde, Narcissa. Ne cherchez plus, vous pouvez l’organiser chez moi. J’ai fait scission des terres du Ministère en même temps que vous, la porte de mon manoir vous est ouverte, et vous le savez.
Inutile de préciser pour quoi. L’effort de guerre. Non pas contre le Seigneur des Ténèbres, mais contre ces arrivistes nés moldus qui entendent plier le monde de la magie à leur image !
₪ Qu'avez-vous prévu pour la suite ?
Une question qui n'a, assurément, rien d'innocent.