Une première cheminée emmène Orion en Europe de l’Est. Prague, cette fois. Une deuxième le fait arriver à Berlin. La troisième ne l’emmène pas à Paris, destination finale de son voyage, mais à Londres comme à l’habitude. Il y ramène un certain butin pour Gringotts, subi divers prélèvements visant à vérifier qu’il ne ramène pas une maladie rare en Grande-Bretagne –partenariat avec Sainte-Mangouste, résultats rapides garantis, approbation du Ministère qui se félicite de ne pas laisser une future pandémie se promener sous la forme d’un briseur de sorts. On commence à faire suffisamment confiance au fils Fleury et à ses bons résultats pour que ses évaluations professionnelles s’espacent. Ca tombe vraiment bien qu’il n’en ait pas cette fois. Après avoir converti un peu d’argent en argent français moldu et sorcier, il quitte la Banque et ses collègues.
Orion remonte la rue quatre à quatre, claque deux bises à ses parents. « Tu vas voir Carys ? » demande sa mère avec le regard de celle qui s’est déjà choisi une belle-fille. Dans la mesure où elle a quitté son île et sa famille avec pertes et fracas, elle ne se permet pas de juger ce choix d’études en France. Comme son époux, Aldric, elle espère juste que leur fils n’aura pas le cœur brisé. Ils sont persuadés qu’entre Orion et ses trois sœurs, le plus sensible est leur garçon. Peut-être ont-ils trop insisté sur cette idée de faire preuve de compréhension lorsqu’il était jeune. Revenu dans sa chambre de jeunesse, Orion vaque à quelques ablutions et compose son sac de voyage dans une attitude de désordre apparent. Pourtant, le paquetage prend bientôt bonne forme : le métier de briseurs de sorts donne une certaine déformation professionnelle sur ce plan-là.
Depuis quelques mois déjà, le briseur de sorts vit dans une période d’instabilité certaine. D’un point politique, déjà, même si tout ceci lui passe un peu au-dessus de la tête. Il est en permanence jetlagué, et ses collègues lui assurent que l’organisme se fait au métier de briseurs de sorts au bout d’un certain temps. Il risque seulement de perdre un peu le rythme des repas, mais manger sucré ou salé à telle ou telle heure n’est qu’une conception rigide. Deux paternités et une maternité dans l’équipe des briseurs de sorts poussent la banque à envoyer les jeunes sans attaches comme lui par monts et par vaux. Il est vrai qu’officiellement, il n’est même pas fiancé. Il y a déjà pensé. L’attachement qu’il ressent à l’égard de Carys est très réel, il peut imaginer qu’ils coulent des jours heureux ensemble. Il a vaguement en tête que sa petite-amie et sa meilleure amie ne s’entendent pas, pour des raisons tout à fait professionnelles. Mais ça ne durerait pas toute la vie, n’est-ce pas ? Il a en tout cas ajourné ses plans lorsque Carys est partie à Paris. Il avait l’impression que cette demande de fiançailles aurait été précipitée et aurait pris des airs de tentative désespérée de lui mettre un fil à la patte.
Cela ne l’empêche pas d’être content de retrouver la jeune femme. Content mais impatient, nerveux, fébrile aussi. Il aimerait attribuer cet état au décalage horaire, mais il se sait surtout au bord d’un précipice émotionnel. Il n’est pas au meilleur de sa forme, peut-être irait-il mieux s’il avait eu le temps de se poser chez lui. C’est quoi, chez lui, d’ailleurs ? Il aimerait pouvoir se poser quelques jours, dans un endroit qui serait tout à fait à lui. Le problème est qu’il ne dispose pas d’un tel endroit. Il a commencé à regarder les ventes de maisons en Grande Bretagne. Le grand air de la campagne le fait rêver, et que sont les distances lorsqu’on peut transplaner ou utiliser de la poudre de cheminette ? Il faudrait en parler à Carys. Il n’a aucune idée de comment amener ce genre de nouvelles. A quel point devrait-il l’associer à cette décision, en tenant compte du fait qu’ils avançaient comme une équipe (tout à fait associée au projet) mais aussi du fait qu’elle est partie à Paris pour Merlin sait combien de temps et que sur son appartement, c’est elle qui avait le dernier mot (peu associée au projet) ?
Dans un sac à dos contenant son sac sans fond et quelques romans en libre accès (pour des urgences, sait-on jamais : dix minutes à attendre durant lesquelles il ne regarderait pas les passants), Orion a fourré tout ce qui lui était nécessaire. Il est prêt à repartir. Un coup d’œil dans le miroir lui confirme qu’il a bien fait de se rafraîchir un peu – depuis combien de temps n’a-t-il pas dormi ? Il lui semble avoir passé trop de temps en voyage et en formalités entre deux cheminées. Sa montre à double aiguille, heure de sa destination et heure britannique, s’est arrêtée en cours. Il faudra s’en occuper. Il est déjà relativement en retard s’il veut passer les formulaires de douane avant une heure indûe. Son inquiétude est toutefois surfaite, il est encore tôt. Mais l’horloge biologique d’Orion lui donne déjà un grand sentiment de lassitude. Il prend une pincée de poudre de cheminette dans le stock familial – ses parents adorent faire leurs courses auprès de leurs voisins du Chemin de Traverse et tant qu’il contribue financièrement au pot commun, c’est open bar. « Douanes françaises, Lamartine. » Un tourbillon l’emporte dans un vaste hall de marbre. Très classieux. On se croirait dans les descriptions qu’en a fait Fleur Delacour. Fleur, Cédric … Il se sent subitement moins enthousiaste. Cette pensée est chassée par d’autres. Aucune envie d’afficher une tête de six pieds de longs alors qu’il va voir sa copine.
Sa copine, c’est vraiment encore sa copine ? C’est possible d’être heureux et serein avec quelqu’un comme ils le sont ? L’ont été ? Est-ce qu’il commence à se faire des films ? C’est possible, mais il imagine vraiment bien que Carys pourrait rencontrer quelqu’un d’autre, et il en conçoit une certaine inquiétude. Et si ce voyage scellait leur rupture amoureuse ? Lui-même commence à éprouver de plus en plus de doutes. Ca durerait combien, ces études en France ? Il a envie qu’elle suivre son choix de carrière et ne voudra jamais la retenir, mais il faut qu’ils se demandent si leur relation a un avenir, tout de même. C’est pas une vie d’organiser deux semaines à l’avance, par hiboux interposés, une petite semaine de retrouvailles. Et après, ce serait quand ? Est-ce qu’ils vont passer une journée de leur temps à faire marcher leurs deux emplois du temps ?
Passeport à la main, un peu déboussolé, Orion répond de bonne grâce mais en anglais au fonctionnaire qui semble lui reprocher de ne pas se mettre à la langue de Molière. Ce serait une catastrophe, il le comprend dans les grandes lignes (et sous la plume de Proust, en raison d’une obsession toute personnelle), mais le parler … « C’est un visa famille, monsieur ? » « Non, pas vraiment, je vais voir quelqu’un mais pas mafamille. Visa vacances, uniquement. » « Mmh mhh. Et ce quelqu’un vient vous chercher, je suppose ? » Si ce n’était pas le cas, Orion se demande s’il se retrouverait mis en garde à vue ou un autre comme ça. Le type se méfie de … de quoi ? « Oui oui, elle va venir. » répond-il en cherchant la silhouette de Carys. « Carys Vaughn. V-A … » épèle-t-il.
Son pied tressaute inlassablement depuis une longue demie-heure. Son cours de civilisation antique semble s’étendre, s’étendre, à tel point que la jeune femme se demande presque si le temps ne s’est pas tout simplement suspendu. Peut-être est-elle un tout petit peu impatiente, et que cela influence sa vision du temps : certes. Mais diable, ce qu’elle donnerait pour pouvoir filer à toute vitesse hors de cet amphithéâtre, aux bancs rigides, à la luminosité douteuse, et à l’intérêt fortement limité en ce vendredi après-midi. Encore, si ce vendredi était un vendredi comme les autres, cela aurait pu passer. Mais, aujourd’hui, Orion arrive. Carys relève les yeux de son parchemin, où des spirales tracées de sa plume se superposent sans fin. Un des tics qu’elle a depuis les premières années à Poudlard, au grand damn de ses professeurs persuadés qu’elle ne les écoutait pas. Pourtant, c’est le seul moyen qu’elle a trouvé pour se concentrer sur ce qu’ils disent, et Merlin sait que cet après-midi, une page entière de spirale ne serait peut-être pas suffisante. Oh, elle exagère peut-être un petit peu. Cela ne fait pas si longtemps qu’ils se sont vus. Trois semaines, peut-être ? Un peu plus, sûrement. Et, finalement, beaucoup trop. Quelle idée, de rester ensemble.
Quelle idée se d’attendre, frémissant d’impatience, dès qu’un d’eux parvient à se libérer, quelques jours au moins, et a les moyens d’aller voir l’autre. Quelle idée d’avoir les mains qui tremblent d’excitation à la pensée de resserrer, enfin, les doigts tranquilles, réconfortants d’Orion contre les siens. Quelle idée de s’être attachée aussi fort, aussi vite, à ce bonhomme. Ils étaient si confiants, cet été, à en discuter : Paris, ce n’est rien, quelques secondes de Portoloin qui nous séparent, quelques mois passés à distance, des retrouvailles éclatantes. Ils ont bien trop fantasmé la situation. La réalité… La réalité, c’est bien plus compliqué. La réalité, c’est chacun plongé, dans leurs devoirs, dans leurs missions, à l’autre bout de l’Europe parfois, pour lui, à l’autre bout des pays celtes, pour elle, à plonger dans les bibliothèques antiques, privilégiées aux gens de sa formation. La réalité, ce sont de longues semaines sans pouvoir se contacter, parfois, ce sont quelques mots grattés à la va-vite sur un parchemin, des tu me manques tendres, pensés forts, mais presque oubliés à peine envoyés, tellement le monde tourne vite autour d’eux.
Eux. C’est un beau mot, ce eux, cette idée d’un nous, c’est romantique, vraiment. C’était facile à imaginer et à appliquer, avant qu’elle ne parte. Maintenant, il y a lui là-bas, et elle ici. Sa nouvelle vie. Ces nouveaux gens, qu’elle rencontre, avec un beau sourire, des yeux qui brillent, avec tant de choses à lui apprendre, à lui faire découvrir. Il y a ce Jonas, en deuxième année, qui lui a adressé un grand sourire la première semaine, avec qui elle partage un café tous les jeudi, à discuter de leur vie. C’est si facile, presque plus facile de discuter avec lui qu’avec Orion, parce que Jonas comprend, les soucis de la formation, les blagues sur Paris, les histoires sur les amitiés communes. Il comprend tout cela, ça rend l’échange instinctif, fluide, bercé de rires, de pressions de la main, de promesses d’aller se faire un musée, le weekend prochain. Oh, elle n’imagine rien, rien de concret, c’est un ami, un très bon ami - mais c’est si facile, avec lui.
Alors pourquoi se prendre la tête, avec Orion ? Pourquoi se torturer, encore, à rêver d’une semaine, à l’occasion, une petite bulle dans leur nouvelle vie ?
Pour cela, peut-être, ce frisson dans son corps, ses yeux qui brillent d’impatience, son pied qui tressaute, son indécision ce matin, devant sa penderie - Orion aime quand il porte du bleu, est-ce qu’elle devrait porter ce chemisier, alors ? ce collier, qu’ils ont acheté cet été, ou celui-ci, offert à son anniversaire ? Des hésitations gamines, d’adolescentes presque, mais qui font toujours voltiger son coeur amoureux. Elle a mis de nouveaux draps dans l’appartement, elle a acheté des nourritures qu’il aime, elle a même des tickets pour une projection du match France-Pays de Galle, ce weekend, dans un bar british du Vème arrondissement sorcier. Plein de petits moments prévus, basés sur des souvenirs, des amours communs, des attentions auxquelles elle réfléchit depuis des jours et des jours, dans la hâte qu’il arrive, enfin, enfin, plus vite.
Elle sursaute lorsque la sonnerie retentit, enfin, venant briser ses pensées et interrompre le flux monotone de paroles de son enseignant. Elle bondit sur ses pieds, balance toutes ses affaires dans son petit sac à dos gris, et enfile sa longue cape bleue marine. Enfin !
- Tu as l’air pressée aujourd’hui, dis donc, s’exclame Ophélie, la jolie rousse avec laquelle elle s’est liée d’amitié, en début d’année.
Elle l’a attrapée, à la volée, juste devant le bar à café parfum citrouille ou pécan. Jonas est derrière elle, assis sur un des tabourets tournants, dictant à sa plume quelques notes à rajouter en dernière minute sur sa copie. Carys leur adresse un sourire, hésite sur quoi dire, puis finalement, en jouant avec son collier, répond :
- Je vais au Ministère, je récupère Orion.
Jonas relève la tête, Carys le remarque à peine, mais Ophélie sourit en coin.
- Orion ? C’est ton petit-ami, c’est ça ? J’avais oublié qu’il arrivait aujourd’hui ! - Oui, il passe la semaine ! Il faut vraiment que je file, je ne veux pas le faire attendre, rajoute-t-elle alors avec un petit sourire désolé : mais on se voit dans la semaine ? Je suis sûre qu’Orion sera ravi de vous rencontrer.
Elle n’attend pas vraiment leur réponse, leur adresse un large geste de la main, balance un petit mot d’encouragement à Jonas pour son devoir, et vite, vite, file vers la zone de transplanage. Merlin, déjà dix huit heures dix, elle espère qu’elle ne sera pas trop en retard ! Resserrant les doigts sur les bretelles de son sac à dos, Carys attend patiemment son tour - c’est faux, elle regarde tout le monde de haut, les yeux luisant de hâte - et enfin, met les pieds dans le cercle autorisé. En quelques secondes, elle se trouve alors catapultée dans la zone d’arrivée du Ministère. Et, alors, ses pieds semblent retrouver immédiatement le chemin habituel - après tout, cela fait déjà plusieurs fois qu’elle vient ici, qu’elle se dirige vers le même département, pour retrouver son beau. Il y a un peu de monde, aux arrivées, pas mal de sorciers bloqués à la douane, un blond au premier guichet semble fouiller dans son sac pour retrouver ses papiers, là-bas une femme enceinte, des cheveux d’un roux flamboyant, mais rien qui ne l’intéresse, rien de précieux. Où est-il, ma parole ? S’est-elle trompée de jour ? D’heures, peut-être ?
Ah ! Le voici, les arrivées par cheminée ! Elle ne sait plus d’où est-ce qu’il lui arrive, à force. Un sourire timide, attendri, amoureux, se glisse sur son visage alors qu’elle reconnaît sa silhouette, son allure de grand garçon, son air un peu perdu. Il lui a manqué. C’est compliqué, ce ‘eux’ auquel elle s’attache tant, mais pour ce petit moment-là, ce moment de joie où son coeur rate quelque battements à l’idée de savoir que dans quelques secondes, à peine, elle pourra respirer son odeur, embrasser sa peau, rien que pour cela, ce n’est plus si grave, finalement.
- Je suis là ! s’exclame-t-elle en s’approchant, le couvant du regard, glissant immédiatement une main dans la sienne, une hâte incontrôlable d’être loin de tout public. Elle se fait violence, pourtant, et adresse un sourire amical à l’officier, enchaînant dans un français un peu tremblotant : Carys Vaughn, je suis au 67 rue Mouffetard, Vème arrondissement, Paris sorcier, étudiante à l’Académie des Langue-de-Plomb. Vous voulez mon numéro d’hibou, peut-être ?
Cela ne fait que quelques mois qu’elle est ici, à vraiment pratiquer son français, et certain de ses mots, beaucoup de ses intonations, sont encore pleine de l'abrupt british. Heureusement, il les relâche bien vite, satisfait par la présence d’une résidente pour venir récupérer ce touriste d’anglais. Alors, aussitôt, Carys entraîne Orion un peu plus loin, par une sortie un peu à l’ombre de la principale, et ils se retrouvent dans une allée tranquille, dans la grisaille parisienne. La jeune femme l’observe, son sourire toujours aux lèvres.
- Ça a été, le trajet ? Pas trop fatigué ? Tu rentres d’où ? J’espère que tu as faim, il y a un restaurant délicieux dans mon quartier, il a ouvert il y a trois semaines, je suis sûre que tu adoreras. Oh, tu veux peut-être rentrer nous poser, plutôt ! Mais chut, je me tais, je suis intenable, réalise-t-elle alors avec un petit rire, les yeux fixés dans les siens.
Carys joue un peu avec son collier, mordille ses lèvres, puis ses doigts viennent jouer avec les épaules d'Orion.
- Tu m’as manquée, tu sais, rajoute-t-elle à mi-voix, glissant une main dans ses cheveux, caressant sa nuque.
Elle redresse la tête et, doucement, vient déposer un baiser délicat, amoureux, sur les lèvres de son compagnon. C’est beaucoup trop long, trois semaines l’un sans l’autre, après avoir vécu Poudlard, toujours à quelque centaines de mètres l’un de l’autre.
Le briseur de sorts est aux anges lorsqu'il reconnaît cette silhouette traversant la foule, rendue menue par une coupe et un sac qui semblent trop lourds pour qu'elle soit à l'aise. Comme Carys est jolie, comme son français teinté d'anglais est séduisant. S'il n'était pas déjà amoureux, il se sentirait fondre. Orion s'attache facilement et quand il tombe amoureux, c'est sans prendre la peine d'amortir cette chute sentimentale. Il tombe amoureux en bloc et déniche mille détails qui réhaussent l'être aimé. Il pourrait même rester des heures à l'entendre égrainer la rue Mouffetard (quel nom de rue de charmant) à ce type revêche. Il en vient même à plaindre ce pauvre fonctionnaire, qui ignore visiblement tout du bonheur d'être amoureux quand on a vingt ans ou un peu plus.
Cela dit, il n'est pas mécontent qu'ils ressortent du bâtiment. Les doigts de Carys glissés dans les siens semblent avoir retrouvé leur place naturelle. Il s'est émerveillé de la simplicité qu'il y a à se tenir la main. A Poudlard, il se souvient que les longues heures de cours paraissaient se dérouler plus vite à l'idée de revoir sa chère et tendre et chaque contact physique, même ténu, provoquait son lot de crépitements cardiaques. La présence de la jeune femme, l'amour qu'il lui portait avaient levé ce voile obscurcissant son regard après la mort de Cédric. Il s'était réveillé un matin sans se rendre compte qu'il laissait derrière lui, comme une mue, ce cocon de tristesse. Dans les semaines qui avaient suivi, il s'était rapproché de la Serdaigle. Il n'avait pas eu le sentiment de faire la moindre action consciente pour permettre ce rapprochement, comme si cette histoire avec Carys était écrite depuis longtemps et devait arriver.
Orion n'avait pas été plus surpris par l'aval de Gringotts pour qu'il commence sa formation chez eux. Depuis qu'il a été autorisé à accompagner ses parents lors d'un dépôt d'argent, il avait su qu'il devait travailler dans la banque sorcière. Ses parents répètent encore à l'envi cette résolution annoncée avec un grand calme sur le chemin du retour. Il ne devrait pas avoir l'âge de s'en souvenir, mais l'anecdote a été si souvent répétée qu'il a l'impression d'y être lorsqu'ils en parlent aux amis, à la famille, et même à Carys quand elle est venue manger à la maison la première fois. L'enfant qu'il était avait demandé à être pris en photographie devant les lieux dès le lendemain : pour qu'il puisse raconter ça quand il serait grand, cette vocation qu'il avait découverte et dont il était si certain. Carys a vu la photographie en question et n'a pas semblé le trouver différent depuis. Pour un ego fragile, ça aurait été mortifiant mais Orion avait placé toute sa confiance en Carys. Ils ont partagé ensemble le bonheur provoqué par ce courrier de Gringotts. C'était un soulagement mais pas une surprise : tout son parcours avant et à Poudlard avait été orienté dans ce but. Savoir que Carys va peut-être connaître le même sentiment d'avoir trouvé sa place, sa vocation, c'est bien tout ce qu'il lui souhaite.
Tant pis pour eux si ça doit se faire en passant par Paris ? Tant pis, oui. Il a souvent pensé à elle. Billets doux, rêveries avant de s'endormir, envie qu'elle soit à ses côtés au réveil. Au début. Petit à petit, Orion a ressorti ces mêmes trésors de résilience qui l'ont aidé à se remettre de la mort de son meilleur ami. Il a fait un point sur la situation. Certes, il peut avoir un impact sur la situation. Un ultimatum, ou une longue entreprise de persuasion auraient troublé le choix de la jeune femme, mais il ne veut justement pas l'empêcher de profiter de cette opportunité. Mieux vaut Carys heureuse, où qu'elle soit avec qui qu'elle soit, que la garder malheureuse près de lui. Ce serait tentant au début, puis la culpabilité le dévorerait. Partant de cela, il a commencé à mieux vivre la séparation – géographique- en attendant la partition de leur couple.
« Tu m'as manqué aussi. » murmure-t-il dans un demi-mensonge.
Il se sent tout de même moins résolu en la voyant. Il répond à son baiser, il l'étreint. Remontent à la surface de sa conscience ces dizaines de fois où ils se sont enlacés, ont été heureux, insouciants sous le soleil radieux de leur amour. Ce n'est plus pareil. Pas seulement parce qu'ils sont sous la grisaille parisienne. Orion cligne des yeux quelques fois. Pour s'habituer à la luminosité ou gagner du temps ? Les mots de Carys l'ont ému, rendu triste aussi. Il n'est pas fier de cet automatisme d'avoir répondu qu'elle lui manquait. C'est vrai, et qu'aurait-il pu dire d'autre ? Mais ce n'est pas aussi vrai que ça a pu l'être. Est-ce qu'elle a pensé à lui de la même manière qu'il pensait à elle, en se demandant s'ils n'approcheraient pas un peu beaucoup de la fin ? Pas le genre de questions qu'il peut poser d'entrée de jeu. Ils ont une semaine devant eux, ils verront bien comment les choses se déroulent. Peut-être que la distance leur paraîtra moins effrayante que le fait de se séparer ?
« Tu n'es pas du tout intenable. Pour une fois ce n'est pas à moi qu'on reproche d'être si bavard, alors je ne vais quand même pas te jeter la pierre. Tu es jolie comme un coeur, au fait. » Il est vraiment heureux de la voir. Ses doutes n'ont pas d'impact là-dessus. Il a remarqué qu'elle portait le collier qu'il lui a offert et il se sent fier, ému, heureux, un mélange difficile à décrire. « Alors, voyons … Je ne suis pas trop fatigué. Ou en tout cas, rien qui ne m'empêchera pas de profiter de cette fin de journée si on prend un bon café ou qu'on va manger quelque part. Et je reviens d'Asie, en tout cas d'une belle région entre l'Asie et l'Europe. Sans maladies dangereuses, ça va de soit sinon je ne serai pas venu ici aussi vite. C'était du repérage. » précise-t-il, comme si Carys en avant quelque chose à faire.
Peut-être que si, elle a toujours été patiente lorsqu'il lui détaillait le fonctionnement de la banque sorcière et les différentes missions des briseurs de sorts. Trop jeune pour être envoyé seul en mission d'exploration, Orion note des coordonnées et recueille des informations pour que ses collègues puissent explorer temples en ruines, vestiges du passé et autres témoignages historiques. Il a transmis son rapport en quittant le lieu, il sera étudié par ses collègues et si le site semble suffisamment intéressant pour y envoyer un ou deux briseurs de sorts, il fera partie de l'expédition. Il n'ose pas encore se réjouir : Gringotts prend du temps. Mais ils ont la chance d'être envoyés rapidement sur place, ne serait-ce que pour se rendre compte si c'est le métier qu'ils imaginaient. Car vous ne rentrerez pas tous les soirs embrasser votre conjoint, avait expliqué le gobelin formateur en leur jetant un regard suspicieux. Orion s'était senti particulièrement visé. Il en avait parlé à Carys le soir-même. L'époque où ils pouvaient se voir tous les jours même s'ils ne vivaient pas ensemble. Il aurait aimé qu'ils aient le temps de prendre un appartement à Londres.
Il s'éloigne doucement pour lui prendre la main, laissant la jeune femme guider leurs pas. « Ca m'a l'air très bien, ce restaurant que tu mentionnais. On posera nos affaires après si c'est dans ton quartier. Tu t'y plais toujours ? Ton sac n'est trop lourd, d'ailleurs ? Je peux t'aider ? »
code by EXORDIUM. | nb perso : environ 1250 mots again
Il est là. Contre elle, sous ce ciel gris, à répondre à son baiser. Elle sent sa gorge se serrer, son coeur battre plus fort. On perd l’habitude d’être avec ceux qu’on aime - il y a toujours cet instant, quelques secondes, d’adaptation. Des secondes qui paraissent durer des heures, où nos actions paraissent gauches, nos rires un peu trop forcés, nos sourires légèrement statiques. Et puis, la chaleur se propage, l’habitude revient, les gestes reprennent de leur naturel. Des tu m’as manqué, des caresses toutes douces, un baiser renforcé, et puis sa réponse.
Il la murmure. Elle pèse. Ce n’est qu’un murmure, pourtant, une réponse instinctive. Trop rapide, peut-être. Trop instinctive - automatique, finalement. Elle n’aime pas ça. Elle sent que ça pèse, au fond de son esprit, elle sait qu’elle l’a remarqué, elle n’aime pas ça. Il est là. Il est là, elle lui a manqué. Ce n’est pas que de l’automatisme, non - silence, esprit furieux. C’est une réponse instinctive. Regarde, cerveau - il la complimente. Elle n’est pas intenable. Il a les yeux de l’amour, encore. Jonas lui aurait mis la main sur la bouche, à clamer qu’il n’aurait jamais imaginé les anglaises parler autant. Mais lui, il l’aime comme ça, il ne dit rien : et pourquoi même est-ce qu’elle le compare à Jonas, pourquoi maintenant, quelle idée. Elle s’éloigne un peu, les bras toujours autour de son cou, ses doigts jouant avec les cheveux sur sa nuque. Elle murmure un merci, elle est heureuse qu’il la trouve joli. Elle fait semblant que ce n’est rien, mais le souvenir de ces minutes passées, à hésiter, sur ce haut-là, ce haut-ci, comme une enfant, une gamine amoureuse, lui revient en tête et elle rougit presque qu’il ait remarqué l’effort. Évidemment, qu’il a remarqué. Ce n’est pas pour rien, que ses soeurs le moquent dès qu’elles peuvent, que c’est leur petit Orion, qu’il est l’homme tendre de la famille : il a l’oeil, pour remarquer ce qui doit être remarqué, il a le coeur tendre, juste assez pour dire ce qu’il faut, pour s’arrêter sur les petits détails. Elle a vu son regard, sur le collier. Ça la rend heureuse, c’est un homme bien.
Elle a le regard amoureux, le regard tranquille, et toujours son sourire, son éternel sourire aux lèvres, alors qu’il répond, patiemment, à son flot de questions. Elle hoche la tête, soulagée qu’il ne soit pas trop fatigué - il bouge tellement partout, ces temps-ci, elle ne tient plus le compte des horaires de ses voyages, de tous les endroits où il va. C’est compliqué, parfois - souvent, même - de ne pas pouvoir répondre à des questions aussi bêtes que de simples ‘que fait ton copain ? où est-il cette semaine ? il se plait bien ? vous vous parlez bientôt ?. Elle ne sait pas, elle ne sait pas, elle ne sait pas. Il n’est pas toujours prévenu à l’avance, il n’a pas toujours le temps de lui envoyer un courrier - et de toute façon, son hibou à elle prend un peu d’âge, son pauvre Marcel, il n’aurait pas le temps de l’atteindre avant qu’il ne reparte. Alors elle profite, dès qu’elle le voit, elle s’abreuve des ses paroles, de ses anecdotes, de tous les détails de ses voyages, pour avoir l’impression d’être avec lui, de comprendre ce qu’il vit. C’est compliqué, parfois.
- Oh, en Asie ! J’espère bien que tu ne me reviens pas tout infesté, lâche-t-elle avec un petit rire.
Il s’éloigne un peu, les bras de Carys glissent le long de son corps et, naturellement, sa main finit dans la sienne. Elle replace une bretelle de son sac à dos, qui a glissé de son épaule, et secoue gentiment la tête lorsqu’Orion propose de l’aider.
- Ne t’en fais pas, il a l’air lourd comme ça mais il est blindé de sortilèges pour alléger et le rendre sans fond, c’est une petite mine d’or. Ça va aller, toi, ton sac ? Elle jette un oeil à son bagage, sourcils froncés, hésitant sur ses plans, puis : On est pas très loin, de toute façon, une vingtaine de minutes, ça te laisse le temps d’apprécier ce magnifique ciel bleu, reprend-t-elle avec un clin d’oeil. C’est un restaurant indien, ça te plaît ? Ils ont du tikka masala tout comme à la maison, le chef est de Birmingham !
Sa main libre vient se caler au bas de sa bretelle de sac à dos, tirant dessus, jouant avec, sa tête toujours tournée vers Orion. Elle a presque le sentiment que si elle le quittait des yeux, ne serait-ce qu’une seconde, il allait s’évaporer au loin. Elle se sent plus sereine, déjà, de ses doigts serrés contre les siens, de son pouce qui caresse distraitement, de son allure tranquille à côté d’elle. Elle aimerait se promener dans tout Paris avec lui, pour lui montrer où elle vit, où elle passe ses journées, où elle rit, elle pleure, elle se lamente, parfois. Lui montrer l’Académie, les salles de cours, la Bibliothèque, gigantesque. Tous les endroits où elle vit, sans lui. C’est compliqué de grandir dans un couple où on ne partage plus rien du quotidien. Elle ne peut s’empêcher de s’imaginer ce que cela aurait donné, si elle était restée sur Londres. Ils auraient pris un appartement, ensemble. Il rentrerait du travail, elle de sa formation, et seraient ensemble, tous les soirs, presque. Elle ferme brièvement les yeux, sentant un poids sans nom lui peser, et resserre les doigts sur ceux d’Orion. Ça lui fait du bien d’être là, il faut qu’elle se concentre sur cela. Ça va être une bonne semaine, passés tous les deux, à parler de choses heureuses, de leur vie, à lui présenter ses amis, elle espère qu’il aimera Jonas, elle ne lui en a pas trop parlé, ça ne devrait pas être gênant, pas trop - pourquoi est-ce que ça le serait, ce n’est que Jonas. Non, il faut qu’elle se concentre.
Est-ce que cela demande autant d’efforts, aux autres, d’être avec l’homme qu’ils aiment ?
Parler, c’est tout ce qu’ils peuvent faire. Compenser, par des mots, des images, des souvenirs racontés, tout ce qu’ils ne peuvent pas vivre ensemble, sur le moment.
- Parle-moi de l’Asie, ton voyage, ce repérage. On a brièvement parlé de magie népalaise et japonaise, dans un cours sur les cultures magiques, le mois dernier, c’était fascinant ! Tu te sens plus à l’aise maintenant, confronté à ces magies ? Tu es tombé sur quoi ? s’enquit-elle, sincèrement curieuse.
Elle a toujours aimé qu’Orion lui raconte, les yeux brillants d’enthousiasme, toutes les possibilités que son métier entrainent, toutes les subtilités qui s’y déclinent. Elle ne saisit pas toujours toutes les nuances, ce genre de détails qui ne se comprennent que sur le terrain, qu’associés à du vécu, mais c’est une des choses qu’elle préfère, chez lui, cette passion authentique. Elle a toujours été un peu pareille, avec son envie d’être langue-de-plomb, cette envie si atypique, et tomber sur ce garçon-là, qui voulait être briseur-de-sort, c’en est presque comique. Elle avait eu un faible, alors, pour sa passion, cette détermination, et ça la rend heureuse, sincèrement, qu’il puisse aujourd’hui lui en parler en l’ayant vécu, pour de vrai.
« Mais non, je supporterais la quarantaine pour être sûr de ne pas ramener une conjonctivite près de tes beaux yeux. » répond-il, charmeur comme à l'habitude. Gringotts change toutefois les parcours des femmes enceintes et leurs proches, et des jeunes parents. On ne sait jamais. Avec le risque d'être maudit par un sorcier ayant voulu protéger son patrimoine avant de trépasser, le risque de maladie est un de plus importants. Ils ont, littéralement, les mains sales, à exhumer ces vestiges du passé. Et il n'est pas rare que quelques virus s'y accrochent. Orion le sait. Il a bien conscience des risques, qui luit ont été martelés toute sa vie (il est si doux, et s'il ne réalisait pas?) et auxquels il répondait par bravade qu'une guerre entre sorciers pourrait aussi bien le tuer alors qu'il serait resté sur Londres. Il va sans dire qu'il a perdu de sa superbe à ce sujet, dernièrement.
C'est le rêve d'une vie d'être briseur de sorts, mais c'est un rêve qui pourrait raccourcir la sienne. S'il fonde une famille un jour, il lui faudra y réfléchir. Gringotts laisse de généreuses pensions aux veufs et veuves, mais ça n'est que l'aspect financier de la chose. Bien sûr, Carys fait partie des bénéficiaires. Il a réparti son pécule et ses maigres biens entre la jeune femme, sa famille, quelques objets qu'il aimerait laisser à Dahlia (comment serait-elle sensée faire après avoir perdu ses deux meilleurs amis?), de l'argent pour que la petite Eirian puisse faire ses études … Il a tout prévu dans ce qu'il pouvait prévoir.
« Tu ne crois quand même pas que moi aussi, je ne l'aurais pas blindé de sortilèges ? J'ai mes affaires courantes sous la main, et le reste dans un autre sac qui lui est sans fond. Je n'ai presque pas eu à choisir dans mes livres, et je partais pour trois semaines, c'est dire. »
Les moldus auront l'intelligence d'inventer des appareils électroniques pouvant contenir des monceaux de livres, mais Orion doit se fier à un sac sans fond et des astuces pour réduire le poids de son sac. Il fait pourtant de vrais efforts. Il a par exemple renoncé à Rousseau. Beatrix Potter prend la poussière sur une étagère, il ne peut pas s'encombrer d'un livre pour enfants qui contient si peu de texte alors qu'il veut meubler tant de temps. Il a emmené Dickens, mais il commence à connaître les Dickens par cœur, désormais. Même chose avec les Agatha Christie, comment penser à autre chose que sa vie sentimentale alors qu'il est évident que l'auteur du meurtre est le personnage moyennement soupçonnable. Orion a tout une théorie là-dessus, qu'il a expliqué chaque fois que l'occasion se présentait de parler d'Agatha Christie. Il était si impatient de confronter son point de vue qu'il n'a pas compris qu'on puisse ne pas aimer autant la reine du polar anglais. Le personnage moyennement soupçonnable, explique-t-il, est un personnage sur lequel on peut être tenté de fixer ses soupçons au début du livre, qui est éclipsé par un autre fortement-présumé-coupable et sur lequel l'auteure fait la lumière dans les dernières pages. Il s'était fait une joie de lire Agatha Christie mais a finalement été distrait, distrait. Ses pensées le ramenaient tout droit à Paris. Un Paris de romans. Il a fait l'erreur, c'en est une, d'emporter avec lui ce philosophe français qui parle sans cesse d'amour.
C'est très beau, c'est décrit comme une maladie, et il se reconnaît dans chacun des symptômes. Hyper ou hypocondriaque, il ne sait plus vraiment, il a commencé à s'inquiéter de plus se reconnaître. Que lui resterait-il s'il n'aimait plus Carys ? En dehors de tout amour, la rationnalité la plus évidente se pousse à dire que c'est la personne avec qui il a le plus de chances de faire sa vie. Surtout dans la mesure où il a essuyé plusieurs refus systématiques de Dahlia dans leur âge tendre. Avec Carys, il aura toujours cette complicité physique et cette complicité d'esprit. Il l'aime sincèrement. Il est heureux de la voir, tous les symptômes sont là. Quelle importance cela-t-il qu'ils n'aient jamais discuté de comment ils voyaient leur futur, et découpé le quotidien en charmantes petites parcelles qu'il faut bien définir ? Se verraient-ils tous les jours du fait de leurs emplois du temps ? Où devraient-ils habiter ? Souhaitent-ils avoir des enfants, et qui s'en occupera, comment ? Orion ne demanderait pas mieux que de rêver de ce quotidien assez vague.
Ils pourraient se pousser l'un l'autre dans de brillantes carrières, il est d'ailleurs exclu qu'ils s'entravent mutuellement. Mais il ne donne pour autant pas cher de cet amour qui sent la poudre de cheminette ou pire encore, le portoloin. Pour les beaux yeux de sa galloise, il est prêt à surmonter son dégoût des portoloins, qui lui sera plus qu'utile dans son travail. En tout cas, il espère vraiment l'être. Les symptômes physiques du transplanage ne sont rien à côté du stress (post-traumatique) du portoloin. La sueur froide qui fait adhérer sa chemise à son dos. Ces palpitations. Il se souvient de Cédric. A chaque fois.
Aussi tient-il bien serrée dans sa main celle de la jeune femme. Comme si l'un d'eux risquait d'être aspiré par on-ne-sait-quoi. Par son sourire désarmant ? Il s'éclaire lorsqu'elle parle de son métier, et cette distance entre eux semble se combler tant il est heureux, volubile, loquace. « C'était formidable. Bien vu pour le Népal, d'ailleurs. Il y a ce peuple de sorciers qui s'est un peu éloigné des moldus. Les moldus eux-mêmes ont creusé pas mal d'habitations troglodytes, mais ils ne peuvent pas accéder à celles qui sont protégées par des sorts. J'ai fait les tests de repérage pour voir si c'est praticable, mesurer la distance, la profondeur, le volume. Ca a vraiment l'air de coller avec ce qu'on a déjà trouvé de ces groupes de sorciers et c'est formidable parce qu'ils ont laissé tout un langage qui leur est spécifique. Ce sont peut-être des chambres funéraires ou un lieu de repli, ça bougeait pas mal politiquement aussi pendant ces siècles-là, après tout. Il faudrait des années d'études et je ne serais pas mécontent de ne pas être celui qui va essayer de tout décrypter une fois à Londres, mais on pourrait retrouver les sortilèges qu'ils utilisaient. Des sortilèges d'il y a deux mille ans, ça me fait rêver. »
code by EXORDIUM. | nb perso : environ 1100 mots ; ref littéraires
Petit sourire en coin, coeur qui s’allège. Évidemment qu’il a pensé à alléger son sac, pour qui le prend-elle ? La référence aux livres la fait sourire davantage et elle a de suite une pensée pour la pile d’ouvrages qui s’agrandissait de semaines en semaines, au pied du lit d’Orion. On ne penserait pas, comme ça, avec un bonhomme bien fichu, qui s’en va à l’aventure dans tous les recoins du monde, les mains dans la terre, archéologue des temps sorciers, mais son beau est peut-être plus lecteur qu’elle. Un peu moins étonnant, quand on se souvient de sa lignée Fleury, mais elle se rappelle encore sa surprise réelle lorsqu’elle l’avait découvert passionné et intéressé de toutes littératures. Oh, elle a aussi une belle collection, qui s’est peu à peu vue agrémentée d’une liste d’ouvrages moldus, sur la suggestion de Lemony, d’abord, bien vite renchérie par Orion, évidemment. Quand elle s’abandonne à ses poésies d’Hugo, le coeur un peu tremblant, elle a toujours une pensée pour eux - surtout pour Orion, c’est vrai - et s’imagine dans les fauteuils de la bibliothèque, calée contre lui, à dévorer ce qu’il voudra bien lui faire découvrir ce jour-là. Elle imagine sans peine son sac débordant de nouveaux romans, d’autres vieux classiques, et quelques favoris en plus (Agatha Christie, forcément, toujours du Christie !).
- Tu m’y fais penser, il y a une librairie en face de Notre Dame, elle rendrait ton père presque jaloux, c’est une mine d’or ! Tu risques de repartir bien plus lourd, confie-t-elle avec un petit clin d’oeil.
Les deux jeunes gens semblent alors se perdre chacun dans leurs pensées, et alors que l’angoisse étreint Carys, l’angoisse d’un amour trop compliqué, elle se hâte de profiter du contact humain, de sa présence près de lui, et sent un soulagement sincère, une sérénité nouvelle l’envahir alors que le visage de son amoureux s’éclaire. Parle-moi. Sa prière est accomplie, il se concentre sur elle, sur eux, sur les échanges qui forment leur couple, qui bercent de leur tempo leur passion. Elle a immédiatement un air apaisé, satisfait, lorsqu’il lui assure que c’était formidable. Elle se souvient de ses quelques hésitations, au début de son apprentissage ; non pas des doutes envers son métier, mais la crainte de ne pas s’investir assez, de ne pas y arriver aussi bien qu’il en rêverait, la peur logique aussi de ne pas s’intégrer, auprès d’une équipe peut-être déjà soudée, de professionnels déjà bien habitués. Elle n’a pas su réellement le soutenir, à cette époque, étant prise des mêmes émois, des mêmes frayeurs - mais, après tout, c’est cela de grandir ensemble, de découvrir le monde à deux. Et finalement, cela s’engage bien pour eux deux, n’est-ce pas ?
Elle ne s’attendait pas à ce que sa formation soit aussi abrupte, en réalité. Elle parle surtout des cours théoriques aux gens, les travaux pratiques étant déjà trop confidentiel pour qu’elle ne puisse en disséminer des informations ça et là. Ils avaient dû signer une convention, un pacte de silence, au début de leur études - manière de s’assurer que ceux qui abandonnaient n’iraient pas raconter les secrets de ce métier. Cela lui avait fait prendre conscience, bien brusquement, qu’elle s’engageait dans une carrière de solitude, dans une vie de salles sombres, de vieux recueils, de secrets magiques indicibles. C’était passionnant, oh oui, bien sûr - pourtant, si frustrant. Elle ne pourrait jamais rentrer, chez elle, s’avachir auprès de son aimé, et s’enjouer sur leurs dernières découvertes, les artefacts sublimes sur lesquels ils auront pu tomber. Elle savourerait ses victoires avec ses collègues, certes, mais cela la brisait déjà de ne pas pouvoir s’imaginer entrainer Orion dans une danse folle après des mois de recherches acharnées, juste pour célébrer. Célébrer quoi, qu’il lui demanderait - oh, rien, mon amour, rien que je ne puisse te dire, mais célébrons. C’était si surfait. Si absurde. Bien obligée, pourtant. Elle ne peut imaginer faire autre chose. Seulement, ça lui fait du bien d’être face à quelqu’un qui n’est pas si limité, dans ses rapports, dans ses discussions de vie.
Elle l’écoute, alors, elle gobe ses paroles, presque, toujours aussi enthousiaste de le voir s’élancer dans un grand exposé, véritablement porté par la joie de son métier. Elle hoche la tête au rythme de ses informations, son esprit s’imaginant déjà concrètement ce que les habitations représentent, comment elles pourront être utiles à Orion. Carys a un petit bruit appréciatif qui lui file entre les lèvres lorsqu’il affirme que ce pourrait être recollé à des découvertes antérieures et souffle un ‘c’est super !’ sincèrement enthousiaste. Un petit rire lui échappe lorsqu’elle imagine Orion cloîtré dans une pièce des bureaux de Londres, à analyser toutes les découvertes : non, vraiment, ça ne lui correspond pas. C’est un homme de terrain, qu’elle a devant elle, bien trop en recherche de découvertes infinies pour se laisser attraper par un projet unique. Elle a un petit frisson à imaginer, pourtant, des sortilèges datant de deux millénaires - ça, pour le coup, c’est totalement son domaine, et si elle avait été plus active et passionnée par la magie du monde, elle aurait suivi Orion dans ces aventures rien que pour s’y confronter.
- Oh, ça a l’air fabuleux comme projet ! Pour les sortilèges, il faudra que tu me glisses les rapports discrètement, dis donc, ce serait gigantesque comme découverte, ajoute-t-elle avec un petit sourire en coin, sachant pertinemment qu’aucune corruption ne sera possible avec, mais toujours amusée de tenter.
Il y a quelques secondes de suspens, avant qu’un petit fou rire ne la prenne :
- Tu sais, à nous deux et d’ici quelques années, on ferait une sacrée équipe de choc. C’est plutôt pas mal, comme plan d’avenir, non ?
Ah, l’avenir. Le futur. Ils allaient bien finir par y mettre les deux pieds, dans ce sujet maudit, pas vrai ? Alors voilà, lancée - et en riant, s’il vous plaît. Tous les deux, à s’aventurer dans des terres magiques mystérieuses, lui à creuser, elle à se lancer corps perdu dans toutes analyses. Enfin, c’est vrai que ça serait bien, non ?
Ce serait merveilleux. Les yeux du briseur de sorts scintillent. Ce serait à la fois un roman d'amour et un roman d'aventures. Il s'imagine ce qui pourrait se passer. Ils voyageraient. « On aurait une tente de voyage haute de gamme, grand luxe, avec la place pour que tu aies un laboratoire. On explorerait les ruines le matin, on ferait une bonne pause le midi, et on étudierait ce qu'on a trouvé juqu'à en avoir assez le soir. » La suite, il n'ose pas la formuler, il se sent presque rougir. Comme si ce n'était pas correct de se souvenir de ces étreintes passées alors qu'il est presque décidé à rompre. Presque, car comme toujours avec Orion, les pensées sont retournées plusieurs fois avant de connaître leur sort.
C'est un compromis qui ne serait pas satisfaisant. Rester ensemble sans cesse deviendrait être sur le dos l'un de l'autre. Ils en auraient assez. Carys ferait l'effort d'aller dans les ruines pour ses beaux yeux, comme il deviendrait studieux pour elle. Par amour, le briseur de sorts s'enchaînerait presque derrière un bureau. Peut-être est-ce qu'il n'aime pas assez Carys, pour sentir qu'il n'abandonnerait pas tout par amour ? Si elle avait besoin d'aide, bien sûr, il ferait en sorte de ne pas la laisser. Une question commence à se frayer un chemin. Dans un univers où ce serait possible, est-ce qu'il en ferait autant pour Dahlia ? Bien sûr, ce n'est pas comme s'il risquait de sortir avec elle. Dans les moments tels que celui-là, il aimerait compter sur la compassion et la clairvoyance de Carys. Orion est persuadé qu'ils resteront toujours proches, sa galloise et lui. Ce serait simplement particulièrement cruel de rompre en demandant si, au passage, à son avis, il a ses chances avec une autre.
Sans savoir ce qu'il devrait faire de ce brouillard de sentiments, il tient la main de la jeune femme, la porte à ses lèvres et y dépose un baiser. Ce n'est pas ce genre de comportement qu'il aimerait à voir. Complètement à l'opposé de ses valeurs. Bien que freiné par ce nœud de culpabilité dans le ventre, il se décide à aller encore de l'avant. « Tu sais que j'ai tout un programme pour ce séjour ? Il faut que je t'explique tout ça mais il faut qu'on s'assoie parce qu'on en a pour un bout de temps.Tu m'y as fait penser, à parler de ta librairie. » précise-t-il en passant devant une autre échoppe. Il a catalogué en un coup d'oeil le choix de nouveautés tapageuses et l'absence d'éditions d'occasion. Il sait qu'il n'y trouvera pas son compte. Emmener Orion dans une librairie est une bonne chose, mais il passe plus ou moins de temps dans une boutique à son goût. A vrai dire, il peut y rester des heures, repartant le compte en banque plus léger mais les bras chargés et le regard brillant.
« Si je me contente de revenir plus lourd de livres, ça me va parfaitement. Autrement, j'ai aussi fait tout un programme de diversification alimentaire en profitant du pays de la gastronomie. Pas de fromages trop forts, des profiteroles, du gratin dauphinois, des crêpes Grand Marnier, du pot-au-feu, un bourguignon, des huîtres, des macarons, de la forêt noire … Je te rassure, je ne vais pas t'imposer un marathon gastronomie. J'ai calculé qu'on n'aurait pas le temps de tout faire en un voyage. Sauf à manger des plats en sauce dès le petit-déjeuner et même jetlagué, je t'aime trop pour te faire subir ça et j'ai un minimum d'amour propre à mon encontre. »
Tout à sa litanie, tout à son trait d'humour, Orion n'a pas maîtrisé cette ambiguïté du je t'aime glissé l'air de rien. Barthes dit que ce n'est que le premier je t'aime qui a une force symbolique. Il est pourtant convaincu que ça ne les aidera pas à s'éloigner sans heurts que de continuer à le décliner à Carys. C'est pourtant vrai. Il l'aimera toujours. D'une certaine manière. Sans la passion dévorante qu'il a ressenti, sans tourner toutes ses pensées vers elle et échafauder mille scénarios.
Le nez levé pour regarder le haut des immeubles, la main de sa petite-amie dans la sienne, le briseur de sorts se sent léger, léger … Belle ville, beau voyage. Est-ce qu'ils ne devraient être qu'amis ? Il a peur de la perdre à ce jeu-là. Elle aurait ses raisons de ne plus vouloir entendre parler de lui. Même temporairement. Mais il a pris ses habitudes, de se reposer l'un sur l'autre, d'écouter leurs problèmes et d'en parler ensemble. Le remariage du père de Carys, auquel ils s'étaient promis d'assister en bonne place. Les questions qu'ils se posaient sur leur avenir. Ce problème de maths qu'est devenu leur quotidien. Si Orion voyage en moyenne deux semaines par mois et ce sur une fréquence de une semaine, trois semaines, et que Carys est envoyée en séminaires à fréquence de quatre fois par semestre, de combien de moments à passer ensemble disposent-ils ? Leurs pas les mènent à un restaurant qu'il lui semble connaître. Le nom lui est familier, peut-être n'est-ce qu'une référence littéraire.
« Est-ce … Que c'est ici que tu voulais aller ? Le nom me dit quelque chose. »
code by EXORDIUM. | nb perso : environ 850 mots ; 1 ref littéraire
Son coeur se gonfle d’un amour serein à la réponse d’Orion, devant ses yeux pétillants. L’espace de quelques secondes, un sentiment terrifiant et terrifié l’a prise, alors qu’elle se demandait si son amour allait se détourner de la conversation, grimacer, ne pas l’inviter à penser à plus tard. Ils n’ont pas vraiment parlé de leur avenir, depuis qu’elle a déménagé, comme si cette venue à Paris fait s’effondrer toute possibilité d’envisager des réalités, comme s’ils se tenaient sur un fil de quelques millimètres, qui risque de rompre à tout moment. Alors cette réponse, instantanée, cet enthousiasme, il la fait vibrer, il lui fait pétiller les yeux, il la rend toute chose.
Elle a un petit rire à l’idée de se retrouver en plein champs de ruines, à patouiller dans son laboratoire toute la journée, avant de plonger au creux des bras de son amoureux la nuit tombée. L’idée a beau être des plus enthousiasmantes, de celles qui font frétiller l’imagination et la hâte à les concevoir, elle ne peut que se demander si, concrètement, ils aimeraient être ainsi. Ces voyages seraient agréables sur de longues semaines, à question de rentrer dans un lieu cocon, où d’autres têtes viendraient pulluler dans leur cercle. À trop être tout le temps ensemble, à tout réaliser par deux, cela les dénaturerait totalement. Ils sont bien trop indépendants dans leurs ambitions pour tout concilier de cette façon. Elle sent également peser sur elle l’exemple amoureux de son père, qui n’a jamais su lui donner une vision véritable d’une maison calme, d’un amour uni, d’une réalité de couple solide et en duo. Même récemment, avec Yolanda, qui est liée à son père depuis de nombreuses années pourtant, maintenant même mariée à lui, Carys n’a jamais pu avoir le sentiment d’un couple tel que le projet qu’elle esquisse avec Orion laisse entendre. Yolanda va et vient du manoir, dort parfois dans son ancienne demeure, elle garde indépendance et vie propre. Ce n’est pas un constat négatif, c’est simplement un exemple amoureux, le seul, que Carys ait eu dans sa vie, et il est compliqué de s’imaginer autrement. Elle aime Orion, oh, aucun doute, elle veut passer de longues années avec lui, et se trouver un joli petit endroit dans la campagne britannique, mais c’était différent d’avoir un cocon dans un univers plus grand que d’avoir pour seul univers un cocon portable.
- Tu sais chéri, à bien y réfléchir, malgré l’idée d’une chaude soirée à se rouler dans le sable, je ne m’imagine tout de même pas sur des chantiers toute ma vie durant - on pourra réserver ces expéditions à quelques mois par an, histoire de ne pas nous entretuer ? rajoute-t-elle avec un petit clin d’oeil.
Leurs pas suivent distraitement le dédale de rues, traversant quartiers après quartiers, quittant les bâtiments administratifs pour des lieux plus vivants. Un petit sourire fond sur son visage alors qu’Orion porte sa main à ses lèvres pour y déposer un tendre baiser au fil de leur discussion. Ces gestes habitués, d’une tendresse instinctive, viennent toujours prendre Carys avec douceur. Elle a cette crainte superficielle, à chaque éloignement trop long, que l’habitude des caresses et la simplicité des baisers et des étreintes ne se tarissent, qu’ils se retrouvent comme deux pantins malhabiles à se faire face, les doigts rigides, les lèvres froides. Heureusement, son souffle est toujours aussi chaud, sa douceur toujours aussi prégnante, et le souffle de bonheur que cela provoque en elle toujours aussi important. Elle pose un regard amoureux sur lui, alors qu’il lui indique avoir programmé tout plein de choses pour ce weekend. Aussitôt un sourire vient lui mordre le visage.
- On devrait bientôt arriver, tu vas pouvoir me présenter tout ça ! C’est au prochain croisement, si je ne m’abuse.
Carys observe autour d’elle, un peu plus attentive à son environnement cette fois-ci. Elle reconnaît l’épicerie au bout de la rue et la boutique de nécessaires artistiques qui lui fait face. Si elle ne se trompe pas — elle a beau vivre dans le quartier depuis quelque mois déjà, elle se perd encore un peu dans ce dédale inconnu — le restaurant devrait effectivement être bien proche. Elle reporte alors son attention sur Orion, qui lui fait part de toutes les ambitions gustatives qu’il attend de son voyage. Aussitôt Carys se met à rire, un peu prise au dépourvu par cette avalanche de noms de plats et de desserts, et le travail qu’il a mis dans l’organisation de ce repas. Toujours amusée, les joues creusées par des ridules de fou rire, la jeune femme répond :
- Je t’aime fort aussi, mais c’est vrai que je ne me vois pas déguster bourguignon et huîtres à peine levée. À peine sa phrase est-elle finie qu’un énième rire la prend : Merlin, tu vas me faire prendre une vingtaine de kilos avec tes envies ! On pourra peut-être se prendre quelques macarons en rentrant ce soir ? Un des meilleurs pâtissiers moldus à une boutique à quelques rues de la mienne, ça serait l’occasion, suggère-t-elle alors que l’idée lui survient.
Elle se souvient aussi que le frère de Jonas est sous-chef d’un restaurant étoilé, et qu’il serait plus qu’enthousiaste de faire découvrir de la bonne nourriture à ces pauvres british qui ne doivent avoir jamais rien mangé de bon de leur vie. Sa bouche s’entrouvre pour faire la suggestion, mais se referme à l’idée qu’Orion se demande pourquoi elle va jusqu’à connaître toute la famille d’un ami de fac aussi vite. Elle a aussitôt honte de cette réflexion, comme si Orion lui reprocherait quoique ce soit, c’est totalement absurde - et puis, dans tous les cas, il lui faut arrêter de s’angoisser sur Jonas. Elle a bien été l’amie de Lance avant même de sortir avec Orion, ils ont été très proches tous les deux, et elle ne s’est jamais, jamais, angoissée au sujet d’être ‘trop’ proche. Ridicule, enfantin, et Merlin, absurde. Elle n’a pas l’occasion d’enchaîner, Orion la tire de ses doutes, s’arrêtant devant un restaurant. Originalement décoré, le nom du lieu est peint de couleur doré, en jolie calligraphie : A passage to India. Elle sourit lorsque Orion pense reconnaître le nom, et suggère :
- Oui, c’est bien ça ! C’est le titre d’un roman d’E.M. Forster, c’est peut-être pour cela ?
Elle pénètre dans le lieu, humant avec plaisir le mélange des épices et des naan chauds qui parfument l’endroit. Un serveur vient aussitôt les accueillir avec un grand sourire et, en quelques instants, ils sont confortablement installés dans un coin du restaurant, une carafe d’eau posée sur la table, leurs plats commandés. Carys a déjà l’eau à la bouche du butter chicken qui va être déposé d’ici quelques minutes devant elle. Pour l’instant, seulement, elle se concentre sur Orion et relance :
- Je t’ai un peu parlé de Jonas je crois, son frère aîné est chef cuisinier, il n’arrête pas de charrier ma pauvreté culinaire. Je suis sûre que ça lui ferait plaisir de nous faire goûter de la bonne gastronomie de chez eux… Je peux leur proposer une petite dégustation chez n—moi ? Elle balbutie idiotement sur sa fin de phrase et compense avec un doux sourire, en poursuivant : À moins que tu aies déjà tout planifié, je t’écoute ! conclut-elle en faisant glisser sa main sur la table pour jouer avec celle de son tendre.
S’ils se supporteraient ? C’est une bonne question. Tout à l’enthousiasme de cette proposition, Orion n’en avait pas mesuré les implications pratiques. Chez lui, le cœur parle souvent avant la raison, mais quelle raison y aurait-il s’il n’écoutait pas ses impressions ? Il lui semble que cette mesure éminemment personnelle du monde est aussi fiable que toutes les listes de pour et contre qu’il s’entête parfois à faire avant de brûler le papier : il sait déjà. Au fond de lui. Comme il sait qu’il ne parvient pas à se débarrasser d’un reste d’amour pour Dahlia Prewett. S’il avait du déterminer ce qui mettrait à mal son couple, il aurait misé sur son ex-camarade de Poufsouffle et non sur la possibilité que, peut-être, Carys et lui ne se supporteraient pas.
Le briseur de sorts se repasse les vacances délicieuses passées ensemble. Quelques jours, épars, au pays de Galles ou au premier étage de la librairie pendant un alignement des planètes ayant fait partir tous les autres Fleury. Une occasion inestimable, cela ne leur est que trop peu arrivé. Peut-être a-t-elle raison. Est-ce important alors que Carys est si belle, qu’ils sont si jeunes et heureux de l’être ? L’amour tel qu’il en a entendu parler depuis qu’il lit des romans, c’est-à-dire très tôt et beaucoup, décrit peu ou prou cette excitation qu’il éprouve, cette sensation de fou rire au bord des lèvres. La phrase de l’être aimée, elle, refroidit un peu ses ardeurs. Comment ça, elle l’aime beaucoup aussi ? Qu’est-ce que c’est que cette litote ? Et pourquoi pas je t’aime bien, pendant qu’on y est ? Un je t’aime, ça se déclame sans rien rajouter, sauf à ce qu’on veuille le rattraper in extremis. Est-ce qu’il doit y voir quelque chose ? Son cœur bat plus vite, sans savoir si c’est de l’indignation ou de la peur. Il faut qu’il se rassure. Tout le monde n’a pas lu Roland Barthes pour préparer son voyage en France. Il sait qu’il ne l’a pas offert à la jeune femme, qu’il soupçonne de ne pas être devenue bilingue en si peu de temps. Pour sa part, Orion ne peut se vanter que de baragouiner quelques mots nécessaires au voyage dans beaucoup de langues et de savoir faire des explications de textes (de romans, certes) dans d’autres encore. Non, elle a du dire cela sans réfléchir. Il faut qu’il se calme. Impossible de commencer leur périple de manière sereine dans ces conditions. Toujours aussi empêtré, Orion s’efforce de cacher le trouble qui l’a pris, fugitif comme une giboulée.
« Tu serais charmante avec des rondeurs aussi. » formulation polie, il n’a pas osé suggérer que cela lui aurait peut-être encore mieux. Ca ne se dit pas à une dame, et il n’y a pas encore réfléchi. Il s’accorde quelques secondes. Si, ce serait charmant. Il hoche la tête lorsqu’il est question de macarons. On lui en a déjà ramené (qui ? Où ? Quand ?), et il se souvient d’une sucrerie parfumée et multicolore. Bien le genre de choses qui se déguste en couple. Quand il est dans une optique de séduction, c’est-à-dire aussi longtemps ou presque qu’il est dans une relation amoureuse, le briseur de sorts compartimente précautionneusement les nourritures qu’il pourrait ingérer. Il laisse les plats riches, authentiques, odorants à des occasions de repas avec ses amis ou sa famille. Occasions qui par chance ne manquent pas. Il adopte du mieux qu’il le peut ce qu’il imagine être une attitude plus raffinée. Aussi exclut-il de la carte tous les plats contenant de l’ail (il ne vient pas aussi peu souvent pour dégoûter Carys s’il se met en tête de l’embrasser). Il parcourt en revanche les noms de plats contenant des épices. Même pas peur. Pas depuis qu’il voyage pour Gringotts et a connu quelques déconvenues.
Il s’apprêtait à relancer la conversation d’une remarque, n’importe laquelle puisque c’est le premier pas qui compte, quand Carys s’empresse de le faire pour lui. Elle parle d’un camarade de promotion dont le nom lui est vaguement familier. Loin d’elle, il avait cherché en creux dans sa correspondance toutes les informations qu’il pouvait recouper sur ce petit cercle qui devenait le sien. Il avait pris des notes par papier, plus pour se rassurer et ordonner ses idées que parce qu’il n’aurait pas retenu qui avait un appartement avec des moulures, qui aimait les fraisiers, qui lui avait prêté des notes de cours. Il voulait simplement … Contrôler la situation. Maintenir un mince fil. Ses correspondances n’en étaient que plus précises, et Carys pouvait répondre avec plus de facilité à ses questions. C’est aussi ça, aimer quand on a des insécurités.
Le nom de Jonas, en soi, n’est donc pas effrayant. Mais le rouge sur les yeux de Carys, l’éclat dans ses yeux, ça, oui. Plusieurs signaux d’alerte s’imposent au jeune homme. Sa propre échelle personnelle de mesure du monde. L’équivalent du compteur à pulsations magiques qu’utilisent les briseurs de sorts en expédition, et qui devient bruyant lorsqu’il approche de quelque chose à creuser. Il y a quelque chose à creuser. Non, ridicule, il n’y a rien. Carys n’aurait jamais l’affront de lui parler d’un amant avec lequel elle aurait déjà eu une relation. Ca fait quoi, à peine quelques mois qu’elle est là. Pas du tout son genre. Aucune confiance, bravo. D’autant qu’elle a commencé à parler de leur chez eux avant de se raviser. Peut-être est-ce un reste de fierté machiste, espèce en voie d’extinction chez lui mais peut-être pas tout à fait éteinte. Comment ça, pas leur chez eux ? Son chez elle ? A proprement parler, non, il ne paie pas de part de loyer, mais voilà, en ce moment il ne vit nulle part et aurait bien aimé qu’elle se dise que c’était l’endroit où peut-être … Il ne sait pas, l’endroit où voir son nom sur une boîte aux lettres ? Ridicule, il ne reçoit jamais de courrier que par hibou. Il se sent un peu piqué au vif. Non, quand même, elle en parle d’une manière qu’il n’aime guère. Il y a quelque chose. Non, tout de même, ils se sont vus grandir, de loin puis de derrière des œillades énamourées. Elle ne ferait pas ça. Le voilà déboussoler.
Précisons que c’est une époque où Orion n’a pas encore posé certaines questions à certaines personnes. De la même manière qu’il s’en voudra d’avoir demandé à Lawrence, leur Lawrence, quels étaient ses crimes, le voilà qui s’engage dans un interrogatoire louvoyant. Il n’est pas sûr de la réponse qu’il voudrait entendre. « Jonas … Oui, je vois. Il va bien ? Tu as eu l’occasion de rencontrer son frère ? Vous avez été manger là-bas avec les autres ? »
Trois questions prononcées plus vite qu’il n’aurait aimé. Son malaise doit commencer à être palpable. Un sauté de poulet accompagné de fromage coagulé et d’épinards vient s’interposer entre eux par un serveur zélé. C’est gentil d’avoir pensé à faire un restaurant indien, cuisine qu’ils aiment tous les deux et qui rentrait dans leurs moyens de jeune couple sortant de Poudlard, mais ça ne lui dit pas comment elle a pu se rapprocher autant de Jonas. Il n’y avait aucune trace de tout cela dans ses dernières lettres. Il s’en souvient. Il les a relues pour rendre l’absence plus supportable.
« Oh, plein de petites choses. »Si c’est pas cette fois, ce sera la prochaine, pas vrai ? Pas vrai ? « Plusieurs églises et temples, une bibliothèque, les catacombes si ça te fait envie. Peut-être le Louvre ? Mais tu vas te dire que je veux faire des heures supplémentaires avec tout ça. Je serais content qu’on aille voir les vitrines des grands magasins. Il paraît vraiment que c’est à faire. Et, hum, de tête … » parce qu’elle doit se douter qu’il a établi une longue liste dans son carnet « de grandes balades pour découvrir ton quartier et les lieux que tu aimes, ou que tu pourrais aimer. Propose la dégustation, d’ailleurs. » Il s’est rattrapé aux branches, là, non ?
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Carys a un peu la voix qui tremble lorsqu’elle prononce le nom de Jonas. Elle ne sait pas si elle doit s’en attrister, s’en paniquer, ou simplement arrêter d’y penser, mais le fait est là : elle ne sait pas comment Orion va recevoir l’idée, et elle ne sait pas pourquoi elle s’en inquiète autant. Elle ne s’inquiète pas, elle, quand Orion lui parle de ses collègues de travail, Delphine et Suzie ou Dahlia et Sally, elle oublie toujours leur noms. Parce qu’Orion était clair dans la relation de travail qu’il engageait avec elle ? Ou parce qu’elle avait une confiance absolue en l’amour qu’il lui portait, leur portait, même ? Ou peut-être parce qu’elle était trop confiante, justement — peut-être qu’elle devrait se poser des questions, avec ces semaines passées ensemble, où Orion avait forcément entraperçu une silhouette par-ci, touché une hanche par-là, rigolé à une blague qui les liaient qu’eux d’eux. Merlin, où vont donc ses pensées ? Elle sent sa confiance en soi, en eux, s’évaporer à cause d’un simple petit tremblement de voix, et elle regrette déjà cette maudite idée d’aller manger chez Jonas.
Pourtant, une fois encore, il semble qu’elle continue à se faire des films toute seule. Orion réagit absolument normalement, n’est-ce pas ? Oh, il y a bien quelques questions qui s’enchaînent trop vite, qui cherchent à délimiter la relation, mais c’est simplement l’esprit méthodique du garçon, de son homme, pas vrai ? Pourquoi autrement chercherait-il à savoir pourquoi elle y était avec les autres ou non ? Était-ce important, comme détail ? Est-ce qu’il se fâcherait, si c’était non ? Pourquoi se posait-il ces questions - il doutait d’elle, forcément. Elle sent l’angoisse lui nouer la gorge, honteuse de choses qui ne se sont jamais passées, déjà énervée de reproches qui n’ont jamais été formulés, et Carys maudit, une fois, deux fois, mille fois, son esprit bien trop prompt à s’emballer. Elle saisit son verre pour gagner quelques secondes, le temps de se dénouer la gorge, et prend quelques gorgées du verre de bière que lui a apporté le serveur entre temps. Elle n’a toutefois pas l’occasion d’en dire ou d’en exprimer davantage, un serveur trop enthousiaste vient pile au terme de son rire déposer les précieux mets. Les papilles salivant déjà d’un bonheur certain, Carys observe l’onctueux butter chicken qui s’offre à ses yeux. Reprenant le fil de la conversation, elle glisse tout d’abord un “bon appétit” plein de gourmandise, rajoute un petit “tu me feras goûter, ça a l’air rudement bon !”, prend une première bouchée, gronde de plaisir, et enfin, enfin, daigne répondre à son aimé.
- Alors, pour en revenir à nos strangulots, j’imagine sans aucun doute que tu as une liste bien propre bien ordonnée quelque part dans ton barda, ronronne-t-elle d’une voix toute attendrie de ces habitudes tant aimées, mais ce que tu annonces là est déjà très bien. Je rêve de faire les catacombes, aucun de ces sacrés parisiens ne veut m’y accompagner ! Je compte sur toi pour me faire rêver de toute la magie qui doit s’y dissimuler, ajoute Carys avec un petit sourire en coin, les yeux déjà pétillants de s’imaginer vadrouiller dans ces lieux mystérieux.
Elle s’arrête quelques instants de parler, pour reprendre de grosses bouchées de son poulet et son riz, grondant toujours autant de plaisir.
- Pour mon quartier, c’est vrai que je n’ai pas encore trop pris le temps de l’apprécier… je connais quelques coins sympas que Jonas m’a montré, il a grandi dans le coin, mais ça sera d’autant plus agréable que d’y flâner avec toi. Tiens, en parlant de Jonas, tu me demandais… il va très bien oui, je l’ai croisé ce matin… Elle hésite quelques secondes, prête à rajouter qu’il lui passe le bonjour, mais le souvenir de la matinée lui revient et l’air plus embêté que ravi de Jonas lui traverse l’esprit ; elle toussote alors et reprend : il bossait sur un gros projet à rendre ces derniers jours, je ne l’ai pas trop vu, mais tout va bien j’imagine. Et oui, j’y repense, son frère aîné, c’est le copain d’une amie dans ma promotion, Ophélie, tu te souviens d’elle ? Ophélie et Jonas étaient dans la même école magique privée, elle a rencontré son grand frère en fin de lycée et voilà ! On se fait souvent des repas tous les quatre, même si Matthis râle souvent qu’il aimerait ne pas pratiquer son boulot en dehors de ses heures de travail, merci bien, mimique-t-elle avec un petit rire concluant sa phrase.
Elle a l’impression d’avoir retrouvé le contrôle de soi, racontant simplement les petites anecdotes de sa vie, mais son rire s’éteint rapidement en réalisant que ça n’est peut-être pas si sympathique que ça pour Orion d’avoir des bribes de blagues à eux, sans contexte plus défini.
- Enfin bref, toujours est-il que je suis sûre que ça leur ferait plaisir de dîner avec nous, malgré les ronchonneries obligatoires de Matthis… tu es sûr que ça ne t’embête pas ? redemande-t-elle alors, le regard doux.
Sa main se glisse le long de la table pour venir titiller les doigts libres d’Orion, taquine et tendre à la fois.
- Si tu préfères qu’on ne soit que tous les deux, même si je ne peux pas te promettre de t’offrir un boeuf bourguignon réussi, tu t’imagines bien que ça me va parfaitement, ajoute-t-elle avant qu’il n’ait pris sa décision, pleine d’amour.
Elle libère finalement la main de son tendre, et vient jouer avec sa fourchette, cherchant à estimer si son estomac avait suffisamment d’espace libre pour accepter quelques dernières bouchées du Saint Graal de la nourriture indienne — ou du moins, du restaurant indien de son quartier parisien. Quelque part dans son esprit, une note parvient à se tracer son chemin pour aller se placarder au fond, écrite en grosses lettres : aller en Inde manger de la vraie nourriture indienne. Qui sait, Orion connaissait peut-être de bons coins où aller, maintenant. Reportant son attention sur Orion après ces millisecondes d’égarement indien, Carys grignote distraitement une petite bouchée de naan.